Ni droite, ni gauche: chimère ou avenir?

 

« Ni droite, ni gauche ». Emmanuel Macron en a fait son moteur de campagne électorale en vue de la présidentielle française. Avec parmi ses soutiens des personnalités telles que le communiste Robert Hue et le libéral Alain Madelin, la formule semble tenir la route. Elle répond à maints citoyens lassés de cette fracture idéologique accentuée par les récentes primaires. Le Front national (FN) de Marine Le Pen prône également un « ni droite, ni gauche », mais ce parti fondé en 1972 par Ordre nouveau ne respire pas vraiment la plus grande fraicheur de ce 21ème siècle, malgré les efforts de sa charismatique présidente. Il y a encore un peu trop de crânes rasés lors des défilés tricolores.

Est-il vraiment possible, en France, d’être ni de droite ni de gauche ? Je crois que oui. Mais c’est un véritable parcours du combattant. Et la victoire au bout du chemin n’est pas du tout assurée. Plutôt qu’une docte analyse, je vous suggère de goûter quelques fruits d’une expérience politique toute personnelle.

Au-dessus des partis, avec de Gaulle.

Au tout début des années 1970, j’adhérais à l’Union des jeunes pour le progrès (UJP), mouvement des jeunes gaullistes. C’était à une époque où, contrairement à aujourd’hui, s’afficher gaulliste était un acte de bravoure et d’originalité, surtout à l’âge de 16 ans ! Mes compagnons et moi (le terme « camarade » était réservé aux socialistes et communistes) nous ne supportions pas qu’on nous qualifiât de « gens de droite ». Nous étions fidèles à la pensée du général de Gaulle, homme de rassemblement « au-dessus des partis » de gauche comme de droite. Mais aux yeux de mes adversaires politiques, toute personne ne se déclarant pas de gauche était obligatoirement cataloguée à droite, qu’elle le veuille ou non. Comme un individu est marxiste ou pas, une femme enceinte ou pas. Jamais à moitié.

 Ailleurs, avec Michel Jobert.

Quelques années plus tard, je rejoignis le Mouvement des démocrates fondé par Michel Jobert. L’ancien ministre du commerce extérieur de François Mitterrand, qui avait précédemment soutenu la candidature de Jacques Chaban-Delmas à la présidentielle de 1974 (comme moi), se situait lui aussi résolument « ailleurs ». Il avait édité un petit livre bleu, invitant les membres de son mouvement à imaginer eux-mêmes des réformes à entreprendre dans la société française, bloquée comme à l’accoutumée.

Lors d’une réunion de son mouvement, certains adhérents se montrèrent fort désemparés face à l’absence totale de directives venant de Paris. Jobert laissant ses partisans réfléchir, imaginer par eux-mêmes, c’était vraiment déconcertant. Ah l’esprit jacobin de mes chers compatriotes, toujours accrochés aux basques d’un meneur, étaient et sont toujours à des années lumière des pratiques et coutumes des Suisses ! Très vite, le Mouvement des démocrates fit long feu. Et « l’ailleurs » de Michel Jobert finit « nulle part».

Les années passèrent. Avec Valéry Giscard d’Estaing puis surtout avec François Mitterrand, les gaullistes de l’UDR (qui deviendra le RPR, l’UMP et Les Républicains) n’eurent plus aucun état d’âme à se faire cataloguer à droite. Deux camps se faisaient désormais face. C’était simple et pratique. Il suffisait d’alterner. On promettait de résoudre à gauche ce qui ne l’avait pas été à droite. Et inversement.

Penser autrement.

L’idée que l’on est obligatoirement de droite quand on n’est pas de gauche, et de gauche quand on n’est pas de droite semble donc faire partie des gènes de la politique française. Pourtant, les temps sont peut-être mûrs pour que l’on pense enfin autrement. Lassés par les échecs successifs de la droite puis de la gauche quand elles sont alternativement seules au pouvoir, les Français aspirent plus ou moins confusément à autre chose. C’est peut-être ce désir d’un ailleurs qui suscite un indéniable rassemblement autour d’Emmanuel Macron et aussi de Jean-Luc Mélenchon, qui tous deux affirment se placer hors des partis traditionnels, le premier avec En Marche !, le second avec la France insoumise, même si l’un comme l’autre n’est pas à l’abri de toute récupération partisane.

Mais ce positionnement est si fragile dans que, pour le tenir, il faudrait que le nouveau président fasse preuve d’un sacré caractère et d’un destin hors du commun pour ne pas finalement céder au cliché gauche-droite aussi rassurant que vain. Un bouleversement des institutions avec une généralisation des états généraux (lire notre article précédent sur ce même blog) serait une manière d’ouvrir d’autres pistes, bien différentes des autoroutes encombrées des vieux schémas usés du siècle passé.

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)