Ce que Daesh nous révèle de nous-même.

Ces jeunes hommes ou femmes séduits par les sirènes de la mort incarnées par Daesh échappent à notre entendement. Comment est-ce possible ? Comment des adolescents ou des jeunes adultes peuvent-ils si rapidement sombrer dans la plus abominable des barbaries ? Au Moyen-Age, la réponse n’aurait fait aucun doute. C’est l’œuvre du Malin, aurait-on dit. Ce Malin dont la plus grande ruse, de nos jours, est de nous faire croire qu’il n’existe pas. Mais nos esprits cartésiens ont apparemment balayé tous ces « serpents à sornettes » …

Quoi qu’il en soit, je ne peux cesser de m’interroger sur les causes réelles et profondes de l’effroyable basculement des êtres décidés à gagner la Syrie et à semer l’horreur sur la planète. Je ne peux cesser de m’interroger sur les manquements, pour ne pas dire la faillite, de nos propres valeurs. Quel vide avons-nous laissé se creuser dans l’esprit et le cœur de ces filles et garçons pour que ces dernières et derniers en viennent à se remplir d’une telle haine contre les « infidèles » que nous sommes à leurs yeux, convaincus d’avoir enfin trouvé la vérité et un sens à leur vie ?

Le mal, un éveilleur de conscience.

Non, il ne s’agit pas d’entretenir je ne sais quelle culpabilité collective mais d’aller au fond de ce que pourraient nous révéler ces miroirs désespérés de nos propres failles, de nos propres incohérences. Le mal, comme la souffrance, est un éveilleur de conscience. C’est au fond de l’abime que la quête de la lumière, Sa Lumière, se fait toujours plus forte, toujours plus vitale.

Je ne crois pas que les notions de « république », de « citoyenneté » ou de « laïcité », aussi nobles soient-elles, peuvent faire contrepoids à la recherche d’absolu des jeunes qui partent pour le Jihad, manipulés par des forces occultes particulièrement malfaisantes. Notre civilisation a cru bon de ranger toute quête de spiritualité au rayon des accessoires, celui des croyances désuètes. Elle s’est imaginée qu’il suffisait de tisser la Toile des réseaux sociaux, avec sa multitude d’« amis », pour combler notre vide existentiel. Et voilà que les âmes les plus sensibles, donc les plus fragiles, se font maintenant attraper par d’obscurs veilleurs tapis sur la Toile…

Le temps de la psycho-matière.

La spiritualité, notamment véhiculée par des religions hélas trop souvent accrochées à des dogmatismes sclérosants, finira malgré tout, tôt ou tard, par habiter nos vies quotidiennes. Le temps du matérialisme avec son consumérisme exacerbé, sa passion de l’argent, son exaltation de l’homme affranchi de Dieu, ce temps là est révolu. Tout comme l’ancien temps de la spiritualité déconnectée de la réalité matérielle du monde avec ses éternelles attentes d’un au-delà merveilleux, toujours à venir et jamais présent. Vient, ici et maintenant ,  le temps de la « psycho-matière », comme le définissent certains philosophes et scientifiques, le temps de la rencontre des mondes visible et invisible.

Les arts sont sans doute les relais les plus tangibles de cette nouvelle « psycho-matière ». Par le chant, la danse, la musique, le dessin, les arts martiaux, le théâtre, l’Homme peut appréhender de nouvelles dimensions de conscience que de sempiternelles et vains débats d’idées ne parviennent même pas à effleurer.

Respirer à l'école.

Il est grand temps que ces disciplines encore considérées comme secondaires dans l’enseignement primaire et secondaire prennent enfin leur essor. Si dans toutes les classes des écoles les élèves commençaient leur journée à respirer, seulement à respirer en pleine conscience, avec des gestes appropriés, les idées noires, le découragement et le désespoir engendrant haine et violence iraient en s’estompant. Se retrouver avec soi-même, c’est le meilleur moyen de ne pas se perdre avec les autres.

En prenant gout à la vie, par des actes quotidiens qui les élèvent, les jeunes adultes n’auraient sans doute plus le désir de s’évader dans des chimères mortifères. Certains d’entre eux – heureusement encore une toute petite minorité ! – n’éprouveraient plus le besoin de crier que « Dieu est grand », une ceinture d’explosifs autour de la taille, car des germes d’amour et de sagesse auraient envahi les plus petites cellules de leur corps de psycho-matière !

Et si Daesh était le sombre miroir de notre propre vacuité ? En prendre conscience serait déjà un premier pas vers une nouvelle re-naissance …

 

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)