Politique migratoire de la Suisse: l’initiative “contre l’immigration de masse” et sa mise en œuvre

Contrairement à toute attente, 50,3% des votants et 15,5 cantons ont accepté le 9 février 2014 l’initiative “contre l’immigration de masse”.

Les règles principales résultant des nouvelles dispositions constitutionnelles (articles 121 a et 197 ch. 9) acceptées par le peuple suisse peuvent être résumées de la manière suivante. Tout d’abord, il appartient à la Suisse de gérer de manière autonome l’immigration des ressortissants étrangers et, par conséquent, de ne pas conclure d’accords internationaux en la matière limitant sa liberté. En second lieu, notre pays doit instaurer un système de plafonds et de contingents annuels concernant toutes les autorisations de séjour et de travail délivrées à des ressortissants étrangers, européens ou non. Ce système de contingentement s’applique à toutes les autorisations de séjour et à tous les permis de travail. Ils visent également les requérants d’asile, les frontaliers et les personnes bénéficiant du regroupement familial. Par ailleurs, les plafonds et les contingents relatifs aux permis de travail doivent être fixés en fonction des intérêts économiques globaux de la Suisse et dans le respect du principe de la préférence nationale. Les critères pour délivrer les autorisations de séjour et les permis de travail doivent notamment être le contenu de la demande d’un employeur, la capacité d’intégration de l’intéressé et sa capacité à disposer de revenus suffisants et autonomes. Enfin, les traités internationaux contraires à ces principes doivent être renégociés et adaptés avant le 9 février 2017. Si avant cette date, les lois nécessaires à la mise en œuvre de ces nouveaux principes ne sont pas entrées en vigueur, il appartiendra au Conseil fédéral d’édicter des règles provisoires par voie d’ordonnance.

Dans un blog du 28 février 2014 (Dis fiston, ce sera comment après?), j’avais proposé afin de trouver un système qui soit à la fois eurocompatible et respecte la volonté du peuple suisse que notre pays s’engage à l’égard de l’Union européenne (UE) à ce que le nombre de permis disponibles pour les ressortissants européens ne soit pas inférieur à la moyenne du nombre de ressortissants européens ayant recours chaque année à la libre circulation des personnes au sein de l’UE. Par exemple, si, par hypothèse, l’UE comptait 1 million d’habitants et que 20’000 personnes se déplacent chaque année en son sein dans le cadre de la libre circulation des personnes, soit 2% de la population, les contingents helvétiques destinés aux ressortissants européens ne devraient pas être inférieurs au 2% de la population vivant en Suisse.

Le parlement helvétique n’est pas allé dans cette direction et a adopté un ensemble de dispositions légales comprenant un volet “Intégration” et un volet “Gestion de l’immigration”, ce dernier étant fréquemment qualifié de “préférence indigène light”. La principale nouveauté de ce système est l’obligation faite aux employeurs d’annoncer leurs postes vacants aux services publics de l’emploi compétents.

Est-ce que la mise en œuvre par le parlement de l’initiative “contre l’immigration de masse” respecte la volonté populaire? Même si j’étais farouchement opposé à cette initiative, il faut être honnête et répondre par la négative. Cependant, le processus de mise en œuvre de l’initiative acceptée par le peuple suisse le 9 février 2014 a mis en exergue le fait que la démocratie directe à la sauce suisse est plus subtile que ce qu’il n’y paraît. En effet, vu qu’il n’existe pas au niveau fédéral d’initiative législative, mais uniquement constitutionnelle, il appartient au parlement, sur proposition du Conseil fédéral, de mettre en œuvre les décisions populaires. Par conséquent, alors que chez la plupart de nos voisins, le système est un ménage à deux composé du parlement et du gouvernement, notre pays n’est pas, comme d’aucuns le prétendent, un vieux célibataire composé du seul peuple, mais un ménage à trois où gouvernement, parlement et citoyens cohabitent.

J’ose espérer que le peuple suisse dira clairement non le 27 septembre à l’initiative populaire “pour une immigration modérée (initiative de limitation)” et mettra, dans une certaine mesure, fin au blochérisme. Si tel n’est pas le cas, le Conseil fédéral et le parlement devront se lancer dans une nouvelle partie d’équilibristes non seulement sur le plan interne, mais également avec l’UE.

 

 

 

Politique migratoire de la Suisse: libre circulation des personnes

L’introduction de la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne (UE) en juin 2002 a engendré deux profondes modifications de la politique migratoire de la Suisse. Tout d’abord, alors que sous l’ancien droit tous les ressortissants étrangers étaient soumis aux mêmes règles, l’introduction de la libre circulation des personnes a créé un traitement différent pour les Européens et pour les ressortissants d’un Etat tiers. En second lieu, alors que jusqu’au mois de juin 2002, la Suisse était libre d’octroyer et de renouveler les autorisations de séjour et les permis de travail, l’accord conclu entre la Suisse et l’UE accorde des droits aux Européens voulant venir séjourner ou travailler en Suisse[1].

A partir du 1er juin 2002, les ressortissants européens, soit ceux de l’UE et de l’Association européenne de libre échange (AELE), sont soumis à l’Accord conclu le 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP) et à l’Ordonnance du Conseil fédéral du 22 mai 2002 sur l’introduction de la libre circulation des personnes (OLCP). Le statut des ressortissants étrangers originaires d’Etats tiers est resté régi par les règles présentées dans mon blog précédent jusqu’à l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2008, de la Loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers (LEtr) et de l’Ordonnance du Conseil fédéral du 24 octobre 2007 relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA).

Les règles applicables aux ressortissants européens

Les deux caractéristiques essentielles de la libre circulation des personnes sont les suivantes :

  1. Si un certain nombre de conditions sont satisfaites, les bénéficiaires de cette liberté ont un droit à la délivrance d’une autorisation de séjour ou d’un permis de travail.
  2. Les titres de séjour et de travail ne font l’objet d’aucun contingentement. Dans les relations entre la Suisse et l’UE, ce principe souffre deux exceptions. Tout d’abord, l’introduction de la libre circulation des personnes a fait l’objet d’une introduction progressive en droit suisse. Par exemple, concernant les quinze premiers Etats membres de l’UE, l’ALCP a été conclu le 21 juin 1999, mais des contingents ont subsisté jusqu’au 1er juin 2007. En second lieu, en vertu de la clause de sauvegarde prévue dans l’ALCP, la Suisse peut réintroduire, à un certain nombre de conditions, des contingents.

L’ALCP et l’OLCP prévoient trois types de permis de travail : l’autorisation de séjour valable 5 ans (permis B) ; l’autorisation de séjour de courte durée ; l’autorisation frontalière.

Les règles régissant l’autorisation frontalière sont beaucoup plus souples que celles en vigueur sous l’ancien droit : le frontalier doit avoir la nationalité de l’un des Etats membres de l’UE ; il doit retourner à son domicile uniquement une fois par semaine ; la notion de zone frontalière ayant disparu, une personne domiciliée à Madrid peut travailler en Suisse en qualité de frontalier si les autres conditions liées à cette autorisation sont réunies ; il peut exercer une activité aussi bien dépendante qu’indépendante.

Concernant les personnes qui ne souhaitent pas exercer d’activité lucrative en Suisse, elles ont le droit d’y séjourner à condition de disposer des moyens financiers suffisants pour ne pas devoir faire appel à l’aide sociale et d’être assurées de manière adéquate contre la maladie. Par ailleurs, il existe des autorisations de séjour pour stagiaires, écoliers et étudiants.

Le regroupement familial est soumis à des principes moins stricts que ceux applicables sous l’ancien droit. En effet, non seulement tous les titulaires de permis peuvent faire venir les membres de leur famille, mais le cercle des personnes pouvant venir est beaucoup plus large. En font partie, le conjoint ou le partenaire enregistré, les descendants (enfants et petits-enfants) âgés de moins de vingt et un ans ou à charge ainsi que les ascendants (parents ou/et grands-parents) qui sont à charge. A noter que, concernant les écoliers et les étudiants, seuls leur conjoint et leurs enfants à charge peuvent bénéficier du regroupement familial.

Les règles applicables aux ressortissants d’Etats tiers

De manière générale, il est possible de résumer la situation des ressortissants d’Etats tiers en écrivant que les règles régissant l’octroi d’un permis de séjour ou de travail sont relativement similaires à celles qui étaient applicables à tous les ressortissants étrangers avant l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes en juin 2002 que j’ai décrite dans mon blog précédent.

En conclusion, il résulte de ce qui précède que depuis le mois de juin 2002, le statut des ressortissants étrangers en Suisse est très différent selon qu’ils ont ou non la nationalité d’un Etat membre de l’UE ou de l’AELE. Dans mon prochain blog, je traiterai de l’initiative populaire contre l’immigration de masse acceptée par le peuple suisse le 9 février 2014 et de ses conséquences sur la politique migratoire de la Suisse.

[1] Pour en savoir plus, voir: Philippe Kenel, Les conséquences de l’intégration européenne sur la politique suisse en matière de main d’œuvre étrangère, pp. 131-138, in la Suisse et son avenir européen, Lausanne, 1989; Philippe Kenel, en collaboration avec Bettina Kahil-Wolff et Martine Ray-Suillot, Etranger en Suisse-guide juridique, Lausanne, 2002

 

Politique migratoire de la Suisse: avant juin 2002

Le 27 septembre 2020, le peuple suisse sera appelé à se prononcer sur l’initiative populaire “Pour une immigration modérée (initiative de limitation)” dont l’objectif est de mettre fin à la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne (UE). Bien que totalement opposé à cette initiative qui aurait également comme conséquence de mettre fin aux six accords faisant parties des Bilatérales I, je pense néanmoins qu’il est important pour que le citoyen puisse se prononcer en toute connaissance de cause qu’il ait à l’esprit l’évolution de la politique migratoire de la Suisse au courant de ces dernières décennies. Dans cette optique, je publierai trois blogs le premier ayant pour objet de présenter les règles qui s’appliquaient avant l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes en juin 2002[1].

Avant de traiter de cette question, il importe de faire deux remarques.

Tout d’abord, de manière générale, la politique migratoire de la Suisse peut être divisée en trois catégories: l’octroi des permis de séjour et de travail aux Européens; l’octroi des autorisations de séjour et de travail aux ressortissants des Etats tiers; la politique d’asile dont je ne traiterai pas dans ces différentes publications. De tout temps, la Suisse s’est montrée plus souple à l’égard des Européens et a mené une politique très stricte, aussi bien en matière de permis de séjour que de travail, à l’égard des non-Européens ce qui est notamment justifié par le fait que la Suisse n’a jamais eu de colonies, ce qui lui a évité d’avoir les problèmes d’intégration que connaissent notamment la France et la Belgique.

En second lieu, sur le plan terminologique, il est fondamental d’utiliser les termes adéquats en faisant notamment la distinction entre requérant d’asile, réfugié, titulaire d’un permis de travail, ressortissant européen ou non-européen etc. Seule cette manière de faire permet de faire une distinction entre les trois catégories de politique migratoire mentionnées ci-dessus. Malheureusement, un certain nombre de milieux dont l’objectif était à l’évidence de supprimer la distinction entre réfugié politique et réfugié économique de même qu’entre personne séjournant légalement ou illégalement dans un pays, ont commencé à imposer il y a quelques années le terme de “migrant”. Outre le fait que je désapprouve l’utilisation de ce terme qui ne respecte pas les statuts juridiques en vigueur dans la très grande majorité des Etats européens dont la Suisse, j’y suis foncièrement opposé dans la mesure où il s’agit de pain bénis pour les partisans des initiatives populaires du type de celles sur laquelle le peuple suisse devra se prononcer le 27 septembre. En effet, l’objectif de ses partisans est de créer un grand mélange entre les différentes politiques migratoires afin de faire peur à la population suisse. Jamais vous n’entendrez un de leurs partisans affirmer dans un débat que les autorités suisses mènent une politique très stricte à l’égard de l’immigration des ressortissants non-européens. Au contraire, l’objectif est de faire un grand mélange entre les ressortissants européens et les réfugiés économiques afin qu’apeurés les citoyens votent contre la libre circulation des personnes. Malheureusement, les milieux qui ont imposé l’utilisation du terme “migrant” ont fait un cadeau en or aux milieux xénophobes puisque ce terme crée et entretient lui-même la confusion.

Les deux principales sources législatives qui s’appliquaient avant le mois de juin 2002 étaient la Loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE) et l’Ordonnance limitant le nombre des étrangers du 6 octobre 1986 (OLE). Bien que la Suisse ait signé un certain nombre de traités internationaux en la matière, notamment avec les Etats dont l’immigration était la plus importante (Espagne, France et Italie), ceux-ci étaient interprétés de manière très restrictive par le Tribunal fédéral.

Les principales caractéristiques du droit suisse de l’époque peuvent être résumées ainsi :

  1. Comme je le mentionnerai ci-dessous, même avant l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes avec l’UE, en principe, seuls les ressortissants d’un Etat membre de l’UE ou de l’Association européenne de libre échange (AELE) pouvaient obtenir un permis de travail en Suisse. Cependant, mis à part ce principe, les règles applicables aux ressortissants européens et d’Etats tiers étaient identiques.
  2. Sous réserve de rares exceptions résultant d’accords internationaux, la Suisse n’accordait aucun droit à l’obtention d’une autorisation de séjour ou d’un permis de travail. Dans l’exercice de leur liberté d’appréciation, les autorités administratives devaient tenir compte des intérêts moraux et économiques du pays ainsi que du degré de surpopulation étrangère.
  3. La législation énumérait de manière exhaustive les types de permis. Les principaux qui autorisaient leur titulaire à exercer une activité lucrative en Suisse étaient les suivants : l’autorisation annuelle ; l’autorisation saisonnière ; l’autorisation de courte durée ; l’autorisation pour stagiaires ; l’autorisation frontalière. Seuls pouvaient séjourner en Suisse sans y travailler les titulaires d’une autorisation de séjour pour écoliers, pour étudiants, pour curistes ou pour rentiers.
  4. Certains permis de travail faisaient l’objet d’un contingentement. Chaque année, pour la période allant du 1er novembre au 31 octobre de l’année suivante, le Conseil fédéral fixait dans l’OLE le nombre de nouvelles autorisations de travail annuelles, saisonnières et de courte durée qui pouvaient être délivrées par les cantons et par les autorités fédérales. Par exemple, pour la période allant du 1er novembre 1999 au 31 octobre 2000, le canton de Vaud disposait de 994 unités et celui de Genève de 748 unités pour les permis de travail annuels. Quant au contingent fédéral réservé à des entreprises ou à des activités particulières, il s’élevait à 5’000 unités pour toute la Suisse. Il importe de mettre en exergue que les permis frontaliers de même que toutes les autorisations de séjour ne faisaient l’objet d’aucun contingentement. Il en allait de même des permis de séjour ou de travail délivrés à des requérants d’asile ou à des réfugiés.

L’octroi d’un permis de travail était soumis aux trois conditions suivantes :

  1. Il appartenait à l’employeur de prouver qu’il n’avait pas trouvé un ressortissant suisse ou un travailleur disposant déjà d’un permis de travail en Suisse ayant les capacités et le souhait d’occuper le poste proposé aux conditions de travail et de rémunération usuelles de la branche et du lieu.
  2. Sous réserve de certaines exceptions, notamment celles des personnes hautement qualifiées, une autorisation de travail pouvait être accordée uniquement aux travailleurs ressortissant d’un Etat membre de l’UE ou de l’AELE. En pratique, les autorités accordaient également des autorisations de travail aux personnes provenant de l’Amérique du Nord.
  3. L’employeur devait accorder aux travailleurs les mêmes conditions de rémunération et de travail que celles qui se pratiquaient dans la localité et la profession et qui seraient offertes à un Suisse.

Sans entrer dans trop de détails, les différents types de permis de travail que connaissait le droit suisse peuvent être résumés de la manière suivante.

De manière générale, un employeur qui souhaitait engager une personne étrangère à long terme sollicitait un permis de travail annuel appelé également permis B. En cas d’engagement pour une période limitée, l’employeur pouvait requérir soit un permis de courte durée valable selon les cas pour une période de 6 à 18 mois, soit un permis non contingenté valable 4 mois ou 120 jours pouvant être répartis sur toute une année.

La réglementation relative à deux types de permis mérite une attention particulière.

L’autorisation saisonnière permettait à un ressortissant étranger de travailler en Suisse au maximum 9 mois par année à la double condition que l’entreprise ainsi que l’activité du travailleur aient un caractère saisonnier. Les entreprises saisonnières étaient essentiellement celles appartenant au domaine de la construction, de l’hôtellerie et de la restauration. Un saisonnier n’avait pas le droit de faire venir sa famille en Suisse et il devait séjourner au total 3 mois par année civile à l’étranger. Cela signifiait qu’une fois son autorisation de 9 mois arrivée à échéance, il avait l’obligation de quitter la Suisse. Un ressortissant étranger ayant travaillé en Suisse comme saisonnier pendant 36 mois au total au cours des 4 dernières années consécutives pouvait obtenir un permis B identique à celui décrit ci-dessus sans qu’une unité ne doive être prélevée sur le contingent. Cette transformation de l’autorisation saisonnière en autorisation à l’année, appelée également stabilisation, permettait après 4 ans au saisonnier de faire venir sa famille en Suisse.

Outre le fait que l’autorisation frontalière ne faisait pas l’objet d’un contingentement, il importe d’en rappeler les conditions de l’époque. Son octroi était soumis aux quatre exigences suivantes : en principe, le frontalier devait avoir la nationalité de l’un des Etats voisins de la Suisse ; l’intéressé et l’entreprise devaient se situer dans des zones frontalières l’une par rapport à l’autre (concernant le canton de Vaud, il s’agissait d’une zone de 10 km de part et d’autre de la frontière, les Gets étant, par conséquent, frontaliers par rapport à Dully, mais non pas par rapport à l’Abbaye) ; le frontalier devait être domicilié 6 mois au moins dans la zone frontalière avant de solliciter une autorisation ; il devait retourner chaque jour à son domicile.

Concernant le regroupement familial, seuls les titulaires d’une autorisation annuelle (permis B) pouvaient en bénéficier. Ils pouvaient uniquement faire venir à ce titre leur conjoint ainsi que leurs enfants célibataires âgés de moins de 18 ans (l’âge minimum était de 20 ans pour les Espagnols, les Italiens et les Portugais) dont ils avaient la charge.

Sans me prononcer sur ses avantages et ses inconvénients, voilà le système qui était en vigueur avant le mois de juin 2002. Je présenterai ces prochains jours les principales modifications qu’a subies la politique migratoire de la Suisse à l’égard des ressortissants non-Européens suite à l’entrée en vigueur, à cette date, de la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE.

[1] Pour en savoir plus, voir Philippe Kenel, Le droit suisse de la politique des étrangers, pp. 1-180 in La main d’œuvre étrangère, Lausanne, 1989 (mises à jour annuelles de 1990 à 2001).

Transfert des données de l’UBS à la France: la der des der!

En date du 12 mai 2020, l’Administration fédérale des contributions (AFC) a publié dans la Feuille fédérale une décision dont les principaux passages sont les suivants:

” 1.  Par courrier du 11 mai 2016, la Direction Générale des Finances Publiques (DGFP), France, a adressé à l’AFC une demande d’assistance administrative selon l’article 28 de la Convention du 9 septembre 1966 entre la Suisse et la France en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales (CDI CH-FR, RS0.672.934.91).

Il est demandé de fournir les informations concernant des contribuables français présumés tels qu’identifiables par la référence des comptes bancaires portant un code « domicile: France » attribué par la banque UBS SA. La liste de ces références bancaires, annexée à la demande du 11 mai 2016, résulte de la compilation de deux listes établies par UBS SA en 2006 et 2008. Il existe le soupçon que les personnes liées aux références bancaires indiquées n’ont pas rempli leurs obligations fiscales selon la législation française.

Sont concernées par la demande d’assistance les personnes qui, pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2015, étaient liées aux références bancaires figurant sur ces listes, en leur qualité de: (i) titulaire(s) de compte bancaire, (ii) ayant(s) droit économique(s) selon le formulaire A, ou (iii) toute autre personne venant aux droits et obligations de ces deux dernières qualités.

Les personnes dont la relation avec UBS SA a été clôturée avant le 1er janvier 2010 ne sont pas concernées par la demande.

[…]

2.  En date du 26 juillet 2016 (FF 2016 6264), les personnes concernées par la demande d’assistance administrative ont été  informées  par  publication dans la Feuille fédérale, sans citation de leurs noms, (a) de la réception et du contenu  de  la  demande,  (b)  de  leur  devoir  d’indiquer  à  l’AFC  leur  adresse  en Suisse si elles y sont domiciliées ou de désigner à l’AFC un représentant en Suisse  autorisé  à  recevoir  des  notifications  si  elles  sont  domiciliées  à l’étranger, (c) de la procédure simplifiée fixée à l’article 16 la loi fédérale du 28 septembre 2012 sur l’assistance administrative internationale en matière fiscale  (LAAF;  RS651.1),  et  (d)  qu’une  décision  finale  sera  établie  pour chaque  personne  concernée,  respectivement  habilitée  à  recourir,  dans  la mesure où celle-ci n’a pas consenti à la procédure simplifiée.

3.  A la date de ce jour, l’AFC a rendu une décision finale concernant chaque personne qui, malgré la notification, n’a ni consenti à la procédure simplifiée au sens de l’article 16 LAAF, ni communiqué à l’AFC une adresse en Suisse ou désigné un représentant en Suisse autorisé à recevoir des notifications. L’AFC notifie cette décision finale par la présente publication.

[…] ”

Vu cette décision, il est impératif que les personnes pensant être éventuellement concernées se renseignent, soit directement auprès de l’AFC, soit par le biais d’un conseil en Suisse, si elles sont visées par cette décision. Si tel est le cas, il est impératif, si elles le jugent opportun, d’interjeter un recours avant le 11 juin 2020. Si aucun recours n’est interjeté avant cette date, les données bancaires seront automatiquement transférées aux autorités fiscales françaises.

C’est vraiment la der des der!

 

 

Etienne Davignon : un grand Monsieur, un grand Belge, un grand Européen

Comme j’ai eu l’occasion de le dire lors de l’émission Premier rendez-vous sur la RTS (https://www.rts.ch/play/radio/premier-rendez-vous/audio/jerome-sobel-et–philippe-kenel-se-rencontrent-pour-la-premiere-fois?id=10256279), une des rencontres qui a eu le plus d’influence sur le cours de mon existence fut celle avec Henri Rieben qui fut professeur d’intégration européenne à l’Université de Lausanne et Président de la Fondation Jean Monnet. Arrivé à la fin de mes études, il m’avait dit qu’il était important que des jeunes rencontrent des personnes qui avaient réussi. Croyant en moi, il m’avait organisé des rencontres notamment à Paris avec Hubert Curien qui était à l’époque Ministre de la Recherche et de la Technologie sous le Gouvernement Laurent Fabius et à Bruxelles avec Etienne Davignon alors qu’il venait de quitter la Commission européenne et de prendre ses fonctions à la Société générale de Belgique.

La rencontre d’environ trois quarts d’heure que j’ai eue avec le Comte Etienne Davignon, connu par tous sous le nom de Stevy, au siège de la Société générale à la Rue Royale à Bruxelles fut déterminante à plus d’un titre pour moi. Tout d’abord, à l’époque, je venais de terminer des études de droit et de sciences politiques que j’avais faites en parallèle. En résumé, je passais aux yeux de certains en droit pour un con parce que j’étudiais sciences politiques, et un con aux yeux de certains également en sciences politiques parce que j’étudiais le droit. En 45 minutes, Etienne Davignon a réconcilié ces deux mondes dans mon esprit et m’a conforté dans l’idée qu’il fallait prendre de la hauteur pour comprendre les événements et faire confiance à ce que l’on avait compris et ce en quoi on croyait même si cela n’était pas approuvé par les autres. En second lieu, ma rencontre avec Etienne Davignon fut également pour moi la première occasion de me rendre en Belgique. Cette première visite me donna envie d’étudier à l’Université libre de Bruxelles et après d’ouvrir le cabinet pour l’Etude Python en 1997. Depuis lors, je ne cesse d’aimer ce pays où je me rends une fois par semaine et que je considère comme ma seconde patrie. Enfin, Etienne Davignon m’a convaincu, si besoin était, de l’importance et de la nécessité de la construction européenne.

Agé aujourd’hui de 86 ans mais toujours très actif, Etienne Davignon vient de publier un ouvrage intitulé « Etienne Davignon – Souvenirs de trois vies » (Editions Racine) dont je vous recommande très vivement la lecture. Ces trois vies sont celles de diplomate (il a connu la décolonisation du Congo), de Commissaire européen (il a géré la crise de l’acier) et de celle d’homme d’affaires. Ce qui m’a le plus frappé en lisant cet ouvrage et que, plus de trente ans après notre rencontre, je retrouve à travers ces écrits les messages et les valeurs qu’Etienne Davignon m’a transmis au cours de notre rencontre. Plutôt que de les résumer, je me permets de citer ci-dessous un certain nombre d’extraits qui m’ont particulièrement touché.

Ayant passé une partie de sa jeunesse en Suisse, Etienne Davignon commence son livre par cette phrase  « quand je suis fatigué, je retrouve l’accent suisse ».

« Nous sommes ce qui nous est arrivé avant »

« Je lui dois (à sa mère) sa capacité à voir le côté comique des choses et la certitude qu’il ne faut pas se prendre au sérieux »

A propos des deux dernières années de sa vie à Maredsous où il finissait sa formation, il écrit : « J’étais en rébellion et me faisais régulièrement punir. J’étais en lutte ouverte avec le préfet, qui m’avait dit un jour : « Si vous continuez comme ça, Davignon, vous finirez par ramasser les papiers dans la rue ». Et j’avais répondu : « Pour autant que ce ne soit pas les vôtres, je le ferais volontiers ! ».

« Je n’ai jamais été mondain, je n’aime pas les cocktails, je n’aime pas les dîners. »

« Je dirais que je n’ai jamais su ce que c’était, l’aristocratie. Aujourd’hui je suis comte. Mais ce n’est pas comme ça que je conçois la société. Mon petit village suisse était une structure sans classes sociales. »

« Est-ce que l’économie de marché est une force ? Pour moi, il n’y a pas de doute. Est-ce qu’elle suppose qu’il n’y ait pas de réglementation ? Pour moi, il n’y a pas de doute non plus : elle suppose aussi la réglementation. La grande erreur qui a été commise depuis, ça a été de croire que l’économie de marché à elle seule pouvait tout régler. Or, elle a besoin d’être encadrée. Bien sûr, le marché détermine, dans un monde globalisé, si vous êtes compétitif ou non, mais cela ne signifie pas qu’il ne doive pas être encadré. […] Le libéralisme absolu, c’est absurde ! Et les gens qui croient que les Etats-Unis ne sont pas réglementés n’ont jamais regardé de près l’économie américaine : elle est plus réglementée que la nôtre. »

« Les entreprises ont une responsabilité vis-à-vis de la société, au-delà de leur métier. »

« Dans les moments difficiles, ce qui fait la différence, c’est l’influence que des personnalités peuvent exercer pour modifier le cours des choses. »

« Les Flamands, c’est un autre tempérament. J’ai par exemple appris que, quand on discute avec un francophone, s’il ne dit pas qu’il n’est pas d’accord, cela signifie qu’il est d’accord. Avec les Flamands, ce n’est pas le cas. Si un Flamand ne dit rien, il ne dit rien : cela ne veut pas dire qu’il est pour, cela ne veut pas dire qu’il est contre. On ne peut pas considérer qu’une absence de réaction vaille assentiment. C’est un fait. On ne parle pas non plus à un Italien comme on parle à un Allemand. L’exercice, c’est de s’adapter aux autres – si on veut être respectueux et efficace. »

« Ce sont les autres qui déterminent si vous êtes utile ou non. Et si vous êtes toujours là, c’est que les autres ont estimé que vous étiez utile. Ce sont les autres qui déterminent votre utilité, mais chacun peut de la sorte mesurer la valeur ajoutée qu’il apporte. Le test est continu. »

« J’ai toujours voulu avoir de l’indépendance, ou en tout cas de l’autonomie. »

« Ce sont mes parents qui me l’ont appris : on doit rendre quelque chose. Si vous avez la chance d’avoir été privilégié, vous devez essayer de rendre à la société ce qu’elle vous a apporté. Il faut conserver ce sens du devoir. »

« On le sait : les témoignages de ceux qui ont perdu sont les plus fragiles. »

A propos de la Belgique : « C’est une qualité d’être pragmatique, mais ça a des limites […] La réflexion stratégique, ce n’est pas notre fort : « C’est pour les intellectuels… », « Ce n’est pas pour moi, ça ! ». Et je ne parle pas du court-termisme actuel. » ; « En Belgique, quand bien même vous vous trouvez face à une situation juridique claire, il faut trouver des aménagements « élégants »… » ; « En Belgique, on est toujours surpris, même si on sait ce qui va arriver ! » ; « La Belgique n’est vraiment pas un pays ordinaire. Cela fait peut-être son charme. »

A propos du football : « Dans le football, si vous n’êtes pas supporter, il y a une partie du plaisir qui vous échappe. Vanden Stock m’a dit un jour : « Moi, je ne suis pas content si on joue bien mais qu’on perd, mais si on joue mal et qu’on gagne, je suis heureux ! » » ; « Au foot, c’est un peu infantile, mais on rit ensemble. Et rire ensemble, ça fait partie des plaisirs partagés. » ; « Cela dit, c’est curieux : l’opinion publique n’a pas de problème avec ce que gagnent les stars du foot. ».

« Tout au long de ma carrière, ma passion pour l’Europe m’a accompagné et stimulé. La plupart des défis auxquels nous faisons face peuvent être relevés si l’Europe, notre Union, se voit confier le mandat de s’y atteler. Dans un monde devenu plus instable, l’Europe a la capacité de tenir son rang et de montrer le chemin. La pusillanimité des dirigeants, déchirés entre l’attachement au passé et la crainte du futur, et les égoïsmes nationaux mal placés entravent ce projet, alors qu’il est plus indispensable que jamais. Le refus des inégalités sociales, l’Etat de droit, la liberté d’expression sont des valeurs absolues. La paix, la lutte pour le climat, la résolution pacifique des conflits sont les axes de notre action. Mais n’oublions jamais que les civilisations sont mortelles. »

« Dans tous les différents milieux que mes responsabilités m’ont amené à connaître, et à toutes les époques, j’ai constaté qu’il y avait la même proportion de gens remarquables, de gens respectables et de gens très médiocres pour ne pas dire lamentables. »

« Le fatalisme est inacceptable. Il sert trop souvent d’alibi. « J’aurais bien voulu, mais ce n’est pas possible » : la démonstration est faite que c’est faux. Bien sûr, en agissant, on accepte le risque de l’échec ; mais si on ne tente rien, l’échec est assuré. Il faut bien analyser la situation, déceler les meilleurs moments propices à l’action et mesure avec réalisme les marges de manœuvre disponibles. »

« Tout seul, on ne peut pas grand-chose. Pour que le projet soit crédible, il faut connaître ses alliés, ses soutiens, ses adversaires. Les projets, pour réussir, doivent devenir collectifs. Tenter de réussir tout seul garantit l’isolement et gonfle inutilement l’orgueil. »

« Je me suis souvent trompé sur le temps dont on dispose. En voulant trop préparer, on perd le sens de l’urgence. J’ai souvent regretté de n’avoir pas été assez rapide, rarement de l’avoir été trop. Et s’il faut changer quelque chose, inutile de tergiverser : la perspective disparaît, l’argumentation s’affaiblit. »

« Je voudrais enfin dire que la persévérance est une qualité, qu’il ne faut pas confondre avec l’obstination ; et que reconnaître que l’on s’est trompé n’est pas un aveu d’incompétence. »

« Couve de Murville n’acceptait de compromis qu’à deux conditions : si l’absence de décision était préjudiciable aux intérêts de son pays ou s’il était convaincu que sa position ne pouvait, telle quelle, faire l’unanimité. Si son intransigeance était parfois difficile à supporter, il inspirait le respect. » (A propos de Couve de Murville)

« Il m’aura rappelé qu’il ne faut jamais oublier combien la roche Tarpéienne est proche du Capitole. » (A propos de Maurice Lippens)

« Il m’aura appris qu’attendre le meilleur moment pour passer à l’action n’est pas nécessairement une faiblesse. La volonté d’agir vite, sous la pression des événements, n’est pas toujours le meilleur chemin et la procrastination, pas toujours un aveu de faiblesse. » (A propos de Wilfried Martens)

« Nos vues divergent complètement, mais nous savons tous deux qu’une absence d’accord professionnel ne doit pas pour autant affecter les relations entre les personnes. J’en ai toujours été convaincu, et ce nouvel exemple m’a conforté dans cette opinion. J’ai beaucoup bénéficié, au cours de ma vie, des retombées positives de cette façon de voir. » (A propos de Donald Rumsfeld)

« A cette occasion, il (Paul-Henry Spaak) fait la connaissance de Justin Bomboko, le ministre des Affaires étrangères du Congo. Entre eux se noueront de bonnes relations, qui, au fil du temps, deviendront véritablement amicales. Bien plus tard, Bomboko me confiera qu’il considérait Spaak comme la personne la moins raciste qu’il ait jamais rencontrée. Comme je lui demandais comment il était arrivé à cette conclusion, il m’a répondu en souriant : « Il m’engueulait tout le temps ! » » ; « Implacable dans la négociation, rejetant les impossibilités, ouvrant des portes qu’il était seul à découvrir, il trouvait des issues aux problèmes insolubles, entraînant des collègues souvent perplexes. Impatient, il enrageait de voir que ses projets n’avançaient que trop lentement, mais savait pourtant que la négociation requérait une patience infinie. Pour mieux surprendre, il feignait de ne pas étudier ses dossiers, ou le laissait croire. Sa force était de pouvoir distinguer l’essentiel de l’accessoire, et de ne se consacrer qu’à lui. » (A propos de Paul-Henri Spaak)

« Ce travailleur infatigable m’a appris que seule une connaissance approfondie des dossiers permet de participer sereinement au débat, et offre le luxe de l’improvisation – parce que l’on est alors capable d’en mesure les risques. » (A propos de Joseph van der Meulen)

« Refusant de se prendre trop au sérieux, avec un humour qui parfois touche à la dérision, cet homme de bien m’a conforté dans la conviction que, si l’on arrive à ses fins, mieux vaut que le mérite en soit attribué à d’autres. » (A propos d’Herman Van Rompuy)

« Il m’a appris que, sans enthousiasme pour ses propres projets, il est impossible de convaincre. Il m’a appris aussi qu’un peu de prudence est parfois utile pour apaiser les craintes des partisans de l’immobilisme. » (A propos de Guy Verhofstadt)

Un grand merci Monsieur le Comte Etienne Davignon !

Gianni Infantino : great again !

Après la réforme de la FIFA, la Coupe du monde masculine 2018, voilà la brillante réussite de la Coupe du monde féminine 2019 à mettre à l’actif du bilan de Gianni Infantino.

Outre le fait que cette manifestation a été magnifiquement organisée et qu’elle a suscité un très grand élan de popularité, elle marque également une étape dans la lutte des femmes pour l’égalité.

Alors que les politiciens et les journalistes ont battu, à juste titre, des mains le 14 juin 2019 pour un événement important, mais purement suisse, on peut s’étonner que les mêmes ne félicitent pas le Président de la FIFA pour avoir su, même si le chemin n’est pas terminé, donner une grande dimension féminine à un sport qui durant des décennies fut le bastion des hommes.

Pierre-Yves Maillard « fait du Vlaams Belang » à l’envers

Le 26 mai 2019, ont eu lieu en Belgique non seulement les élections européennes, mais également celles au niveau national. Ces dernières ont été marquées en Flandre par une percée très importante du Vlaams Belang. La réussite dans les urnes de ce parti d’extrême droite est due au fait qu’il a ajouté à ses sujets traditionnels les thèmes économiques appartenant non pas à la droite classique, mais à l’extrême gauche. En d’autres termes, cette victoire électorale est due à une addition de prises de position anti-immigration, souverainistes et europhobes à d’autres de nature économique défendues habituellement par l’extrême gauche. Contrairement à ce que l’on a pu voir durant de très nombreuses années, les partis d’extrême droite ne vont plus chasser sur les terrains de la droite traditionnelle ou du centre, mais sur celui de la gauche et de l’extrême gauche. Ce phénomène s’il est particulièrement frappant en Flandre n’est pas isolé en Europe. Par exemple, bien que le phénomène soit un peu différent, on constate qu’en Italie la Ligue du Nord gouverne avec le Mouvement 5 Etoiles. Le cas italien n’est pas un bon signe. Je me souviendrai toujours qu’il y a de très nombreuses années, un fonctionnaire européen italien m’avait dit « vous savez, si vous regardez l’Histoire, vous constaterez que l’Italie, c’est le laboratoire du pire ! ».

Bien que moins extrême, la stratégie de Pierre-Yves Maillard repose sur les mêmes bases mais dans le sens inverse. En effet, il ne s’agit pas d’un homme d’extrême droite qui va chasser sur les terrains de la gauche ou de l’extrême gauche, mais d’un syndicaliste qui lie les thèmes de gauche à ceux de la droite souverainiste et antieuropéenne. Il n’y a qu’à écouter les récentes déclarations de Pierre-Yves Maillard et d’Oskar Freysinger sur la RTS pour en être convaincu.

Personnellement, j’ai beaucoup de respect pour Pierre-Yves Maillard et lui suis très reconnaissant pour tout ce qu’il a fait notamment avec Pascal Broulis dans le canton de Vaud. Cependant, le feu qu’il est en train d’allumer est dangereux. On peut imaginer pourquoi il se livre à cet exercice. Le jour où il s’agira de remplacer Alain Berset au Conseil fédéral, l’UDC pourrait peut-être lui être reconnaissante. Par ailleurs, au moment de prendre la présidence de l’USS, cela lui permet de marquer son territoire. Cependant, si je désapprouve cette manière de faire, je dirais que ce n’est pas dans les mains de Pierre-Yves Maillard que ces allumettes sont les plus dangereuses. En effet, on connaît sa tactique qui consiste à affirmer fortement ses positions tout en acceptant ultérieurement de négocier et de trouver des compromis. Le problème est qu’une fois que le brasier se sera enflammé les tisons ne seront plus nécessairement dans les mains de personnes tel Pierre-Yves Maillard ayant la volonté et la capacité de trouver des compromis. Lorsque le feu aura pris il ne sera plus possible de l’éteindre. Cela aboutira à l’explosion de la gauche et de la droite traditionnelles et à la terrible alliance des valeurs d’extrême droite et d’extrême gauche.

Pour contrer ce phénomène, il est fondamental que le citoyen en comprenne les risques et que les membres des partis de gauche et de droite qui refusent cette évolution se manifestent. Ce n’est pas parce que Mario Carera (avec qui je ne suis pas toujours d’accord…) est mon petit cousin que je me réfère à lui aujourd’hui, mais je ne peux que l’approuver et recommander la lecture de son article intitulé « Quel est le plan B des syndicats pour notre relation avec l’Europe » paru dans l’édition du Temps du 6 juin dernier.

Bien que partisan de l’accord-cadre entre la Suisse et l’Union européenne, je peux néanmoins tout à fait comprendre les arguments des personnes qui y sont opposées et pense qu’il est important que nous travaillions ensemble à trouver une solution. Celle-ci ne passera en tout cas pas par la « stratégie du Vlaams Belang » à l’endroit ou à l’envers qui n’aura comme seul effet à moyen ou à long terme que de mettre le feu à la baraque. N’oublions quand même pas que l’idéologie qui a embrasé l’Europe dans les années 30 s’appelait national-socialisme…

Deux erreurs tactiques et stratégiques des opposants à l’Accord institutionnel Suisse-UE

Les opposants à l’Accord institutionnel Suisse-UE (ci-après : l’Accord institutionnel) font deux erreurs l’une stratégique et, l’autre, tactique.

Tout d’abord, au niveau de la stratégie, ils font exactement la même erreur que celle faite par les milieux bancaires dans les années 2009 à 2011. Le parallélisme est intéressant. Tout d’abord, ils vivent avec des dogmes qu’on appelle aujourd’hui, parce que cela fait plus fin négociateur, des lignes rouges qui les empêchent de voir ce qui se passe dans la réalité. Hier, il s’agissait du secret bancaire, aujourd’hui il s’agit des « juges étrangers » et du fameux délai d’annonce de huit jours. En second lieu, il s’agit d’une incapacité à écouter ce que dit la Commission européenne. Depuis la fin des années 90, celle-ci répétait urbi et orbi que son objectif était l’échange automatique d’informations. Ni le Conseil fédéral, ni les associations faîtières des milieux bancaires n’étaient capables de l’entendre. A tel point, que durant longtemps, les représentants de ces associations ne prononçaient même pas ce mot. De même, depuis de nombreuses années, les instances européennes n’ont de cesse de répéter qu’elles veulent un traité encadrant les accords existants actuellement. Or, du côté du Conseil fédéral et de certains partis, on prend ces déclarations à la légère en pensant que le temps jouera en faveur de la Suisse. Enfin, alors qu’au début de l’année 2010 je prônais qu’il fallait négocier l’abandon du secret bancaire en échange de la libre circulation des services financiers, les milieux bancaires et le Conseil fédéral ont préféré s’enferrer dans le projet Rubik. Le résultat des courses est que la Suisse a renoncé au secret bancaire, a adopté l’échange automatique d’informations et n’a strictement rien reçu en contrepartie. Il en ira de même avec l’Accord institutionnel. Plus la Suisse va attendre pour le conclure, moins il lui sera favorable. On constate d’ailleurs déjà que plus les négociations durent, plus la Commission européenne a de nouvelles exigences, sans même parler du fait qu’aucun nouvel accord avantageux à la Suisse ne peut se conclure. L’expérience enseigne que lorsque la conclusion d’un accord est nécessaire, plus on attend moins les conditions sont favorables. Malheureusement, certains membres du Conseil fédéral et certains partis politiques ne semblent pas vouloir le comprendre, voire l’entendre.

Sur le plan tactique cette fois, les opposants à l’Accord institutionnel ont misé il y a quelques mois sur le fait que le secrétaire d’Etat Roberto Balzaretti allait monter au front pour défendre l’accord qu’il avait négocié et qu’il échouerait dans sa campagne. Or, c’est exactement le contraire qui est en train de se produire. Alors qu’ils pensaient que Roberto Balzaretti allait se casser les dents, il est en train de réussir grâce à son engagement, à sa force de travail et à son pouvoir de conviction à convaincre de nombreuses personnes que l’accord qu’il a négocié avec la Commission européenne est bon. Il suffit d’écouter les gens à la sortie des nombreuses conférences données par notre secrétaire d’Etat. Prenant conscience de leur erreur, les opposants sont en train de mener une lamentable campagne dirigée personnellement contre lui. Le dernier en date a été Paul Rechsteiner. Pour paraphraser ce que Michel Platini avait dit dans un autre contexte, ils n’ont pas compris que Roberto Balzaretti n’est pas un plan B. L’erreur qu’ils ont faite est la même que celle que commettent parfois certains coureurs cyclistes en laissant s’échapper un coureur du peloton qu’ils sous-estiment sans être en mesure de le rattraper avant la ligne d’arrivée. Aujourd’hui, on a l’impression que les opposants à l’Accord institutionnel ont compris qu’ils n’arriveraient plus à rattraper Roberto Balzaretti par des moyens loyaux et qu’ils semblent considérer que le seul moyen pour le rattraper est de lui tirer dans les pneus !

En conclusion, ne refaisons pas aujourd’hui la même erreur que les milieux bancaires à l’époque et n’ayons de cesse de soutenir Roberto Balzaretti dans sa campagne d’information sur l’Accord institutionnel.

 

 

La campagne de presse indécente contre Gianni Infantino

Dieu sait que j’aime et que je défends la presse, mais, dans le cas de Gianni Infantino, je ne comprends pas comment les journalistes, essentiellement suisses et allemands, se laissent embarquer sans aucun esprit critique dans une campagne orchestrée à l’encontre du Président de la FIFA sans doute par d’anciens dirigeants aigris et par une coterie suisse allemande.

Que reprochent ses détracteurs à Gianni Infantino ? D’avoir commis des actes illégaux ou contraires aux règlements sportifs ? Rien de tel. D’avoir rencontré le Procureur de la Confédération, Michael Lauber, grâce à l’entremise de son ami d’enfance, Rinaldo Arnold, également Premier procureur de la région du Haut-Valais ? En qualité de président fraîchement élu de la FIFA, partie plaignante dans différentes procédures, il aurait obtenu un tel rendez-vous en contactant lui-même ou par l’intermédiaire des avocats de la FIFA le Procureur. D’avoir trouvé un accord alors qu’il était secrétaire général de l’UEFA avec le PSG et Manchester City ? C’est la procédure réglementaire.

La réalité, c’est que Gianni Infantino a donné un coup de balai dans les pratiques inadmissibles de la FIFA de l’époque et que ceux qui soit en sont les victimes soit espéraient prendre le pouvoir par la bande au nom du compliance ne le supportent pas. En changeant de président, la FIFA a passé de l’ère de l’opacité à celle de la transparence. Aujourd’hui, on sait d’où vient l’argent, où il va et comment il est dépensé. Evidemment, vu qu’admettre cette réalité est insupportable à ceux qui veulent la tête de Gianni Infantino, ils considèrent que cette redistribution de l’argent du football au football n’est qu’un moyen utilisé par le nouveau président pour assurer sa réélection. On l’aura compris, pour ces gens-là, il n’y a aucune bonne solution si ce n’est qu’ils retrouvent leurs prérogatives et que ce ne soit pas un fils d’immigré italien, intelligent, maîtrisant six langues, intègre et honnête qui s’impose dans la bonne société suisse alémanique.

Faudra-t-il que la FIFA quitte Zurich, voire la Suisse, pour échapper à ce petit monde et pour que la presse helvétique reconnaisse enfin ce qu’a fait Gianni Infantino depuis qu’il est Président ? Je ne l’espère pas pour notre pays, mais c’est peut-être une solution à envisager.

 

Frederik Paulsen peut-il être administrateur d’une société suisse ?

Depuis que les médias, et récemment, le Procureur général du canton de Vaud, s’intéressent aux voyages en Russie du Conseiller d’Etat Pascal Broulis et de la Conseillère aux Etats Géraldine Savary, en compagnie de Frederik Paulsen, imposé d’après la dépense dans le canton de Vaud, se pose la question de savoir dans quelle mesure un contribuable bénéficiant de cette forme d’imposition peut être administrateur d’une société suisse.

A titre préalable, je tiens à préciser trois points. Tout d’abord, je ne suis pas l’avocat de Frederik Paulsen, ni de sa société, et le connais ni de près ni de loin. En second lieu, contrairement à ce que les opposants à l’impôt à forfait essaient de faire croire, ce système d’imposition est règlementé strictement au niveau fédéral et au cantonal. Il sied de rappeler que sa réforme a été votée par le Parlement le 28 septembre 2012 et que l’Administration fédérale des contributions (AFC) a publié le 24 juillet 2018 la Circulaire n°44 intitulée « Imposition d’après la dépense en matière d’impôt fédéral direct » (Circulaire n°44) qui remplace la Circulaire n°9 et qui datait du 3 décembre 1993. En quelque sorte, cette nouvelle circulaire est la pierre qui parachève l’édifice de la réforme de cette forme d’imposition. Enfin, depuis que je pratique la profession d’avocat, j’ai installé plusieurs centaines de personnes imposées d’après la dépense en Suisse. Jamais, et je tiens à souligner, jamais, je n’ai présenté ou discuté du statut de l’un de mes clients avec un Conseiller d’Etat dans le canton de Vaud ou ailleurs. Par conséquent, je peux affirmer que, selon mon expérience, Pascal Broulis n’interfère jamais ni sur les conditions auxquelles le statut de personne imposée d’après la dépense est octroyé, ni sur le montant des dépenses du contribuable.

La question de savoir si un forfaitaire peut être administrateur d’une société suisse se pose dans la mesure où l’une des conditions pour qu’un contribuable puisse être imposé d’après la dépense est notamment qu’il n’exerce aucune activité en Suisse.

Au chiffre 2.3 de la Circulaire 44, l’AFC a précisé ce qui suit : « Exerce une activité lucrative qui exclut le droit à l’imposition d’après la dépense, la personne qui pratique en Suisse une profession principale ou accessoire de quelque genre que ce soit et en retire, en Suisse ou à l’étranger, des revenus. C’est en particulier le cas des artistes, des scientifiques, des inventeurs, des sportifs et des membres de conseils d’administration qui exercent personnellement une activité lucrative en Suisse ». Il sied de souligner que ce texte correspond pratiquement à celui qui figurait au chiffre 1.3.2 de la Circulaire 9 que la Circulaire 44 a remplacée. Cela signifie que l’AFC n’a pas modifié sa position sur ce point depuis le début des années 90.

De manière générale, il résulte du texte cité ci-dessus qu’un forfaitaire ne peut pas exercer une activité lucrative sur sol helvétique ni en qualité de salarié d’une société suisse ou étrangère, ni comme indépendant. En revanche, il peut exercer toute activité à titre gratuit aussi bien en Suisse qu’à l’étranger, de même que toute activité à l’étranger soit en qualité de salarié, soit comme indépendant. De même, une personne imposée d’après la dépense a le droit d’investir en Suisse ou à l’étranger. Il importe de souligner que dans un arrêt datant de 2000, le Tribunal fédéral avait même admis qu’un forfaitaire soit employé par une société suisse pour exercer une activité exclusivement à l’étranger.

Concernant la question qui nous intéresse plus particulièrement dans ce blog, il résulte clairement de la Circulaire 44 que l’AFC non seulement n’interdit pas à une personne imposée d’après la dépense d’être membre d’un conseil d’administration, mais il en envisage même la possibilité. Par conséquent, il est possible d’affirmer que l’AFC autorise clairement un forfaitaire à être administrateur d’une société suisse. A partir de cette constatation, il y a lieu d’envisager deux hypothèses. Soit cette fonction donne lieu à un revenu, en Suisse ou à l’étranger, et dans ce cas l’administrateur ne doit exercer aucune activité sur le sol helvétique. Soit, elle est exercée à titre gratuit, c’est-à-dire sans que l’administrateur touche un quelconque revenu, et dans cette hypothèse l’activité peut être exercée en Suisse ou à l’étranger.

Si les règles mentionnées ci-dessus ont été respectées cela signifie que Frederik Paulsen pouvait, selon l’AFC elle-même, être l’administrateur d’une société suisse. Je considère avoir répondu ci-dessus aux questions que de nombreuses personnes se posent. Je serai heureux que d’autres répondent à celle de savoir comment Philippe Reichen, journaliste au Tages-Anzeiger, s’est retrouvé en violation du secret fiscal en possession d’informations concernant la situation fiscale dans le canton de Vaud de Frederik Paulsen…