Elie Barnavi que je connais depuis de très nombreuses années est un homme dont je partage les valeurs, les visions politiques, la passion pour l’Europe, la conception de la politique israélienne et avec qui nous menons le même combat, celui de la lutte contre l’antisémitisme.
Le parcours d’Elie Barnavi est tellement riche, que le plus simple peut-être est de citer les quelques lignes d’introduction du Wikipédia qui lui est consacré : « Elie Barnavi, né en 1946 à Bucarest (Roumanie), est un historien, essayiste, chroniqueur, diplomate israélien, professeur émérite d’histoire de l’Occident moderne à l’université de Tel-Aviv, conseiller scientifique auprès du Musée de l’Europe à Bruxelles ». Il connaît aussi bien la politique européenne qu’israélienne. Comme il l’écrit « j’étais condamné à me conformer à la définition que mon ami Pierre Assouline avait donnée de moi « Israélien en Europe et Européen en Israël ».
Ses activités allient action et réflexion. De 2000 à 2002, il a occupé le poste d’ambassadeur d’Israël en France et en novembre 2014, dans une lettre cosignée par 160 figures publiques israéliennes, il a appelé les parlementaires européens à reconnaître immédiatement l’Etat palestinien.
Il est le récipiendaire de plusieurs prix, dont le Grand prix de la francophonie de l’Académie française, reçu en 2007 pour l’ensemble de son œuvre, le Prix Aujourd’hui pour « Les religions meurtrières » et le prix Montaigne pour « L’Europe frigide : réflexions sur un projet inachevé ». Il y a quelques mois, il a reçu à Paris en compagnie d’Elias Sanpar le Prix Constantinople, créé par l’écrivain genevois Metin Arditi afin de les récompenser pour tout ce qu’ils ont fait pour rapprocher leurs deux peuples.
A l’occasion de la parution de ses mémoires intitulées bien modestement « Confessions d’un bon à rien » (Grasset) récompensées par le Prix Jean-Jacques Rousseau de l’autobiographie, il m’a paru important de faire part de quelques réflexions de cet homme d’une grande valeur. Plutôt que de faire un résumé qui sera évidemment moins bon que l’original, je me propose dans quelques blogs successifs de citer un certain nombre de passages d’Elie Barnavi que j’ai classées par thème.
Je commencerai par quelques citations relatives à la pensée et à l’action politiques d’Elie Barnavi.
« La politique n’existe qu’en démocratie, c’est-à-dire là où peut se donner libre cours le jeu des intérêts, des idées et des passions des individus et des groupes sociaux. On peut dire les choses autrement : la politique n’existe que là où, précisément, tout n’est pas politique. » (p.233)
« Je pense que nos credo politiques sont d’abord affaire de tripes, de sentiment, que nous sublimons ensuite en idéologie. Le mien emprunte à Hippocrate le principe primum non nocere, d’abord, ne pas faire de mal. » (p.234)
« La bonne société à laquelle j’aspire est imparfaite, car nous sommes des êtres imparfaits, mais perfectible, puisque nous sommes des êtres doués de raison et capables d’empathie. Je suis Montaigne plutôt que Thomas More, Condorcet plutôt que Rousseau – Ah ! ce « on forcera [l’homme] d’être libre » -, Jaurès plutôt que Blanqui, et oui, Aron plutôt que Sartre. J’avais compris avant de lire Pascal que « qui veut faire l’ange fait la bête », avant de faire de Tocqueville l’un de mes auteurs de chevet, que les deux grands principes au cœur de la démocratie moderne, l’égalité et la liberté, sont tout bonnement contradictoires – vous voulez l’égalité absolue, vous n’aurez pas de liberté (ni, d’ailleurs, l’égalité), vous aspirez à la liberté sans entrave, alors oubliez l’égalité, et même la liberté (sinon celle du loup dans la bergerie). On aura compris, je suis social-démocrate. Mais qu’est-ce que cela veut dire, surtout aujourd’hui, où l’on nous dit sur tous les tons que la social-démocratie est moribonde, incapable qu’elle est à répondre aux défis de notre temps ? Ce n’est pas ici le lieu de faire de la théorie politique, et d’ailleurs je ne tiens pas tant que cela au terme lui-même ; si l’on en trouve un meilleur, je suis preneur. Ce que j’entends par là est un système qui accorde du mieux qu’il peut, par hypothèse imparfaitement, ces deux exigences contradictoires de l’égalité et de la liberté. Pas toute l’égalité, ni toute la liberté, mais le plus possible d’égalité et de liberté ensemble. Ce n’est pas exaltant, ça ne promet pas des lendemains qui chantent, ni même la lune, mais c’est faisable et surtout, ça respecte mon principe primordial : primum non nocere. » (p.234-235)
« Disons que j’aime mon pays et me définis comme patriote, mais que j’exècre le nationalisme. Stefan Zweig, qui en est mort, a été le témoin tragique de cette peste des peuples, de ce « fléau des fléaux » qui a empoisonné, dit-il dans Le Monde d’hier, « la fleur de la culture européenne ». En termes locaux, je suis un sioniste « classique », séculier, convaincu de l’absolu nécessité d’un Etat juif souverain, mais ouvert sur le monde et faisant une place à un Etat palestinien souverain à ses côtés. Sur ce point non plus je n’ai pas bougé d’un iota depuis que je suis entré dans l’âge de raison politique » (p.236)
« A l’époque comme aujourd’hui, je pensais que cette question (la question palestinienne) était la plus grave de toutes celles que nous ayons eu à affronter, celle dont découle tout le reste, y compris la survie d’Israël sous une forme qui justifie son existence. […] Sur cette question comme dans tous les autres aspects de la politique israélienne, mon histoire d’Israël m’avait aidé à définir une « doctrine » dont je ne devais plus dévier. Eclairée par l’expérience historique et fondée sur le double principe, moins contradictoire que l’on veut bien le dire, de la Realpolitik et de l’éthique, cette doctrine se résume en trois propositions simples : réduit à sa plus simple expression, le conflit israélo-palestinien est le résultat inéluctable de l’implantation sioniste ; s’agissant de deux droits qui s’affrontent sur un même bout de terre, la seule issue raisonnable est le partage, proposé dès 1937 et endossé dix ans plus tard par la communauté internationale ; l’intérêt suprême des deux parties est donc de traduire dans les faits cette évidence de bon sens par la création d’un Etat palestinien souverain aux côtés de l’Etat d’Israël, dans les territoires dont celui-ci s’est emparé à la faveur de la guerre des Six-Jours. » (p.254)
« Je suis passionnément européen, un de ces cabris raillés par de Gaulle qui sautent sur leur chaise en criant « Europe, Europe ». De cette passion, les raisons ont tant été rabâchées par tant de bons et de moins bons esprits, je les ai tant rabâchées moi-même, oralement et par écrit, que je suis presque confus d’avoir à les redire ici. Voici une civilisation guerrière entre toutes, créatrice des deux outils les plus efficaces pour se sauter à la gorge, l’Etat-nation et le nationalisme, et coupable d’avoir allumé sur son sol les deux conflits les plus meurtriers des annales du genre humain, qui décide un beau jour que cela suffit et invente une manière inédite, proprement inouïe, de régler la vie des peuples qui la partagent. L’Europe, c’est la renonciation volontaire à la souveraineté par définition absolue, autrement dit illimitée, telle que théorisée par Jean Bodin au XVIe siècle et mise en pratique par les traités de Westphalie au XVIIe, au profit d’une entité supranationale. L’Europe, c’est un empire sans empereur ni nation dominante. A ce titre, c’est un formidable saut de civilisation. » (p.291)
« Si l’on en croit Pascal, « Tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre ». Mais, outre qu’à suivre ce précepte il n’y aurait pas de chambre où se reposer, il y a fort à parier que parmi ceux qui en sortiraient quand même se trouverait une majorité de chenapans. Tant qu’à faire, je préfère faire mienne la maxime héroïquement désabusée de Guillaume le Taciturne : « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. » (p.495)
« Un esprit rationnel s’accommode de l’imprévisibilité de sa propre existence, laquelle est inhérente à la condition humaine. Après tout, je ne sais pas si demain je serai toujours de ce monde. Mieux, l’ignorance de ce que nous réserve l’avenir a un côté excitant, car elle assure notre liberté, notre capacité d’agir. Qui voudrait vivre une vie où tout serait prévisible car rigoureusement prédestiné ? En revanche, l’imprévisibilité collective est génératrice d’angoisse. Là encore, il ne s’agit pas de tout prévoir. J’ai dit plus haut comment la déesse Fortune se joue de la volonté des humains et pourquoi l’historien doit tenir compte de ses caprices. On pouvait bien imaginer qu’une pandémie surgirait dans un avenir plus ou moins proche, certains l’ont fait. Mais le moment de son irruption, sa nature et ses modalités, la paralysie planétaire qu’elle a entraînée ? Non, il ne s’agit pas de tout savoir à l’avance. Ce que j’entends par prévisibilité est la faculté d’un collectif humain de se projeter dans l’avenir à partir de structures sociales, politiques et mentales à peu près stables car fondées sur un consensus informé par la raison. C’est cette faculté-là que nous avons largement perdue. » (p.508)
« Dans le train qui fonce dans la nuit, la plupart des voyageurs somnolent, inconscients du danger. D’autres prétendent que le conducteur ne dort que d’un œil, et que d’ailleurs, guidé par le doigt du Très-Haut, il sait très bien où il va. D’autres encore comprennent que la situation est grave, mais, fatalistes, se disent qu’il n’y a rien à faire, on verra bien. D’autres, enfin, font ce qu’ils peuvent pour arrêter le convoi au bord du précipice. Ils s’agitent, tirent désespérément la sonnette d’alarme, appellent au secours sur leurs téléphones portables. Je fais partie de ceux-là… » (p.510)
2 réponses à “Elie Barnavi : Confessions d’un homme de grande valeur”
Les commentaires sont clos.
On aimerait entendre plus souvent des voix comme celle-ci. Une grande envie de lire cet ouvrage. Merci !
Bonjour Monsieur,
J’ai eu l’occasion de croiser cet homme lorsqu’il était ambassadeur, et j’ai la souvenance de ses analyse limpides expliquées avec une réelle simplicité, sans ces postures qu’appécient tant les puissants. Analyses servies par une réflexion extrêmement fine.
Je lirai cet ouvrage.
En vous remerciant,