La Suisse sur la liste grise : une grave erreur politique de l’UE

Avec une certaine surprise, nous avons appris hier que l’UE avait mis la Suisse sur la liste grise notamment en raison du fait qu’elle n’avait pas encore mis en œuvre son renoncement aux statuts spéciaux de certaines sociétés en matière fiscale.

Cette manière de faire est une erreur à la fois technique et politique. Tout d’abord, même s’il est vrai que le rejet de la RIE III a ralenti la mise en œuvre du programme fiscal destiné à remplacer les statuts spéciaux, en aucun cas cette votation n’a été une remise en cause des engagements de la Suisse à l’égard de l’Union européenne. Ceci dit, les personnes et les partis qui ont lancé le référendum contre la RIE III devraient prendre acte de la position de l’UE et prendre plus en considération, si une telle idée devait les reprendre à l’avenir, des conséquences de tel acte non seulement en Suisse, mais également, voire peut-être surtout, auprès de notre partenaire européen. En second lieu, cette mise sur la liste grise est le pire message que l’UE pouvait donner aux ressortissants helvétiques, qui, comme moi, soutiennent et s’engagent contre les initiatives de l’UDC destinées à remettre en cause la libre circulation des personnes, et plus généralement les relations bilatérales entre la Suisse et l’UE. En effet, pour que la majorité des citoyens de notre pays vote en faveur de ces relations bilatérales, il est important non seulement que notre partenaire européen soit vu comme un voisin important et solide, mais également qu’il soit perçu émotionnellement comme un ami. Or, quoi de plus inamical que d’agir comme l’a fait la Commission européenne hier ? D’aucuns nous diront que la Suisse n’est pas sur la liste noire, mais uniquement sur la liste grise qui regroupe des Etats sous surveillance. Dont acte. Ceci dit, soit un couple se fait confiance sur ses promesses et sur ses intentions, soit tel n’est pas le cas et, dans cette seconde hypothèse, il ne s’agit pas d’un couple qui entretient des relations amoureuses ou amicales. En effet, qui considérerait qu’un couple dont l’un des deux fait suivre son conjoint par un détective privé est un couple qui fonctionne bien ?

Bien que je considère que la construction européenne soit l’une des plus belles réalisations politiques du XXème siècle, l’attitude de la Commission et des fonctionnaires européens concernant les sujets fiscaux commence à devenir de plus en plus agaçante. D’une part, l’UE joue les gendarmes avec les Etats tiers et se montre très laxiste avec ses membres. Le jour où l’échange automatique d’informations sera en vigueur entre la Suisse et l’UE, je me réjouis de comparer le fonctionnement de ce système entre par exemple la France et la Suisse et la France et la Grèce…D’autre part, la Commission donne la désagréable image d’être une adepte de la détestable attitude « fort avec les faibles, faible avec les forts ». En effet, comment peut-on expliquer que des grandes puissances, qui ne pratiquent pas l’échange automatique d’informations, ne soient concernées ni par la liste noire, ni par la liste grise…Enfin, les commissaires et les fonctionnaires européens qui ne cessent de jouer les donneurs de morale en déclarant urbi et orbi que la planification fiscale, même légale, appauvrit les Etats font preuve d’une hypocrisie qui laisse songeur. En effet, comme l’écrit Amid Faliaoui, rédacteur en chef du journal belge Trends-Tendances dans l’édition du 16 novembre : « et puis, il y a aussi l’hypocrisie de ceux qui fustigent toute cette évasion fiscale. Les commissaires européens sont schizophrènes car ils fustigent la fraude mais profitent, en tant que fonctionnaires européens, d’une fiscalité plus douce que le commun des mortels. Par ailleurs, leurs collègues de l’OCDE qui sortent régulièrement des rapports sur la fraude fiscale oublient juste de rappeler qu’eux-mêmes paient moins d’impôts et de cotisations sociales que les autres fonctionnaires. (…) Gardons juste à l’esprit que les Tartuffe de Molière ne sont pas morts ».

Pour conclure, je dirai que j’ai l’impression que de nombreuses personnes en Europe, y compris les commissaires et les fonctionnaires, ont toujours vécu dans l’idée que la bonne situation économique de la Suisse était due uniquement au secret bancaire. Aujourd’hui, ils n’arrivent pas à admettre et à voir que tel n’est pas le cas. Comme certaines étoiles qui continuent à briller alors qu’elles sont mortes depuis des milliers d’années, les commissaires et les fonctionnaires européens continuent à voir la Suisse et sa place financière comme elles étaient avant 2009 alors que celles-ci n’existent plus de la même manière vu les profondes modifications qui ont été opérées.

Philippe Kenel

Docteur en droit, avocat en Suisse et en Belgique, Philippe Kenel est spécialisé dans la planification fiscale, successorale et patrimoniale. Social démocrate de droite, il prône l’idée d’une Suisse ouverte sachant défendre ses intérêts et place l’être humain au centre de toute réflexion. Philippe Kenel est président de la Chambre de Commerce Suisse pour la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg à Bruxelles et de la Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA) en Suisse.

3 réponses à “La Suisse sur la liste grise : une grave erreur politique de l’UE

  1. En 1992, j’avais voté avec enthousiasme pour notre adhésion à l’EEE. Aujourd’hui, je doute fort que mon vote serait aussi favorable à l’UE. Que l’UE mette la Suisse sur liste grise alors que des membres de l’UE et non les moindres (PB, L, plusieurs pays insulaires…) ou d’autres puissances hors-UE (USA par exemple) ne figurent sur aucune liste grise ou noire est profondément révoltant. Le Conseil fédéral devrait faire part publiquement de son courroux sur ce point parfaitement inamical.

  2. Je partage votre avis et vous remercie pour votre contribution au débat démocratique. Est-ce volontaire de ne pas avoir évoqué l’absence de certains pays européens de la liste (not. Irlande, Malte, Luxembourg et Pays-Bas) ? Serait-ce tout simplement pour éviter de dire une banalité sachant que ces pays sont déjà, de par leur adhésion, sous une prétendue « surveillance » et que de toute façon l’unanimité des Etats membres est requise pour l’élaboration de la liste?

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