Une récente lettre ouverte aux finalistes Hunt-Johnson dans la course à Downing Street mérite le détour, alors que nos édiles politiques affûtent leurs armes dans la course aux élections fédérales d’octobre.
Fin juin, une coalition faite des principales fédérations sportives du pays, de diverses fondations, d’écoles et de professeurs a prié les deux leaders du parti conservateur de faire de la lutte contre l’inactivité physique des jeunes une priorité du futur gouvernement. Oui, au-delà du casse-tête Brexit et des tensions dans le détroit d’Ormuz, il est demandé au futur Premier Ministre britannique de se pencher plus sérieusement sur le déclin de la santé et du bien-être des jeunes administrés du royaume. Voyons cela de plus près…
La sédentarité croissante des jeunes est en effet identifiée dans ce pays comme un enjeu sanitaire et économique majeur, dont les racines doivent être traitées. Une étude récente a montré que seuls sept pourcents des filles et onze pourcents des garçons du niveau secondaire remplissent les soixante minutes d’activité physique à moyenne ou haute intensité recommandées quotidiennement par l’OMS. Il semble également que les élèves britanniques soient régulièrement relégués en queue de classement lors d’enquêtes internationales sur le bonheur ressenti. Un jeune sur huit dans la tranche 5-19 ans souffre d’une maladie mentale et un sur trois est en surpoids ou obèse lorsqu’il termine sa formation primaire.
Le tableau suivant avait été dressé par le Youth Sports Trust au début de cette année, dans leur excellent rapport d’impact 2018 (lien).
Ainsi, cette coalition de plus de cent organisations demande au futur Premier Ministre de prendre des mesures courageuses et ambitieuses et d’identifier des objectifs concrets et mesurables permettant de s’appuyer sur la force du sport, de l’activité physique et du jeu dans le développement et le bien-être physique, psychologique et social des jeunes. Les auteurs de cette lettre ouverte soulignent les nombreuses évidences médicales qui documentent les bienfaits du mouvement et d’une activité physique régulière dans le développement moteur et émotionnel des jeunes, dans leurs performances cognitives, la construction de liens sociaux et la promotion de la mobilité sociale. Ce dernier point est significatif dans une société de plus en plus polarisée et qui compte de plus en plus de gens vivant dans la pauvreté (voir ici les chiffres récents pour la Suisse !). En effet, santé physique et mentale, bien-être, confiance et compétences émotionnelles sont autant d’atouts pour la vie future qui sont étroitement liés aux conditions socio-économiques dans lesquelles on grandit. Le cercle vicieux de la malbouffe et de la sédentarité, puis les maladies chroniques qui en résultent et qui freinent les perspectives de développement moteur, intellectuel, social et professionnel sont plus souvent observés dans les milieux précarisés. Tous les législateurs devraient en être conscients, afin de prioriser les investissements et de corriger certains biais sociétaux.
La lettre au futur Premier Ministre britannique souligne aussi le piètre état de l’enseignement de l’éducation physique à l’école publique, où cette branche continue de perdre du terrain alors que justement les jeunes sont de moins en moins actifs. En Suisse aussi, on peine à défendre la troisième période d’activité physique à l’école, pourtant inscrite dans la loi. Et ce n’est pas que par manque d’infrastructures !
Dans leur réponse, publiée le 16 juillet (lien), MM. Hunt et Johnson reconnaissent tous les deux l’importance de cet enjeu de santé publique (et économique !) des îles britanniques. Jeremy Hunt souligne même que « améliorer le bien-être des enfants et celui de toute la population sera au cœur de son programme comme Premier Ministre ». Quant au fantasque Boris Johnson, il s’engage également à assurer une coordination efficace et rapide entre les acteurs responsables, bien conscient qu’il est de la dimension holistique et intersectorielle de ce défi de santé publique. C’est d’ailleurs ce même Boris qui, lorsqu’il était maire de Londres, a énormément œuvré pour la promotion de la mobilité douce au cœur de la capitale, au point où les vélos en libre-service sont appelés les Boris Bikes !
Chez nous, on peut se demander qui parmi les candidats aux fédérales d’octobre osera s’attaquer à de telles questions de société. Pour rappel (voir mon article précédent sur le sujet ici) près de 17% des jeunes en Suisse sont en surpoids ou obèse, et la santé mentale de trop nombreux adolescents est fragile… Mais comme souvent, on pense mieux faire qu’ailleurs, on cache les problèmes sous le tapis et on se contente de mesurettes de santé publique utopiques, pour ne pas dire ridicules, comme des pseudo-freins aux dépenses de santé, à l’image d’un blocage des primes en fonction du salaire. Nous sommes prisonniers de la logique de marché du secteur de la santé : le business de la maladie prime ! Personne n’ose amener le débat où il est temps de la placer : sur l’importance de revisiter nos modes de vie, de promouvoir une vie saine et active, d’investir sérieusement dans la prévention, de promouvoir des modèles positifs et même de légiférer plus courageusement sur le marketing de la malbouffe ou la publicité pour le tabac. Mais notre gouvernement préfère laisser les trafiquants de produits licitement mortels et cancérigènes sponsoriser le pavillon suisse à l’Expo 2020 Dubai (lien) ! Comme père de famille, je suis en droit d’en attendre franchement un peu plus de mes élus et de mon gouvernement…
Tournons-nous un instant vers une nation plus progressiste en la matière… La jeune première ministre néozélandaise Jacinda Ardern a pas mal fait parler d’elle en proposant de mesurer le succès et la santé d’une nation en allant au-delà du PIB, qui trop souvent cache des inégalités criantes. Elle a demandé à son gouvernement de proposer un budget national de bien-être. C’est désormais chose faite – voilà une lecture intéressante à l’aube de nos élections fédérales : The Wellbeing Budget, 30 May 2019 (lien). On y découvre 5 axes prioritaires : prendre les maladies mentales au sérieux (avec un focus sur les moins de 23 ans), améliorer le bien-être des jeunes et réduire la paupérisation des jeunes, soutenir les peuples autochtones, construire une nation productive, transformer l’économie et investir dans la nation (notamment dans ses écoles et ses hôpitaux). On y ressent immédiatement le lien entre bien-être individuel et collectif d’une part, et succès économique d’une nation qui se prépare pour quelques changements importants de paradigme, d’autre part.
Ainsi, la première ministre néozélandaise a su voir, au-delà d’une croissance économique régulière, les problèmes persistants et coûteux pour la nation : le fort taux de suicide, les sans-abris, la violence domestique et la précarité parmi les jeunes. Pour elle, la santé d’une nation ne se mesure pas qu’à sa santé économique, mais également à la qualité de vie des gens et à l’état des ressources naturelles. Son ministre des finances souligne la manière avec laquelle ils ont su briser les silos pour réunir les agences gouvernementales autour d’enjeux majeurs pour la société de demain. Malin !
Que notre sagesse et prévoyance helvétiques puissent s’en inspirer un tout petit peu…
Tiré du Budget « bien-être » 2019 du gouvernement néozélandais :
What is wellbeing?
Wellbeing is when people are able to lead fulfilling lives with purpose, balance and meaning to them. Giving more New Zealanders capabilities to enjoy good wellbeing requires tackling the long-term challenges we face as a country, like the mental health crisis, child poverty and domestic violence. It means improving the state of our environment, the strength of our communities and the performance of our economy.
Sustainable economic growth is an important contributor, but many factors determine people’s wellbeing. Just because a country is doing well economically does not mean all of its people are. This has been the case for New Zealand. Too many people have been left behind or left out. The Wellbeing Budget endeavours to give more New Zealanders the ability to share in the benefits of a strong and growing economy.