2020, une année doublement olympique… et alors ?

Des opportunités à saisir : Partie 1/3 – Renforcer le soutien à nos jeunes athlètes d’élite

 

A l’approche d’une année doublement olympique en 2020 (Jeux Olympiques de la Jeunesse à Lausanne puis JO de Tokyo), il est bon de se pencher sur la situation très précaire de ceux qui représenteront peut-être notre région dans le plus grand raout mondial du sport. Mais aussi d’évoquer le rôle du sport et de l’activité physique dans le contexte d’une adolescence dont l’état de santé laisse à désirer… Deux problématiques que tout oppose ? Bien au contraire. Des smicards du sport d’élite aux patates de canapé, il n’y a qu’un pas… qu’un gros événement sportif et dédié à la jeunesse comme les JOJ dans notre région pourrait contribuer à résoudre.

 

Des smicards au cœur de la capitale mondiale du sport

Dans ce premier volet d’une série de trois réflexions (ou coups de gueule, c’est selon…), découvrons la réalité financière de jeunes champions locaux qui régatent parmi l’élite mondiale. Dans une région du globe si riche et qui bénéficie d’un apport économique considérable grâce à la présence des sièges de près de cinquante Organisations Sportives Internationales (impact économique annuel moyen de 1.07 milliard de CHF pour la Suisse, dont plus de la moitié pour le canton de Vaud – selon l’étude publiée par l’AISTS en 2015), il est choquant de constater la précarité de nombreux championnes et champions, tous plus courageux et passionnés les uns que les autres.

Sylvain Fridelance et Guillaume Dutoit représentent ce que le sport lémanique fait de mieux : le premier est champion suisse élite 2018 en triathlon et médaillé d’argent de l’épreuve par équipe des derniers championnats d’Europe. Avec ses 56 titres nationaux toutes catégories, le second a participé à une finale de la Coupe du Monde de plongeon en Chine l’année dernière et fait désormais partie des meilleurs plongeurs de la planète.  Tous les deux ont 23 ans et figuraient parmi les trois nominés au mérite sportif vaudois de l’année 2018 – c’est le second qui a finalement eu l’honneur de ce prix. Avec quelques 20 à 30 heures d’entraînement chacun par semaine, ces jeunes hommes très volontaires s’efforcent comme beaucoup d’autres jeunes athlètes d’élite de maintenir un pied dans une formation ou un job à temps partiel, et recherchent péniblement – et généralement seuls – des soutiens privés afin de compléter les aides financières dont ils disposent. Sans citer d’autres sports, on comprend bien qu’ils n’ont pas la chance d’évoluer dans des grandes ligues nationales plus visibles et de mettre ainsi un peu de pécule de côté pour leur prochaine transition de carrière.

Sylvain Fridelance, sur le podium des Européens 2018,
avec la championne olympique Nicola Spirig

 

Le statut très modeste de l’athlète d’élite en Suisse

Lorsqu’on atteint ce niveau d’excellence à l’international, on pourrait pourtant s’attendre à une solide prise en charge de la part de nos autorités sportives. Mais leur statut s’apparente plus à celui de smicards du sport helvétique. Loin d’eux l’envie de se plaindre toutefois (car ils se savent privilégiés de pouvoir « vivoter » de leur passion !), mais dans un grand pays voisin que nous sommes tous prompts à critiquer, leur statut d’athlète d’élite leur donnerait droit à de bien meilleures conditions matérielles et financières pour se concentrer sur ce qu’ils font de mieux (leur métier, en fait !) et pour réaliser leur rêve olympique.

Ainsi, en Suisse, chacun d’eux doit budgéter une saison à environ CHF 40-45’000.- qui comprend les déplacements aux entraînements et aux compétitions, les divers stages à l’étranger, des frais d’entraîneur, une bonne partie des soins médicaux, la préparation physique et mentale, la recherche de fonds, etc. Car non, les Fédérations Nationales ne mettent pas tout cela à disposition de leurs athlètes ! L’un deux, Guillaume, n’avait d’ailleurs pas pu participer aux Championnats du Monde juniors dans son sport en 2013 car ni sa fédération, ni ses parents, ne pouvaient lui offrir un billet d’avion pour Adelaïde !

Et pour Sylvain, ce n’est que depuis son excellente saison 2018 qu’il a pu commencer à se constituer un très modeste fonds de prévoyance. Hélas, aux dernières nouvelles, sa fédération nationale dispose d’encore moins de moyens en 2019 et Sylvain devra couvrir lui-même la plus grosse partie de ses déplacements en Coupe du Monde ! Oui, on parle bien du champion suisse élite 2018 qui doit se payer ses voyages et son hôtel lors des prochaines grandes compétitions internationales… C’est simple, en comparaison internationale, on devrait parler de miracles lorsque des Suisses parviennent à ramener des médailles à la maison.

Nous n’évoquerons pas ici la situation des coaches de ces jeunes athlètes car là encore, il existe une belle proportion de smicards du sport helvétique. Beaucoup fonctionnent à la pure passion et au dévouement, pour être rémunéré au tarif d’une femme de ménage.

 

Quelques entrées financières… à côté de l’aide parentale

Du côté des entrées financières, ces deux athlètes peuvent, grâce à leurs excellents résultats récents, compter sur une aide substantielle de Swiss Olympic (entre CHF 12’000.- et 24’000.- selon l’année et les dernières performances…), du Fonds du Sport Vaudois (qui redistribue une part des bénéfices de la Loterie Romande, soit environ CHF 6 à 8’000.- chacun) et de leur commune de résidence (si elle le veut bien), par exemple CHF 1’500.- pour Sylvain. De son côté, Guillaume bénéficie encore d’une modeste bourse de la Solidarité Olympique. Tous les deux sont aussi soutenus par COOKIE, une association romande fondée par l’auteur de ce blog en 2011, ou encore par des fournisseurs d’équipement (un vélo par année par exemple pour Sylvain), et bien-sûr par les parents, éternels sponsors ! Côté entreprises, c’est la misère : quelques milliers de francs viennent péniblement s’ajouter aux sommes ci-dessus… dans un environnement économique qui se porte pourtant plutôt bien !

Guillaume Dutoit en action, il virevolte désormais parmi les meilleurs du monde

 

Pour les sponsors, les priorités sont ailleurs

Mais voilà, pour la plupart des entreprises de la place, on préfère donner son nom à une nouvelle patinoire, réserver une loge VIP ou afficher son logo sur les dossards d’une course populaire, au lieu de soutenir plus sérieusement ces ambassadeurs de la région. Ils sont pourtant prêts à redonner au sport ce que celui-ci leur a déjà offert. En effet, chacune et chacun de ces champions répond toujours présent lorsqu’il s’agit d’aller parler dans une entreprise, dans une école, dans des clubs ou encore de rencontrer de jeunes enfants malades à l’hôpital. Le rôle social et de modèle que ces jeunes champions peuvent jouer auprès de leurs pairs reste toutefois largement ignoré des autorités.

Alors, comment renforcer notre soutien à ces jeunes talents ? Quelques pistes méritent d’être mentionnées :

  • Renforcer le suivi de carrière, l’orientation professionnelle et l’aide au développement de projets
  • Renforcer l’offre de formation duale des jeunes champions, au-delà des progrès déjà observés dans le sport-études depuis 10 ans
  • Favoriser des formules d’apprentissage pour jeunes athlètes d’élite et les possibilités de parrainage par des entreprises qui offriraient des places de stage
  • Réunir les grands acteurs économiques du canton autour d’un fonds spécial (en lien peut-être avec certaines largesses fiscales dont les autorités ont fait preuve à leur égard…)
  • Assurer une forme indirecte de soutien en cotisant à la place des jeunes athlètes d’élite afin de leur constituer un fonds de prévoyance pendant leurs années de disette et de sacrifices financiers

Cette première d’une série de trois réflexions autour du sport pose finalement la question du statut d’athlète d’élite en Suisse. Un statut modeste, précaire et peu reconnu, à moins bien-sûr que l’athlète ramène une médaille internationale – on est ici beaucoup plus prompts à apparaître sur une photo à ses côtés ! A la première question anodine « que fais-tu dans la vie », un jeune athlète d’élite peut souvent anticiper la seconde « oui, mais je veux dire : à côté du sport, que fais-tu vraiment ? ».

 

Une Health et une Sport Valley au service de notre jeunesse ?

Dans cette Vallée du Sport et de la Santé qu’est devenue la région lémanique, n’est-il pas enfin venu le temps de mieux soutenir et reconnaître ces jeunes champions et de capitaliser sur leur expérience et leur passion pour encourager et inspirer d’autres jeunes à bouger et à découvrir les très nombreuses et nouvelles possibilités de carrières qu’offre le sport dans son sens le plus global ? Ne serait-ce pas là un investissement raisonnable et bienvenu pour notre jeunesse ? Car, comme nous le verrons demain dans le deuxième volet de cette réflexion sur une année 2020 doublement olympique, l’état de santé physique et mentale de nos jeunes devrait nous alarmer…

 

Philippe Furrer

Philippe Furrer a passé l’essentiel de sa carrière comme cadre dans le monde du sport international. Géographe de formation, il se passionne d’interdisciplinarité, car les problèmes de notre monde contemporain sont si complexes qu’ils exigent de nouveaux paradigmes.

3 réponses à “2020, une année doublement olympique… et alors ?

  1. Swiss Olympic apporte un gros soutien financier aux meilleures athlètes du pays (d’un sport olympique). Sans vouloir cracher sur le pain béni, il serait fort souhaitable que ce soutien vienne non pas couronner une carrière réussie, mais soutenir les athlètes AVANT qu’ils percent au plus haut niveau. En étant dans la réaction plutôt que l’anticipation, trop de jeunes au potentiel certain posent les plaques, alors qu’ils auraient pu réussir en recevant cette manne financière, qui est également un reconnaissance morale de leur investissement et sacrifices.
    Et que dire du message envoyé aux athlètes d’élite blessés ou ayant intelligemment choisi de se concentrer sur leurs études (durant une année post-olympique par exemple) lorsque leur bourse leur est retirée ? “Seul le succès compte, à toi de te débrouiller pour y arriver !” Il y a mieux à faire pour soutenir les médaillés de demain que de récompenser uniquement ceux d’hier.

  2. Le sport manque clairement de lobbyistes à Berne (en existe-t-il un.e ?). Le sujet n’est que rarement évoqué là-bas. Le/la ministre en charge se rappelle de sa fonction pour envoyer un courrier à Federer, aller voir la Nati ou une médaille olympique en ski alpin. Le sport et particulièrement le “sport pour tous” manque clairement de soutien au sein du monde politique suisse.

    Merci pour les articles.

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