Sédentarité et société, la course aux idées

Pour que les patients chroniques s’impatientent (enfin)

Bouger et lutter contre la sédentarité - une urgence sanitaire et politique

Après les assises vaudoises du réchauffement climatique, à quand celles de la sédentarité ?

Le réchauffement climatique nous menace et occupe à raison nos politiques et les grands de ce monde. Les autorités vaudoises viennent justement d’accueillir leurs premières assises du climat le 12 novembre dernier. Elles illustrent l’importance d’une action locale pour résoudre un problème global. Mais il est un autre mal rampant, encore largement ignoré de nos élus… une menace insidieuse et permanente sur notre qualité de vie et celle de nos enfants : le manque de mouvement et la malbouffe ! Qui dit sédentarité et nourriture déséquilibrée dit, en effet, risques croissants de développer des maladies non transmissibles (maladies cardiovasculaires, cancers, maladies respiratoires chroniques, diabète, etc.). En Suisse, c’est 80 % des dépenses de la santé qui sont consacrées au traitement de ces maladies chroniques. Or, un grand nombre de celles-ci sont occasionnées par des modes de vie peu recommandables (sédentarité, mais aussi tabagisme et alcoolisme) et peuvent être prévenues ou retardées dans leur grande majorité. Dans le canton de Vaud, le diabète touche plus de 40 000 personnes et occasionne chaque année des centaines de millions de francs en coûts directs et indirects. Tous ces malades chroniques, au-delà de leurs drames personnels et familiaux, représentent une charge énorme pour notre société et un frein certain à notre développement social et économique.

 

Réunir deux mondes

C’est un paradoxe. Le canton de Vaud se gausse des plus de cinquante fédérations internationales sportives qu’il héberge. Il promeut avec fierté une Health Valley comprenant certains des meilleurs chercheurs et acteurs économiques du biomédical, du pharma et des health techs… Alors pourquoi ce débat de société sur les méfaits de la sédentarité n’y prend-il pas plus de place ? À quand des assises de la sédentarité ? Ou plutôt une marche pour le mouvement et l’activité physique pour tous ? À l’heure où le monde entier doit faire face à la même épidémie de sédentarité et à une pression financière grandissante sur les coûts de la santé, de tels Etats Généraux centrés sur le vivant et le mieux-vivre, ne seraient-ils pas souhaitables, voire même urgents? Un tel débat permettrait d’explorer des pistes allant au-delà des nombreux nouveaux traitements qui arrivent sur le marché, et de soigner les causes plutôt que simplement les symptômes.

Le sociologue Pierre Escofet, dans sa chronique publiée par Le Temps le 9 novembre, a raison de souligner les limites de la responsabilité individuelle lorsqu’il s’agit d’adopter des modes de vie plus sains et actifs. Mais qu’en est-il de la responsabilité politique ? Dans un pays qui se classe au même niveau que la Biélorussie parmi les nations prenant des mesures afin de contrôler l’accès de leurs jeunes aux produits du tabac ou encore pour limiter la présence publicitaire de l’agroalimentaire, on se doit ici de ménager nos attentes ! Il est urgent d’appeler nos élus à cesser de suivre les intérêts puissants des lobbies du tabac, de l’alimentaire et des boissons sucrées, ainsi que la longue chaîne des acteurs qui profitent du « business de la santé », dont nos assurances maladies ne sont pas les seuls maillons.

 

Mesures ciblées

Comme Pierre Escofet le souligne également, notre statut socio-économique détermine dans une large mesure notre propension à bouger et à vivre sainement. Il est essentiel que nos pouvoirs publics en prennent conscience, car les mesures attendues de nos élus devront se focaliser sur les plus vulnérables. De la même manière que la médecine devient hyper-personnalisée, les interventions publiques doivent être chirurgicales, pour assurer le meilleur retour sur investissement (en termes de mesures de prévention, d’éducation et d’accompagnement). On sait désormais, notamment avec les études du groupe GIRAPH* en Suisse, que notre lieu d’habitation détermine aussi, dans une large mesure, notre mode de vie. Et tout ne dépend pas uniquement de nos origines, de notre salaire ou de notre niveau de formation.

 

Une réponse transdisciplinaire à un défi complexe

Même si le propriétaire vaudois profitait des subventions cantonales et communales pour changer son système de chauffage et l’isolation de sa maison, voire pour acheter un véhicule électrique, il est peu probable qu’il constate les bénéfices de ses actions personnelles sur l’évolution du climat. Il en va autrement de la sédentarité et de la nutrition. L’adoption d’un mode de vie plus sain et actif, quels que soient l’âge et la forme physique du sujet, apporte très rapidement des bienfaits en termes de qualité et d’espérance de vie. On peut donc se demander, sans vouloir opposer deux priorités sociétales légitimes, pourquoi nos autorités n’investissent pas plus d’énergie et de moyens dans la prévention et dans la promotion du sport et du mouvement pour tous. Des assises (actives !) de la sédentarité permettraient de réunir les responsables de la santé, de l’économie et de l’éducation, mais également ceux du sport, de l’aménagement du territoire, de l’innovation et même de la culture. Car ce défi est aussi complexe qu’il est urgent. Il ne peut être résolu que par une forte collaboration transdisciplinaire, ce à quoi nous ne sommes encore que très peu habitués.

 

Une campagne pilote pour faire bouger malin et altruiste

La campagne pilote de 9 semaines Décrochons la Lune a permis en automne 2018 à plusieurs centaines de participants vaudois de couvrir plus de 92 000 kilomètres en bénéficiant de conseils santé et en testant une nouvelle app dédiée. Cela a également permis d’explorer de nouvelles formes de collaboration parmi les communes ou entreprises participantes. Dans son papier, Pierre Escofet critique gentiment l’aspect symbolique, voire infantilisant, de cette démarche. Il oublie peut-être la magnitude du défi qui attend notre société. Si rien n’est fait (et rapidement !), notre planète comptera près de 700 mio de diabétiques en 2045 (nous en sommes déjà à plus de 350 mio en 2017 pour une charge financière globale de USD 750 mia à USD 1,3 trillion selon les études, et une projection à USD 2,1 trillions en 2030 !). Dans notre pays, ce sont déjà de trop nombreuses familles qui ne peuvent plus payer seules leurs primes maladies. Alors, continuerons-nous de payer pour soigner ou commencerons-nous un jour à investir pour optimiser notre capital santé et pour vivre plus longtemps en santé ?

 

Dans le regard amusé qu’il porte sur notre campagne Décrochons la Lune, le sociologue se demande si l’action saura susciter une quelconque prise de conscience. Il semble douter de l’effet de cette « alliance du mouvement pour le bien-être ». Pourtant, au vu de l’inertie de nos élus en la matière, les mouvements citoyens, apolitiques ou même activistes sont plus importants que jamais.

 

Il conclut sa chronique par une note ironique : « La Lune est un astre géologiquement inactif. Ce n’est qu’un symbole. Mais tout de même, ça la fout mal… ». Mais la Lune est bien responsable du mouvement des marées, source vitale pour la richesse et la diversité de nos écosystèmes ! Alors, bien sûr, notre action ne changera pas les normes sociales d’un coup de cuillère à pot, mais si elle contribuait à une lame de fond en faveur du mouvement, de l’activité physique et du sport pour tous, nous en serions très fiers.

 

Philippe Furrer

Activiste du mouvement et du sport

Twitter @inspoweredby

www.inspoweredby.ch

 

*Geographic Information Research and Analysis in Public Health

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