Crash aérien, arrêtons de dire n’importe quoi !

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L’A320 d’EgyptAir reliant Paris au Caire qui s’est abîmé jeudi au large d’une île grecque est une nouvelle tragédie aérienne. Avec elle nous assistons, comme c’est le cas lors de l’annonce d’un crash aérien, à toute une série d’improvisations, dans le but d’expliquer les causes du drame. Pire, certaines personnes n’hésitent pas à avancer les raisons du crash devant un parterre de journalistes.

Interprétation des faits 

L’enquête n’en est qu’à ses débuts, que déjà des théories apparaissent pour expliquer l’accident, comme à chaque fois. Certes, des éléments concernant les toutes dernières minutes du vol qui ont précédé le crash laissent songeur : « L’avion se trouvait à une altitude de 37’000 pieds (plus de 11’200 m), a effectué un virage de 90 degrés à gauche puis de 360 degrés à droite en chutant de 37’000 à 15’000 pieds, avant de disparaître des radars ».

Cette situation, n’ayant rien de normal, permet de dire que quelque chose de grave s’est produit. Mais rien ne permet d’affirmer ici qu’il s’agit d’un attentat plutôt que d’une erreur grave de pilotage, d’un suicide ou d’une défaillance technique. Seule l’enquête pourra en déterminer les causes.

Des réactions inadaptées à la réalité

Dès qu’un crash se produit, celui-ci fait bien évidemment les gros titres de la presse. Mais le pire provient de déclarations qui n’auront au final aucun rapport avec les faits. Deux exemples :

Lors du crash du vol TransAsia Airways à Taïwan en février 2015, il a été rapporté dans les heures qui ont suivi le drame que: «  si le pilote n’avait pas contrôlé l’avion jusqu’à la dernière seconde, il y aurait eu beaucoup plus de morts ». Bref, en quelques heures, le pilote est devenu un héro national et l’image de la compagnie était sauvée !

Cependant, l’enquête a révélé tout autre chose. L’ATR 72-600 a eu une panne de moteur au décollage et malheureusement, l’équipage a commis une erreur gravissime. Il devait en priorité maîtriser la trajectoire de l’avion, puis identifier le moteur en panne. Rien de cela n’a été fait, les procédures n’ont pas été respectées et l’équipage s’est trompé de moteur en coupant celui qui fonctionnait correctement. Erreur de pilotage grave et procédures d’entrainement de la compagnie ont été mises en cause dans le rapport d’enquête final.

En juillet 2014, un MD-83 de la compagnie Swiftair s’écrase au Mali. Très vite la rumeur parle d’un acte terroriste. Des politiques et la presse parlent d’un tir de missile étant donné que des terroristes sont actifs dans la région. Puis, s’en est suivi un défilé de personnalités sur les lieux du crash. L’enquête révèlera tout autre chose. L’équipage a traversé un cumulonimbus au lieu de le contourner. L’avion a alors subi ce que l’on nomme « un givrage sévère » provoquant une accumulation si rapide de glace sur l’avion, que les systèmes de dégivrage ne sont pas parvenus à protéger celui-ci.

Ces deux exemples, et malheureusement il y en a d’autres, démontrent que, seul le long et difficile travail des enquêteurs, permet d’identifier les causes d’un accident d’avion. Dans plus de 95 % des cas, les déclarations préliminaires qui font suite à un drame ne correspondent pas à la réalité établie par l’enquête.

La vérité mais pas n’importe comment

 Notre société du « tout et tout de suite » n’est pas en phase avec la tâche difficile des enquêteurs qui travaillent à résoudre les causes d’un crash. Le facteur « temps » doit être pris en compte. D’ailleurs, les déclarations fallacieuses, que l’on peut entendre et qui ne sont basées que sur des suppositions, ne sont-elles pas une honte pour les familles des victimes ? Je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut tout dire sur les causes d’un accident aérien (suicides, erreurs de pilotage, procédures à revoir, attentats, problèmes de maintenance). Le fait de résoudre et d’expliquer un crash permet de renforcer la sécurité du transport aérien, mais que les théories fumeuses divulguées ne lui sont que préjudiciables.

 

 

Pascal Kümmerling

Né à Genève en 1970, Pascal Kümmerling a, depuis l'adolescence , pour passion le monde de l'aviation. Après une licence de pilote privé au Canada, licence pro et finalement instructeur. Avec plus de 3'000 heures de vols et une quarantaine d'élèves formés, Pascal se lance dans l'écriture à travers diverses publications aéronautiques, conférencier à ses heures.