Je reste pacifiste, basta !

Que ça soit clair d’entrée, le pacifisme ne signifie pas de croiser les bras ni d’être bisounours naïf et de fermer les yeux face aux réalités du monde. Le pacifisme est une vision qui veut réaliser la paix par des moyens pacifique (peace by peaceful means). C’est avant tout une conviction et un engagement.

Grande instabilité géopolitique, violence ouverte, bombes, réarmement, possible élargissement de l’OTAN, etc., la guerre de Poutine en Ukraine met à mal notre mouvement international pour la paix. Il représente pourtant la seule véritable issue aux violences à grande échelle. Restons convaincus, restons engagés !

Que faire face à cette violence ? Toutes les doctrines de la guerre juste reconnaissant et encadrent la légitime défense, y inclut collectif. Tout comme en Ukraine, la défense militaire peut être un mal nécessaire. Mais n’appelons jamais cela un rétablissement de la paix car la paix n’est pas simplement l’absence de guerre !

Mais n’appelons jamais cela un rétablissement de la paix car la paix n’est pas simplement l’absence de guerre !

Mais qu’est-ce que la paix alors ? Nous pouvons identifier trois postures philosophiques qui tentent d’y répondre.

  • La paix par l’équilibre des puissances, communément appelé « le réalisme ». C’est la doctrine prédominante dans les réalisations internationales d’aujourd’hui. En résume, chacun doit s’armer autant que l’autre afin de pouvoir assurer la destruction mutuelle, ce qui est censé décourager une attaque. On identifie rapidement les lacunes et risques de ce modèle et on note qu’on se trouve exactement dans cette posture actuellement face à la guerre en Ukraine.
  • La paix par la primauté de la loi, aussi appelé « le libéralisme ». L’Homme serait le loup pour l’Homme (selon Hobbes, et un certain nombre d’autres…), et il a besoin d’être cadré par des règles pour l’obliger à un comportement pacifique. Une belle triste vision de l’humanité…
  • La paix par des moyens pacifiques, « le pacifisme ». Il s’appuie sur les capacités de la nature humaine à être en paix avec autrui en renforçant ses ressources : l’éducation à la paix, les modes de gestion alternative des conflits, l’élimination de toutes formes de violences ou de précarité, etc. Tout un programme, toute une vision du monde à réaliser à long terme et à ne jamais abandonner même en cas de guerre. La paix n’est donc pas absence de guerre, mais absence de toutes formes de violences, qu’elles soient directes, structurelles ou culturelles. Contrairement au libéralisme ci-dessus, le pacifisme est le véritable modèle libéral au sens propre du terme, car non pas les règles définissent le comportement humain, mais sa propre volonté.

Contrairement au libéralisme ci-dessus, le pacifisme est le véritable modèle libéral au sens propre du terme, car non pas les règles définissent le comportement humain, mais sa propre volonté.

Plus que jamais, le mouvement international pour la paix doit affirmer ses convictions et éviter une course à l’armement au-delà du stricte nécessaire à la légitime défense pour une période que nous espérons toutes et tous très courte. Autrement, nous nourririons le cercle vicieux que représente le réalisme exposé ci-dessus.

La vision quant à la correspondance entre la légitime défense et l’armement est claire : l’élimination de toutes les armes et l’abandon de toutes les armées étatiques en les remplaçant par une police internationale sous l’égide des Nations Unies (Nations Unies réformées bien entendu…) dans une logique de « Weltinnenpolitik ». A moyen terme et comme étape intermédiaire, on passera par une intégration régionale des armées, par exemple par continent ou structure multinationale, ce mouvement semble déjà gentiment s’amorcer.

Suisse-Ukraine : ne pas confondre neutralité et impartialité

Les deux termes neutralité et impartialité sont souvent utilisés de façon synonyme dans le langage courant, ils ont pourtant une signification très différente. La discussion actuelle autour de la neutralité de la Suisse concernant la guerre de Poutine en Ukraine nous permet parfaitement d’illustrer cette nuance.

Comment pourrait-on fermer les yeux, comment rester indifférent face aux atrocités commises dans le monde, face aux violations des droits humains, face aux injustices et face à la violation du droit international et des principes humanistes fondamentaux ? Déclencher une guerre agressive en fait clairement partie. Comment alors la Suisse pourrait-elle rester neutre dans une telle situation ? Non, elle ne le peut pas, et elle ne le doit pas !

Faire de la politique, y inclut à l’international, c’est forcément un acte animé par des valeurs, par un projet de société. Dans le cas présent, ces valeurs qui nous animent sont la non-violence, la paix, la protection de la vie et de la dignité humaine, et aussi la démocratie et le respect du droit international. La Suisse doit promouvoir et défendre ces valeurs sans aucune retenue. Y renoncer serait renier à ce que nous sommes au plus profond de nous. Ce n’est pourtant pas en contradiction avec la neutralité telle qu’on devrait la concevoir, et c’est ici que la confusion entre neutralité et impartialité se manifeste. Effectivement, la première se réfère à notre rapport à la « chose », à l’enjeu ou au litige, en l’occurrence donc à l’agression militaire, à la guerre, nous ne pouvons rester neutre à son égard ! Notre refus et notre critique doivent être vifs, clairs et sans aucun langage diplomatique. Quant à la deuxième notion, l’impartialité, elle se réfère quant à elle à notre rapport aux personnes, aux acteurs, donc à la dimension relationnelle. C’est ici que nous devons garder l’équidistance avec tous les acteurs, ou mieux encore, la multi-partialité pour être plus engagé et inclusif. Maintenir des relations tout en restant ferme sur les principes, ou bien « dur sur le fond, doux avec les individus » pour reprendre la fameuse formule du principe de négociation selon Harvard. Donc rester un interlocuteur, un médiateur au meilleur des cas, mais toujours dans un cadre normatif non-négociable : la promotion de la paix. Le premier, le dialogue, étant la méthode, le deuxième, la paix, étant l’objectif.

Et c’est là où peut-être qu’on se trompe de terminologie (voire de politique ?), nous ne devons pas être neutres, bien au contraire, nous devons être engagés, pleinement et sans aucune retenue pour les principes cités plus haut. Cependant, la Suisse peut rester impartiale, sans favoriser un acteur par rapport à un autre, sans être plus proche d’un bloc que d’un autre[1]. Négocions toujours avec tout le monde, cela peut paraitre inacceptable en temps de guerre, mais c’est à ces moments-là que c’est aussi le plus important. C’est dans cette optique là que l’adhésion de la Suisse au « Partenariat pour la paix », l’antichambre de l’OTAN, ou encore sa candidature au Conseil de Sécurité de l’ONU me semble tout à fait discutable, sachant que cela est plus facile à affirmer en temps de paix que pendant une guerre devant nos portes.

Quid alors des sanctions ? Est-ce que la mise en place de sanctions économiques relève plutôt d’une mesure touchant la dimension relationnelle avec le sanctionné (donc impact sur l’impartialité) ou visant la résolution du litige en cours (donc concernant la neutralité) ? Difficile à dire, l’intention peut se référer à l’un, la perception du destinataire à l’autre.

Pour le moment, la Suisse ne soutient pas les sanctions de l’UE contre la Russie, elle se contente de renforcer ses propres mesures pour éviter de servir comme contournement des celles prises par l’UE. En résumé : on continue les affaires mais on n’en rajoute pas de nouvelles. Nous ne sommes ni pour, ni contre ; bien au contraire… Dans le doute, c’est en faveur de l’objectif suprême, de la paix, que devrait pencher la balance.

 

 

[1] Ce principe ne s’applique bien évidemment pas aux relations de proximité par simple logique géographique tel qu’avec l’UE par exemple

Prévention ou répression ? L’amalgame dérangeant de la MPT

Les mesures coercitives et contraignantes de la loi sur les mesures policière de lutte contre le terrorisme (MPT) s’appliqueraient exclusivement aux « cas lourds » nous dit-on pour contrer les objections qui y voient la porte ouverte à l’arbitraire et aux interventions policières disproportionnées. Selon le texte de loi proposé « on entend [par activités terroristes] les actions destinées à influencer ou à modifier l’ordre étatique et susceptibles d’être réalisées ou favorisées par des infractions graves ou la menace de telles infractions ou par la propagation de la crainte. »

Mais qu’est-ce qu’on entend par « influencer l’ordre étatique » ou par « propagation de la crainte » et qui en jugerait ? Est-ce que les activistes du climat, par exemple, qui chercheraient à influencer, voire renverser l’ordre actuel et dont l’attraction de l’attention publique sur les dangers vitaux qui nous attendent, même par la peur (« I want you to panic ! ») en feraient partie ? Bien sûr que non, assurent les partisans du oui, pendant que fedpol procède à des perquisitions et des interrogatoires des activistes[1]. Selon le dernier rapport sur la sécurité de la Suisse, publié par le SRC, la cause animale serait une des scènes dangereuses d’extrémisme et d’autres mouvement pourraient aussi en arriver à la violence afin d’imposer leur idées politiques. Jusqu’en 2015, les objectifs écologiques étaient considérés comme potentielle violence anarchiste par ce même rapport.

Et pour celles et ceux qui ne feraient toujours pas confiance à ces nouvelles dispositions proposées on rajouterait que c’est fedpol tout seule qui jugerait de la bonne interprétation de ces textes, sans l’implication d’un juge, et cela pour des enfants à partir de 12 ans.

Mais la véritable contradiction de cette loi est ailleurs, à savoir que l’argument des « terroristes en herbe », auxquels elle s’appliquerait exclusivement, se heurtent fondamentalement à celui de la prévention, avancé simultanément. La loi servirait à une détection précoce pour éviter que les jeunes ne tombent dans la marge et ne se désocialisent[2]. Sans elle, « nous perdrions les jeunes sur la voie de la radicalisation »[3] (CF Keller-Sutter). A qui s’adresse alors cette loi ? Aux jeunes déboussolés dès 12 ans qui cherchent leur identité dans des luttes alternatives au système en place et qui resteraient effectivement accessible à la prévention ou plutôt au « cas lourds », aux terroristes en herbe, prêtes à passer à l’acte violent et pour qui des mesures préventives pourraient éventuellement se justifier ? Prévention ou répression ? L’amalgame est dérangeant.

 


[1] https://www.24heures.ch/comment-la-suisse-surveille-les-activistes-du-climat-778340926435?utm_source=sfmc&utm_medium=email&utm_campaign=24_ED_9_ENG_EM_NL_MATIN_NOUVELLES_SUBSCRIBER_AO&utm_term=2021-06-03&utm_content=1313649_&fbclid=IwAR11NJjJrL5KHOOALkm6Z1pvqnGJHozo5BG9sa9QjAxXaPFPL0T-5GhY1wE

[2] https://www.letemps.ch/opinions/suisse-ne-se-croire-labri-terrorisme?utm_source=Newsletters&utm_campaign=415027af49-newsletter_briefing&utm_medium=email&utm_term=0_56c41a402e-415027af49-109865513

[3] https://www.nzz.ch/schweiz/keller-sutter-ohne-pmt-verlieren-wir-die-jugendlichen-ld.1625743#register

Initiative anti-burqa : faire avancer la protection des femmes et l’égalité

La liberté inclut la liberté des autres de faire ce que je considère moi-même comme dérangeant. Ou, pour le dire avec Voltaire :

Je hais vos idées, mais je me ferais tuer pour que vous ayez le droit de les exprimer.

Le voile intégral me dérange, il m’irrite. Mais j’ai de la peine quand, dans un début de paternalisme trop insistant, on pense comprendre, mieux qu’elles-mêmes, ce qui anime les concernées, ce qu’elles pensent ou ressentent. Pensez-vous vraiment que la femme musulmane a besoin de notre sauvetage par les urnes ?

Depuis janvier 2021, nous avons les résultats de la première étude scientifique sur la situation en Suisse[1]. La grande majorité des femmes portent le voile intégral de leur plein gré. Souvent contre l’avis de leur mari ou de leur famille. Certaines ont quitté leur mari considéré comme pas suffisamment pieux. Ces résultats correspondent avec ceux d’autres études européennes sur la même thématique.

Oui, cela irrite, mais ayant au moins l’humilité de dire que cette irritation relève peut-être d’une dissonance cognitive : quand nos idées reçues se heurtent aux faits présentés.

Mais laissons ce débat stérile, on n’avancera pas d’ici mars dans ce climat délétère que génère cette campagne. Les avis déjà exprimés ne pourront plus faire marche arrière.

Mettons plutôt l’accent sur le véritable enjeu de cette campagne, le progrès de l’égalité hommes-femmes. L’émotivité de l’objet principal risque de voiler ce que le Conseil fédéral et le Parlement nous présente à cet égard dans le contre-projet indirect que peu connaissent malheureusement.

Contrairement à l’initiative qui, dans une logique populiste, veut simplement écraser ce qu’elle considère comme problème, le contre-projet propose des véritables projets de société. Il entre automatiquement en vigueur si l’initiative est refusée. Dans ce cas, les lois fédérales sur les étrangers et l’intégration, celle sur l’égalité ainsi que celle sur la coopération au développement seront modifiées afin de renforcer la protection des femmes et la promotion de l’égalité en Suisse et à l’étranger. Quant à la loi sur l’égalité, il y a même une petite révolution en vue, actuellement limité au domaine de la vie professionnelle, elle élargirait son champ d’application à la vie en société en général grâce au contre-projet.

Une véritable avancée qui toucherait sans doute des milliers, voire des dizaines de milliers de femmes. L’initiative concerne elle, toujours selon l’étude citée ci-dessus, entre 20 et 30 femmes au maximum en Suisse, et dont une grande majorité a choisi cet habillement librement et se verrait donc privées de ses libertés fondamentales.

Il est d’une évidence frappante que la protection des femmes et l’égalité passent par le contre-projet, ne noyons pas cette réalité dans un débat stérile sur une initiative simpliste qui propose plus de dégâts que de bien.

Le véritable enjeu de cette campagne est la bonne compréhension des propositions du contre-projet.

 

[1] « Verhüllung – die Burkadebatte in der Schweiz », Prof. Tunger-Zanetti, Université de Lucernce, janvier 2021

Vague Verte malgré la crise covid ? Une évidence écologique, économique et sociale

A plusieurs reprises, ces derniers mois a-t-on pu lire l’étonnement de certains medias quant à la continuation de la vague Verte malgré la crise covid. Cependant, rien ne me semble plus évident. Bien au contraire, une économie verte – des circuits courts plutôt que des chaînes d’approvisionnement internationales qui s’effondrent, le soutien aux commerces et PME de proximité, la paysannerie locale et biologique, les postes de travail à proximité, un équilibre sain entre vie familiale et professionnelle, un revenu de base inconditionnel – une économie durable, résiliente et juste, rien de plus approprié que l’écologie politique qui aurait permis d’éviter une partie de cette crise, respectivement maintenant nous en sortir.

Effectivement, nous traversons aujourd’hui plusieurs crises en parallèle. A celle du climat, abstraite pour beaucoup, s’ajoute désormais celle du covid-19 et notamment ses composantes économiques et sociales que l’on n’avait pas connu depuis la deuxième Guerre. A cela s’ajoute un autre défi d’une ampleur ressemblante à la révolution industrielle du début du 19ème siècle : la transition technologique. Selon une récente étude du World Economic Forum, 85 millions de postes de travail seront remplacés par l’automation d’ici 2025, en contrepartie 97 millions de nouveaux postes seront créés dans ces nouveaux domaines. Les chaînes logistiques, les canaux de vente, le marketing et bien d’autres aspects de la gestion d’entreprises se transforment à une vitesse notablement accélérée par la crise covid-19. Est-ce que nos commerces et PME sont prêts pour faire partie de 97 millions de postes créés plutôt que des 85 millions perdus ?

Les crises mentionnées ci-dessus, leurs origines et dynamiques sont multiples, mais elles se rejoignent dans les solutions : instaurer une économie verte et de proximité, durable, résiliente et juste en s’adaptant (très) rapidement à la transition technologique.

La manne publique a sauvé d’innombrables places de travail et évité la faillite de PME en Suisse ces derniers mois. Tout le monde l’aura compris, en cas de crise ce n’est pas la main invisible du marché mais bel et bien l’état-providence qui sauve notre société. Cependant, nous ne pourrons pas injecter ces fonds perdus à long, ni moyen-terme. Après le pansement pour stopper l’hémorragie, nécessaire dans l’immédiat, le temps est venu de penser guérisons plutôt que qu’intervention de sauvetage, d’investissement plutôt que de dépenses. Les prochains rounds de soutien aux PME devraient se focaliser sur la transformation écologique et technologique des entreprises concernées. La société qui continue à s’approvisionner en Asie plutôt que de soutenir nos producteurs locaux court des grands risques, le petit commerce qui n’assure pas sa transition digitale les cinq prochaines années ne sera probablement plus de la partie. Aidons-les, aidons-les à se transformer, à se moderniser, à surmonter la crise, mais pas seulement, aidons-les surtout à devenir des entreprises durables, résilientes et justes, prêtes à affronter l’avenir de notre économie et de notre société.

L’écologie verte nous permet d’affronter ces trois crises en parallèle – climatique, économique et sociale ainsi que la transition technologique – à travers leur solution commune.

A titre d’exemple, en 2013, les Vert·e·s de Morges ont déposé un postulat qui demande la mise en place d’un fonds pour soutenir les PME locales dans leur transition écologique. Concrètement, une société pourra demander des fonds pour se mettre à niveau, par exemple pour remplacer un chauffage de bureau, un four de boulanger, etc. puis rembourser ces fonds sur les économies réalisées. Il n’y donc rien à investir, mais des bénéfices écologiques et économiques rapide. Le restaurateur qui a dû fermer ce mercredi 4 novembre pourrait tirer profit de la fermeture pour faire les travaux puis bénéficier des retombés rapidement. N’est-ce pas justement en période de crise qu’il est fondamental de se poser les bonnes questions et d’agir en conséquence ?

Il est urgent de réagir. Trois propositions concrètes :

  • Transformons les aides à fonds perdus en investissement pour l’avenir.
  • Affectons ces fonds à la transition écologique pour affronter en même temps la crise climatique et pour permettre des économies aux PME.
  • Affectons ces fonds à la transition technologique en accompagnant les PME dans leur transition numérique et technologique afin de réduire les impacts environnementaux et pour garantir la survie de nos PME en affrontant les défis de l’avenir.

Loi sur la chasse et protection du climat, mais quel rapport ?!

« Si le seul outil que vous avez est un marteau, vous tendez à voir tout problème comme un clou » disait le psychologue Abraham Maslow. Cela reflète parfaitement bien la logique prédatrice derrière la loi sur la chasse, sagement refusée par le peuple suisse dimanche dernier. Le loup met en péril mes moutons, je l’abats ; le castor cause la perte d’arbres fruitiers, je le chasse ; le lynx nuit au recrû naturel des forêts, je l’extermine.

Nous avons perdu la capacité de vivre en harmonie avec la nature, pourtant fondement de notre propre vie.

Pire, nous la détruisons là où elle semble gêner notre propre expansion, désormais exponentielle.

A l’arrivé des Vikings sur Islande au 9ème siècle, 25% de la surface de l’île étaient couvert de forêt, il en reste aujourd’hui 1%. A l’échelle de la planète, cela fait 85% des forêts perdues depuis l’an 1300. Le nombre d’êtres humains sur terre a crû de 400 millions en 1250, passant par 1 milliard en 1800 et 2 milliards en 1930, à 8 milliards aujourd’hui. La dégradation environnementale est proportionnelle à la croissance du nombre d’humains sur terre, et les deux s’accélèrent, d’année en année, d’un mois à l’autre. La planète est entrée dans l’anthropocène, l’âge de l’Homme, une nouvelle ère dans laquelle l’Homme est devenu le facteur principal du devenir de la planète, et nous n’en avons absolument pas pris la mesure.

Transposant les 4,6 milliards d’années d’existence de la terre sur un cadran d’une journée, l’Homme est apparu les 3 dernières secondes avant minuit seulement. C’est pendant ce minuscule laps de temps que nous avons réussi à mettre la planète en péril, exploitant ce qui peut nous servir comme ressource, tuant ce qui nous ne nous convient pas, abattant ce qui nous obstruit le chemin, exterminant ce qui nous dérange.

La déprédation de la nature et de la biodiversité, la destruction du climat et l’abattage des animaux sauvages ne sont que des manifestations différentes d’un seul et unique problème : l’Homme prédateur.

L’identité helvétique: être ou vouloir ?

Je coache souvent des expatriés qui viennent en Suisse pour travailler, quelques mois, souvent plusieurs années, parfois ils restent. Et quand je leur parle du premier août, ils me demandent : « Oui, mais vous l’appelez comment cette fête ? » Je réponds : « Ben, on l’appelle 1er août, et vu la date à laquelle on fête ça tombe plutôt bien… » 🙂

Ils insistent : « Mais, est-ce que cela correspond à une grande victoire militaire, à l’adoption d’une nouvelle constitution, à l’indépendance du pays ? » Je dis : « non, écoutez c’est trois responsables qui ont jugé utile de travailler ensemble, ils ont fait un PV de la séance et depuis on en fait lecture chaque année à l’occasion de la fête… ». Ceux qui viennent des grandes nations sont parfois un peu déçus, mais ils commencent déjà à mieux comprendre la culture helvétique.

Mais alors qu’est-ce que nous fêtons au juste le premier août ? Ce n’est pas juste un événement du passé. Ce n’est pas seulement le serment du Grütli et le pacte dont certains mettent en doute sa véritable valeur historique. Peu importe, je dis, peu importe. Nous fêtons toute une histoire, nous fêtons l’esprit helvétique : l’indépendance, la liberté et la solidarité dans la diversité. Depuis 1291, cet esprit a été confirmés à maintes reprises, on peut citer la médiation de Nicolas de Flue, l’indépendance formelle de la Suisse négociée en Westphalie, la neutralité Suisse accordée à Vienne, la création de l’Etat fédéral, les deux guerres mondiales ou encore l’acceptation du nouveau canton du Jura ; l’esprit helvétique.

La Suisse a toujours su intégrer sa nation avec toute sa diversité, aussi grâce à ses liens forts avec l’extérieur, en s’intégrant à son tour dans l’espace international et en s’appuyant sur les règles et le droit international. Car la solidarité, notre ADN, mutuelle par définition, ne peut se déployer dans le repli sur soi.

Aujourd’hui, chers amis, nous célébrons notre appartenance à cette patrie.

Mais alors qu’est-ce que l’identité Suisse ?

Les citoyens de ce pays ne partagent ni la langue, ni la religion, ni la mentalité. Qui de vous serait d’accord de constater qu’un morgien partage la mentalité avec un habitant de Herisau[1] ?

En Suisse, entre compatriotes nous ne partageons même pas la même lecture de notre histoire commune. Napoléon, vu d’outre-Sarine, c’était l’envahisseur, le colonisateur, l’ennemi numéro 1. Mais en arrivant dans le Canton de Vaud j’ai constaté que les gens étaient beaucoup plus relaxes quant à l’empereur. Ça doit être la langue, la proximité culturelle je me suis dit. Jusqu’au jour où j’avais compris que celui que je considérais comme colonisateur était en fait celui qui chassait le colonisateur bernois du Pays de Vaud. Des Vaudois colonisés par des Bernois ?! On ne me l’avait jamais appris celle-là à l’école en Thurgovie !

La Suisse n’est pas une nation par identité partagée, nous sommes une nation de volonté. Le terme qui définit donc la Suisse et ses habitants, ce n’est pas « être », c’est « vouloir ». On ne peut pas « être » Suisse tout court, il faut surtout « vouloir », vouloir contribuer au bien de la patrie et au vivre-ensemble de ses habitant/es.

Être Suisse, ce n’est pas une simple affaire de sang ou de papier, être suisse c’est avant tout une question de cœur.


Ce texte est une version retravaillée de mon discours du premier août 2018 à Morges.

[1] La capitale du Canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures si jamais 😉

La norme pénale anti-homophobie : des conséquences pour la discrimination islamophobe ?

Ce 9 février, les Suisses voteront sur l’extension de la norme antiraciste aux actes homophobes. En cas d’un oui, la discrimination sur base de l’orientation sexuelle sera punissable comme l’est actuellement déjà celle sur base de l’appartenance raciale, ethnique ou religieuse.

Concrètement, celui qui inciterait d’autres individus à la haine ou à la discrimination homophobe sera poursuivi d’office et punissable d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire, si les propos sont tenus en public.

Ainsi, à la page 11, le 24Heures du 25 janvier 2020 nous donne quelques exemples concrets de cas qui pourraient devenir punissables si cette nouvelle norme est acceptée le 9 février :

  • Une patronne qui, dans son restaurant et devant d’autres clients, dirait à sa fille : « Ne t’approche pas trop d’elles, l’homosexualité peut être contagieuse. »
  • Le refus d’une prestation destinée au public, par exemple « un pâtissier qui refuserait de faire un gâteau de mariage pour un couple d’homosexuels. »

Ces exemples nous donnent une certaine idée des actes potentiellement punissable à l’avenir. Mais à quel point pourrait-on les généraliser ? Quid par exemple d’une personne qui appellerait publiquement des entreprises à ne pas embaucher des personnes homosexuelles ? Serait-ce punissable sous la nouvelle norme ? Intuitivement, on dirait oui, évidemment. Cela ne me semble pourtant pas aussi sûr que ça. Nous avons précisément ce cas en tournant simplement la page dudit 24Heures. C’est donc à la page 12 que Jean-Luc Addor, Conseiller national UDC valaisan, appelle publiquement les CFF et la Poste à ne pas embaucher des femmes appartenant à l’islam et portant le voile. Ayant l’habitude de ce genre de propos vis-à-vis des musulmans, je n’ai aucun espoir qu’ils soient poursuivis d’office comme on s’y attendrait s’il s’agirait de personnes homosexuelles (ou juives, ou de couleur, etc.).

« Ce n’est pas la même chose ! », nous dira-t-on. Dans le cas du voile islamique ça serait le port de cet habit, donc le comportement ostensible, la visibilité de l’appartenance qui invaliderait la protection contre la discrimination et non pas l’appartenance en tant que telle.

On peut entendre l’argument, mais que signifierait cette logique en analogie pour les personnes homosexuelles ? Que leur orientation sexuelle ne devrait pas se manifester au lieu de travail au risque de se voir invalider la protection contre la discrimination ? Qu’elles ne devraient jamais en parler ni porter un habit couleur arc-en-ciel au travail ?

On peut supposer que notre système judiciaire n’acceptera aucune discrimination entre des cas relevant d’une seule et même norme pénale. Cette extension de la norme antiraciste aux actes homophobes – en plus de son évidence frappante – nous permettra peut être aussi d’avoir une nouvelle perspective, voire une nouvelle pratique juridique, concernant les discriminations à l’égard des musulman/es.

L’inclusion de l’homophobie dans la norme pénale antiraciste me semble donc une excellente opportunité pour renforcer en parallèle la protection de personnes d’autres groupes protégés par cette loi.

Le combat contre la haine et la discrimination ne peut être sélectif, il nous concerne toutes et tous. Réunissons nos forces pour lutter contre toute sorte de discrimination, quel que soit l’auteur, quelle que soit la victime.

La constitution n’est pas au-dessus de tout: 10 ans d’interdiction des minarets en Suisse

Pourquoi revenir sur ce débat qui est clos depuis dix ans, demanderont certains. La réponse est simple : rarement les analystes politiques se sont autant trompé sur leur pronostiques, rarement une initiative a fait parler autant d’elle après le dimanche de votation et rarement les Suisses ont introduit une discrimination aussi frappante contre une minorité dans la Constitution. On pensait loin le temps quand les jésuites ou les clochers dans le Canton de Vaud étaient interdits ; c’est pourtant en 2009 que le peuple à introduit une loi d’exception contre une minorité religieuse dans sa Constitution à travers une réglementation de construction, qui, à priori, serait de compétence communale.

L’interdiction des minarets est donc une votation qu’on peut considérer, sans beaucoup d’exagération, comme historique pour la Suisse.

J’ai eu la possibilité de m’engager pour deux projets concrets autour de ce dixième anniversaire dont j’aimerais vous présenter quelques résultats principaux.

Le premier est un montage vidéo pour lequel j’ai interviewé des personnes choisies au hasard à travers un appel sur les réseaux sociaux. Je leur ai posé les questions suivantes, dont je vous présente les réponses dans la vidéo ci-dessous.

  • Est-ce que tu te souviens où t’étais quand t’as appris le résultat de cette votation ?
  • Quelles émotions cela avait provoqué chez toi ?
  • Quel était le message envoyé à la communauté musulmane de Suisse ?
  • Il y a-t-il une évolution depuis 2009 ?
  • Peut on voire des côtés positifs dans cette votation/interdiction ?
  • Aujourd’hui, faut-il garder, supprimer ou ignorer cet article constitutionnel ?

C’est parti !

Le deuxième projet était une table ronde[1] avec MM. Hafid Ouardiri (Fondation de l’Entre-Connaissance), Michael von Graffenried (photographe) et Dominique Voinçon (responsable catholique pour le dialogue interreligieux dans le Canton de Vaud. Les échanges étaient modérés par Sid Ahmed Hammouche, journaliste. J’en retiens entre autres la conclusion suivante :

A l’instar des dispositions de « l’initiative pour le renvoie des criminels étrangers », les juges n’appliqueraient probablement pas non plus l’interdiction de construire des minarets à la lettre, tout comme la première, elle viole des droits fondamentaux garantis dans la Constitution suisse et dans la Convention européenne des droits de l’homme[2]. La constitution n’est pas au-dessus de tout.

La construction d’un minaret reste possible en Suisse, elle serait à évaluer au cas par cas.

Faut-il pour autant forcer la main et tenter sa chance en passant par les tribunaux ? Non, certainement pas. Etant donné que le minaret n’est qu’un simple décor architectural, beau certes, mais pas nécessaire pour vivre la foi islamique, je suis opposé, en tant que musulman, à l’idée de générer des tensions inutiles, d’engendrer des frais de justice, de provoquer un débat public houleux juste pour éventuellement pouvoir imbriquer des briques d’une certaine manière. En revanche, en tant que citoyen, je reste, même après dix ans, profondément perturbé par cette disposition discriminatoire dans notre Constitution. On pourrait tout simplement attendre le prochain toilettage général de notre loi fondamental, en espérant que la suppression soit proposée. Cependant, la constitution suisse n’a connu que deux réformes depuis la création de l’état fédéral en 1848, à savoir celle de 1874 et celle de 1999. En l’occurrence, il faudrait s’armer de patience pendant quelques décennies probablement. C’est long pour les défenseurs de l’égalité et des droits fondamentaux, c’est trop long. Les jours suivant la votation en 2009, des voix s’étaient levées pour proposer un nouveau vote afin de corriger le tir. A l’époque, cela me semblait inapproprié. Dans la mentalité politique suisse il faut laisser passer un bon bout de temps avant de revenir sur le même sujet. C’était le cas, par exemple, pour le droit de vote des femmes, refusé une première fois en 1959, puis accepté en 1971 (12 ans après) ou encore pour l’adhésion de la Suisse aux Nations Unies, refusé en 1986 avant d’être accepté en 2002 (16 ans plus tard). Cela fait une moyenne de 14 ans d’attente. En revanche, l’interdiction des jésuites a été aboli après 126 ans seulement, par votation populaire en 1973. La Suisse semblait enfin prête à vivre véritablement sa tolérance et sa paix religieuse, jusqu’à ce dimanche en novembre 2009. Mais plutôt que de supprimer cette interdiction, il faudrait peut être la garder comme mise en garde par rapport aux failles d’un système qui pourtant se veut parfait, l’histoire nous jugera.

[1] https://gemperli-diversite.ch/972-2/

[2] https://www.nzz.ch/schweiz/auch-das-minarettverbot-gilt-nicht-absolut-1.17991202

La chute du mur et l’ère de l’écologie politique

Une ère nouvelle souffle sur le paysage politique suisse. Le 20 octobre 2019, le parti des Verts a marqué l’histoire en faisant élire 17 nouvelles et nouveaux parlementaires, c’est un record en Suisse depuis la mise en place du système proportionnel en 1919. Le parti fait plus que doubler sa députation et devient ainsi 4ème force politique du pays avec une prétention d’entrer au Conseil fédéral. Cette participation gouvernementale ne fait cependant pas unanimité auprès des autres partis. L’argument le plus fréquent contre ce rééquilibrage du Conseil fédéral est celui de la pérennisation du score. Il faudrait d’abord le confirmer lors des prochaines élections en 2023 pour s’assurer qu’il ne s’agit pas seulement d’un effet de mode à courte durée. L’histoire nous enseigne pourtant que les grands bouleversements sociétaux ont un impact de plusieurs décennies sur les partis politiques en Suisse.

Prenant l’exemple du Parti Radical-démocratique, prédécesseur principal du PLR, vainqueur de la guerre du Sonderbund et ainsi force motrice de la Suisse moderne et de ses institutions davantage centralisées. Ils ont dominé la politique suisse jusqu’à la première guerre mondiale, une bonne soixantaine d’années.

Le Parti Socialiste a connu le meilleur résultat de son histoire en 1943. Son ascension est due notamment à la crise économique après la première guerre mondiale qui avait provoqué la grève générale en 1918. En 1943, le PS a doublé ses sièges de 20 à 41 pour atteindre 28,4%. Cela fait presque 30 ans de succès électoral.

Manifestations le 4 novembre 1989 à Berlin-Est.

Et enfin, l’Union Démocratique du Centre doit son succès en grande partie à la fin de la guerre froide et à la mondialisation depuis les années ’90. Le nouvel ordre multipolaire du monde, l’éclat de guerres civiles jusqu’alors étouffées par la prédominance des deux forces majeures, les Etats-Unis et l’Union Soviétique, les nouveaux flux migratoires et les incertitudes ont provoqué des réactions nationalistes en Suisse et ailleurs. Une bonne trentaine d’années de réussite pour l’UDC pour arriver à son apogée de presque 30% en 2015.

Quid alors de la nouvelle ère après celle de la chute du mur ? Tout laisse à penser que nous venons d’entamer un nouveau cycle politique, celui de l’urgence écologique. Les scientifiques du monde s’accordent pour dresser un avenir sombre du monde et de l’humanité si le tournant climatique n’est pas assuré par des mesures politiques importantes et rapides. Des références comme le National Geographic n’hésite pas à parler de la 6ème extinction massive de la vie sur terre[1]. L’écologie politique restera sans doute une priorité sine qua non pour une certaine durée. Rien ne nous empêche de prédire une prépondérance progressive des Verts sur les prochaines décennies à l’instar de ce que le PLR, le PS et l’UDC ont connu dans le passé.

[1] https://www.nationalgeographic.fr/environnement/la-sixieme-extinction-massive-deja-commence