« Peut-on cohabiter avec les loups ? » Entretien avec Suzanne Stone.

Entre ceux qui protègent les loups et ceux pour qui le loup devient un fléau dont il vaudrait mieux se débarrasser, la palette est large, variée et finalement souvent nuancée. C’est tout un monde à découvrir, dont les enjeux notamment écologiques, économiques, éthiques et politiques sont complexes tant ils s’entremêlent et sont influencés par des préjugés, des idéologies, des mythes, des projections psychologiques, de la peur ou de la naïveté – rien que ça. Ils dépassent ainsi bien souvent la simple question de savoir si on est pour ou contre le loup.

En Suisse, comme ailleurs, une question devient pressante : comment vivre avec ce prédateur qui dérange à raison certains éleveurs, mais dont la présence est plus que bienvenue en vertu d’exigences de biodiversité évidentes ? La question reste ouverte et les solutions en devenir.

M’intéressant à cet animal et à la manière dont on l’appréhende, je vais à la rencontre de toute personne qui connaît, de près ou de loin, le loup. Sur cette page, je partage l’un de ces entretiens avec une spécialiste américaine du loup qui a bien voulu répondre à quelques questions élémentaires sur qui est le loup et une possible cohabitation avec lui. Une mission qui est au cœur de son activité.

Suzanne Stone travaille avec les loups depuis 32 ans aux États-Unis. Engagée pour la préservation de cet animal, elle collabore activement avec les éleveurs. Elle supervise actuellement le Wood River Wolf Project dont elle est la co-fondatrice. Basée depuis 2008 dans l’Idaho, dans l’ouest des États-Unis et à quelques kilomètres du parc national du Yellowstone, cette organisation non gouvernementale promeut la coexistence du bétail et des loups en favorisant des méthodes dissuasives et non létales. Suzanne Stone a récemment été nommée nouvelle directrice du International Wildlife Coexistence Network dont l’objectif est la conservation de la faune et la résolution de conflits par des approches non létales.

 

Suzanne, depuis combien de temps travaillez-vous avec des loups et pour quelles raisons ?

Je travaille avec les loups depuis 32 ans. J’ai d’abord étudié les méthodes que nous utilisons pour gérer la faune et j’ai finalement découvert qu’il existe des méthodes beaucoup plus efficaces, économiques, écologiques et humaines qui aident à réduire les conflits, tout en favorisant de saines pratiques de préservation.

 

Quelle est la durée de vie moyenne d’un loup ?

Un loup à l’état sauvage vie en moyenne 7 à 8 ans mais il a une durée de vie plus longue en captivité.

 

Tous les loups vivent-ils en meute ou certains sont solitaires ?

Tous les loups essaient de vivre en meute. Ils ont tendance à ne passer que peu de temps seuls.

 

Pourquoi dit-on que le loup est un animal social ?

Parce qu’ils sont étroitement liés à leur famille. Ils ont de solides structures de communication sociale y compris des comportements non verbaux qu’ils utilisent pour communiquer entre eux.

 

De quoi se nourrit le loup ?

Les loups sont des prédateurs et des charognards. Leur alimentation est presque exclusivement de la viande.

 

Tous les individus de la meute chassent-ils ?

Non, pas toujours. Les jeunes loups ne peuvent pas chasser efficacement seuls jusqu’à leur 10 mois environ. Habituellement, les femelles les plus jeunes et les plus rapides sont les chasseuses, et les mâles les plus costauds ont tendance à ne contribuer qu’à abattre les proies une fois qu’elles sont acculées.

 

On parle de territoire occupé par une meute, mais le loup n’est-il pas un peu nomade ?

Les loups ne sont pas nomades toute l’année. En fait, ils construisent ou aménagent une tanière et élèvent les louveteaux généralement au même endroit au printemps. Ils ont plutôt tendance à avoir de vastes territoires qu’ils couvrent régulièrement à la recherche de nourriture.

 

Les loups attaquent-ils des troupeaux parce qu’ils n’ont pas assez à manger parmi les animaux sauvages ?

Habituellement, non, ce n’est pas la raison. Ils ont plutôt tendance à attaquer les animaux domestiques car il y a un puissant élément attractif déclenchant leurs instincts de prédateurs ou de charognards. Les facteurs sont divers. Il peut s’agir de la présence parmi le bétail d’un mort, d’un malade ou d’un blessé. Les troupeaux sans aucune protection sont aussi attractifs, dans la mesure où ils sont un repas facile. L’on peut compter aussi les animaux qui mettent bas ou ceux qui semblent en détresse, par exemple.

 

Une cohabitation harmonieuse entre les êtres humains et les loups est-elle possible ? Et comment ?

Absolument, c’est possible. Il suffit de bien comprendre ce qui cause les conflits, les pertes, et quels sont les moyens les plus pratiques de les éviter.

 

Le loup peut-il comprendre qu’il ne faut pas attaquer les bêtes des troupeaux ?

Un loup n’attaque que ce qu’il juge attrayant ou qui n’est pas risqué. Si vous enlevez ce qui l’attire (un animal malade, mourant ou mort ou le fait qu’un troupeau ne soit pas protégé), vous retirez l’intérêt du loup pour la chasse aux animaux domestiques. C’est vraiment aussi simple que cela. Mais cela demande d’adopter une nouvelle approche pour gérer le bétail et être de meilleurs gardiens de troupeaux.

 

Quelles sont les mesures les plus pragmatiques pour éviter qu’un loup s’attaque à un troupeau ?

Il y a plusieurs techniques. Par exemple, réduire les facteurs attractifs pour le loup, travailler avec des chiens qui gardent le troupeau, ériger un certain type de barrières, augmenter la présence humaine autour des troupeaux, utiliser des outils et des tactiques pour effrayer le loup (alarmes, éclairages, munitions non létales), mais aussi changer régulièrement de lieux de pâturage. Les meilleurs moyens de dissuasion dépendent néanmoins de la situation locale, par exemple du type de bétail, des saisons, du terrain, de la présence humaine.

 

Avons-nous une idée de la façon dont le loup nous perçoit ?

Dans leur monde, je ne suis pas certaine qu’ils nous voient autrement que comme étant une source de danger.

 

Est-ce que le loup a peur de nous ?

Ils devraient. Seuls les loups qui évitent les humains typiquement survivent.

 

Au-delà des attaques de troupeaux, à votre avis, pourquoi les humains ont-ils peur des loups ?

Les mythes sont de puissants moteurs émotionnels du comportement humain et peu d’animaux sont considérés aussi négativement dans les mythes.

 

Doit-on avoir peur du loup ?

Non. Les loups attaquent rarement les gens.

 

Et doit-on avoir peur de sa prolifération ?

Les loups sont importants pour tous les écosystèmes où ils sont indigènes. Ils jouent un rôle écologique unique en réduisant les impacts dus à la présence des ongulés sur les terres et à la réduction des maladies parmi les ongulés.

 

Certains spécialistes du loup et d’autres passionnés disent souvent que les loups peuvent nous apprendre à être « plus humains ». Qu’en pensez-vous ?

Je pense que notre réaction face aux loups tend à ressembler au reflet de l’âme d’une personne dans un miroir. Si un loup évoque de la haine, alors la haine était déjà présente chez cette personne. De la même manière, s’il évoque de l’amour.

 

Avez-vous des conseils concernant la problématique du loup en Europe ?

Oui. Les loups peuvent nous aider à apprendre à être de meilleurs intendants de la terre – aider à en prendre soin et à la restaurer. Ce sont d’excellents enseignants si nous leur permettons de nous aider. Les propriétaires de bétail qui travaillent avec des loups et d’autres grands prédateurs, ici, dans l’Ouest des États-Unis, ont découvert que ces nouvelles techniques, et certaines anciennes, contribuent à restaurer le sol en renforçant la diversité à tous les niveaux. Un sol sain produit un bétail plus sain, un bétail plus sain résiste davantage aux maladies et aux prédateurs. L’ensemble du système fonctionne mieux si nous travaillons avec la nature plutôt que contre elle.

*Photo: Christel Sagniez, Wolf.

Parwana Emamzadah

Parwana Emamzadah-Roth est actuellement collaboratrice de recherche à l’Université de Göteborg, en Suède. Genevoise d’origine et anciennement assistante au département de philosophie de l’Université de Genève, elle s’est spécialisée en théorie de l’argumentation fallacieuse dans la tradition antique et médiévale. Férue de littérature, elle rédige aussi ponctuellement des articles pour les pages livres du Temps. Ce qui l’intéresse, c’est la manière dont l’autre comprend et pense le monde. Qu’il s’agisse d’un penseur du passé ou de son voisin de palier, c'est l’altérité qui nourrit sa réflexion.

3 réponses à “« Peut-on cohabiter avec les loups ? » Entretien avec Suzanne Stone.

  1. Moi, mon amour va vers l’espèce humaine avant tout.
    Avez-vous étudié ce qu’on pense du loup en Russie et dans certains pays de l’est?
    Pour l’instant les loups sont peu nombreux mais ils se multiplient vite. Ils se déplacent loin ce qui rend leur capture difficile.
    N’insistons pas sur le traumatisme affectif des bergers qui voient leurs moutons torturés.
    Si le loup provoque de la haine c’est parce que certaines personnes lisent encore les textes anciens du temps où les loups attaquaient les hommes et encore plus les enfants lorsqu’ils étaient trop nombreux.
    Vous écrivez : “lls jouent un rôle écologique unique en réduisant les impacts dus à la présence des ongulés sur les terres et à la réduction des maladies parmi les ongulés.” Faites confiance aux chasseurs pour réduire le nombre d’ongulés! Et mis à part en les tuant impitoyablement, je ne vois pas comment les loups réduisent leurs maladies.

    Dans mon pays, sauf pour certaines professions, il est interdit de posséder un révolver et un fusil serait trop encombrant pour courir. Ne me dites pas que le loup n’attaque pas l’homme. Il le fera quand il sera en grand nombre et que les moutons seront trop bien défendus.
    Pour ma part, je fais de longs joggings seul dans la campagne. Pouvez-vous me dire comment je dois me défendre si je me retrouve face à un groupe de loups affamés ?

  2. En tout état de cause c’est dans la compréhension des phénomènes de dispersion et comportementaux et dans l’analyse précise des contextes locaux qu’il est possible de se préserver de la déprédation. Les formations nombreuses et nécessaires en rapport avec la présence pérenne ou non du prédateur sont indispensables également, alors qu’une certaine forme de partage territoriale est souvent possible, si l’anticipation indispensable est mise en œuvre.

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