Vieillir quand on évolue dans le monde du rap n’est pas simple. Pourquoi? Ce mouvement a toujours été associé à la jeunesse (l’idée d’être et rester jeune) et son jeu reste dominé par les nouvelles voix dela génération contemporaine. Non seulement le public qui écoute ce type de musique est jeune, mais les artistes les plus écoutés le sont aussi. Ajoutons le fait que la jeunesse se reflète très régulièrement dans la musicalité des chansons et des thèmes traités… Bref ce n’est pas simple…
Le rap est aussi une musique qui se réinvente constamment, avec des artistes qui s’accusent entre-eux d’avoir «tué» le vrai hip hop – historique – en faisant une musique qui ne serait désormais plus «authentique».
Vieillir dans ce genre de musique est donc un privilège, car il faut mener une véritable épreuve de survie pour rester en tête d’affiche.
«Les jeunes vieux»
Il y a plusieurs façons d’être «vieux» dans la musique. «Relativement vieux», par rapport à l’âge moyen des autres musiciens dans le genre. Ce qui fait que Booba prend par exemple déjà sa retraite avec la sortie de son dernier album le 9 mars 2021 ou bien alors être «old school» (autrement dit, pionniers) de ce genre de musique. Citons notamment IAM ou Suprême NTM qui portent sur leurs épaules le poids de leurs longues carrières et continuent d’incarner l’histoire à chaque fois qu’ils montent sur scène. Enfin, «poétiquement vieux», comme Bigflo et Oli, qui se déclarent comme des «jeunes vieux» à cause de leurs habitudes hors normes pour des rappeurs. Et enfin, «métaphoriquement vieux» comme le souligne Youssoupha:
«J’ai une pensée pour tous les gens que j’ai perdus pour tous les vôtres aussi / Le nombre de mesures de ce texte si t’y penses / Est juste égal à l’âge moyen de l’espérance de vie en France / Mais ce n’est pas une question d’âge, de chiffres et de stats / Moi je te parle surtout de rage, de kiff et d’espoir Espérance de vie.»
De plus, pour les rappeurs qui grandissent dans des quartiers défavorisés et sont plus enclins à être exposés à des violences, la réalité de leurs vies antérieures à leurs carrières musicales les poursuit et peuvent résulter, aussi, en décès prématurés. Comme quoi plusieurs artistes restent jeunes, non pas par choix, mais plutôt par manque d’opportunité de vieillir.
Il est aussi aisé d’imaginer pourquoi l’idée d’une longue espérance de vie, ou bien de l’immortalité, est si attirante, comme si c’était un moyen de pouvoir échapper à la vie réelle et rejoindre le Pays Imaginaire où il est impossible – pour certains – de vieillir.
Le Pays imaginaire
D’ailleurs, ce que Peter Pan représente est une réalité qu’on vit de plus en plus chaque jour dans nos sociétés. On ne recherche pas forcément l’idée d’être immortel, mais plutôt celle de rester immortellement jeune.
La culture populaire de nos temps a pris l’interprétation la plus évidente de ce Pays Imaginaire, peut-être parce qu’il symbolise, de façon très poignante, la peur dominante existante dans nos sociétés: notre propre mortalité.
Tant dans la culture que l’imaginaire populaire, le Pays Imaginaire est un endroit où l’on vit pour toujours. Le cinéma, la littérature, l’art, la musique, il existe de nombreux rapprochement à Peter Pan, avec ce Pays imaginaire comme des synonymes d’immortalité. Pourtant, c’est un reflet des envies de notre société plus qu’une interprétation nuancée de l’histoire d’enfance de J. M. Barrie.
Alors que le symbolisme dérivé de l’histoire originale a construit ce pouvoir de vivre pour toujours et l’a lié étroitement au personnage de Peter Pan, dans le contexte du Pays imaginaire, les autres protagonistes (Wendy, John, Michael et les enfants perdus) retournent à leurs vies et leurs réalités après leurs aventures. Effectivement, ce que Barrie essaie de nous décrire c’est qu’il n’est pas possible d’éviter la mort. Il faut au contraire vivre avec, dans tous les sens que pourrait livrer cette affirmation.
Le Crocodile nous poursuit tous
Alors que penser de l’innocence débridée de la jeunesse alors que l’infini n’est pas encore un concept mais bien une vérité? C’est le renversement de cette conception qui constitue le passage à l’âge adulte. Le crocodile qui fait tic-tac nous poursuit tous. Nous savons, au crépuscule de notre enfance, qu’il doit en être ainsi, et il n’y a pas de plus grande certitude que cela.
Le cas Peter Pan n’a jamais été une question d’éternité ou d’immortalité. Il s’agissait de préserver non seulement la vie, pour ainsi dire, mais aussi un moment: le seuil de l’âge adulte, la veille du dénouement de l’innocence. Dans l’histoire originale, l’importance du Pays imaginaire n’est pas seulement la conservation de la jeunesse de soi-même, mais l’empêchement de la mort des autres, et surtout de ceux qu’on aime. D’y aller n’est pas un acte pour vivre éternellement, c’est un acte pour se rassurer que les autres ne puissent pas mourir.
La culture populaire a perdu cette vue d’ensemble en faveur d’une perspective individualiste. Néanmoins, le concept le plus difficile à accepter reste non pas notre propre mortalité, mais l’indéniable mort éventuelle de nos proches.
C’était bien cette idée fondamentale que J.M. Barrie, l’auteur de Peter Pan, a voulu mettre en avant et nous aider à digérer avec la création du Pays imaginaire, deuxième étoile à droite, et tout droit jusqu’au matin.
La (sur)vie des mots et de l’imagination
À la portée de notre humanité inhérente, le seul vaisseau que nous ne pouvons pas apprivoiser avec des limites est donc l’imagination. Et l’imagination existera aussi longtemps que nous pourrons laisser ses empreintes pour que d’autres les façonnent et les forment à leur tour. Tout comme J.M. Barrie nous a laissé le Pays imaginaire.
Les artistes laissent des traces d’eux-mêmes dans la culture populaire et publique, des traces de nos vies que nous aussi laissons derrière dans les souvenirs des autres. Ça représente une continuation de la vie au-delà de l’existence corporelle, soit à travers la mémoire, le patrimoine, ou bien la poésie.
Les artistes peuvent vivre toujours à travers leur musique et leurs paroles qui, de temps en temps, ont une vie et une importance complètement autre et séparées de la personne ou des personnes qui les ont créés.
Le 31 décembre 2019 (et non, pas 1813) j’avais écrit un article qui offrait un “résumé musical” des deux décennies précédentes. La première citation dans ce texte apparaît maintenant (et tristement) prophétique. Dans les mots de Missy Elliott (‘Pass That Dutch‘, circa 2003):
“Listen up, everyone! / We have been just informed that there’s an unknown virus that’s attacking all clubs / Symptoms have been said to be: heavy breathing, wild dancing, coughing / So when you hear the sound “who-di-whoooo!” / Run for cover, motherfucker!“
La Nostradamus du rap peut-être. En tout cas, cela vaut la peine d’écouter les paroles, et non seulement entendre la musique.
Pourtant, même si le public ne les écoute pas, les artistes ont vite senti l’importance de ce virus, que ce soit pour contribuer à l’effort contre cette maladie, ou pour saisir l’occasion de devenir viraux eux-mêmes.
Voici un petit historique de l’évolution du Covid-19 au travers d’une sélection de quelques chansons. [Pour une playlist plus exhaustive, dont le nombre de chansons sur le Covid-19 s’accroit de jour en jour, veuillez voir cette playlist sur Spotify]
Pourtant, avec toutes les nouvelles sombres liées au Covid-19, nous donnant envie d’annuler 2020 et de redémarrer l’année, il y a au moins deux choses qui sont devenues des distractions très efficaces, et des “boosts” pour le moral: la musique (of course), et l’humour.
Au début, le coronavirus était un phénomène d’outre-mer. On le voyait sur nos écrans, mais, comme toujours, on se disait, “jusqu’ici, tout va bien…” L’Asie s’est préparée vite, avec des chansons tout aussi cools qu’informatives qui ont créé un véritable buzz, et une sacrée danse pour nous apprendre à nous laver les mains: #Vietnam
Et oui, les gens ont même osé nommer leurs groupes de musique “Kung Flu” (malaise…) #Singapore
Désolée Donald Trump, ils y sont arrivés avant vous…
Et puis, le virus s’est rapproché. L’Italie était en première ligne, et elle a eu peur…(pour une fois, Bello Figo a été pris au sérieux, même par lui-même). #Italy
Le premier pays d’Europe de l’ouest à subir une épidémie pareille au XXIème siècle, les italiens ont ressenti la peur mélangée avec de l’incrédulité. Même avec des mesures strictes, les gens ne comprenaient pas pourquoi ils n’avaient pas le droit de sortir pour prendre un peu d’air. Les Italiens, comme toujours, l’ont pris avec humour:
Peu après, et au ralenti, les autres pays d’Europe ont commencé à comprendre qu’il fallait se préparer pour une vague similaire. Et donc… La #France a sorti une tube style ‘Je vais battre le virus avec mon masque (d’halloween).’ Enfin, le but était probablement de faire peur aux gens à travers cette musique, en les effrayant à maintenir une distance sociale (pas difficile pour toute personne qui m’approche avec un masque pareil). Si vous arrivez à voir cette vidéo sans la chair de poule, vous êtes mentalement prêts pour battre cette pandémie.
Lamentable qu’on ne puisse plus faire de poignées de mains stylées, mais pourquoi pas être créatif en créant un ‘foot-shake’ comme Ah Nice? Vous ne trouvez plus de masques dans les pharmacies? Pas de problème! L’#Allemagne nous propose d’utiliser les masques des artistes de graffiti. (Enfin! Le graffiti est légalisé):
Et puis, la Grande Bretagne, ces îles pluvieuses qui se sont traînassées avec leur réaction au virus en se disant que le Brexit allait les protéger:
Mais, enfin, le rap est arrivé pour faire comprendre à la population que s’ils n’éternuaient pas déjà dans les coudes (il a proposé les mains, mais on va lui faire un update), “Mate, that’s basic hygiene.” #UK
Le messager avait de bonnes intentions, même s’il n’avait pas encore maîtrisé le rap:
Une vérité qui s’applique aussi aux #USA. Dans ce cas, ignorons son flow médiocre parce qu’il avait quand même prévu la crise avant que son pays devienne le nouvel épicentre de la pandémie.
Petit à petit, tout le monde a rejoint ce choeur de chant et de réflexions, des fois instructifs, des fois ironiques, sur l’état du monde en 2020. #Australia
Et #DominicanRepublic. (Et ce vaccin dans la vidéo, j’espère qu’ils vont le partager avec l’OMS).
Tenez, c’est Donald Trump le moche et le méchant de cette histoire, même sud de l’équateur. #Argentina
Suivant la circulation du virus, l’Asie du Sud était next. Une alerte aux dangers du Covid-19 (et que non, ce n’est pas une blague) par Ali Zafar, un chanteur et acteur très connu du #Pakistan.
#India qui a choisit d’ajouter un petit message de paix à la fin de la chanson, pour montrer que, malgré le coronavirus, il y avait aussi d’autres soucis au début de 2020…
Et puis une mise au point de la situation, et un fort rappel que non, les jeunes ne sont pas naturellement immunisés et doivent quand même suivre les précautions d’hygiène. #Bangladesh
…et d’autres pour qui l’adage “l’enfer est pavé de bonnes intentions” prend tout son sens #lahonte
Et c’est le privilège qui se dessine à travers ces vidéos qui sortent maintenant depuis la mise en place du confinement. Ou, plutôt, ce que les privilégiés font quand ils sont face à une crise éxistentielle.
Oui, restez chez vous, c’est un conseil qui va sauver des vies. Mais que faire quand on se retrouve sans un chez soi où s’héberger, et plus de moyens de gagner sa vie à cause du #lockdown? C’est la vérité dure que vont vivre les gens pauvres et/ou sans abri en Suisse, comme en Europe, et dans des nombres encore plus importants dans les pays en voie de développement.
Cette pandémie est révélatrice. On évolue vers une mondialisation économique de plus en plus intégrée, mais les problèmes sont gérés au niveau national, même si les informations (vraies et fausses) traversent les frontières sans effort. Le monde qu’on pense connaître et reconnaître, particulièrement en Europe, ne doit pas être pris pour acquis. Les fractures existent partout; le sentiment que tout va bien et la critique tempérée appartiennent peut-être à une époque qui n’existe plus.
Éventuellement, quand la vague aura quitté l’Europe et s’attaquera aux pays encore moins capables de subir les conditions exceptionnelles que cette crise impose sur tout le monde, n’oublions pas la solidarité réfléchie et globale dans l’abondance de soulagement qu’on sentira lorsqu’on retourne à une vie (quasi-)normale.
Surtout, soyons solidaires, soyons prudents, et soyons informés. Ce n’est pas une question de qui blâmer; le coronavirus ne doit pas être conçu comme un point final au monde qu’on connaît, mais plutôt un point d’interrogation qui nous pousse à questionner ce qu’il faut changer dans nos sociétés, nos systèmes, et nos perspectives pour qu’on puisse mieux gérer, et mieux vivre ensemble. Pour terminer, on s’en remet à la sagesse de 2pac:
“We gotta make a change / It’s time for us as a people to start makin’ some changes. / Let’s change the way we eat, let’s change the way we live / And let’s change the way we treat each other. / You see the old way wasn’t working so it’s on us to do / What we gotta do, to survive.“
Rendez-vous chaque soir à 21h pour saluer le travail de tout ce personnel – médical, travailleur, et autre – qui porte le lourd fardeau de cette épidémie sur les épaules. #Applaudir
P.s. Si vous connaissez ou trouvez d’autres chansons liées au coronavirus, je vous invite à les poster dans la section des commentaires ci-dessous. Merci!
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Voici en annexe les chansons sur le coronavirus qui continuent à circuler depuis la publication de cet article #laplaylistdenotreépoque
(La deuxième dans une série de chansons sortant de leur confinement)
Un grand merci à tout le personnel qui sont en première ligne dans la guerre contre ce virus.
To (mis)quote Missy Elliott, “We have been just informed that there’s an unknown virus that’s attacking all [corners of the world]. Symptoms have been said to be: heavy breathing, wild dancing…”, unrealistic expectations, and a high chance of an anti-climatic end of the night.
Sound familiar?
It’s called the 31st of December.
That notorious time of every year when we reflect back on the past 12 months with the circumspection only retrospect can offer, and then promise ourselves that, come the new year, we’ll leave the past behind us, and be “harder, better, faster, stronger…”. Until we remember that Kanye West thinks slavery was a choice, and maybe we shouldn’t be taking his advice. At least, not literally.
And then there’s the 1st of January.
The one day of the year when your expectations are equally matched by your enthusiasm to see them fulfilled: bring on the gym subscription, organic foods, and moral high ground. Post-31st night recovery, of course.
In summary: 31st December-1st January = FOMO + dancing + denial + disillusionment.
Sounds delightfully deleterious.
Yes, that gap between what we imagine and what we live might be particularly gaping at this time of year. And yes, we’ll once again make resolutions that we know we’ll never keep. But what’s the fun in life if we don’t dream a little and then faceplant on reality? In the sage words of OutKast, “You can plan a pretty picnic / but you can’t predict the weather.”
If we’re going to fail, let’s do it properly, with a cup full of denial with which to toast the countdown to midnight. And this time, we’ll be grooving not just into a new year, but a whole new decade. If that isn’t a reason to hope that everything will transform overnight into a peaceful, happy world, and wake up with the hangover of reality, I don’t know what is.
And let’s not let the political and economic devastation of the last two decades make us forget the cool things that have happened too, especially in music. So cool in fact, some of them are ice cold.
In a decade that saw Kendrick Lamar win the Pulitzer Prize for his lyrical mastery, and Hamliton become the first hip hop musical (and retelling of history) to grace broadway, hip hop has become the popular cultural norm in a way that no one dancing at a bloc party in 1973 could have anticipated.
So here are a just a few of the Hip Hop tunes [linked to the Spotify playlist] that sent waves through the global (sound) system, and that stood up for the good things in the past two decades.
Hip Hop began to grow out of its homophobia
Frank Ocean came out as bisexual; Lil Nas X came out as gay. Macklemore and Ryan Lewis broke the lyrical barrier around the conversation about homosexuality, in hip hop and the world at large.
And shout out to Logic, Alessia Cara, and Khalid for this powerful video:
Women represented themselves, and were represented, more and better
Nicki Minaj and Cardi B (oh yes, I went there) both fearlessly embraced their own sexualisation and sexuality from a position of power.
Their lyrics didn’t have to centre on their being women to make a space for them in hip hop; they came forward with their own voices, loud and clear, and unashamedly capitalist.
Not that there weren’t outright feminist tunes: Chilla turned sexist slang on its head, in song after song after song. [see the Spotify playlist for more]
Janelle Monaé’s video speaks for itself…
Raja Kumari brought multicultural identities to a whole new level, mixing diverging national art forms and cultural references effortlessly with an uninterrupted flow.
Unmatched lyrical fire by Lady Leshurr. That’s why it’s called the Queen’s Speech.
M.I.A. produced yet another politically astute album, and most pertinently, a video to oppose the system. Only real talk.
Lizzo became the new beacon for loving everything that you are. Gangsta, feminist, and smooth & sassy, all at once.
Shoutout to Lupe Fiasco, as well as Bigflo & Oli, for being male voices advocating for women, following in the footsteps of 2pac.
[Maître] GIMS collaborated across borders – with artists singing in English, Spanish, Armenian…
Let’s not forget the OGs of breaking language barriers: Outlandish.
Immigrants proudly had their say, linguistically, culturally, and politically.
And of course, there was the advent of worldwide appreciation for K-Pop. BTS have now transitioned into full-on pop sound, but since they began as a hip hop group, let’s give them the benefit of the doubt.
A lot has happened in the world. There were sharp words thrown at politicians, politics, and society throughout the first two decades of this Millenium, and even if many important conversations are now being had in Hip Hop, there is still space for more.
In view of the next ten years, let’s remind ourselves how this era began…
…how it’s ending…
…and the important conversations that still need to (continue to) be had…
It’s never been easier to have an opinion. Social media has democratised not only the knowledge upon which people can rely to bolster their ideas, but also the platforms upon which these can stand. And yet, these are minute-by-minute opinions; time is immediate, and so must you be, otherwise you will necessarily fall behind. In fact, it is so easy to get caught up in ‘opinionating’, that argumentation and reflection get lost in the process, and nothing bears the mark of this more powerfully than popular culture.
Popular culture today is opinion. And so, here is mine.
Can music be (im)moral?
Music is a part of the everyday for most people, whether it is secluded by earphones to be heard only by the listener, or on a boombox (forgive the 90’s reference) to encompass a larger audience. And yet, how often in the process of listening to music do any of us ponder the morality* of the act? A little, perhaps? Negligible at most.
Morality in music appears mostly in the negative, delineating those genres to which someone will not listen rather than a reflective instinct on what is actually being heard. Within this, rap music, and hip hop culture in general, are the typical scapegoats not just for unreferenced opinion, but a strong attachment to moral highground that may be otherwise weak or entirely missing in other aspects of our lives.
Yes, the moral highground is extremely appealing when it appears to us to be useful and contextually appropriate. And rap is easy to lambast and take down. Hip hop culture as a whole has garnered a (not incorrect, if utterly under nuanced) reputation for housing homophobia, misogyny, and encouraging violence (features which, over time, seem to have begun to be eroded). Rap in particular has nurtured this by giving vocabulary to these otherwise often visually depicted themes.
What about other genres of music?
Yet, by giving so much space to words, rap has the unusual privilege of polemic and discourse in a way that other genres do not. By being a vocal rendition of a rapper’s opinion, thoughts, reflections, throwaway comments, freestyles, idioms, and so on, it gives the listeners a far larger and more open canvas from which to judge its morality than other kinds of music.
Therefore, not only do most people have an opinion on rap (whether they actively or passively listen to it), but they are also usually armed with at least a small collection of evidence to support their impassioned stances on the genre. Of course, one need not have a particularly nuanced take in a matter of taste – rap can be disliked simply because it is not liked, without needing a riveting and evidential argument to support this. Yet, it nevertheless provides the opportunity for such a thing to be developed.
Where, then, does morality fall? With regards to rap and hip hop in general, a moral stance seems to come easily to most people. Opinions come ready-made in popular culture and discussions on hip hop’s constant misogyny, homophobia, and crude capitalism amongst its other vices and tropes. Even those who do not regularly listen to rap have an opinion on it ready to serve to whoever is willing to hear. The line therefore seems quite well demarcated – there are those who will listen because of what rap has to say; those who will listen despite what rap has to say; and those who won’t listen to rap for both of the aforementioned reasons. Other musical genres on the other hand are not as categorical.
The balladist form of song-writing hinges on a greater equilibrium between melody and words. The tradition of a repeated chorus (and perhaps a bridge) leaves very little time and space for a varied and detailed lyrical discourse that goes beyond the central theme of the song. While there is a great amount of music of this form, stretching across many different genres, that also espouses a political stance and element (and several different points on the political spectrum), when the theme is not political, controversy is somewhat more shielded, often metaphorical, and easier to dissociate from the artist and art.
What then, do we make of such artists as Eric Clapton, who never explicitly or intentionally forayed into political commentary of any kind musically, but interrupted his own concert in August 1976 to hold forth, inebriated, on his intense dislike of immigrants in Britain, his belief that they should leave the island, and his admiration for the politician Enoch Powell, who, not long before, had made his infamous ‘Rivers of Blood’ speech. It was politics on stage, but not of the lyrical kind.
Very few people actually know (or choose to remember) that Eric Clapton voiced such views. That his 1976 remarks sparked an entire movement entitled ‘Rock Against Racism’ is even less known. How short is societal memory?
In fact, Clapton went on to reiterate those views as recently as 2003 in a far more lucid state. Politics do not come into Clapton’s music, but can we, and should we, dissociate the musician from his openly expressed views? And that is what brings us to the next part in our question: where, then, does morality lie in other genres of music?
Do we question the sexism and sometimes crude misogyny of dancehall and reggaetón, while we move our feet swiftly (or not) across the dancefloor? And how many of us ceased to bop along to Chris Brown’s alluring beats after he physically assaulted Rihanna? If the #metoo movement is anything to go by, it is, in intention at least, a campaign to raise awareness of the things we let exist by conscious negligence. If Harvey Weinstein’s deplorable acts are enough for us to wish to boycott his movies, why should we treat music any differently?
Does instrumental music have a word to say in all of this?
The problem of morality takes on an even more complicated form when it comes to music that may leave no space to lyrics at all. Classical German composer Richard Wagner (who, incidentally, was a ‘sans-papiers’ fleeing the law in Germany while living in Zurich), is of course, the prime example of this. He is infamous, particularly in Israel and Germany, for making a concerted effort to instil in his music his strong antisemitism, which had already been made evident in his treatise “Judaism in Music” (1850). Where lyrics are (often) entirely absent, and there is an instrumental representation of views, should the listener be made aware of the melodic twists and turns that are intended as descriptions of hateful concepts and ideas?
In an interview in January 2018, Eric Clapton addressed his inflammatory remarks in 1976 and suggested that his words were the product of his being a “simple-minded, working-class villager”, linking this kind of mentality to the results of the Brexit referendum. Leaving aside the question of whether or not this comprises an adequate apology, or whether such a thing would even be possible, it brings to the fore the question of where we draw the line between culture and politics.
Should we be aware of the politics of the artists to whom we listen, whom we may even love, or whose music may profoundly move us? And if so, is it the responsibility of the artist to integrate an explicit underscoring of his or her politics in the music produced so that the listener is immediately aware and can make an informed decision? And what of his/her context, and the fact that his/her views fell not so far from the median of the society and the time in which he/she lived? How effectively can we really separate music from the society that enables its production?
Music, after all, is by and large a recreational art for most people – something to listen to, to be inspired by, or to keep us company as we carry on with our everyday.
Are we then to moralise every second that we spend thinking of other things, to maintain the sacred boundaries of our moral highground?
You might query why this should be something worth discussing. Aside from the moral reflexive that we should perhaps all exercise more often than we do, it has inadvertently become more relevant in the contemporary world because immigration and identity have taken on (a)new centrality to the way that the world behaves and communicates.
Morality therefore might be too vague a term; what is happening in fact is that listeners are becoming aware of their own identity, which increasingly seems to be at odds with the views of their musical idols.
Music is a personal venture most of the time – it’s about what moves you, even if you enjoy it in the social atmosphere of a crowd. And if it’s personal, but you’re listening to something written for people who are not like you, then you might encounter some dissonance. A kind of cosmic discord emerges between the musician and the listener.
Cultural appropriation, political views – all of these become enmeshed in what we ultimately define as good music. Humans are complicated, particularly since we necessarily exist amongst other equally complicated humans. What a kerfuffle.
This dissonance may arise from precisely this: in an age where everything needs to be riddled down to 140 characters, there is very little space (quite literally) to engage in a more profound debate about how we relate to the popular culture in which we are entirely immersed. From the world we now inhabit, where gifs, memes and emoticons communicate feelings and expressions, for which explicative sentences or regular punctuation seem old fashioned and redundant, morality appears too murky and obscure a territory to wander into.
Scandal, you see, can be both caused and reversed in twitter exchanges, or headlines. It is easy to watch it unfold and feel involved without having to associate any sense of morality with the outcome. No one has a nuanced opinion on the Trumps or Boris Johnsons of our time – it is a simple line between love and hate, and a debate that develops in exclamations.
So, can listening to music be an act of moral hypocrisy?
In his treatise on The Institution of Music, the philosopher Boethius proposed three ‘levels’ of music of which we, in the mortal world, are capable of recognising but one: musica instrumentalis, or music that is produced by the means of instruments. Within this form of music, there are a further three levels of engagement: the composer, the musician, and the listener. Boethius suggested that of the three, the listener was the most enlightened, retaining the facility (and the possibility) not just of listening to the music, but also of understanding it. Though scientifically outmoded, this philosophical concept does contain an important idea: if we accept that we are thinking, responsible individuals, then we are not only capable of agency, but should perhaps be exercising it too. Then, we too hold a certain responsibility with regards to the music we consume.
Perhaps the answer is not to draw a simple line between morally ‘acceptable’ vs. ‘other’ music or art forms, or artists, but simply to make an effort to be more aware of the context from which things emerge and evolve. This can facilitate a deeper understanding and conversation about what we are collectively consuming and endorsing, and bring insight to those situations encountered frequently – when we mentally switch off from the uncomfortable pronouncements in the lyrics of ‘that popular song’ on the radio and hum along, even if our gut instinct was to switch it off.
The moral dilemma becomes ever more complex considering that every time we spin a song on Spotify, or replay on YouTube, we are endorsing (financially and officially) that artist and everything that he or she represents (consciously and unconsciously).
Perhaps the point is to be aware, and to engage in dialogue, and understand, so that we acknowledge the complexities of even our everyday choices that seem so ordinary but might have reaches far beyond our own significance.
This is about identity – however that defines itself for the individual listener. That individual may make a personal choice to ignore politics in favour of melody and the emotions that it brings forth, and that may be the more forgiving, wiser thing to do. For, once we start to unravel things at the seams to examine their inner contents and whether or not we can politically accept this art, it may be that the sensory pleasures are lost entirely. That would be a sad, soundless, and empty world.
Isn’t it precisely this duality, this compartmentalisation of human enjoyment as against reality, that allows us on the one hand to dance in ecstasy to the sounds of Stromae’s liberating chorus in ‘Alors on danse’, while forgetting his poetic but harsh depiction of life in the verses that contain it? It is this very same instinct that allows people to listen to songs as they aim insult even at them. But is this ignorance or survival?
The responsibility of the artist is an ever-present question mark. And while rappers at least have been forthcoming about claiming their influence when it is a force for political and social revolt in the name of justice, they have eschewed acknowledgement when it comes to themes of suicidal violence, misogyny, and gun-crime. You can wreak a lot of havoc with a pen, for both better and worse, but so far people have tended only to take responsibility for the former, even when their own words are testimony to their sway on both counts. Yet, because of rap music’s ever-widening reach, it has constantly been both the subject of, and a hefty contributor to, the conversation. The discussion should be more universally attended; perhaps those 140 characters that encourage instantaneous opinion might serve that very purpose.
In view of greater participation, it is to ourselves that we must address the final question: to what extent can we talk about morality and music/culture without then asking whether the morality of music is extricable from the realities of the world we inhabit? If music is representative, then we too have our part to play, for what are musicians if not more visible members of the society in which we all co-exist? Reflection and judgement, particularly when those must be passed on your own morals, are not the tenets of easy-listening. No one really wants to do either when you can just turn on a tune and get lost in its beats. As D12 put it, “It ain’t nothin’ but music,” right?
#itaintnothinbutmusic?
Thank you for reading!
*For the purposes of this article, morality is understood as the basic notions of right and wrong that guide the individual, rather than the more complex, philosophical sense of the term.
Il n’a jamais été plus facile d’avoir une opinion. Les réseaux sociaux ont démocratisé non seulement les connaissances sur lesquelles on peut compter pour donner de la force à ses idées, mais aussi les plateformes qui les propagent. Et pourtant, il s’agit d’opinions-minute: tout va très vite, et nous devons réagir à l’instant, sans quoi nous nous retrouverions immanquablement à la traîne. En fait, il est tellement facile d'”opinionner”, que l’argumentation et la réflexion se perdent en cours de route. La culture populaire en est la représentation la plus flagrante.
La culture populaire d’aujourd’hui est une opinion en soi. Voici la mienne.
La musique peut-elle être immorale?
Pour la plupart des gens, la musique fait partie du quotidien, que l’écoute soit privée grâce à des écouteurs, ou partagée sur un boombox (pardonnez la référence nineties) pour inclure un plus large public. Cela étant, lorsque nous écoutons de la musique, à quel point réfléchissons-nous à la moralité de notre acte? Un peu, peut-être? Très peu, voire pas du tout.
La moralité* dans la musique apparaît surtout de manière négative. Elle sert à définir les genres que l’on n’écoutera pas, plutôt qu’à juger ce que l’on écoute. Le rap et la culture hip-hop en général en sont les boucs émissaires typiques, non seulement par le rejet des opinions non fondées, mais aussi par la conviction d’une supériorité morale, même si cette conviction peut être faible ou inexistante dans d’autres aspects de nos vies.
Oui, la supériorité morale est extrêmement attirante lorsqu’elle nous semble utile et pertinente. Et il est facile de s’en prendre au rap, de le mépriser. La culture hip-hop dans son ensemble s’est forgé la réputation (qui n’est pas foncièrement incorrecte, même si elle manque totalement de nuance) de prôner l’homophobie, la misogynie, et la violence. Le rap en particulier a entretenu cette réputation en donnant un vocabulaire à ces tendances par ailleurs très souvent visuelles (voir par exemple le rôle des femmes dans la plupart des clips de rap).
Et les autres genres alors?
Pourtant, en donnant autant de place aux mots, le rap a l’avantage inhabituel de s’offrir à la polémique et aux discours, d’une manière différente de celle des autres genres. Etant donné que le rap est une interprétation vocale de l’opinion du rappeur, de ses pensées, réflexions, commentaires lancés, freestyles, idiomes, et j’en passe, il offre aux auditeurs une plus grande variété d’aspects sur lesquels juger de sa moralité que ne le feraient d’autres genres musicaux.
Par conséquent, non seulement la plupart des gens ont une opinion du rap (qu’ils en écoutent de manière active ou passive), mais ils sont aussi, la plupart du temps, armés d’au moins un petit faisceau de preuves pour étayer leurs positions passionnées sur le genre. Bien évidemment, en matière de goût, il n’est pas obligatoire d’avoir un point de vue spécialement nuancé: on peut détester le rap tout simplement parce qu’on n’aime pas ça, sans argument captivant et probant à l’appui. On pourrait s’en tenir à ça. Le sujet mérite cependant d’être développé.
Sur quoi porte la moralité? En général, en ce qui concerne le rap et le hip-hop, il est facile pour la plupart des gens de porter un jugement moral. Dans la culture populaire comme dans les discussions sur la constante misogynie, l’homophobie, et le capitalisme cru du hip-hop, les opinions sont toutes faites. Même ceux qui n’écoutent pas régulièrement du rap sont tout prêts à les débiter à qui veut bien les entendre. La frontière semble toutefois être plutôt bien démarquée – il y a ceux qui écoutent du rap à cause de ce que celui-ci a à dire; ceux qui écoutent du rap malgré ce qu’il a à dire; et ceux qui n’en écoutent pas du tout pour les deux raisons à la fois. Par contre, le jugement moral porté sur d’autres genres musicaux n’est pas aussi catégorique.
La forme balladiste de la composition musicale repose sur un plus grand équilibre entre la mélodie et les mots. La tradition d’un refrain répété (et peut-être d’un pont) laisse très peu de place pour un discours lyrique varié et détaillé allant au-delà du thème central de la chanson. Alors que de nombreuses ballades de différents genres défendent des positions politiques de toutes sortes, il suffit que le thème ne soit pas politique pour que la controverse soit davantage atténuée, souvent cantonnée à la métaphore, et plus facile à dissocier de la composition musicale elle-même.
Que fait-on alors d’artistes comme Eric Clapton? Musicalement, il ne s’est jamais lancé dans aucune sorte de commentaire politique de manière explicite ou intentionnelle. Pourtant, il a interrompu son propre concert en août 1976 pour disserter, ivre, sur son intense aversion des immigrants en Grande-Bretagne, sa conviction qu’ils devraient quitter l’île, et son admiration pour le politicien Enoch Powell, qui, peu de temps avant, avait donné son discours tristement célèbre des “Fleuves de Sang“. C’était de la politique sur scène, mais pas du genre lyrique.
Très peu de gens savent vraiment (ou choisissent de se souvenir) qu’Eric Clapton a exprimé de tels points de vue. En fait, il a réitéré ces propos pas plus tard qu’en 2003, et dans un état bien plus lucide. Le fait que ses remarques de 1976 ont donné naissance au mouvement Rock Against Racism (le rock contre le racisme) est encore moins connu. A quel point la mémoire sociétale est-elle courte? La politique n’entre pas dans la musique de Clapton, mais pouvons-nous, et devrions-nous, dissocier le musicien des opinions qu’il exprime ouvertement? Ceci nous amène à la prochaine partie de notre question: sur quoi porte la moralité dans d’autres genres musicaux?
Remettons-nous en question le sexisme et parfois la misogynie grossière du dancehall et du reggaetón, pendant que nous dansons (ou non) sur le dancefloor ? Et combien d’entre nous ont cessé d’écouter les chansons séduisantes de Chris Brown suivant son agression de Rihanna ? Si l’on en croit le mouvement #metoo, il s’agit, du moins dans l’intention, d’une campagne de sensibilisation aux choses que nous laissons exister par négligence consciente. Si les actes déplorables d’Harvey Weinstein sont suffisants pour que nous voulions boycotter ses films, pourquoi devrions-nous traiter la musique différemment ?
La musique instrumentale a-t-elle un mot à dire?
Le problème de la moralité est encore plus complexe lorsqu’il s’agit de musique qui ne laisse pas ou peu de place aux paroles. Le compositeur allemand Richard Wagner en est bien sûr le meilleur exemple. Il est célèbre (du moins en Allemagne) pour avoir fait un effort considérable pour instiller son fort antisémitisme en lien avec sa musique. Là où les paroles sont (souvent) entièrement absentes, et où les opinions sont représentées par des instruments, l’auditeur devrait-il être mis au courant des jeux mélodiques destinées à illustrer des concepts et idées remplis de haine?
Devrions-nous être conscients des politiques des artistes que nous écoutons, que nous aimons peut-être beaucoup, ou dont la musique nous émeut profondément? S’il en est ainsi, est-ce la responsabilité de l’artiste d’intégrer une explication claire des politiques présentes dans la musique qu’il produit, afin que l’auditeur puisse en avoir conscience immédiatement et qu’il prenne une décision éclairée? Et, enfin, est-ce que c’est contre l’individu qu’on doit diriger nos valeurs et moralités, ou contre la société et l’époque qui ont créé, toléré, et accepté ses idées ?
Après tout, pour la plupart d’entre nous, la musique est, grosso modo, un art récréatif – quelque chose à écouter, quelque chose qui puisse nous inspirer ou nous tenir compagnie pendant que nous suivons notre routine.
Faut-il pour autant moraliser chaque instant, afin de préserver la conviction de notre supériorité morale?
On pourrait même se demander s’il vaut la peine d’en discuter. Mis à part la réflexion morale que nous devrions peut-être exercer plus souvent, cette discussion est devenue, sans qu’on le veuille, plus pertinente dans le monde contemporain, parce que les questions d’immigration et d’identité ont trouvé une centralité nouvelle dans la manière dont le monde se comporte et communique.
Toutefois, il se peut que “réflexion morale” soit une notion trop vague: ce qui se passe en réalité, c’est que les auditeurs sont en train de prendre conscience de leur propre identité, qui peut être incompatible avec les points de vue de leurs idoles musicales, ou vice versa, et cela bien plus souvent qu’on ne l’imagine.
La musique et notre propre moralité
La plupart du temps, la musique est une initiative personnelle: c’est une question d’émotions, même lorsqu’elle est appréciée dans l’atmosphère sociale d’une foule. Et si c’est une affaire personnelle, mais que ce que l’on écoute a été écrit pour des personnes qui ne nous ressemblent pas, on peut se trouver face à un dilemme. Une sorte d’occasion cosmique manquée, où les sentiments du musicien et de son auditeur divergent totalement.
L’appropriation culturelle, les opinions politiques – tout ceci fusionne dans ce que nous définissons finalement comme “de la bonne musique”. Les humains sont compliqués, d’autant plus qu’ils sont obligés de coexister avec d’autres humains tout aussi compliqués. Un sacré cheni!
Il se peut que ce dilemme vienne précisément de ceci: à l’heure où tout doit se dire en moins de 140 caractères, il reste très peu d’espace (au sens propre du terme) pour engager un débat plus approfondi sur la manière dont nous appréhendons la culture populaire qui nous environne. Avec les gifs, les memes, et les émoticônes que nous utilisons pour communiquer nos expressions faciales (chose pour laquelle la ponctuation normale, et encore moins les phrases explicatives, ne suffisent désormais plus), la moralité est un territoire philosophiquement trop sombre pour s’y aventurer.
Un scandale, voyez-vous, peut être à la fois causé et retourné contre l’expéditeur dans les échanges sur Twitter ou sur les manchettes. Il est facile d’assister au développement d’un scandale et de se sentir concerné, sans se poser de question sur la moralité de celui-ci. Personne n’a d’opinion nuancée au sujet des Trump ou des Boris Johnson de notre époque; la distinction est simple: on aime ou on déteste, et c’est un débat qui se développe en exclamations.
Alors, a-t-on le droit d’écouter de la musique qui va contre ce qu’on considère nos morales?
Le philosophe Boethius, dans son oeuvre L’Institution musicale, considère trois niveaux de musique, dont un seul nous est accessible: la musique qui est créée par des instruments. Dans cette musique, il existe encore trois types d’engagement: l’instrumentiste, le compositeur, et le consommateur. Boethius propose que le consommateur est le plus éclairé, parce qu’il retient la facilité (et la possibilité) non seulement d’écouter la musique, mais aussi de la comprendre. Si nous acceptons cette idée, nous devrons aussi accepter une responsabilité vis-à-vis ce que l’on consomme.
La solution n’est peut-être pas d’établir une distinction entre des musiques, formes artistiques, ou artistes moralement “acceptables”, et d’autres qui ne le sont pas, mais peut-être simplement de chercher à mieux comprendre le contexte qui donne naissance à une œuvre, de manière à ce que nous puissions tenir une conversation plus éclairée et avoir une meilleure compréhension de ce que nous consommons tous et que nous approuvons, en faisant abstraction de notre moralité lorsque le tube du moment passe à la radio, même si notre instinct nous pousse à faire le contraire.
Le dilemme moral devient encore plus complexe si nous prenons en compte le fait qu’à chaque fois que l’on écoute une chanson sur Spotify ou Youtube, nous soutenons financièrement et officiellement l’artiste en question, ainsi que tout ce qu’il représente (consciemment et inconsciemment).
Peut-être que le but est de développer une conscience, un dialogue, et une compréhension, afin de reconnaître la complexité qui guide nos petits choix quotidiens et qui peut nous dépasser.
C’est une question d’identité, qui est propre à chaque auditeur. On peut choisir d’ignorer la politique en faveur de la mélodie et des émotions mises en avant, et cela peut être la meilleure chose à faire. Parce qu’une fois qu’on commence à disséquer les éléments pour en examiner les contenus, et que l’on se décide sur le fait de pouvoir ou non accepter politiquement l’oeuvre en question, il se peut que les plaisirs sensoriels que nous tirons de la culture soient entièrement perdus. Nous vivrions alors dans un monde triste, vide et sans son.
N’est-ce pas précisément cette dualité, ce fossé entre le divertissement et la moralité, qui nous permet d’une part de danser en extase au son du refrain libérateur de Stromae dans “Alors on danse”, tout en oubliant ses allusions prudentes dans les couplets qui l’entourent? C’est ce qui permet aux gens d’écouter des chansons alors même qu’elles insultent les personnes qui se déhanchent à leur rythme. Mais est-ce de la survie, ou de l’ignorance?
Le fait est que nous nous sommes voilé la face. Nous ne pouvons pas parler de l’opposition moralité/musique (ou culture), sans nous demander si la moralité de la musique peut être extraite des autres réalités du monde actuel. Si la musique représente la moralité, alors c’est à nous de nous poser cette question. Et personne n’a vraiment envie de faire ça quand on peut simplement presser sur un bouton et se perdre dans le rythme de son tube préféré.
#cenestquedelamusique? #itaintnothinbutmusic?
Merci pour votre lecture!
*Dans cet article, ‘la moralité’ consiste de nos morales et valeurs; le but de cette pièce n’est pas de se lancer dans une discussion philosophique sur la définition de la moralité.
Cet article a été traduit d’anglais en français par Alexandra Délèze-Black.