(ou le mythe du citadin qui aimait les paysages alpins vierges et de l’administrateur qui n’aimait pas suer*)
Proposer d’aménager un sauna design et écologique sur le tracé du bisse de Bruson, petit village valaisan du Val de Bagnes, voilà un projet en zone rurale qui s’est transformé en défi impossible et devient à notre sens l’emblème typique des difficultés que rencontre la montagne et ses habitants pour faire vivre leur région.
Voici donc l’anecdote pour bien comprendre ce phénomène qui raconte, bon gré malgré, la difficile tâche d’offrir un peu de vapeur à des visiteurs curieux. Il faut tout d’abord s’imaginer un sentier enchanteur de moyenne montagne attirant chaque année plus de 30’000 personnes au cœur des Alpes, un lieu de passage convivial réaménagé par les habitants pour faire vivre leur patrimoine. Et il faut mettre cela en perspective à ce qui nous inquiète tout particulièrement, le risque qui se développe depuis quelques années et dont on ne parle pas assez, celui de mettre la montagne sous cloche, au détriment même de projets les plus écologiques et locaux possibles.
Une idée accessible à la plaine peut-elle être un projet pour la montagne?
Partant du constat naïf qu’une bonne idée pour les hauteurs en vaut une autre au bord du lac et qu’offrir gratuitement aux visiteurs et habitants du village une construction sur pilotis entièrement démontable, pensée uniquement en matériaux locaux et bio-dégradables se présente à nos yeux comme un projet relativement simple. Notre plus grande contrainte nous semblant être le financement. Quelle erreur. Rassembler les fonds est une formule de politesse face aux démarches administratives qui attendent toute association, fondation ou structure de bien public pour amener un brin de vie et de bonne humeur dans l’arc alpin.
Mais revenons en à la vapeur. Une étude d’architecte sous le bras, la demande est officialisée à la commune, consultée au préalable et favorable au projet. Malgré un début prometteur, la réponse de l’Etat sera sans appel : impossible de construire hors zone à bâtir sur un terrain mis à disposition, même pour un projet de bien commun et démontable en tout temps. Même si à cet emplacement un petit bâtiment y est déjà aménagé. Hors, évidement, des zones à bâtir à l’extérieur des villages à la montagne, il n’en existe plus grand nombre et encore moins où l’on souhaiterait en trouver pour des projets de cet acabit.
Tenaces, un rendez-vous nous est accordé avec les juristes de l’Etat. L’explication est irrévocable, aucune possibilité de monter un projet de ce type, il y aurait un trop grand risque d’amener du monde dans une zone où l’on ne souhaite pas vraiment en avoir. Dans une commune qui vit du tourisme, au bord d’un bisse très fréquenté, cela tient de la boutade.
A cœur vaillant, rien d’impossible?
Nous proposons alors d’utiliser la grange existante d’un paysan qui est placée sur le parcours mais selon la loi, n’étant pas paysans nous-mêmes, rien ne sera possible de ce côté-là, même si la grange est abandonnée aux affres du temps, faute de pouvoir être usité.
Notre proposition suivante est d’offrir le sauna à notre ami fermier qui lui n’a pas d’utilité de son raccard, afin qu’il puisse le mettre à disposition des marcheurs, proposition tout aussi utopique, car ce n’est pas la vocation première de la grange, qui est d’utilité agricole. Mieux vaut un bâtiment vide qu’utilisé à mauvais escient. Impossible donc.
Nouvelle réflexion. Et si nous utilisions les herbes de l’agriculteur pour parfumer les vapeurs salvatrices ? Alors là, peut-être existe-il une petite faille juridique. Il faudrait engager un avocat-juriste spécialisé dans le droit des constructions, mais on nous prévient, les chances sont minimes et les coûts d’un tel bureau sont extrêmement couteux.
Dépités, retour à la case communale. La solution, toute aussi incertaine, serait d’attendre un remaniement parcellaire prévu dans trois ou quatre ans en espérant pouvoir mettre le terrain en zone d’intérêt public.
La procédure de la douche froide
Deux ans après le début du projet – 17 séances, 4 dossiers et de nombreux refus – nous continuons à suer, de rencontre en rencontre, avec comme seule retour la douche froide (non, malheureusement pas celle que l’on apprécie tout particulièrement quand on sort du sauna). Cette histoire, c’est l’exemple d’un essai parmi tant d’autres. Aménager un sentier pédestre avec un parcours de balles en bois pour les familles. Impossible. Construire une boîte de lecture aux abords d’une route de promenade. Impossible. Mettre des toilettes sèches permanentes dans une zone de montagne fort fréquentée**. Impossible
Si en 1926, Charles-Ferdinand Ramuz racontait la destruction d’un village de montagne anéanti par une avalanche d’eau et de boue dans son roman La Grande Peur dans la montagne, la peur semble aujourd’hui s’être déplacée. Ne serait-ce plus la rupture d’une poche d’eau du glacier que l’on craint mais la possibilité que les milieux alpins deviennent des lieux où la vie sociale et culturelle puisse se développer ?
En tout cas, une réflexion doit être menée. Comment laisser la liberté aux habitants des petits villages de montagne pour créer un dynamisme qui permet à ces lieux d’être à nouveau des espaces de vie avec les mêmes droits en termes d’aménagement et d’infrastructure que celui des habitants des villes. Le débat ne fait que commencer et sera crucial pour les années à venir, nous en sommes certains.
Sébastien Olesen, directeur du PALP festival
* à la vapeur du sauna, évidement
** histoire véridique vécue par une société de développement de la région