Une marque renaît de ses cendres avec un magnifique coup de pub, nom de code “MoonSwatch”

Swatch et OMEGA ont réussi ensemble un coup de maître en réalisant une collaboration, dont les deux marques tirent profit, en lançant la MoonSwatch. Le nom du produit est la contraction du produit iconique d’Omega – la Speedmaster Professional rebaptisée Moonwatch depuis l’alunissage en 1969 – et Swatch icône du renouveau de l’horlogerie suisse dans les années 1980. Le lancement de cette nouveauté a créé un engouement que la marque n’avait plus connu depuis les années 1990 et ses séries limitées en formes de légumes qui avaient suscité les passions des acheteurs à tel point qu’ils passaient la nuit devant les points de vente pour être les premiers lors de l’ouverture.

Le 26 mars de cette année les mêmes scènes se sont reproduites presque partout dans le monde avec des files interminables devant les 110 magasins sélectionnés pour vendre cette nouveauté. Selon la taille et l’emplacement du magasin l’allocation était de 100 à plus de 1’000 montres, mais l’achat limité à deux pièces par client puis par la suite à une pièce.

 

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L’histoire se répète… en sens inverse

Petit client d’œil historique : dans les années 1980 Swatch a sauvé l’industrie horlogère suisse – et notamment sa marque sœur OMEGA – en prouvant qu’il était possible de fabriquer un produit en Suisse à un prix extrêmement compétitif avec un look branché et les codes d’une marque disruptive. Swatch a vendu plus de 20 millions de montres par année quand elle était au zénith de sa trajectoire fulgurante et approximativement 700 millions au total depuis son lancement. Ce chiffre est descendu cependant à 3 millions de pièces vendues annuellement ces dernières années et un chiffre d’affaires estimé à un peu plus de CHF 200 millions, mais surtout une perte estimée à CHF 150 millions annuellement (estimations Morgan Stanley x LuxeConsult sur la base des ventes 2021). Ces chiffres sont à mettre en perspective avec une industrie qui a exporté moins de 16 millions de montres l’année passée (15,75 millions selon les statistiques douanières).

Swatch collection “one more time” 1991 x Alfred Hofkunst

Aujourd’hui l’association de Swatch et OMEGA permet à la première de reprendre son envol en s’appuyant sur la légitimité de la seconde. A quarante ans d’intervalle l’histoire se répète en sens inverse et cette MoonSwatch – vendue CHF 250 en boutique – va probablement permettre à Swatch – marque structurellement déficitaire depuis de nombreuses années – de revenir dans les chiffres noirs. Et à OMEGA de recruter une clientèle plus jeune qui ne connaît pas encore forcément sa montre iconique. La hausse de fréquentation dans les boutiques Swatch – seules certaines des boutiques gérées en direct par la marque sont autorisées à vendre la MoonSwatch – et dans les boutiques OMEGA pour découvrir la montre originale semble prouver que l’équation est réussie pour les deux marques.

 

Une nouvelle famille de produits pour Swatch

collection MoonSwatch

Swatch est une marque qui vit de couleurs et de déclinaisons produits. La MoonSwatch honore cette tradition en proposant 11 modèles qui incarnent chacun une mission, la plus emblématique et la plus convoitée aussi, étant la « Mission to the Moon » qui est la copie exacte dimensionnelle et visuelle de la Speedmaster « Moonwatch ». La grande différence étant bien sûr la motorisation avec un mouvement quartz pour la MoonSwatch et un magnifique mouvement chronographe mécanique à remontage manuel pour la Moonwatch. L’autre particularité de cette nouvelle Swatch est que le matériau utilisé est bio-compatible en utilisant de la biocéramique pour le boîtier qui est en fait un mélange d’un plastique bio-sourcé d’une huile végétale – le ricin – pour un tiers et de deux tiers de céramique conventionnelle.

 Ce qui est intéressant dans ce contexte est le fait que Swatch avait lancé un an auparavant une ligne de produits (Swatch Big Bold Ceramic) qui n’a pas rencontré un succès fulgurant, puis une Swatch NASA qui elle n’a pas non plus déclenché une hystérie collective auprès des acheteurs potentiels.

 

Analyse du succès

Si les clients ont unanimement répondu présents lors du lancement, les concurrents ont été tout aussi unanimes à critiquer l’opération par rapport à son impact potentiellement négatif pour Omega. La marque biennoise est devenue au fil des années le joyau de la couronne du Swatch Group et contribue à plus de 50% au bénéfice opérationnel du Groupe (53% de l’EBIT selon l’estimation Morgan Stanley/LuxeConsult) et à presque un tiers de ses ventes.

Grégory Pons – journaliste spécialisé et commentateur avisé de l’actualité horlogère – a interrogé 17 CEO des plus grandes marques horlogères suisses et tous ont répondu qu’ils comprenaient l’intérêt de cette collaboration pour Swatch, mais certainement pas pour Omega. Tous ont répondu que le fait de banaliser un produit iconique – la Moonwatch – en le déclinant dans un produit d’entrée de gamme était une très mauvaise idée.

Plutôt que de verser dans l’analyse raccourcie et symptomatique d’une industrie habituée à ne pas se remettre en question, je vais essayer d’analyser avec des éléments plus tangibles et objectifs.

Lire également : https://businessmontres.com/article/les-medias-qui-parlent-de-montres-sont-lhorlogerie-ce-que-la-gynecologie-est-lerotisme-swatch-omega-moonswatch-watchesandwonders

 

1ère règle d’une collaboration fructueuse : associer les antagonismes

OMEGA Speedmaster Professional x MoonSwatch “Mission to the sun”

 

Pour créer l’intérêt il faut privilégier les antagonismes, car les extrêmes créent une tension.Swatch et Omega ne pourraient pas être plus différentes l’une de l’autre : d’un côté une marque historique (créée en 1848) et de l’autre une marque lifestyle lancée en 1982 dont les codes sont la couleur, l’humour et les références à l’art sous toutes ses formes. Les modèles ne sont pas faits pour durer, mais font partie de collections qui comme dans la mode sont biannuelles et disparaissent une fois les lots de production vendus. Ce sont des objets faits pour être éphémères et saisonniers, mais qui pour certaines sont devenues des classiques.

Chez Omega ont vit de collections faites pour durer et qui pour certains modèles deviennent des icones. Il s’agit notamment de la Seamaster 300m qui est devenue la montre de James Bond ou de la Speedmaster Professional « Moonwatch ».

D’un côté on peut se permettre d’expérimenter avec des nouveaux matériaux, des designs qui ne suivent pas forcément une logique, sauf celle de disrupter sans cesse. De l’autre on est face à une marque institutionnelle qui se doit de respecter des codes, mais surtout les attentes de ses clients. La dialectique entre deux territoires d’expressions, à priori antagonistes, permet de créer la tension qu’il faut.

2ème règle : associer les compétences

Swatch Group possède un avantage concurrentiel unique qui est son outil industriel lui permettant de développer et fabriquer un projet comme celui-ci 100% en interne. Le revers de la médaille est que cet outil industriel doit être « nourri » pour être efficient, mais surtout rentable. Les volumes des marques Tissot, Longines et Omega (un total annuel estimé de 5,5 millions*) ne suffisent pas à compenser entièrement la baisse de volume de la marque Swatch avec 3,2m* de pièces vendues estimées l’année passée.

ETA – la principale manufacture de mouvements du Swatch Group – a amené les solutions techniques, notamment la chaîne de fabrication de la biocéramique (fabrication 100% en Suisse). Omega a pris le lead du développement produit et cela se voit par rapport aux différents détails et la cohérence du tout. Et finalement Swatch apporte la touche colorée et son réseau de vente, même si l’on peut se demander si la vente en boutique monomarque Omega ne serait pas un bon moyen de légitimer le produit et d’amener les jeunes clients directement dans une boutique dont ils ne franchiraient pas forcément la porte.

 

3ème règle : chauffer la salle avant l’arrivée de la star

Campagne Instagra

Aujourd’hui le drop shipping est devenu presque la norme avec l’annonce sur les réseaux sociaux de l’arrivage imminent d’une paire de sneakers ultra limitée (quelques milliers dans le monde) vendues dans quelques points de vente sélectionnés (quelques dizaines). Le public plutôt jeune et habitué à attendre dans une file se prépare souvent tôt le matin à attendre des heures pour toucher le graal.

Et dans ce cas Swatch et Omega ont utilisé tous les moyens à disposition pour créer un buzz en mettant des annonces dans les quotidiens et le relayant sur les réseaux sociaux en annonçant une date avec un message faisant allusion à une date précise, le 26 mars, et vous enjoignant de changer votre Swatch ou dans la deuxième version votre Omega. Dès que le message est sorti les rumeurs ont commencé à courir et le buzz à s’amplifier.

 

4ème règle : une distribution ultra sélective… mais adaptée à la clientèle cible

Afin de concentrer l’effet de surprise les ventes se font uniquement dans des boutiques Swatch sélectionnées et en quantités très limitées par rapport au potentiel de vente. Pour faire simple ce sont 110 points de vente dans le monde qui ont reçu chacun entre 100 et 1’000 pièces pour cette journée événement qui a déclenché la ferveur à tel point que par exemple à Singapour des clients ont campé devant le magasin pour être les premiers lors de l’ouverture du magasin. Des scènes jamais vues depuis les temps glorieux des séries limitées de la Swatch dans les années 1990. Inutile de préciser que les points de vente ont été dévalisés en très peu de temps, même si Swatch avait pris soin de limiter l’attribution de 2 pièces maximum par client.

Dans une récente interview accordée au blog horloger fratellowatches, le CEO de Swatch Group a exclu toute vente de la MoonSwatch sur internet. Cette décision pour le moins surprenante Nick Hayek l’explique par le fait qu’ « Il n’y a pas d’émotion dans l’achat en ligne. Il s’agit d’une montre Swiss Made fabriquée avec soin et non d’une marchandise. Après que le monde entier ait dû rester à la maison pendant deux ans à cause du COVID, il était temps de faire la fête et de ramener les gens dans les rues, de se rencontrer et de faire revivre les magasins traditionnels ». On peut être d’accord sur le fait que l’événement créé à travers le monde est le fruit d’un événement physique (et non dans le metavers), mais de là à interdire par exemple aux chinois cantonnés chez eux de pouvoir acheter une montre aussi cool est pour le moins questionnable.

Lire également : https://www.fratellowatches.com/swatch-group-ceo-nick-hayek-about-the-moonswatch/#gref

 

5ème règle : séquencer l’effort

 Le concept est adéquat dans la mesure où les marchés n’ont pas été inondés en quantités lors du lancement, bien au contraire et ne le sont toujours pas trois mois après le lancement. On peut estimer que lors du weekend de lancement plus de 50’000 montres ont trouvé preneurs et que depuis 100’000 pièces supplémentaires ont été vendues. La cote sur le marché secondaire est d’ailleurs restée relativement stable avec un prix réaliste de transaction à CHF 600 – après être monté à CHF 1’500 et plus – soit 2,5 fois le prix public recommandé, soit un gain de presque 150% pour les spéculateurs.

Cote de la MoonSwatch “Mission to the Moon” le 07 juillet 2022. copyright chrono24.ch

N’aurait-il pas été plus judicieux de séquencer le lancement des 11 modèles par collection de peut-être 3 modèles ? En entretenant la curiosité des clients et de venir à la fin avec la star de la collection « Mission to Moon » par exemple le jour anniversaire du premier alunissage le 20 juillet et d’en faire une série ultra-limitée de 1969 pièces ? et de créer une pièce unique – qui serait la seule à être motorisée par le mouvement mécanique calibre 1861 qui équipe la fameuse Speedmaster Professional d’OMEGA – vendue lors d’une vente aux enchères caritative du type « ONLYWATCH » ? Imaginez le buzz médiatique en vendant une pièce en « plastique », certes biosourcé, à plus d’un million de francs !

 

Est-ce que les objectifs ont été atteints ?

Pour Swatch, une marque en perte de vitesse à la recherche de volumes pour faire tourner les usines du Groupe aussi bien pour les mouvements que l’habillage (cadrans, aiguilles, boîtiers) l’exercice est bien sûr extrêmement bénéfique. Pour comprendre les enjeux il faut comparer les volumes du temps de la splendeur dans les années 1990 – plus de 20 milllions de montres vendues par année – à 2021 et 3,2 millions de Swatch vendues dans le monde (estimation Morgan Stanley & LuxeConsult). Selon une estimation faite par Morgan Stanley après le lancement de la MoonSwatch, il pourrait s’en vendre jusqu’à 500’000 pièces cette année pour générer un chiffre d’affaires estimé à CHF 125 millions, mais surtout une marge brute phénoménale estimée à 90% , ce qui correspond à CHF 112 millions, qui permettrait quasiment de ramener la marque à l’équilibre.

En tenant compte du fait que la montre n’a pas encore été lancée en Chine – pour cause de fermetures des points de ventes liées à la Covid – et que par voie de conséquence les ventes en ligne n’ont pas encore débuté (pour autant qu’elles débutent un jour; v. point 4 ci-dessus), on peut estimer le potentiel des ventes annuelles pour cette seule montre à 1 million d’unités par année soit un chiffre d’affaires de CHF 230 millions qui permettrait de plus que doubler le chiffre d’affaires actuel, tout en améliorant la rentabilité de la marque et en apportant le volume de production à l’outil industriel du Swatch Group.

La collaboration a sensiblement augmenté le trafic dans les points de vente Swatch, mais surtout il a permis de faire découvrir la Speedmaster d’Omega à un public plus jeune qui ne connaissait pas forcément cette icône de l’horlogerie.

 

Des critiques ? Et des explications

MoonSwatch “Mission to the Moon”

 

 

Le plus beau succès marketing et commercial de l’horlogerie suisse de ces 20 dernières années aurait pu être encore plus conséquent si les points suivants avaient été mieux gérés :

  • la famille de produits est composée de 11 modèles, dont le modèle « Mission to the Moon » qui est une copie exacte de la montre originelle d’Omega en taille et esthétique globale. On peut se demander s’il est judicieux de copier quasiment 1 :1 son produit le plus iconique en le vendant pour un vingtième du prix (CHF 250 au lieu de CHF 5’050).
    • À l’inverse cette copie – presque conforme, car l’amateur reconnaît au premier coup d’œil les différences, notamment les compteurs du chronographe – a permis aux clients cibles de découvrir la vraie Moonwatch.
  • De même que le fait d’installer cette collection dans le temps et de ne pas en faire une collaboration limitée dans le temps, soit une collection capsule ou un « drop shipping », est questionnable.
    • On peut penser qu’au vu du succès de cette première collaboration Swatch, on verra d’autres initiatives par exemple sur la Sistem 51 qui est tout simplement l’un des mouvements mécaniques industriels le plus abouti de l’horlogerie suisse. On peut associer d’autres icones de l’horlogerie du groupe Swatch ou …. en-dehors du groupe.
  • Ma plus grande critique est liée à la politique de communication de Swatch qui n’en n’a pas fait un de ses axes prioritaire en amont et après le lancement. Aucune communication spécifique n’a été faite à part quelques posts sur le compte Instagram de Swatch et une campagne d’annonces dans les journaux et dès lors on peut se poser la question de la pertinence par rapport à la cible visée des générations Z et Alpha qui ne lisent plus aucun média imprimé.
    • Les médias spécialisés de l’horlogerie – dans leur immense majorité – n’ont tout simplement pas compris l’impact de cette montre, ni le succès rencontré. Il y a ceux qui mettent ceci dans la rubrique animation marketing et d’autres qui pensent qu’elle va nuire au prestige d’Omega.
    • la règle d’or de la communication d’une marque est la répétition et la cohérence du message et ce ne sont pas quelques maigres posts sur le compte Instagram des deux marques qui font la différence.
  • Et puis finalement au-delà de se réjouir des cohues provoquées devant les magasins et la file d’attente de plus de 500m devant le siège de Swatch à Bienne, on peut regretter les bagarres entre clients et le racket organisé devant les magasins, notamment à Genève. Une meilleure coordination et communication auraient certainement contribuer à rendre ce succès encore plus beau.

 

En conclusion : un cas d’école d’une action marketing – presque – parfaitement planifiée et vendue comme du « guérilla marketing » qui a bluffé tout le monde et qui a volé la vedette aux marques présentes au salon Watches & Wonders qui démarrait quelques jours plus tard. Et pour conclure, je me risque à prédire d’autres collaborations de Swatch avec des marques institutionnelles internes ou externes au groupe. Affaire à suivre…

 

 

Les modèles de la collection MoonSwatch sont vendus CHF 250,00 TTC dans des boutiques Swatch sélectionnées à travers le monde https://www.swatch.com/fr-ch/bioceramic-moonswatch.html 

Omega vend sa Speedmaster Professional “Moonwatch” à partir de CHF 4’850,00 TTC https://www.omegawatches.com/fr-ch/watch-omega-speedmaster-moonwatch-professional-chronograph-42-mm-31133423001001

*rapport “The Magnificent Seven” publié le 07.03.2022 par la banque Morgan Stanley et auquel LuxeConsult a contribué