Rolex reste le roi incontesté de l’horlogerie Suisse

 La banque d’affaires Morgan Stanley a publié ce matin son rapport annuel sur l’industrie horlogère et son titre est programme : « King Rolex »*. La marque à la couronne est non seulement la première marque en termes de chiffres d’affaires, mais ensemble avec sa marque sœur Tudor, elle est devenue en 2020 le leader du marché horloger suisse**. Malgré un recul de son chiffre d’affaires de l’ordre de 15% Rolex reste le leader incontesté des montres suisses.

Les exportations horlogères suisses en 2020 ont globalement baissé de 21% en valeur et de 33% en unités.

Quoi de nouveau en 6 points dans un marché en pleine reconfiguration ?

#1 : La polarisation du marché s’est encore accentuée avec quelques marques fortes qui ont réussi à limiter les dégâts, malgré un premier trimestre catastrophique et un mois d’avril à -81% pour les exportations horlogères.

  • Les marques en mains privées ont dans l’ensemble mieux performé que la moyenne du marché avec notamment Audemars Piguet qui enregistre une baisse de 9% de son chiffre d’affaires, mais qui selon CEO a enregistré le meilleur mois de son histoire en octobre 2020 !
  • Tudor a été l’une des rares marques Swiss made à progresser en 2020 et prend des parts de marché à ses concurrents directs, dont TAG Heuer qui a enregistré une baisse 31%.

#2 : la premiumisation*** du marché avec le segment des montres d’un prix public supérieur à CHF 7’000 (CHF 3’000 prix export) qui compte pour 70% de la valeur exportée, mais seulement 10% du volume.

#3 : l’entrée de gamme continue de subir les assauts des montres connectées : en 2020 l’industrie horlogère suisse aura vendu 13,7 millions de montres contre 75 millions de montres connectées. En 2016 la Suisse vendait encore 25 millions de montres, alors que les montres connectées totalisaient 22 millions d’unités.

#4 : deux marques du TOP 50 ont réussi à croître en 2020 : Tudor et Dior. La marque sœur de Rolex récolte les fruits d’une stratégie produits et marque très cohérente. Alors que les montres Dior profitent d’une dynamique de la marque dans le domaine de la maroquinerie tout comme les montres Hermès qui maintient pratiquement ses chiffres par rapport à 2019. Hermès a non seulement nettoyé sa collection et est montée en gamme, mais elle réussit également à vendre de la haute horlogerie à des prix dépassant les CHF 300’000 avec par exemple une montre tourbillon, répétition minutes.

  • Rolex, Audemars Piguet, Cartier, Richard Mille et Breitling réussissent à faire mieux que la moyenne du marché

#5 : le roi incontesté s’appelle ROLEX. Malgré une demande qui ne se dément pas et des primes « coupes files » de 50% à 100% sur le marché gris, la marque à la couronne a décidé l’année passée de réduire sa production de pratiquement 20%. Les clés du succès de Rolex s’expliquent par quelques recettes qui n’ont rien de magique, mais qui sont appliquées avec une consistance et cohérence depuis la naissance de la marque en 1908.

  • Une qualité produit sans cesse améliorée et sans compromis.
  • Le but ultime est la perfection et non pas d’arriver premier. « Don’t be first, but be the best ! ».
  • La communication est toujours restée focalisée sur l’excellence produit.
    • Les sponsorings sportifs sont des animations ponctuelles pour la marque, mais jamais le centre de sa communication. Les ambassadeurs de la marque doivent servir les valeurs de celle-ci.
  • La continuité : le produit évolue, mais pas son identité. Comme Porsche avec sa 911, Rolex sait faire évoluer ses classiques sans jamais les dénaturer.
  • La gestion de la rareté dans l’offre crée la désirabilité. Rolex est l’une des rares marques horlogères à pouvoir se payer le luxe d’avoir des listes d’attente qui se chiffrent en années.
copyright site https://www.chrono24.com

#6 : les marques de niche tirent leur épingle du jeu. H. Moser & Cie avec ses produits et sa communication qui osent la provocation sont un exemple positif des « petits » qui s’en sortent plutôt bien avec une offre originale. Moser a connu la croissance dans un marché en plein marasme en jouant sur l’audace que des groupes cotés en bourse ne peuvent se permettre.

Moser Swiss Alp Watch montre mécanique qui ressemble furieusement à une montre connectée. Le symbole “loading” est en fait une indication des secondes.
  • On pourrait aussi parler de la folie qui s’est emparée de la communauté horlogère après l’annonce de la dernière série des montres Simplicity de l’horloger Philippe Dufour où l’on parle de 4’000 acheteurs pour …. les 10 dernières montres qui se vendront pour un prix dépassant largement le demi-million de francs pour une montre vendue pour CHF 34’000 à ses débuts en 2000 !
Philippe Dufour “Simplicity”. Copyright monochrome-watches.com

 

Mais ceci sont des épiphénomènes – certes réjouissants – à l’échelle d’une industrie qui a perdu la moitié de ses volumes en l’espace de 6 ans !

 

Rolex s’impose comme leader du marché

 Avec une part de marché équivalente au quart du total**, Rolex est le leader incontesté devant Omega qui comptabilise “seulement” un tiers de la valeur de son concurrent direct.

  • les 5 plus grandes marques trustent plus de 50% du marché de la montre suisse
  • 14 marques détiennent les trois-quarts (77%) du marché

 

Lire également : https://www.letemps.ch/economie/rolex-detrone-swatch-group

 

 

 

 

*  Rapport Morgan Stanley (Edouard Aubin, equity analyst, Luxury industry) x Luxeconsult 08.03.2021 basé sur les chiffres d’exportations 2020 « King Rolex ». Ce rapport est destiné aux clients de la banque Morgan Stanley et peut être cité avec les sources correspondantes.

 

** les données du rapport Morgan Stanley sont basés sur les chiffres d’exportations fournis par la fédération horlogère Suisse qui collectent elle-même ces chiffres de l’administration fédérale des douanes. Morgan Stanley calcule les parts de marché en valeur retail (prix de vente public HT) et non pas en chiffres d’affaires ex-usine, car les marques ont des degrés d’intégration de leur retail très divers. Rolex possède une seule boutique dans le monde à Genève, alors que Richard Mille contrôle le 100% de sa vente au détail par des boutiques qu’elle possède en propre ou par joint-venture avec un détaillant.

 

*** la premiumisation est un anglicisme qui consiste à décrire l’effet de levier obtenu par un positionnement prix plus élevé donnant un avantage concurrentiel pour des produits de luxe.

 

Les ventes de l’horlogerie Suisse se stabilisent …. beaucoup grâce à la Chine

Il semblerait que la Chine reste le seul marché capable de redonner une impulsion positive dans l’immédiat aux ventes de montres suisses. Selon les chiffres des exportations annoncés ce matin par la fédération horlogère, il semblerait que nous ayons atteint le point d’inflexion d’une tendance négative qui dure depuis trop longtemps. Le mois d’août est certes encore à -11% par rapport à l’année passée, mais après la dégringolade des mois précédents avec notamment le mois d’avril à – 81%, la chute semble être amortie.

Le cumul des exportations horlogères depuis le début de l’année se chiffre à – 30,5% par rapport à 2019, qui restera une année record pendant longtemps, mais on peut espérer une amélioration substantielle d’ici la fin de cette année…. sans espérer de miracles.

La Chine seul Eldorado pour l’industrie du luxe ?

 Selon une récente étude publiée par Bain Altagamma, les consommateurs chinois seront les principaux contributeurs de la croissance du marché du luxe ces cinq prochaines années. Bain prédit que plus de 90% de la croissance sera faite avec les clients chinois ! Je serais un peu plus prudent sur le pourcentage, mais je rejoins le constat de Bain que sans le marché chinois tous les acteurs du luxe sont condamnés à régresser.

La lueur d’espoir, pour que nous évitions de mettre tous les œufs dans le même panier, vient des USA où les derniers indicateurs sur les ventes de biens de luxe commencent à tourner au vert. Les multiples facteurs négatifs convergents sur la consommation (confinements liés au Covid, l’incertitude de l’élection présidentielle, etc.) semblent largement moins influencer les ventes que l’excellente tenue des marchés boursiers. Et surtout les USA – encore plus que la Chine – sont un marché très ouvert à l’e-commerce. Les marques horlogères suisses qui ont fait des gros efforts sur leur e-commerce et leur e-communication ces derniers mois – je pense notamment à Omega et Breitling – commencent à engranger les fruits de leurs efforts.

Une étude publiée par la banque Morgan Stanley et intitulée « Not just a China story »* (“Pas uniquement une histoire chinoise”) rappelle très justement qu’un franc sur cinq (22%) engrangé par l’industrie du luxe dans le monde est le fait du marché US. Pour l’horlogerie la proportion est moindre, mais toujours significative avec un franc sur huit (12% en 2019).

Les ventes de produits de luxe par marché en 2019. Copyright Bain & Altagamma, Morgan Stanley Research

 

Le haut de gamme se porte mieux que l’entrée de gamme

 Une tendance qui se confirme est l’érosion du socle de l’offre de l’horlogerie suisse. Et les smartwatches sont clairement passées par là ! Apple qui vient de présenter la 6ème version de son Apple Watch vendra cette année trois fois plus de montres que l’ensemble des marques horlogères suisses (estimation Luxeconsult) !

Certaines marques horlogères suisses ont présenté récemment des initiatives intéressantes, mais qui se situent toutes dans un segment de prix nettement plus élevés que ses concurrents américains, coréens ou chinois.

On peut voir dans le tableau ci-dessous basé sur les exportations que les marques avec un prix public entre CHF 5’000 et 12’000 (prix export entre CHF 2’000 et 5’000) se reprennent. On en revient toujours aux mêmes marques dans ces segments de marché qui tirent leur épingle du jeu avec notamment Rolex, Omega, Tudor, Longines. Mais en cumul toutes les gammes de prix sont en régression en 2020 aussi bien en valeur qu’en volume ! Nous avons perdu depuis le début de l’année 5,6 millions d’unités après une chute de 3,1m l’année passée… ce sont des volumes qui manquent aux sous-traitants de notre industrie.

 

Lire également : Qui ont été les champions de l’horlogerie Suisse en 2019 et qui seront les survivants en 2020 ?

Les marques sont obligées de retravailler le marché local

 Un CEO d’une des rares marques horlogères à passer ce tsunami du Covid sans dégâts majeurs, me confiait récemment que son message à ses équipes de ventes à travers le monde était que le marché du touriste chinois, client captif, était terminé ! Et pour aller dans la punchline qui caractérise les motivateurs il leur a donné l’image suivante « Imaginez vous que tout autour de vos marchés respectifs il y ait une paroi jusqu’au ciel ! Plus de touristes ! Comment faites-vous pour vous vendre ? Vous allez reconnecter avec votre marché local, car les voyages des touristes consommateurs sont terminés pour longtemps ! ».

Je rejoins 100% ce constat qu’il faut se remettre à travailler son marché local en plus de toutes les initiatives digitales qui permettent aux marques de rester au contact de leurs client. Le direct-to-consumer et le local sont complémentaires, comme le phygital qui permet de créer des ponts entre le monde physique et le digital !

 

 

*le rapport de Morgan Stanley est réservé à ses clients

 

Hereunder for the English version :

Industry: Chinese Demand Helps to Stabilise Swiss Watch Exports

 

 

Qui ont été les champions de l’horlogerie Suisse en 2019 et qui seront les survivants en 2020 ?

Morgan Stanley a publié  sa liste du Top 50 des marques horlogères suisses1 en collaboration avec LuxeConsult. Le rapport est très attendu par la communauté financière et horlogère pour diverses raisons. Les CEO des marques sont bien sûr intéressés par leur position dans la liste et surtout celles de leurs concurrents supposés.

Pour évacuer tout malentendu et en liminaire, le but principal de ce rapport est d’identifier les parts de marché et la dynamique de celles-ci. C’est-à-dire de savoir qui gagne et qui perd.

La deuxième remarque est que les chiffres sont basés sur 2019 et nous avons tenu compte de l’effet dévastateur du Coronavirus pour les projections 2020 qui seront forcément très mauvaises pour tout le monde.

A lire également : Le Temps 13.03.2020 “Horlogerie, les méga-marques milliardaires se renforcent encore”

Leçon #1 : la polarisation de l’industrie s’est accélérée

 Le premier rapport publié avec Morgan Stanley en 2018 avait déjà mis en évidence que seulement 7 marques étaient milliardaires en chiffres d’affaires. Cette situation n’a pas changé en 2019 à la difference qu’Audemars Piguet est passée à la 6ème place de ce club très exclusif. La polarisation entre très peu de marques qui surperforment et une immense majorité de maisons horlogères qui sont au mieux en stagnation et au pire en perte de chiffres d’affaires année après année.

Il y a une seule marque qui rejoindra probablement en 2020 – sauf si la conjoncture actuelle l’en empêche – ce club très exclusif des Milliardaires, Richard Mille. Cette remontée au classement de la 19ème à la 8ème place n’est pas seulement le fruit d’une stratégie marketing implacable, mais surtout l’intégration du chiffre d’affaires dans ses propres boutiques mono marque. La marque a fait une croissance organique de 20% en passant de CHF 300m à CHF 360m de chiffres d’affaires, mais le reste de l’augmentation à CHF 900 millions provient du fait que le chiffre d’affaires de ses boutiques (42 dans le monde) est dorénavant consolidé dans les comptes de la marque.

Le classement est mené par les sept champions qui ont – à une exception près, Tissot – progressé au niveau de leurs ventes. Sur l’ensemble des marques analysées, 50% ont progressé, mais 30% ont reculé et parfois de façon significative.

Copyright : LuxeConsult, Morgan Stanley Research estimates, 12.03.2020

Le graphique ci-dessous (basé sur les chiffres d’affaires détaillants) démontre de façon impressionnante la suprématie de la marque à la couronne qui détient à elle seule presque un quart du marché de la montre suisse ! Rolex (23,4%) et sa marque sœur Tudor (1,4%) que l’on retrouve à la 20ème place du classement avec CHF 310m de ventes.

 

Leçon #2 : les marques indépendantes performent le mieux ou “the winner takes it all”

L’industrie horlogère suisse est probablement le seul segment du luxe dans lequel les marques indépendantes performent mieux que celles détenues par des groupes cotés en bourse. Le top 4 du classement des indépendants est composé de Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet et Richard Mille qui ont généré un chiffre d’affaires cumulé de CHF 8,7 milliards ce qui représente 35% du marché ! Et ces marques ont réalisé chacune leur meilleur exercice de leur histoire en termes de ventes et de profitabilité.

Ceci est à comparer avec les 55% détenus par les quatre groupes – Swatch Group (17 marques), Richemont (11),  LVMH (6) et Kering (3) – et leurs 37 marques.

Leçon #3: les profits sont encore plus concentrés sur un nombre très réduit de marques

L’estimation faite par Morgan Stanley x Luxeconsult est de CHF 5,3 milliards d’EBIT2 générés par l’ensemble de l’industrie, dont 59% sont le fruit des 4 marques indépendantes citées plus haut ! Pour faire court et résumer ces quatre marques :

  • Croissent plus vite que le reste de l’industrie et gagnent des parts de marché
  • Et elles sont plus profitables, car nous estimons leur marge EBIT en moyenne à 35% avec Richard Mille au-delà des 40%

Les quatres groupes cotés en bourse (Swatch Group, Richemont, LVMH et Kering) doivent se contenter de 39% de la marge générée pour l’ensemble de l’industrie. En prenant leurs part de marchés cumulées à 55% des ventes totales leur profitabilité au niveau de chaque marque est nettement inférieure à celle des quatre marques susmentionnées.

Alors que reste-t-il pour les autres ? Pas grand-chose à vrai dire…. 90% des ventes et surtout 98% des profits sont contrôlés par 41 marques (4 indépendants + 37 marques de groups).

 

Quelques hypothèses sur le futur de l’horlogerie Suisse

Nous estimons le marché de la montre Suisse à un peu plus de CHF 50 milliards (valeur des ventes au détail) avec une croissance en 2019 de 2,6% des exportations (statistiques des exportations de la fédération horlogère suisse). En constatant la hausse constante du prix moyen des montres vendues et surtout la chute abyssale du nombre de montres suisses vendues l’année passée (-3,1 millions d’unités), on peut aisément conclure à un repli d’un grand nombre de marques suisses dans une niche très haut de gamme.

L’horlogerie Suisse est toujours maître du jeu sur le marché mondial de l’horlogerie et détient encore 53% en valeur, mais que 2% du volume. La baisse de 13% (3,1 millions de montres) des volumes l’année passée est concentrée sur tous les segments de prix inférieurs à CHF 2’000 prix d’exportation correspondant à CHF 5’000 prix public. Les montres de cette categories ont perdu des parts de marché en valeur et en quantités.

La baisse reflète une décroissance ininterrompue depuis 20 ans (2000, 29 millions d’unités vendues), mais fortement accélérée en 2019 (20,6 millions).

Lire également : Blog Le Sablier / “L’industrie horlogère suisse ne doit pas devenir une réserve d’indiens”

Hypothèse #1:

L’industrie horlogère Suisse devrait se focaliser sur le fait qu’elle perd continuellement des parts de marché dans l’entrée de gamme jusqu’au milieu de gamme. La retraite vers le haut ne peut pas être la solution pour toutes les marques. Il faut affronter la concurrence dans l’entrée de gamme et notamment les montres connectées, dont Apple est le leader incontesté avec une croissance de 36% l’année passée et plus de 30 millions d’Apple watches vendues3 !

Quelque va se réveiller et devenir la nouvelle Swatch !

Hypothèse #2:

Les marques fortes génèrent une dynamique vertueuse. Le milieu de gamme (Longines, Tudor et Tissot), le premium (Rolex, Omega, Cartier, IWC, TAG Heuer, Breitling) et le haut de gamme (Patek Philippe, Audemars Piguet, Richard Mille) sont chacun dominés par des fortes à forte notoriété. Ces maisons horlogères sont capables d’investir dans leur communication, l’innovation produits et l’intégration de leur réseau de distribution (pour ce dernier point avec les exceptions de Rolex et Patek Philippe).

Hypothèse #3:

Les agglomérations de marques fortes créent des appels d’air pour des niches. A côté des marques citées plus haut à titre d’exemples des sous-segments de marchés vont devenir suffisamment intéressants pour des concepts plus pointus.

  • Les artisans horlogers ou signatures de créateurs (ex. un designer qui signe ses montres) : ils produisent des quantités extrêmement faibles de montres, parfois moins que 50 pièces par année. Ils vendent en grande partie directement au client final (le fameux DTC « direct-to-consumer ») et engrangent la totalité de la marge tout en ayant un dialogue direct avec leurs clients. On peut citer Kari Voutilainen, Rexhep Rexhepi ou De Bethune comme les meilleurs exemples et Philippe Dufour comme l’horloger ayant ressuscité “l’horlogerie soignée” dans les années 1990.
  • Les micro-marques avec un « story-telling » cohérent avec leur territoire de marque. MB&F et son fondateur Max Büsser ont su créer ce genre de concept avec chaque année une nouvelle montre éditée en série limitée et développée en partenariat avec l’un des horlogers susmentionnés. Le but n’étant pas de créer une collection permanente, mais de faire comme dans la haute joaillerie des pièces uniques ou fortement limitées en quantité. Le design des montres ne suit pas une identité de marque, mais un fil rouge qui dans ce cas est la création d’un instrument du temps tri-dimensionnel avec une interprétation unique et innovante de l’affichage du temps.
  • Les initiatives de crowdfunding4 et crowdsourcing5. Le meilleur exemple récent et suisse étant Code41 qui a démarré son projet avec comme leitmotiv la transparence sur les origines de ses composants (TTO / Transparence totale sur l’origine). L’équipe de projet a décidé de communiquer dès le début en toute transparence sur l’origine des composants, même s’ils sont par exemple chinois. Leur initiative produit la plus intéressante à mes yeux à été de lancer une montre avec un mouvement fait 100% en Suisse et dont le coût compte pour 87% dans le prix de revient total. Ils ont fait le choix – payant vu les ventes phénoménales à leur taille – de prendre un mouvement fabriqué par une manufacture de mouvements totalement indépendante – Timeless, plutôt que de banaliser le produit en prenant un mouvement ETA ou Sellita qui aurait certes coûté beaucoup moins cher, mais qui aurait été aussi beaucoup moins unique.
  • Un autre exemple de l’utilisation intelligente des réseaux sociaux et du big data récoltés sur les clients potentiels (comme chez Code 41) est Daniel Wellington. Car ce n’est certainement pas le produit qui a fait la différence… mais le dialogue avec un public cible sur Instagram notamment. Un succès phénoménal pour une marque lancée en 2011 et qui a vendu en 2018, 2,5 millions de montres. Le succès est déjà en diminution, mais le fait est que toutes ces montres ont été vendues au détriment de montres Swiss made, notamment de Swatch qui propose des montres nettement plus intéressantes. Le facteur critique ici n’est pas le produit, mais la façon d’engager un consommateur sur les codes d’une marque.
  • Et finalement les marques de modes qui étendent leur proposition horizontalement avec des montres dont le positionnement prix correspond à leur clientèle. La montre est vue comme un accessoire au même titre que le parfum que l’on vend à la caisse. De bons exemples de cette stratégie sont Ck Watches (licence anciennement exploitée par Swatch Group), Guess ou Diesel.
Dépendance des principaux groupes de luxe au marché chinois

 

Cette année va extrêmement compliquée pour toute l’économie et l’ensemble des marques de luxe. Au risque de me répéter, le deuxième semester ne permettra pas de compenser les chutes abyssales sur l’ensemble des marchés et de la Chine en premier lieu. Beaucoup de marques avec une assise financière déjà fragile avant le Coronavirus vont disparaître et mon estimation est que d’ici fin 2020, 30 à 60 marques horlogères Swiss made auront définitivement « tiré la prise ». Avec tout le respect dû aux victimes de cette pandémie, je pense que cette crise aura deux effets positifs majeurs sur notre industrie :

  • De remettre en question notre dépendance à un seul marché, la Chine et ses marchés connexes (les achats de touristes chinois).
  • Et de chercher des alternatives aux fournisseurs chinois pour la fabrication de composants horlogers, dont certaines marques – dites Swiss made – abusent en toute impunité. Il ne s’agit pas de passer d’un extrême à l’autre du jour au lendemain, mais de repenser les fondamentaux d’une industrie en incluant les fournisseurs suisses qui sont les « faiseurs » !

 

  1. Ce rapport est réservé aux clients de la banque Morgan Stanley
  2. EBIT : Earnings Before Interests and Taxes; bénéfice de l’entreprise avant soustraction des intérêts dus aux créanciers et aux actionnaires (dividende) et les taxes et impôts.
  3. Estimations de Strategy Analytics Strategy Analytics
  4. Crowdfunding : financement participatif
  5. Crowdsourcing : création participative par une communauté digitale. Les internautes peuvent participer p.ex. au design d’une montre.

 

The english version of this article has been published here : watchesbysjx

 

 

Une année horlogère qui se termine pas trop mal avec l’ombre d’une catastrophe pour le premier trimestre 2020

Finalement nous terminons l’année sur une note positive avec un mois de décembre qui a vu une croissance de 5,8% en valeur et qui clôture l’année avec un léger plus de 2,4% pour CHF 21,6 milliards de produits horlogers suisses vendus dans le monde.

Ce qui est par contre beaucoup plus inquiétant est la baisse drastique et ininterrompue des volumes de montres vendues ! En 2019 l’industrie horlogère suisse a vendu 20,4 millions de montres, soit une baisse de 3,1 millions d’unités sur une année ! L’essentielle de la baisse se concentre sur les montres à mouvements quartz avec une baisse de 2,8 millions d’unités, mais même les montres mécaniques connaissent une baisse de volumes avec une perte de 290’000 montres vendues en moins !

Une conjugaison de problèmes conjoncturels et structurels

Les chiffres positifs du mois de décembre ne sont malheureusement pas le reflet des ventes aux consommateurs finaux, mais le réassort effectué en vue du nouvel an chinois et de la fameuse semaine de congé qui engendre une frénésie d’achats notamment de produits de luxe. Il s’agit traditionnellement de la meilleure période de ventes pour l’ensemble du secteur du luxe, car comme nous le savons les clients chinois représentent aujourd’hui plus d’un tiers du marché mondial du luxe. Or manque de chance, les chiffres de ventes en Chine et ailleurs vont être catastrophiques dû au coronavirus qui est en train de paralyser l’activité économique chinoise. Car il est certain qu’en interdisant les voyages d’une soixantaine de millions de personnes, le pouvoir chinois a choisit de prendre le problème à bras le corps, mais en prenant aussi le risque d’étouffer les ventes du nouvel an chinois.

Le problème structurel est que l’offre suisse pour l’entrée et le milieu de gamme inférieur ne correspond visiblement plus à la demande d’une grande partie des acheteurs potentiels. Il y a une inadéquation grandissante entre une jeune génération de clients qui soit ne portent plus de montres ou alors des montres connectées. Comment doit-on recréer l’envie d’une nouvelle génération pour un objet porteur de valeurs culturelles liée à la mesure du temps ? Même si l’horlogerie suisse garde le haut du pavé avec une part de marché mondiale de 53% des montres vendues en valeur, mais que 2% en volume (20 millions sur 1 milliard), on peut se dire que sa marge de progression est énorme même à côté des montres connectées. L’addition des 20 millions de montres suisses et des 68 millions de montres connectées vendues l’année passée dans le monde (dont 28 millions d’Apple Watch !) laisse augurer d’un potentiel phénoménal à (re-)conquérir !

Le haut de gamme ne suffira pas à sauver une industrie

Le tableau ci-dessous illustre à la perfection l’inquiétante évolution de l’horlogerie suisse qui se réfugie dans une niche du haut  de gamme avec une croissance uniquement dans les gammes de prix supérieurs à CHF 2’000 prix export, soit l’équivalent de CHF 5’000 prix public. Et comme par hasard c’est là où l’on retrouve plusieurs des rares marques qui ont encore de la croissance comme Omega (prix moyen estimé CHF 6’500) ou Rolex (prix moyen estimé CHF 12’000).

Cette croissance dans le haut de gamme est trompeuse, car elle pourrait faire penser que le salut ne viendra que par une croissance des prix. Comme expliqué notamment dans un précédent article, la disparition des volumes de production est un problème structurel majeur pour toute une industrie qui ne pourra plus occuper correctement ses moyens de production, ni amortir correctement ses frais de recherche et développement.

Lire également : https://blogs.letemps.ch/olivier-muller/2019/12/09/lindustrie-horlogere-suisse-ne-doit-pas-devenir-une-reserve-dindiens/

Montres exportées en 2019 en valeur et quantités. Les tranches de prix sont en valeurs export qui sont à multiplier par 2,5x pour obtenir les prix de ventes clients : p.ex. la tranche 2’000-3’000 correspond à un prix de vente public de CHF 5’000-7’500. copyright Fédération de l’industrie horlogère Suisse, FH 01.2020

Une année 2020 qui s’annonce compliquée

Les menaces conjoncturelles sont multiples et variées et font craindre une année très compliquée, notamment pour l’industrie horlogère suisse :

  • Entre un franc fort qui se rapproche à nouveau de la parité par rapport à l’euro (CHF/EUR 1,07 ce matin, +6% en 1 an)
  • des cours de l’or qui s’envolent et renchérissent les coûts de production justement dans le haut de gamme qui continue de surperformer (CHF 49’600/kg ce matin, +17% en 1 an)
  • le principal marché d’exportation, Hong Kong, qui perd 11% en 2019 en sell-in* qui ne représente pas les quantités vendues au client final, mais les quantités livrées aux distributeurs et détaillants. On estime que le sell-out** , qui sont les ventes des boutiques aux clients finaux, a baissé dans les boutiques hongkongaises de 60%, voire plus !
  • Une autorité de surveillance de la concurrence – la bien mal nommée COMCO – suisse qui vient d’engendrer une terrible pagaille en interdisant au Swatch Group et sa filiale ETA de livrer ses principaux clients tout en l’obligeant à livrer des PME.
  • des montres connectées et surtout Apple (35% de parts de marchés sur les 68 millions de montres connectées vendues en 2019 à travers le monde) qui menacent l’entrée de gamme et milieu de gamme inférieur de l’horlogerie suisse.

 

Un réveil qui risque d’être brutal pour tout une industrie

Heureusement nous avons un peloton de tête de marques qui continuent de gagner des parts de marché au détriment d’une myriade de petites marques. D’un côté des “block-busters” comme la Royal Oak d’Audemars Piguet et la Nautilus de Patek Philippe et de l’autre des micro-marques qui tentent péniblement  de survivre. Une polarisation entre les champions qui captent plus de 90% de parts de marché (une trentaine de marques) et les autres (plus de 300 marques) qui se partagent moins de 10% du marché !

80% du marché horloger Swiss made sont détenus par 18 marques et 91,2% par 4 groupes et quelques marques indépendantes ! Cette polarisation s’est encore accentuée en 2019. (copyright Luxeconsult Sàrl et Morgan Stanley dans “Swiss watches: Polarization accelerates” 14.03.2019)

Il faut que l’industrie horlogère s’unisse pour créer un message commun et identitaire et défende ses valeurs sur les marchés mondiaux. Une voie serait de nommer un porte-parole de l’industrie – M. Horlogerie – qui s’emploie à promouvoir les valeurs d’une branche économique qui porte – avec le chocolat, le tourisme et l’industrie dans sa globalité – une image positive d’un petit pays qui ne doit sa prospérité qu’à ses exportations ! Une idée lancée par le journaliste du quotidien Le Temps et que je soutiens pleinement.

Lire également (réservé aux abonnés du quotidien Le Temps) : https://www.letemps.ch/economie/lhorlogerie-suisse-plus-desunie-jamais

Lire également : https://www.swissinfo.ch/fre/vendre-le–swiss-made-_les-horlogers-suisses-doivent-s-unir-pour-contrer-apple—co/45509514

 

*sell-in : les quantités de montres exportées et vendues aux intermédiaires grossistes ou détaillants et qui représentent le stock tampon pour parer aux délais de livraison.

** sell-out : les quantités de montres vendues aux clients finaux, soit par la marque en direct ou par ses concessionnaires.

L’industrie horlogère suisse ne doit pas devenir une réserve d’indiens

Je suis rassuré de voir que les médias en Suisse et ailleurs mesurent enfin l’ampleur du désastre provoqué par la montée en puissance des  montres connectées. Beaucoup d’observateurs commencent à comprendre qu’Apple, Samsung et d’autres ont pris le dessus sur l’entrée de gamme des montres. Le consensus des observateurs est qu’en somme nous perdons la bataille des volumes, mais que nous gagnons celle du haut de gamme, plus profitable en marges (…).

Lire également : https://labs.letemps.ch/interactive/2019/apple-depasse-horlogerie-suisse/

Pour mieux comprendre le constat et l’ampleur du désastre je vous conseille vivement de lire l’article de Valère Gogniat paru dans Le Temps ce matin. Le journaliste y détaille très bien l’érosion des volumes provoquée par l’arrivée des montres connectées et en premier lieu par Apple, mais cite la convention patronale et  la fédération horlogère avec des déclarations qui m’inquiètent tant elles sont déconnectées de la réalité. La convention patronale parle notamment d’une augmentation des effectifs en 2019 et je me demande si ces fonctionnaires vont parfois sur le terrain pour se rendre compte qu’à l’évidence beaucoup d’entreprises actives dans la sous-traitance horlogère en Suisse et en France voisine sont dans des situations très compliquées. Malheureusement pour eux ils sembleraient qu’ils ne soient pas au courant de licenciements qui font parfois l’objet d’un plan de licenciement négocié, mais qui sont souvent insidieux (on procède à des licenciements par petits groupes pour éviter les plans et qui restent de fait sous la ligne flottaison et hors des radars). Et le journaliste omet dans son édito de parler des sous-traitants qui se trouvent ailleurs que “dans les montagnes neuchâteloises” , notamment dans la région genevoise et qui subissent les mêmes affres que leur confrères neuchâtelois.

Autre constat : les personnes citées n’ont pas compris que malgré une croissance en valeur pour 2019, nous serons toujours sur les mêmes niveaux qu’en 2013. Le constat est que nous avons 0% de croissance en valeur sur 7 années consécutives avec une décroissance des volumes de l’ordre de 27% ! Non seulement le gâteau ne grandit pas, mais les “gros convives” (les marques qui génèrent une croissance supérieure au marché comme par exemple Rolex ou Patek Philippe) se servent des parts (de marché) de plus en plus grosses.

Lire et voir également : https://www.rts.ch/info/economie/10756358-les-volumes-d-exportation-des-montres-suisses-s-effondrent.html

Plutôt que de m’attarder sur une des causes de la chute des volumes dans l’industrie horlogère suisse qui faisait déjà l’objet d’un de mes articles en 2017, j’aimerais plutôt braquer les projecteurs sur les conséquences de ce changement disruptif et irréversible.

 

Les montres connectées sont le poison de l’horlogerie suisse, mais malheureusement pas le seul

(Je précise tout de suite que mon analyse n’est pas basée sur la jeunesse suisse qui vit dans un cocon de richesse relative, mais sur le reste du monde qui achète l’immense majorité des montres Swiss made)

Beaucoup de gens pensent que le niveau de vie helvétique constitue la norme ailleurs dans le monde et que le fait de pouvoir porter une Apple watch sur le poignet droit et une montre mécanique sur l’autre est accessible à tout le monde. La mauvaise nouvelle pour ces gens est que le choix entre montre connectée et montre traditionnelle est éliminatoire et non pas complémentaire. D’une part la cible de consommateurs visés par les montres connectées dispose d’un budget aux alentours de CHF 500 et non pas de CHF 500 + 3’000 ! Au-delà du choix de l’objet à porter, il faut prendre en compte les changements de comportements des clients du futur. Les jeunes de la génération X des milléniaux (entre 23 et 38 ans en 2019) et encore plus ceux de la génération suivante Z ne portent soit plus de montres (l’écrasante majorité), soit ils portent des montres connectées (plutôt les X que les Z) ou des montres “fashion” à un prix très accessible.

Les jeunes clients se laissent tenter par une image de marque qui colle à leurs valeurs (ex. Daniel Wellington, dont toute la communication repose sur des campagnes de réseaux sociaux) ou par un prix qui les désinhibe dans l’acte d’achat. Pour bien situer le débat sur les volumes, on peut estimer les ventes mondiales annuelles de produits horlogers à 1 milliard d’unités, dont seulement 20 millions (2% du total !) seront produits en Suisse cette année. Le prix moyen d’une montre chinoise vendue dans le monde peut être estimé à CHF 7 (statistique de la Fédération de l’Industrie Horlogère Suisse, FHS), soit 300 fois moins qu’une montre Swiss made.

Premier constat : une montre connectée prend la place d’une montre traditionnelle et les clients du futur se désintéressent dans leur immense majorité pour un objet qu’ils considèrent au mieux comme ringard et au pire comme étant inutile !

Lire également : https://blogs.letemps.ch/olivier-muller/2017/09/28/la-montre-connectee-nest-pas-lavenir-de-lhorlogerie-suisse/

Les incidences des pertes de volumes pour les fondements de l’horlogerie Swiss made

Le constat est simple et souvent simpliste quand on survole le sujet, l’industrie horlogère suisse a délaissé le champ de bataille des montres d’entrée de gamme et de milieu de gamme inférieur. Les exceptions à ce constat sont rares et incarnées par le Swatch Group avec des marques comme Swatch, Hamilton et Tissot ou encore Frédérique Constant et Alpina (propriété du japonais Citizen). Au risque de me répéter je cite toujours un des rares entrepreneurs visionnaires à avoir gérer des marques horlogères et surtout un outil industriel, M. Nicolas Hayek qui en 1993 déclarait “…. à chaque fois que nous abandonnons un segment de prix, les Japonais montent d’un étage. Et nous enchaînons la prochaine retraite de terrain. ” A l’époque la menace était principalement japonaise, aujourd’hui elle est principalement californienne (Apple et dans un proche futur Google avec Fitbit) et coréenne (Samsung).

ROLEX pourrait très bien se dire que sa marque lui rapport suffisamment d’argent et qu’elle n’a pas à se préoccuper des gammes de prix inférieures. Elle le fait quand même avec beaucoup de succès avec TUDOR qui lui permet d’occuper le terrain avec une offre de produits qui parle au client aspirationnel de ROLEX, celui qui ne peut pas encore s’offrir sa Submariner. De  même que la pyramide de marques du Swatch Group sert à protéger les marques par échelonnement de prix : Tissot protège Longines et Longines sert de bouclier à OMEGA.

Deuxième constat : la perte d’un segment de marché à la concurrence lui permet de gravir les échelons des segments dégageant des marges proportionnellement plus élevées. 

Aucune industrie ne peut vivre que sur des segments de niches

Les horlogers suisses feraient bien d’étudier l’industrie automobile et leurs structures de marques. Lorsque Rolls Royce peut se permettre de lancer un SUV ce n’est que grâce à l’argent que la maison mère – BMW – a gagné avec des X2, X3 ou X5. Rolls Royce “racheté” (sauvé de la faillite) en 1998 par BMW profite aujourd’hui de la technologie, des compétences et des flux financiers de sa maison mère. Elle n’aurait jamais pu développer des nouveaux moteurs et donc des nouveaux modèles en restant indépendante.

Ce cycle vertueux du financement par le bas vers le haut est exactement ce qui a permis au Swatch Group de remettre sur les rails une marque comme OMEGA qui est aujourd’hui le challenger de ROLEX dans son segment de marché. Les flux financiers dégagés par SWATCH ont en effet permis de relancer une marque totalement moribonde à la fin des années 1980. Une marque comme OMEGA ne peut s’offrir des développements comme l’échappement co-axial qu’avec l’aide financière, technologique et logistique du Swatch Group. Non seulement elle a accès aux dernières technologies, mais en plus elle profite d’un avantage prix concurrentiel qui la démarque de la plupart de ses concurrentes. Avec la croissance des volumes de ventes OMEGA dégage plus de marges qui vont venir alimenter les comptes du groupe qui pourra ré-investir dans son outil industriel. Et c’est ainsi qu’un cycle vertueux se met en place qui in fine profite au groupe dans son entier !

Les volumes aident à financer l’outil de production, la recherche et développement de produits et préserve le savoir-faire.

Troisième constat : les segments de prix supérieurs dégagent des marges plus importantes, mais les positionnements de niches ne peuvent que fonctionner dans un éco-système où tous les segments de marché fonctionnent. 

Quand une appellation fait plus de tort que de bien à une industrie….Le Swiss made et ses travers

Mon parti pris est que l’industrie horlogère doit repenser son label, le fameux “Swiss made”. Quand nos parlementaires – guidés par certains lobbyistes – ont retravaillé la nouvelle mouture du Swiss made horloger qui s’inscrivait dans une démarche de certification Swissness ils ont voulu bien faire sans trop en comprendre les conséquences. Lorsque le critère décisif pour qu’une montre obtienne le label Swiss made est le 60% de valeur ajoutée sur la montre dans sa globalité et les 60% de valeur ajoutée pour le mouvement, on ouvre la porte à tous les abus possibles et imaginables. Lorsque les coûts de développement sont inclus dans un calcul de prix de revient, on peut aisément comprendre qu’en-dehors du mouvement la quasi-totalité des composants peuvent être fabriqués ailleurs qu’en Suisse, par exemple en …. Asie. Le fait qu’aujourd’hui des sous-traitants sont soumis à des offres comparatives avec des fabricants asiatiques et qu’ils ne peuvent – pour des raisons évidentes de structures de coûts, notamment des salaires – pas s’aligner sur ces prix.

Arrêtons l’hypocrisie de vendre sous le label Swiss made des montres qui sont fabriquées dans des usines à l’étranger et réservons ce précieux label – porteur d’une image de qualité et de précision helvétiques – aux marques qui ont la volonté de payer le juste prix à leurs fournisseurs ! Mais nous ne sommes pas pour autant forcés à abandonner ces segments de prix comme le prouve la marque Swatch qui fabrique ses montres en Suisse en automatisant et robotisant sa production.

Une marque 100% genevoise et haut de gamme comme FP Journe renonce à l’indication Swiss made sur ses produits quant bien même elle remplit aisément les critères en produisant la quasi-totalité de ses composants en Suisse ! Pourquoi ? Parce qu’à juste titre elle considère que ce label n’a aucune crédibilité.

Quatrième constat : l’abus du label Swiss made est dommageable, car on induit en erreur un consommateur qui pense naïvement que sa montre a été produite en grande partie en Suisse. De fait on a affaibli un avantage concurrentiel que représente une appellation d’origine comme le Swiss made en rendant son accès trop facile !

Lire également https://www.letemps.ch/economie/francoishenry-bennahmias-ne-suis-inquiet-suis-fache

Inspirons nous de nos concurrents pour mieux les battre

Apple ne produit rien et possède probablement la chaîne logistique la plus compliquée au monde pour l’approvisionnement des composants nécessaires. Apple ne revendique pas le Made in USA, car tout le monde sait que tout ou presque (certains processeurs sont fabriqués aux USA) est fabriqué en Chine, en Corée ou au Japon. Malgré tout ces éléments “à charge”, Apple est une marque de luxe qui réussit à vendre ses produits nettement plus chers que la concurrence asiatique et engrange des marges substantielles. Par contre ce qu’Apple a réussit à faire – au même titre que Google et d’autres – a été de créer un éco-système dans lequel le client est devenu complètement captif d’une marque ! A l’inverse Apple – malgré son génie marketing – a mis beaucoup de temps (4 ans) entre le lancement de sa première montre et la version 4 pour comprendre où se trouvait sa clientèle cible (lire ci-dessous l’article du New York Times). Ma prédiction est que si Apple s’est focalisée sur le domaine de la santé avec le tracking de votre activité physique, sa cible est clairement une clientèle au-delà de 30 ans qui se soucie de ses pulsations cardiaques c’est une bonne nouvelle pour les horlogers suisses qui veulent conquérir les poignets des jeunes qui ne font pas de triathlon !

Lire également : https://www.nytimes.com/2018/10/03/magazine/apple-watch-data-industry.html

Ce que les horlogers suisses n’ont apparemment toujours pas compris est que l’objet porté au poignet est “seulement” le sésame pour l’univers contrôlé aujourd’hui par les GAFA* et quelques fabricants chinois comme Huawei.

Continuons à faire des objets d’exception en revendiquant un savoir-faire, un terroir et une tradition, mais ne tombons pas dans le piège de vouloir nous battre sur un champ de bataille que nous avons délaissé. Plutôt que de vouloir imprimer sur les cadrans un label qui a toujours été à géométrie variable, rendons le crédible et utilisons le à bon escient. Et allons parler aux géants comme Apple qui savent vendre des montres à USD 500 mais pas à USD 5’000 !

Et finalement même si les montres connectées connaissent un engouement spectaculaire et si on part du constat qu’un milliard de montres sont vendues chaque année à travers le monde, et que l’on déduit de ce chiffre les 20 millions Swiss made et les 66 millions de montres connectées on arrive à 93% de montres “conventionnelles” à quartz ou mécaniques. Donc la marge de progression pour notre industrie est phénoménale, car nous détenons tout juste 2% en volume, mais 53% en valeur.

 

 

*GAFA : acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft