Le Grand Prix de l’Horlogerie est-il vraiment utile au rayonnement des marques ?

Le Grand Prix de l’Horlogerie de Genève (GPHG) est un concours annuel dont la cérémonie de remise des prix se tient au mois de novembre au Grand théâtre de Genève. Son but est de promouvoir l’excellence horlogère au niveau international en décernant des prix à des créations et à des acteurs de l’industrie dont la créativité ou la contribution ont marqué les esprits.

Le Grand Prix de l’Horlogerie est-il vraiment utile pour notre industrie ou est-ce simplement une bouffonade destinée à gonfler les égos des lauréats ? Je me pose la question depuis un certain temps et je ne suis pas encore arrivé à une réponse concluante dans un sens ou l’autre.

En fait et pour être dans la transparence des propos, j’ai eu la chance de faire gagner ce prix en 2010 à une marque que j’avais contribué à mettre en place, Laurent Ferrier. Et je peux juger du vecteur de communication positive que ce prix représente dès lors que l’on sort des querelles de village typiquement helvétiques. Lorsque vous arrivez en Asie (marché no. 1 des exportations horlogères helvétiques) vos interlocuteurs vous parlent tous spontanément de ce concours qui à leurs yeux revêt une importance, dont nous ne mesurons pas bien l’importance.

Lire également : Businessmontres.com “Il manque un prix au GPHG 2019…” 02.07.2019

Ce qui a été amélioré et ce qui pourrait l’être pour la 20èmeédition en 2020

Les mauvaises langues locales vous diront que le GPHG se gagne avec des échanges de bons procédés. Ce n’est certainement plus le cas depuis au moins 10 ans et la transformation du GPHG d’un club de copains, adeptes de « l’école des fans » de Jacques Martin où tout le monde gagnait à la fin, à une institution sérieuse contrôlée par un conseil de fondation.

D’ailleurs le soir où Laurent Ferrier avait gagné son trophée dans la catégorie Homme, un autre patron de marque avait été très déçu de ne pas être parmi les lauréats, car sûr de son coup avec l’ancien responsable du Grand Prix qui lui avait probablement assuré un trophée. Ce qui m’avait valu un coup de fil acerbe le lendemain de la cérémonie : « C’est bien pour toi, mais ce n’est pas mérité pour Laurent Ferrier qui n’est pas une marque ! ».

Sauf que le GPHG est un concours d’élégance ouvert à tous les créateurs horlogers, marques, artisan horloger ou créateur éphémère. Les prix récompensent la créativité et l’ingéniosité ; le poids économique d’une marque n’est – heureusement – pas un critère !

La composition du jury a été revue – quasiment – de fond en comble. Le ménage n’est pas terminé et on peut se demander si les accointances de certains membres du jury avec certaines marques (ex. le juré qui vend en tant que détaillant certaines marques ou pire dont il finance les activités) ne sont pas problématiques ?

  • Pourquoi ne pas simplement faire ce que l’on demande aux politiciens (oui je sais M. Trump et certains parlementaires suisses ne sont pas des modèles en la matière !), à savoir déclarer leurs liens avec les marques en compétition et lorsqu’un conflit d’intérêts est latent simplement ne pas participer au vote ?

Les catégories ont été modifiées, certaines créées pour mieux différencier les typologies produits, et d’autres supprimées. C’est un point important, car il ne viendrait pas à l’idée d’un festival de films de mettre dans la même compétition un documentaire et une fiction, aussi peu que le GPHG doit mélanger des tourbillons avec des montres trois aiguilles.

Subsiste le problème des critères d’admission des montres qui sont censées être des nouveaux modèles et non des variations de modèles existants. Je me réjouis du nombre de montres participantes (202), mais si c’est pour ressortir le même modèle présenté il y a 4 ans en or et cette fois en acier, je me demande en quoi consiste la nouveauté ? Pour illustrer le propos on peut par exemple citer la magnifique montre homme « New retro » par De Grisogono qui a été lancée en 2015 et dont la version Dame avait participé au concours sans être sélectionnée pour le choix final. La montre « Monsieur de Chanel » qui a été lancée en 2015 et qui nous revient avec un traitement couleur noire.

  • Une nouveauté est une montre présentée pour la première fois dans son design originel et dans l’année de son lancement et non pas dans la énième variation de la couleur de cadran ou des aiguilles.
  • Interdire à une marque de participer à plus que 2 catégories la même année. On voit cette année des marques participer dans 6 catégories différentes…. Ce n’est ni sérieux, ni intéressant pour le public !
  • Éviter les calculs de probabilité en mettant une montre dans une catégorie qui n’est pas naturellement la sienne, comme un tourbillon dans la catégorie « homme », alors qu’il devrait figurer dans la catégorie « complication pour homme ».

Une participation en – trop ? – forte augmentation

Je m’efforce d’éviter les polémiques et je ne cite jamais les mauvais élèves, mais j’ai fait un rapide décompte et sur les 202 montres présentées et en enlevant les 10 montres de la catégorie montre « iconique », on arrive à 45 montres sur 192 qui sont des rééditions ou variations d’une montre existante soit presque un quart du total !

Moins de montres c’est moins de travail et du meilleur travail pour les jurés. Contrairement aux idées reçues de certains, les jurés ne voient pas toutes les montres. La première sélection est effectuée sur la base de photos et/ou vidéos et d’un descriptif de la montre en compétition. Une fois la pré-sélection effectuée, les heureuses élues auront plus de chances d’être scrutées en vrai par chaque juré.

Une catégorie qui mériterait d’être crédibilisée

Une nouvelle catégorie est celle des montres « Chronomètres », soit « des appareils de haute précision » (dixit le dictionnaire « Berner » qui fait référence dans notre industrie). Ceci est une très bonne idée, car la précision doit rester un cheval de bataille de l’horlogerie suisse…. Sauf que sur 8 montres inscrites dans cette catégorie, seules deux sont certifiées COSC (Certification du mouvement par le Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres), TAG Heuer et Ferdinand Berthoud.

Tissot offre la même certification – à un tiers du prix de la montre la moins chère représentée dans cette catégorie – la TAG Heuer.

Et aucune des montres en compétition ne revendique un bulletin de marche de chronométrie (le mouvement et la tête de montre satisfont aux standards de précision exigés par le COSC) qui fait la gloire de deux marques qui « bizarrement » ne participent pas au GPHG, Rolex et OMEGA.

A lire aussi : https://www.letemps.ch/economie/cosc-arbitre-precision-suisse

 

Conclusions

 Je pense que le travail du jury serait grandement facilité si le nombre de montres était sérieusement revu à la baisse. Il faudrait éviter qu’une marque se mette dans six catégories différentes (le règlement en autorise sept !) plus deux montres de sa marque sœur.

Il est certes réjouissant que le propriétaire des deux marques en question rentre – presque – chaque année de la cérémonie avec le sourire radieux du premier classe…. que la maîtresse de classe a un peu aidé, mais ceci nuit au sérieux du grand prix. En effet et si mes souvenirs des calculs de probabilité sont encore bons, il est fortement improbable que sur une centaine de marques présentes (120 en 2019) et plus de 200 montres en compétition, une seule marque puisse avoir un taux de réussite aussi élevé !

Si le GPHG veut s’établir sérieusement comme les « oscars de l’horlogerie » il faudra encore faire quelques efforts qui permettront d’attirer les grands noms de l’horlogerie qui manquent à l’appel…. Et dire au président de l’organisation de porter autre chose qu’une montre chinoise lorsqu’il rencontre un journaliste pour parler de ce concours !

Lire aussi :https://www.letemps.ch/economie/raymond-loretan-nouveau-diplomate-lindustrie-horlogere

 

PS : le petit exercice des observateurs qui consiste à se risquer à un pronostic :

Dame : Robert & Fils 1630 « La Dentelle » (même si cette montre devrait être inscrite dans la catégorie « Joaillerie »).

Complication pour Dame : MB&F « Legacy Machine Flying T ». Sans aucune hésitation !

Homme : Urban Jürgensen « Jürgensen One ». Une vraie sportive élégante dans la tendance du sport chic très en vogue.

Complication Homme : Hautlence « HL Sphere » pas seulement parce qu’Eric Cantona – par ailleurs ambassadeur de la marque – est mon idole et contemporain, mais parce que la complication est ludique et que la montre est tellement …. Hautlence dans son ADN !

Iconique : Audemars Piguet « Royal Oak « Jumbo » extra-plat »(quel nom à rallonge !). Plus iconique tu meurs !

Chronométrie : TAG Heuer « Isograph ». Quand on fait de la chronométrie on se doit d’être certifié COSC et ça n’a pas besoin d’être cher pour être précis !

Calendrier et Astronomie : Audemars Piguet « Code 11 :59 by Audemars Piguet Quantième Perpétuel ». A part le nom du produit et de la collection (by AP, donc une sous-marque ou une famille ?) qui relèvent plus du branding forcé et malgré les polémiques sur les réseaux sociaux…. C’est tout simplement magnifique ! Le cadran en aventurine est une beauté céleste et le mouvement est tout simplement parfait.

Exception mécanique : HYT « Soonow ». Le concept tridimensionnel de HYT est l’une des plus belles interprétations de l’horlogerie du 21ème siècle comme on aimerait en voir plus souvent !

Chronographe : Bulgari « Octo finissimo chronographe GMT Automatique ». Un mouvement chronographe automatique avec une masse périphérique qui permet de dévoiler la beauté du mécanisme le plus plat de sa catégorie. En plus d’être beau c’est une prouesse de conception mécanique !

Plongée : De Bethune « DB28GS Grand Bleu ». Quelle idée géniale de repenser une montre de haute horlogerie en montre de plongée ! Denis Flageollet, le maître horloger et créateur de la marque, est le Breguet du 21èmesiècle qui ose réinterpréter les codes de la haute horlogerie. C’est ultra chic !

Joaillerie : Bulgari « Serpenti misteriosi romani ». Une vraie montre de joaillerie dans une catégorie de laquelle quelques concurrentes sont absentes pour cause d’opportunisme….

Métiers d’Art : Bereve « Numbers – Enamel Grand feu”. Enfin une approche rafraîchissante de l’émail grand feu cloisonné qui est une technique très ancienne, mais qui mériterait d’être revisitée plus souvent.

Petite Aiguille : Code 41 « X41 ». Plus pour l’intelligence du concept qui a fait un malheur sur les réseaux sociaux pour le crowdfunding et le développement produit « communautaire ». Mais le produit ne démérite pas avec un mouvement mécanique automatique avec une masse périphérique conçu et fabriqué en Suisse par une manufacture de niche.

Challenge : Seiko « Presage cadran porcelaine d’Arita ». Parce que c’est probablement la seule montre dans cette catégorie qui déclare ouvertement ses origines sur le cadran !

 Lire aussi : https://blogs.letemps.ch/olivier-muller/2019/05/21/les-plus-belles-montres-lancees-cette-annee-un-choix-totalement-subjectif-et-assume/

 

*Je ne conseille aucune des marques inscrites à ce GPHG 2019.

 

 

Les plus belles montres lancées cette année. Un choix totalement subjectif et assumé.

1ère partie de mes 10 montres préférées et présentées en 2019

Comme toujours les deux salons horlogers – le SIHH et Baselworld – ont vu une salve de nouveautés pour certaines enthousiasmantes, pour d’autres décevantes. Ma sélection n’est pas limitée par des considérations de prix ou de marques, mais uniquement par des coups de coeur pour la créativité d’horlogers, de designers ou de concepteurs.

J’évite de parler de produits ou de marques dont la seule originalité consiste à mettre le bracelet d’un modèle sur l’autre ou de décliner une montre en or dans une autre matière (…). L’ordre d’apparition est également totalement subjectif et ne sert qu’à mettre en lumière des montres qui méritent le détour !

1. Richard Mille : RM 16-01 Fraise et RM 07-03 Marshmallow

Richard Mille est LA marque qui réussit à réinventer les codes de la haute horlogerie. Au lieu de vouloir faire ce que les marques historiques font très bien – à savoir réinterpréter des classiques, souvent sans beaucoup d’audace – RM ose la combinaison de mécanique de formule 1 au poignet et de design sans compromis.

Une marque lancée il y a tout juste 20 ans et qui bouscule – presque – tout le monde en se jouant des règles régissant le monde de l’horlogerie. Cette année Richard Mille ne se contente pas simplement de faire de la “haute mécanique”, mais également une esthétique qui décoiffe et fait sourire, la collection Bonbon (10 montres au total) ! Et ne vous laissez pas dérouter par le côté uniquement ludique du produit, il y de la magie et du savoir-faire artisanal – Suisse ! – derrière avec notamment de la poudre d’émail appliquée pour la brillance des cadrans.

  • les plus :
    • une esthétique qui décoiffe avec des cadrans ultra ludiques qui donnent envie de croquer dedans. Un magnifique pied de nez à l’horlogerie traditionnelle !
  • le(s) moins : un risque d’obsolescence rapide et donc une valeur de revente probablement modeste dans quelques années
RM 16-01 Automatic Fraise
RM 07-03 Automatic Marshmallow

 

2. Vacheron Constantin : Traditionnelle Twin Beat Quantième Perpétuel

Concept mécanique très intéressant – c’est un euphémisme ! – dans une montre qui se veut garante de la tradition horlogère chez Vacheron Constantin. On ne comprend pas toujours pourquoi les marques veulent toujours tout faire en anglais, même pour les noms de produits…. Twin Beat donc pour deux coeurs de la montre, un organe réglant à très basse fréquence qui bat à 1,2 Hz et un autre à  haute fréquence à 5Hz = 36’000 battements par heure. Pourquoi autant de complication(s) dans un mouvement ? Pour solutionner le problème de l’arrêt de marche – et le réglage compliqué du quantième perpétuel – lorsque vous ne portez pas votre montre. Car lorsque vous décidez de déposer celle-ci au coffre vous pouvez passer en mode “économique” en basse fréquence sur simple pression d’un poussoir et votre réserve de marche sera de 65 jours ! Lorsque vous reprendrez votre montre il vous suffira de de presser sur un poussoir et de repasser en  haute fréquence et profiter de votre quantième perpétuel.

Cette montre est un magnifique exemple d’ingéniosité mécanique avec …. 480 composants et un habillage mariant modernité et un guillochage traditionnel du cadran.

  • les plus :
    • un concept mécanique avec une vraie utilité pour son heureux propriétaire. Inutile de préciser que la décoration du mouvement est certifiée par le poinçon de Genève garant de bienfacture.
    • sa rareté : il n’y aura que cinq (!) montres de livrées cette année et probablement pas beaucoup plus dans les années à venir. Ceci signifiera probablement une valeur de revente élevée….. pour autant que l’on ait envie de revendre un jour une telle beauté !
  • le(s) moins :
    • le prix de CHF 210’000 justifié par une production ultra limitée et une complexité de production très élevée.
    • une lisibilité qui pourrait être améliorée avec des aiguilles des compteurs bleuies qui amèneraient du contraste. Un détail comparé au chef d’oeuvre accompli par les maîtres horlogers de Vacheron Constantin !
Vacheron Constantin Traditionnelle Twin Beat Quantième Perpétuel

 

3. Laurent Ferrier : Bridge One

Pour avoir eu la chance de travailler avec M. Ferrier, je peux apprécier son talent pour se risquer au périlleux exercice de la montre de forme. Quelles lignes magnifiques qui créent une tension synonyme de beauté intemporelle ! La conjugaison de formes convexes et concaves lui donnent une allure sublime. Le cadran est comme toujours chez Laurent empreint d’un purisme absolu. Et la montre garde les signatures de la marque depuis ses débuts avec une très belle couronne en forme de boule directement inspirée des montres de poche, des aiguilles fines et élancées et surtout un mouvement de forme magnifiquement décoré.

Une beauté qui deviendra certainement une icône, mais réservée et désirée par les rares collectionneurs amateurs de montres de forme.

  • les plus :
    • un design intemporel et une vraie dress watch qui sublimera un smoking.
    • une qualité de terminaison artisanale et exceptionnelle d’un mouvement manufacturé avec 80 heures de réserve de marche.
    • un prix très raisonnable – eu égard à la rareté de l’objet – pour cette version en acier à CHF 33’000 ou CHF 37’000 (HT) avec un cadran en émail grand feu.
  • le(s) moins :
    • une seule critique – mais celle d’un puriste et fan de la marque – quant au choix d’avoir recours à un “simple” échappement à ancre suisse, alors que la marque possède la maîtrise d’un échappement propriétaire inspiré de Breguet (“échappement naturel”).
Laurent Ferrier Bridge One. Courtesy of https://monochrome-watches.com

 

Laurent Ferrier Bridge One calibre LF 107.01. Courtesy of monochrome-watches.com

 

4. MB&F : Legacy Machine FlyingT

Wow…. quelle audace qui est par ailleurs la signature du laboratoire d’idées MB&F ! Non seulement l’équipe autour de Max Büsser s’attaque au segment des montres dames qui est normalement la chasse gardée de très peu de marques dans la haute horlogerie et dont il faut comprendre les codes pour s’y risquer. Longtemps attendue par les épouses des aficionados de MB&F cette première montre dédiée aux femmes est une réussite totale. Sa glace saphir en forme de dôme est une mise en scène d’un tourbillon volant avec une architecture verticale, ce qui est pour le moins insolite. La signature de la marque étant de créer des sculptures mécaniques tridimensionnelles, l’exercice est exécuté avec une créativité rarement vue dans la haute horlogerie. Les deux couronnes ajoutent un élément visuel supplémentaire avec pour une la fonction de la mise à l’heure et le remontage pour l’autre (100 heures de réserve de marche).

J’aime beaucoup aussi la mise en scène du rotor en forme de soleil pour le remontage automatique.

  • les plus :
    • enfin un design rupturiste pour une montre femme ! Une vraie montre féminine qui n’est pas une homothétie d’une montre homme avec quelques diamants en plus.
    • une complication mécanique réinterprétée de façon originale pour les femmes.
  • le(s) moins :
    • le prix ? Non, même là-dessus il n’y a rien à redire, car pour CHF 108’000 (HT) vous (vous) offrez une montre qui restera rare avec une jolie complication féminisée, un boîtier en or serti de diamants (CHF 135’000 pour le cadran serti de diamants tailles brillants) et de la rareté !
MB&F Flying T
MB&F Flying T

 

5. OMEGA : Speedmaster Apollo 11

Quelle magnifique réédition de la montre commémorant les 50 ans de l’alunissage le 20 juillet 1969 par l’équipage d’Apollo 11 ! A l’époque une série limitée avait été créée, dont les 32 premières montres furent offertes aux astronautes et quelques officiels, dont le président Nixon. Mais ce que j’aime chez Omega est le fait que l’on refasse des icônes avec les matériaux et les technologies d’aujourd’hui : le boîtier est fait avec un alliage d’or jaune totalement nouveau, le Moonshine Gold qui possède la caractéristique de ne pas perdre l’intensité de sa couleur. La lunette est en céramique avec des inserts des chiffres en or et le cadran est également en or massif.

Mais pour moi le plus beau est visible par le fond saphir et il s’agit d’un nouveau calibre OMEGA 3861 , dont la base est toujours le légendaire Lémania qui équipe encore aujourd’hui les Speedmaster Professional “Moonwatch”, mais qui est équipé de l’échappement co-axial dans cette version . L’échappement co-axial, inventé par George Daniels et fortement perfectionné par Omega permet à la marque de produire les meilleurs mouvements mécaniques industriels Swiss made. Et ce n’est pas seulement moi qui le dit, mais Roger Smith “héritier” de George Daniels et considéré lui-même comme un des meilleurs artisans horlogers contemporains.

  • les plus :
    • une icône de l’horlogerie réinterprétée et améliorée éditée en série limitée et dont la valeur ira sans aucun doute grandissante. 1’014  pièces (comme l’original de 1969) c’est peu pour Omega et garant d’une certaine exclusivité.
    • un mouvement qui représente ce qui se fait de mieux dans l’horlogerie “industrielle” Swiss made avec un échappement co-axial anti-magnétique et Master Chronometer certifié officiellement en tant que chronomètre (0/+5 sec./jour max. de déviation journalière).
    • un grand soin accordé aux détails de l’habillage et du mouvement.
  • le(s) moins :
    • un prix de CHF 34’500 qui peut sembler élevé, mais qui devrait être un bon investissement sur le long terme.
    • un fond de boîtier avec trop de textes, de même que sur le cadran on aurait pu s’épargner le sigle “OM” pour “or massif”.
Speedmaster Apollo 11
50ème anniversaire de l’alunissage

 

Apollo 11 : calibre 3861 co-axial, Master Chronometer

 

 

Baselworld et l’équation impossible ?

Ce qui me passionne le plus avec le petit monde de l’horlogerie est l’incroyable capacité d’adaptation du discours dans un temps record. Il y encore quelques semaines beaucoup de visiteurs et exposants de Baselworld se préparaient à aller à Bâle une dernière fois avant le tomber de rideau final sur un salon dont plus personne ne comprenait l’utilité. Puis – et là j’anticipe déjà l’épilogue – tout s’est passé différemment que prévu…. Les exposants sont sortis pour certains avec un grand sourire, les “influenceurs” étaient contents de se photographier mutuellement pour leurs stories Instagram (les montres ne sont qu’un prétexte  pour se retrouver !) et la direction du salon était soulagée d’avoir sauvé les meubles.

 

Courtesy of Baselworld
“Le T…. de Bâle” by Herzog & de Meuron

Baselworld 2019 et le récit du sauvetage d’une tradition devenue ringarde

Je ne vais pas  refaire la chronologie de la descente aux enfers d’un salon qui s’est cru tout permis pendant des années en considérant ses clients/exposants comme un marché captif en leur imposant des prix en aucune commune mesure avec les prestations offertes et les traitant avec dédain. Ni relever les prix de la saucisse à rôtir la plus chère au monde et encore moins parler d’un espresso à CHF 5,50 pris dans les courants d’air sous le fameux “t… de Bâle” de Herzog&de Meeuron et éluder le scandale de la chambre de l’hôtel 1* à CHF 200 la nuit.

Lire aussi : https://blogs.letemps.ch/olivier-muller/2018/10/18/comment-tuer-la-poule-aux-oeufs-dor-ou-la-fin-de-baselworld/ 

Parlons plutôt de la “vision” du nouveau management de la foire qui se projette dans l’ère digitale et qui annonce un Baselworld 2020 avec un format totalement novateur. Avec des animations, des discussions et des présentations pour offrir autre chose aux visiteurs que des stands “bunkerisés” totalement fermés pour le quidam lambda et avec des vitrines qui présentent à peu près la même chose que la vitrine d’un détaillant multi-marques quelque part dans le monde.

Donc Baselworld 2.0 qui cette année a osé l’audace de créer un incubator (“Watch Incubator”) aussi vivant et animé (…) que les stands du salon des inventions de Genève avec quelques tables posées dans un couloir menant aux WC (paramètre potentiellement porteur de trafic visiteurs !). Bien sûr sans aucune signalétique pour le visiteur pour que celui-ci ait la motivation de faire un jeu de pistes ou une escape game en devinant le parcours lui-même !

J’ai même eu de la compassion pour certains exposants, majoritairement asiatiques, qui se sont retrouvés “parqués” dans une halle 4.0 aussi morne qu’une salle des fêtes un lundi matin.

Mais relevons aussi les points positifs : la disparition de l’immense stand de Swatch Group dans la halle 1 a permis aux organisateurs d’exprimer tous leurs talents d’habilleurs de l’espace. Le centre de presse était gigantesque et très bien équipé, bordé d’une allée d’arbres ! J’aimerais proposer aux organisateurs d’ajouter une piste de pétanque et éventuellement un bassin pour en faire réellement une belle place à vivre.

Plus sérieusement la dégringolade du nombre d’exposants de 2’500 à 500 (avec le stand qui vend les Läckerli à la sortie ?) a fait que la visite du salon était plus agréable avec beaucoup moins de monde. Et ceux qui se réjouissaient de l’affluence de la halle 1 n’ont probablement pas compris qu’avec la fermeture de la halle 2 la concentration était plus importante à certains endroits à certaines heures.

Salon de l’auto ? Non, de l’horlogerie !

 

Baselworld 2020 et une nouvelle conception d’un salon 4.0

Je rejoins entièrement certaines critiques formulées avant et après Bâle qui critiquent notamment:

  • le timing : un salon fin avril, début mai fait-il sens ? Tout le monde sait que les pics de ventes dans l’année sont en fin d’année et pendant le nouvel an chinois, donc contrairement à l’avis de certains journalistes ou observateurs je ne pense pas que janvier soit le meilleur moment dans l’année. Pourquoi ne pas profiter de la trêve des confiseurs pendant les vacances horlogères en été ? Ah oui….. les détaillants et les journalistes sont à la plage.
  • le format : mercredi à mardi ? Je n’ai jamais compris pourquoi à Bâle le calendrier hebdomadaire occidental n’était pas respecté. Et si on faisait lundi à vendredi pour les professionnels pour ouvrir le salon au public pendant le weekend ? Et offrir des tickets à CHF 10 par adulte et gratuits pour les enfants ? Finalement ce sont des clients potentiels ou futurs.
  • le concept : j’espère vraiment que Baselworld a compris qu’il faut segmenter l’offre et offrir un contenu intéressant aux nouveaux consommateurs. Quand ils auront compris que les artisans horlogers, les micro-marques et les indépendants font partie du même microcosme, alors les visiteurs pourront comprendre qui est qui. Cette année encore il fallait chercher entre la halle “Les Ateliers”, l’AHCI (tribu de créateurs horlogers indépendants parfois plus intéressés à échanger entre eux qu’avec des intrus) et la ruche incubatrice de micro-marques qui est en soi une bonne idée.

Lire également : https://www.letemps.ch/economie/baselworld-se-meurt-vive-baselworld

Lire également : Businessmontres.com / G. Pons / 30.03.19

Un futur pour un lieu d’échange et de communication comme Baselworld ?

J’en suis convaincu, même si Baselworld me fait peur lorsqu’elle essaie de faire du mimétisme sur des salons de high-tech. J’ai eu la chance cette année de me balader avec deux jeunes entrepreneurs de la génération millennials, chacun suffisamment fortunés pour acquérir des montres à des prix à 6 chiffres, qui me faisaient part de leur crainte de voir Baselworld devenir un nouveau CES (salon de l’électronique à Las Vegas) ! Oui, et ça c’est la bonne nouvelle du jour à part les magnifiques montres que nous avons vues chez les uns et les autres (n’en déplaisent aux rabats-joies qui vous disent 15 minutes après l’ouverture du salon qu’il n’y a rien à voir !) : la jeune génération de clients de l’horlogerie suisse a les mêmes attentes que la génération précédente. Elle est en quête d’authenticité, de créativité et de savoir-faire ! J’ai vu sur le visage de mes deux accompagnateurs du bonheur lorsque Kari Voutilainen ou Romain Gauthier leur expliquaient la naissance d’une montre dans un atelier d’horlogerie.

Lire également : https://www.letemps.ch/opinions/baselworld-sest-offert-patience-marques

Une marque horlogère peut-elle grandir sans innover ?

De la difficulté pour une marque horlogère de trouver des relais de croissance : Audemars Piguet et Omega

Je profite de la fin du SIHH pour essayer d’illustrer le challenge pour une marque horlogère de se réinventer pour trouver des nouveaux clients. Deux marques ont particulièrement fait parler d’elles pendant ou juste avant le SIHH. Et elles font partie des rares marques horlogères Swiss made à créer de la croissance ce qui permet à notre industrie de se porter plutôt bien dans un environnement économique qui va devenir plus compliqué dès cette année.

Audemars Piguet et son pari de sortir du mono-produit avec une nouvelle collection

 

Audemars Piguet (AP) possède un immense avantage, mais qui est en même temps son grand défi, avec un produit iconique qui est la Royal Oak. Cette montre dessinée par Gérald Genta en 1972 était tellement disruptive qu’elle a initié un nouveau marché de la montre chic, sportive, un design reconnaissable entre mille et en acier ! Même si la Royal Oak n’a pas été un succès foudroyant lors de son lancement, son mythe et son attractivité se sont accrus de façon exponentielle dans les années 2000. Aujourd’hui elle est aux poignets des rappers, sportifs et influenceurs les plus en vue de la planète. Aux USA on peut voir des gens comme Jay-Z ou le boxeur Floyd Mayweather porter des modèles de la Royal Oak en or et serties qui valent des fortunes. Jusqu’ici tout va bien, sauf que la marque est devenue dépendante à 70% (chiffre officiel) probablement plutôt à 80% de ses ventes sur sa famille de produits phare. Les tentatives de lancement de nouvelles lignes comme la « Jules Audemars » ou la « Millenary » n’ont pas rencontré un francs succès et c’est un euphémisme de le dire.

La marque du Brassus a connu une croissance de son chiffre d’affaires de plus de 60% en 6 ans, alors que l’industrie horlogère a en moyenne stagné dans la période 2012-18 (estimation car les chiffres de l’industrie horlogère pour l’ensemble de l’année 2018 n’ont pas encore été publiés).

Une marque dont l’ADN se situe dans la disruption esthétique

En 1993, soit 21 ans après le lancement de l’original, il y a eu une extension de la collection avec la Royal Oak Offshore créée pour séduire une clientèle plus jeune et donc plus branchée. Cette nouvelle version de la Royal Oak a d’ailleurs beaucoup inspiré une marque appartenant à un groupe de luxe et dont nous tairons le nom (….).

 

Puis en 2002 une Royal Oak Offshore concept qui a pour vocation d’être le laboratoire horloger d’AP avec des concepts mécaniques très poussés.

En 2012 un nouveau CEO est nommé chez Audemars Piguet et il a déjà passé 13 ans dans la maison comme responsable du marché US. Il déclare que « AP sera l’Apple de l’horlogerie » et annonce un chiffre d’affaires de 1,3 milliards dans un horizon moyen terme (AP faisait CHF 600 millions en 2012).

Pendant plusieurs années ses équipes vont travailler d’arrache-pied sur une ligne de produits complètement nouvelle et se voulant disruptive : la code 11.59 présentée lors du SIHH de la semaine passée. Le résultat est impressionnant dans la largeur et la substance de l’offre, mais les « influenceurs » n’ont pas du tout apprécié – et c’est un euphémisme – que la marque ose lancer un produit qui ne soit pas une copie ou une émulation de la Royal Oak. La marque a choisi une stratégie risquée en essayant de créer le “buzz” médiatique sur les réseaux sociaux dont les protagonistes derrière l’anonymat de comptes anonymes Instagram ou de fausses identités sur des blogs se sont lâchés en déversant un flux de commentaires pour la plupart totalement irrévérencieux du travail accompli.

Un journaliste spécialisé a fait une excellente analyse de la cohérence de la stratégie marketing, dont je ne partage pas toutes les conclusions, mais qui a le mérite de poser les questions de fond. Dans son article Grégory Pons pose notamment la question si la communication de crise qui a suivi la présentation pré-SIHH était à la hauteur “…. Si ce lynchage numérique est sans précédent, il s’imposera aussi dans l’histoire de la communication horlogère comme l’expérience in vivo de tout ce qu’il ne faut jamais faire en phase de communication de crise..”.

Lire aussi (site payant) : Businessmontres.com/17.01.2019/G. Pons/”Il faut quand même qu’on vous dise un mot de cette fameuse montre 11:59″

 

À lire aussi : Le Temps/ 15.01.2019/ “Un torrent d’injures s’abat sur Audemars Piguet”/V. Gogniat

À lire aussi : Blog Le Sablier / Quand les “influenceurs” se rêvent créateurs

 

Ce qui m’a le plus frappé dans les commentaires et les discussions était le fait que les gens comprennent qu’AP ait besoin d’un relais de croissance, mais qu’ils voulaient en fait que la marque reste mono-famille de produits…. “same but different” ! Pour prendre un exemple de l’automobile certains puristes auraient aimé que Porsche reste mono-produit avec la 911, mais entre-temps son SUV Cayenne est le modèle le plus vendu de la marque.

La nouvelle collection d’AP se décline en 13 modèles et 6 calibres (un mouvement automatique 3 aiguilles, un chronographe qui est de fait le premier chronographe 100% manufacturé par AP, un magnifique quantième perpétuel, un tourbillon et un tourbillon volant et une répétition minutes), dont 3 mouvements entièrement nouveaux. Quand on sait l’effort à produire pour développer un seul mouvement on peut mesurer la tâche titanesque accomplie par les équipes d’AP. Le mouvement du chronographe roue à colonnes est tout simplement magnifique et lorsqu’on enclenche la fonction du chronographe on ressent une douceur mécanique proche de la perfection.

 

J’applaudis le courage et la ténacité du CEO pour porter un tel projet au lieu de se contenter du succès déjà phénoménal de la marque. La bienfacture du mouvement et de l’habillage (ex. boîtier, cadran, etc.) est indiscutable, l’esthétique de certains cadrans est davantage discutable. Mais pour finir sur une note positive le boîtier réussit le pari de devenir une montre ronde (lunette et fond) en respectant l’octogone qui est la signature de la Royal Oak et qui est repris dans la carrure de la code 11 :59. De même que le cadran de la variante quantième perpétuel en aventurine est de toute beauté et sera certainement un prétendant au prochain Grand Prix de l’Horlogerie à Genève. And last but not least – et ceci devrait être un cas de “best in class” logistique à étudier pour beaucoup de marque horlogères qui lancent des campagnes de communication sans que les produits soient disponibles – un tiers de la quantité prévue pour 2019, soit 700 pièces, seront livrées dans les boutiques d’ici 2 semaines !

Conclusion pour AP :  un exercice courageux rupturiste, innovateur tout en respectant les codes et l’histoire d’une maison pluriséculaires.Le produit a un nom qui sort de l’ordinaire avec Code11 :59 pour annoncer une nouvelle ère et surtout s’adapter au langage d’une clientèle plus jeune. Seul le marché pourra dire si l’exercice est réussi, car pour l’instant les 2’000 montres sont vendues aux détaillants et non aux clients finaux !

 

OMEGA et la résurrection d’un mouvement de légende

Tout le monde sait qu’Omega a été la première montre portée sur la lune lors de l’alunissage le 21 juillet 1969 et que Buzz Aldrin portait une Speedmaster Professional qui devint ainsi la « Moonwatch ».

Ce que les gens savent moins est l’histoire de cette montre qui est devenue une des rares icônes de l’horlogerie, au même titre par exemple que la Royal Oak, a été conçue pour l’automobile ce qui est caractérisé par son échelle tachymétrique (en option on pouvait aussi obtenir une lunette à échelle télémétrique).

Le mouvement qui bat dans cette montre – le calibre 321 – est à lui seul une légende et provient de la manufacture Lemania (aujourd’hui manufacture Breguet et appartenant à Swatch Group). Et c’est précisément ce mouvement qu’Omega vient de décider de relancer il y a quelques semaines. Non pas dans l’idée de restaurer quelques mouvements historiques restés en stock, mais au contraire de le fabriquer avec des technologies et des matériaux modernes tout en gardant les caractéristiques esthétiques de l’époque. Non seulement des plans d’origine ont été utilisés, mais un modèle d’origine a été tomographié (méthode de scanner numérique) pour décortiquer virtuellement une pièce du musée que l’astronaute Gene Cernan – dernier homme à avoir marché sur la lune en 1972 – portait au poignet.

Omega n’a pas encore dévoilé quand et sous quelle forme ce calibre historique sera utilisé, mais ce sera cette année qui marque le 50èmeanniversaire de l’alunissage. Il s’agit à coup sûr d’un immense coup médiatique et qui a fait vibrer les cœurs de tous les aficionados de la marque qui rêvaient depuis des décennies de voir revivre ce calibre mythique. Si le CEO d’OMEGA – Raynald Aeschlimann – a décidé de mettre le “paquet” sur la collection Speedmaster c’est certainement pour combler le retard sur l’éternel rival – Rolex – notamment aux USA.

Deux approches pour conquérir un nouveau public

Les deux approches sont très différentes, une dans la création d’une nouvelle identité produit et l’autre dans la veine très actuelle du vintage, mais elles poursuivent un même objectif : la conquête d’un nouveau public. Il est certain que les risques pris par le CEO d’Audemars Piguet sont plus importants et que de mauvaises ventes ces prochains mois pourraient nuire à sa crédibilité. Mais une marque qui reste immobile recule et après avoir rejoint le club des marques milliardaires en ventes Swiss made (seulement 7 marques en font partie !) AP continue son développement et pour cela il lui faut un relais de croissance que Code 11 :59 lui apportera, du moins c’est ce que je lui souhaite.

Quant à Omega avec des ventes 2,5 fois supérieures à celles d’AP, elle ne joue pas son va-tout, mais prend une initiative qui devrait lui permettre de conquérir une nouvelle frange de clientèle plus jeune et réceptive aux produits d’inspiration vintage.

Dans un marché horloger et du luxe que l’on dit en ralentissement dû à une conjoncture anémique notamment en Chine qui est aujourd’hui le débouché le plus important pour l’horlogerie suisse, il faut oser des paris risqués que ces deux marques ont osé prendre.

 

 

 

Du mélange des genres dans l’industrie du luxe ou quand les « influenceurs » se rêvent créateurs

Dans un monde où l’image compte plus que la communication verbale, une nouvelle tribu d’influenceurs s’est créée et son impact est significatif sur les marques de luxe. Aujourd’hui un blog a parfois plus de poids que l’avis de critiques expérimentés ou même du directeur artistique de la marque. Un post sur Instagram ou une campagne virale peut vite faire un buzz qu’un média traditionnel ne saurait créer. Pour le bien et pour le mal, comme la marque Dolce & Gabbana en a fait amèrement l’expérience récemment avec une campagne complètement ratée bourrée de clichés jugés raciaux par les clients chinois. A tel point que la marque a dû annuler son défilé sous pression des autorités chinoises, mais surtout de la communauté des influenceurs chinois piqués au vif par une telle maladresse.

Lire également : Le Monde 25.11.2018 / Des vidéos de Dolce & Gabbana font scandale en Chine

 

Les marques de luxe sont-elles manipulées par des blogueurs ou instagrameurs ?

Louis Vuitton par Takashi Murakami

On peut admettre que tout un chacun puisse avoir un avis sur l’esthétique d’un sac à main ou d’une montre, mais est-ce qu’une marque doit pour autant s’adapter à la vox populi ?

Le trend marketing du moment est de vouloir se rapprocher de son public en « draguant » les influenceurs à coup d’invitations aux défilés ou autres présentations de collections, cadeaux en tout genre ou même de participation à des développements de nouveaux produits. Qu’une marque de luxe cherche à rajeunir son image en faisant du co-branding*1ou en utilisant des « ambassadeurs » de marque est une bonne idée en soi, mais il s’agit d’un exercice d’équilibrisme compliqué et à risque. Lorsque votre ambassadeur passe du statut d’icône absolue à mari infidèle pris en flagrant délit vous mettez le goodwill et l’image de votre marque en péril (ex. de Tiger Woods passé d’icône du golf à coureur de jupons invétéré et abandonné par ses sponsors en 2009).

La coopération devient problématique à mon avis lorsque qu’une marque institutionnelle se range derrière son ambassadeur ou son partenaire de co-branding, et carrément catastrophique lorsqu’une blogueuse de 21 ans commence à expliquer à la marque ce qu’elle doit faire !

Les blogueurs et leur influence insidieuse sur les marques de luxe

Dans un premier temps les blogs étaient écrits par des amateurs qui voulaient transmettre leur passion pour un domaine ou une marque. On pouvait les créditer d’une certaine indépendance dénuée de raisonnement mercantiliste (ex. tu me prends un banner sur mon site et je t’écris un article), mais très rapidement leur importance auprès du public cible a pris une telle importance que les marques ont commencé à les courtiser de façon très ciblée.

Très naïvement les marques prennent les chiffres avancés par les blogueurs en termes de followers et autres likes sur facebook (en perte de vitesse complète auprès des 15-35 ans) ou Instagram (WeChat pour l’Asie) pour de l’argent comptant !

J’ai moi-même vécu des situations où un jeune homme très poli vient vous voir en vous expliquant qu’il a plus de 100’000 followers sur Instagram et que moyennant quelques finances il va vous aider à augmenter la notoriété de votre marque. Je passe très rapidement ici sur la magie de la manipulation des algorithmes qui servent à manipuler des statistiques, mais pour faire simple et donner un exemple très concret : l’instagrameur qui vous avance un chiffre de 100’000 abonnés sur son compte et avec en moyenne 500 likes par post est probablement en train de vous « enfumer ». La règle (attention nous ne sommes pas dans le domaine scientifique, mais empirique !) dit que le taux d’engagement (likes) doit être de 2,5-3% pour 100’000 abonnés = 2’500 .

Conclusion les 500 likes sont dus aux 5’000 vrais followers et les 95’000 autres abonnés sont des “followers” de pays exotiques fournis par un alchimiste des réseaux pour des prix en baisse constante ; en 2012 un 1’000 de followers coûtait $ 90, aujourd’hui 10’000 coûtent $ 70 !

A voir également : Media Kit : How to build a fake influencer

 

Nouvelle tendance dans le monde horloger : les blogs expliquent aux marques comment faire leur métier 

Zénith El Primero par Bamford watches

Après la première étape de construction de l’audience – c’est qui intéresse les marqueson passe aux séries limitées et autres pièces uniques faites en co-branding. En règle générale la créativité des « influenceurs » est vite épuisée et consiste à changer la couleur d’un cadran, d’une aiguille ou d’un bracelet. Jusqu’à là rien de grave et de tout temps les partenaires dans la distribution ont voulu avoir leur nom sur un cadran et mieux encore un cadran personnalisé.

Où les choses se compliquent c’est la deuxième phase de prise de pouvoir par les influenceurs : sûrs de leur pouvoir (l’audience), de la pertinence de leur avis et surtout de leur bon goût ils commencent à demander aux marques de développer des séries limitées selon leurs exigences. Et là on tombe dans le piège du “phagocytage” de la marque par l’influenceur. Le mot à la mode pour faire passer ces « collaborations » est LAB ou collection capsule. Rien d’inquiétant lorsque la marque garde visiblement la main sur la création, afin de ne pas transgresser les codes esthétiques de la marque, mais à risque lorsque l’esthétique d’un rappeur californien vient « embellir » une icône produit d’une marque pluriséculaire.

Viennent ensuite les “tuners” comme l’exemple ci-dessus d’une Zénith “améliorée” par le lab Bamford. Si la marque l’approuve et garde la main sur ce genre de collections “capsules *3” l’exercice peut s’avérer fructueux, mais lorsque les tuners commencent à interpréter des icônes de la marque ceci peut devenir gênant pour une marque. Dans le cas de Rolex la marque supprime purement et simplement la garantie si une montre a été altérée par des ateliers non agréés par la marque. Le changement d’une aiguille peut vous supprimer la garantie de 5 ans donnée par la marque. Ce qui est un bon moyen de refréner les ardeurs des clients potentiels. https://www.bamfordwatchdepartment.com

Dans le cas des artisans de Genève ci-dessous on peut attester d’une certaine audace esthétique et surtout d’une authentique bienfacture dans la réinterprétation des icônes d’une marque pas particulièrement connue pour sa créativité débordante. Les Artisans de Genève

 

Même si dans le passé le co-branding chez Rolex et toutes les autres marques horlogères était géré de façon moins strict à l’exemple de cette montre faite pour Domino’s Pizza (….) dans les années 1970-80.

 

Les collaborations fructueuses entre blogs et marques

Site officiel Omega avec l’édition limitée Speedy Tuesday
Site Fratello Watches

A l’inverse les collaborations peuvent se révéler très fructueuses à l’exemple d’Omega – et sa Speedy Tuesday – qui a décidé en 2017 de collaborer avec un blog horloger très axé sur les montres du segment de prix de la marque https://www.fratellowatches.com . L’exercice a été non seulement révélateur de la puissance des réseaux sociaux avec 2012 montres d’une série limitée vendue en 4 heures et 27 minutes chrono en main, mais aussi extrêmement bénéfique pour la marque ! Elle lui a notamment permis :

  1. d’engranger la quasi-totalité de la marge sur un chiffre d’affaires de CHF 13 millions ce qui n’est pas encore un facteur critique pour une marque qui a généré l’année passée plus de CHF 2,3 milliards de ventes (estimation, source Morgan Stanley/LuxeConsult). Mais ceci laisse augurer du futur des détaillants multimarques.
  2. d’avoir un contact avec le client final et non un détaillant. Ceci permet d’avoir à l’instant t un indicateur de succès.
  3. de générer en même temps un immense buzz sur tous les réseaux sociaux avec un résultat spectaculaire en un temps record.

Autre exemple très positif, les deux collaborations du blog horloger le plus suivi au monde (2 millions de visiteurs par mois !) Hodinkee x Swatch Sistem 51 . Il s’agit de la deuxième collaboration avec Swatch pour un site qui est normalement positionné sur le créneau du vintage, mais qui trouve qu’une Swatch avec un look 1980 est cool ! Ce qui est très intéressant dans ce cas est que des gens externes à une marque arrive à faire comprendre à celle-ci qu’elle a tout intérêt à puiser dans son référentiel esthétiques qui puissent plaire aux millennials.

A lire égalementLe Temps / Comment les horlogers se réinventent

 

Sistem 51 co-branding Swatch x Hodinkee

Les pièges à éviter pour une marque

En voulant absolument rajeunir l’image de marque ou « pousser » les ventes, certains directeurs « créatifs » sont prêts à laisser le volant à des gens qui n’ont ni les compétences, ni la créativité pour amener une plus-value. Je précise mon propos, mais sans donner de noms pour ne vexer personne, et j’ajouterais que si l’exercice consiste à faire approuver un dessin par l’ambassadeur de marque (une star hollywoodienne ou un sportif) qui du haut de son génie créatif arrive à choisir la couleur d’aiguilles qui fera exploser les ventes en 5 minutes, l’exercice sera bénéfique !

Par contre là où le bât blesse ce sont les « créations » des influenceurs pour lesquelles ils n’hésitent pas parfois à mélanger des codes qui ne sont pas forcément cohérents avec la marque. On oblige par exemple la marque à surfer sur une tendance de mode qui sera perçue au mieux comme de l’opportunisme court-terme.

Dans le même ordre idée il est très dangereux pour une marque de délaisser sa communication à des tiers en pensant qu’ils seront plus crédibles. En laissant aux influenceurs la liberté de s’exhiber sous les feux de la rampe en s’appropriant la légitimité et le goodwill de la marque, les marques de luxe prennent le risque de perdre leur autorité sur leur propre marque. Dans son excellent livre « Le Luxe et les nouvelles techologies »*2 Carmen Turki Kervella nous explique que les contenus générés par les publics peuvent être tolérés par la marque, mais qu’elle se doit de garder la main sur sa communication « …. En fournissant régulièrement aux publics de nouvelles thématiques leur permettant de mettre en avant – sous leur contrôle – leur perception originale de la marque sur la Toile. »

 

Finalement est-ce une bonne chose que tout le monde s’improvise créateur ?

Créer des panels de clients, journalistes, blogueurs, etc. est certainement une initiative extrêmement intéressante et potentiellement positive. Mais il ne faut pas confondre les rôles en donnant à ces « experts » externes le rôle de la création. Combien de fois ai-je entendu récemment « j’ai dessiné le cadran de telle montre « ? A croire que le métier de designer s’apprend en 15 jours et au-travers d’une collaboration avec une maison horlogère. J’ai participé aux développements de plusieurs dizaines de montres avec différentes marques horlogères, mais jamais je n’aurais eu le culot de m’approprier le travail des designers qui avec leur talent transforment votre brief en quelque chose de concret.

Ne serait-il pas plus judicieux que tout le monde reprenne la place qui est la sienne et que les créatifs continuent de créer ?

 

*co-branding : association ponctuelle ou éphémère pour la promotion d’un produit ou d’un service

*2 Le luxe et les nouvelles technologies par Carmen Turki Kervella, Ed. M. Laurent du Mesnil (22.10.2015), ISBN-10:2840018551

*3 Collaboration ponctuelle entre une marque et un créateur pour une collection limitée dans le temps et/ou les quantités

** Le masculin est utilisé afin d’alléger le texte et comprend le féminin lorsque le contexte l’indique.

 

Pour un Swiss made horloger crédible et honnête

Pour tout de suite situer le débat, on peut estimer que plus de la moitié des marques arborant le Swiss made sur leurs cadrans n’ont de suisse que le nom. Les motivations sont multiples, mais peuvent se résumer dans la majorité des cas dans la recherche de la maximisation des marges en profitant de la crédibilité d’un sceau assimilé à la tradition horlogère suisse tout en fabriquant à l’étranger. Or aujourd’hui ce sceau de qualité est utilisé abusivement par beaucoup de marques horlogères dont les produits ont une ADN avec des liens très lointains de la Suisse. Et c’est un euphémisme de dire que la règle est aujourd’hui l’abus, et l’exception incarnée par le respect de la provenance helvétique des composants horlogers !

Afin de restaurer la crédibilité du Swiss Made, les critères devraient être plus stricts sur l’origine de la provenance de ses composants qui – selon la nouvelle loi entrée en vigueur en 2017 – exige que 60% de la valeur ajoutée doit être produite en Suisse. Mais plutôt que de se tirer une balle dans le pied en appliquant la preuve d’origine uniquement aux 60% suisses on pourrait très bien ajouter que 30% de la valeur ajoutée (uniquement sur les composants) soit fabriquée en Europe et les 10% restants au reste du monde.

  • L’horlogerie Suisse a besoin de ses sous-traitants français, allemands, italiens, etc. pour pouvoir fonctionner. Tout autre revendication relève du folklore politique.
    • Autant qu’elle a besoin des travailleurs frontaliers pour faire fonctionner ses manufactures.
  • Certains composants ne peuvent être fabriqués dans leur totalité en Suisse ou en Europe et en quantités suffisantes à un coût de revient économiquement viable. Ceci serait couvert par le 10% restant qui pourrait être fabriqué ailleurs dans le monde.

Les motivations ne sont pas uniquement la qualité du produit – les horlogers suisses avaient déjà entrepris de sous-traiter en Asie dans les années 1960 – mais sont liées à des arguments plus pertinents :

  • La préservation du savoir-faire qui permet de revendiquer un label
  • Une traçabilité des matériaux et composants
  • Maintenir une base industrielle permettant d’innover et de préserver des places de travail qualifiées

Swissness ou la genèse d’une loi à moitié satisfaisante

Partant du constat que la loi en vigueur – datant de 1971 – était trop permissive, l’industrie horlogère s’est mise en quête d’une nouvelle législation plus stricte. Elle d’abord voulu tenter l’aventure de sa propre initiative – par naïveté ? – en pensant qu’elle était la seule à avoir un intérêt pour le renforcement d’une appellation d’origine contrôlée et sans avoir compris le lobbying nécessaire au parlement pour faire passer une loi.

Comme toujours en Suisse les choses prennent beaucoup de temps, surtout à Berne, et ce n’est finalement que le 1erjanvier 2017 – après 20 ans d’âpres négociations – que la nouvelle loi sur le Swiss made est entrée en vigueur. Le Temps / Une task force pour contrôler le Swiss made

  • les politiciens helvétiques ont fini par s’entendre sur un compromis de loi qui à prime abord renforce les critères d’acceptation et donc la crédibilité du Swiss made. L’industrie horlogère n’étant qu’une des parties prenantes dans le projet de loi « Swissness » il est évident que ses critères sont très différents par exemple de ceux de l’industrie du chocolat par rapport à la provenance des composants utilisés.
  • Pour arranger tout le monde on a successivement édulcoré les critères les plus contraignants en ramenant par exemple la part de la valeur ajoutée obligatoirement fabriquée en Suisse de 80 à 60%. Dans ce coût de revient le fabriquant a le droit d’inclure les frais liés au R&D, donc au travail de développement sur l’habillage et le mouvement ce qui a bien sûr comme effet de réduire la part de valeur ajoutée exigée sur les composants fabriqués en Suisse. Cependant la loi amène une contrainte « positive » pour la crédibilité qui impose que dès 2019 le développement technique soit fait en Suisse…. Inutile d’expliquer que ce genre de contrainte ne peut que convaincre un fonctionnaire à Berne, car un plan exécuté sur un PC à Shenzen a juste besoin d’un changement de cartouche (la référence qui indique qui en est l’auteur) sur l’ordinateur d’un bureau technique Suisse.

Historiquement les critères du Swiss made horloger ont toujours été très faibles

L’ancienne loi régissant les critères du Swiss made ne mentionnait que trois critères essentiels : 1. plus de 50% de la valeur ajoutée du mouvement devait être créée en Suisse, 2. La montre devait être emboîtée en Suisse et 3. Le contrôle final devait avoir lieu en Suisse……

Inutile d’expliquer que les aiguilles, le cadran, le boîtier, le bracelet pouvaient avoir des origines asiatiques pour des questions de coûts.

Cette loi datant de 1971 était née du problème des contrefaçons de montres suisses fabriquées par des sous-traitants hongkongais qui fabriquaient des boîtiers pour …. l’industrie horlogère helvétique et qui avaient vite compris que le précieux sigle « Swiss Made » n’était protégé par aucune loi. Pour mettre fin aux agissements de ces contrefacteurs une loi sensée protéger l’industrie horlogerie fut votée ( Le Temps/Aux origines d’un label controversé)

Trois points sont à relever :

  • à l’époque les Suisses sont pionniers dans la mise en œuvre d’un label protégeant une origine national d’un produit. La France et l’Italie le feront pour des produits emblématiques, mais qu’à partir des années 1990.
  • Ce label Swiss made ne protégeait que l’origine du mouvement, mais pas celle de l’habillage (cadran, aiguilles, etc.)laissant la porte grande ouverte à l’abus d’une appellation d’origine contrôlée.
  • La nouvelle loi entrée en vigueur présente les mêmes lacunes, car la contrainte sur l’origine des composants d’habillage est toujours insuffisante. Le Temps / Le Swiss made fait à Shenzen

 

Mais finalement est-ce que le Swiss Made est si important ? Les enjeux industriels

 

L’industrie horlogère a toujours été une carte de visite de la Suisse, car elle incarne les valeurs réputées être typiquement helvétiques : le savoir-faire, la précision et la pérennité.

Au-delà du cliché les montres suisses sont la vitrine d’une industrie composée par un terreau fertile de PME actives dans la mécanique, l’électronique et une multitude de métiers d’art.

Elle emploie plus de 50’000 personnes et elle est la 4èmeindustrie exportatrice de notre pays. Jusqu’à là nous sommes dans le domaine du factuel. Un vecteur de communication et en même temps l’argument le plus tangible pour vendre ses produits étant son fameux label Swiss Made.

La suisse ne contribue que pour 2% du volume de montres vendus chaque année dans le monde (24,8 millions sur 1,2 milliard de pièces), mais pour 50% en valeur (le marché mondial est estimé à CHF 40 milliards). Le prix moyen d’une montre Suisse exportée (prix public moyen approx. CHF 2’000) équivaut à plus de 200 fois celle d’une montre produite en Chine.

Est-ce une bonne chose ? Il ne faut pas se tromper de cible en voulant à la fois faire du volume et occuper une position de niche dans le haut de gamme.

Comme je l’expliquais dans un autre article ( Blog Le Sablier: Ce que les chiffres de la FHS ne nous disent pas )l’industrie horlogère Suisse ne peut survivre que si l’ensemble de ses sous-traitants ont du travail payé à sa juste valeur et qui permette de continuer à investir dans la recherche et les moyens de production. Or en jouant le jeu du court-termisme qui consiste à optimiser ses marges en délocalisant la majeure partie de ses approvisionnements en Asie, beaucoup de marques jouent un jeu dangereux qui tend à décrédibiliser un label connu et reconnu pour incarner une image de qualité, de bienfacture et de respect incarnée par le Swiss Made.

Selon une étude récente publiée par l’Université de Saint-Gall un client est prêt à payer 100% de plus pour une montre estampillée Swiss made par rapport à un produit fabriqué ailleurs dans le monde Etude Université de Saint-Gall sur le goodwill du Swissness

 Ne galvaudons pas ce fantastique avantage concurrentiel bâti par une industrie qui n’a certes pas inventé l’horlogerie, mais qui a toujours su manier l’excellence produit et le discours marketing !

Qui sont les bons élèves ?

Sans prendre aucun risque je me permets d’affirmer que des marques comme – à titre d’exemples – Rolex, Patek Philippe, Omega, Audemars Piguet, Chopard ou … Swatch sont des exemples de Swiss made avec des valeurs ajoutées qui vont nettement au-delà du seuil légal requis. Avec l’exception des cuirs en alligator et des diamants utilisés (anecdote préférée de M. Hayek Sen. pour justifier la provenance souvent lointaine de la Suisse de composants utilisés par certaines marques de son groupe) dans les montres haut de gamme, nous sommes capables de fabriquer l’ensemble des composants en Suisse.

Les marques niches de l’horlogerie haut de gamme peuvent également revendiquer une origine proche du 100% Suisse de leurs composants et pour en citer quelques-unes, je nommerais F-P. Journe, De Bethune, Kari Voutilainen, MB&F, Akrivia ou encore H. Moser & Cie.

Tout le monde pourra identifier les « tricheurs » par déduction et par esprit de consensus helvétique, j’éviterai de les nommer.

Les solutions

Certains ont très bien compris que le Swiss made sur leur cadran décrédibilisait plus le produit qu’autre chose. En effet avoir le même label sur une montre fabriquée à 100% en Suisse et sur le cadran d’une montre ayant tout juste vu les terres helvétiques, brouille fortement le message pour le consommateur.

  • Vous êtes un provocateur et vous voulez vous démarquer : H. Moser & Cie a décidé d’enlever le Swiss Made, d’une part parce qu’ils peuvent en toute transparence revendiquer plus de 95% d’origine Suisse de leurs composants. François-Paul Journe, marque indépendante de haute horlogerie, peut elle aussi et sans rougir revendiquer être d’origine Suisse sans avoir besoin de l’afficher sur le cadran. Le Temps : H. Moser et sa Frankenwatch
  • Vous êtes plus subtil et vous faites comprendre au travers de votre communication que vous maîtrisez votre propre outil industriel, et que la mention Swiss made est une réalité dans les faits. Patek Philippe, Rolex, Audemars Piguet, Chopard le font avec beaucoup de crédibilité et ce sont des marques qui n’ont pas besoin de se justifier.
  • La 3èmesolution consistant à créer un label de qualité qui explicitement ou implicitement requiert une traçabilité de la fabrication suisse, comme le AOSC de la marque Bédat & Co. qui à l’époque de sa fondation avait mis en place une charte très stricte permettant de certifier de l’origine des composants. Mais ce genre d’initiatives n’a bien sûr aucune chance, si elle ne repose pas sur une caution d’un organe étatique ou d’une organisation faîtière.

Personnellement je préconiserais une solution beaucoup plus radicale et qui a été évoquée lors des débats sur la nouvelle loi « Swissness » et esquissée plus haut :

  • le Swiss made devrait être réservé aux marques qui peuvent justifier de la provenance de leurs composants pour 100% selon la clé proposée ci-dessus : 60% au minimum conçus et fabriqués en Suisse, 30% au maximum conçus en Suisse, mais fabriqués en Europe et 10% maximum conçus en Suisse et fabriqués ailleurs
  • toutes les autres marques devant assumer le fait que leur produit est dans le meilleur des cas conçu en Suisse, mais fabriqué ailleurs et donc indigne d’une appellation d’origine contrôlée.

Swatch a prouvé qu’il était possible de fabriquer un produit de masse à un prix compétitif en Suisse. Il ne s’agit donc pas de restreindre l’accès au précieux sésame, mais d’inciter les marques à investir dans leur outil industriel ou de payer le juste prix à des sous-traitants soumis aux exigences d’un pays aux salaires et au niveau de vie élevés !

Cette interprétation radicale d’une vraie origine (les raisins du Champagne ne sont pas produits en Espagne pour être pressurisées en France et finir avec le précieux label qui permet une plus-value substantielle par rapport à un Cava ou un Prosecco) réduirait substantiellement le nombre de marques habilitées à porter notre précieux label.

Le message et sa crédibilité pour le client seraient démultipliés par rapport à la situation actuelle.