L’industrie horlogère aligne encore une année 2022 record et semble repartie pour la prochaine

La Wonder Week horlogère genevoise vient de débuter et son tourbillon de nouveautés sera le sujet de toutes les conversations de l’industrie dans les jours à venir. L’autre sujet sera le rapport annuel de Morgan Stanley co-rédigé par LuxeConsult 1).

Les exportations horlogères suisses ont une nouvelle fois battu des records en 2022 avec CHF 23,7 milliards, ce qui représente un record historique et une croissance de +11,6% par rapport à l’année précédente. La croissance est encore plus impressionnante par rapport à l’année pré-Covid 2019 avec +15,5% ou CHF 3,2 milliards d’exportations supplémentaires.

#1 La polarisation et la premiumisation se poursuivent sans relâche

Les “Big 4” – Rolex, Audemars Piguet, Patek Philippe et Richard Mille – continuent de surperformer et ont conquis une part de marché consolidée de 41,7 % l’année dernière (contre 36,7 % en 2019 pré-Covid).
Il semble que la vision à long terme des marques privées soit l’ingrédient clé pour assurer une croissance durable, mais toujours impressionnante. Audemars Piguet a par exemple réalisé une croissance de 27% et a franchi le seuil des 2 milliards de francs suisses pour la première fois de son histoire.

Ce sont presque exclusivement des marques haut de gamme qui performent nettement mieux que le marché. Et une fois qu’une marque a passé la vitesse supérieure dans une dynamique vertueuse, l’accélération de la rentabilité devient fulgurante et croît plus vite que les ventes. Même s’il existe des exceptions, ce sont principalement des marques premium et de luxe qui accroissent leurs positions dominantes.

#2 La valeur moyenne des ventes continue d’augmenter, mais les volumes diminuent… à l’exception d’une “anomalie”

Après une baisse constante des volumes au cours des 20 dernières années et un record historique de 13,8 millions de montres-bracelets exportées en 2020, les volumes ne se redressent pas. L’industrie n’a exporté que 15,8 millions de montres – ce qui ne représente que 49’000 unités ou 0,3% de plus qu’en 2021, alors qu’en 2000 nous exportions encore 30 millions de montres par an.
Pire encore : si l’on retire les volumes de la MoonSwatch, estimés à ~ 950’000 unités exportées et 1’000’000 unités vendues dans le monde, on peut en déduire que nous aurions eu un déficit de ~ 900’000 unités par rapport à 2021 !
Swatch a retrouvé sa place de numéro un en tant que principal contributeur en volume de l’industrie horlogère suisse, avec une estimation de 4,9 millions d’unités vendues l’année dernière.
En fait, Swatch et Rolex sont les principaux contributeurs en termes de croissance du volume pour 2022, Rolex ajoutant environ 150’000 unités.

Hormis l'”anomalie” que constitue l’énorme succès de la MoonSwatch, l’entrée de gamme des montres suisses est soumise à une pression constante de la part des smartwatches, en particulier de l’Apple Watch.

© LuxeConsult Sàrl, chiffres FHS/exportations douanières & Counterpoint

 

Lire aussi : https://wp.me/padoQP-hr

Le prix moyen a augmenté en moyenne de 51% par rapport à 2019, passant de CHF 993 à l’exportation ~CHF 2’000 prix public à CHF 3’000 prix public en 2022. L’industrie horlogère suisse confirme la règle de Pareto (80/20) avec seulement 17% des unités générant 83% de la valeur des ventes. Les montres les plus chères illustrent ce phénomène de la manière la plus extrême :
~ 25’000 montres d’un prix public supérieur à CHF 100’000 sur 15,8 millions (0,2%) génèrent ~ CHF 3 milliards d’exportations totales (12,5%) !

© LuxeConsult Sàrl

#3 Les pertes de volumes seront – à terme – un problème existentiel pour beaucoup de marques

En lisant et en entendant certains commentaires qui banalisent la chute des volumes ou qui pensent que c’est une bonne chose que toute une industrie se positionne dans le haut de gamme, je m’inquiète. Ce ne sont pas les marques fortement verticalisées en amont et disposant de leur propre outil de fabrication en interne comme le Swatch Group, Richemont, Patek Philippe, Rolex, Audemars Piguet ou encore Chopard pour lesquelles il faut se faire du souci. Ce sont les marques de niche et les marques intermédiaires avec un certain volume et qui dépendent à des degrés divers presque exclusivement de fournisseurs tiers. Ces fournisseurs qui continuent de travailler pour les marques qui possèdent leurs propres outils de fabrication, mais qui recourent à leurs services pour des produits pointus, deviennent rares et inaccessibles. Certains pensent que l’achat d’une CNC ou d’une décolleteuse va résoudre leurs problèmes d’approvisionnements, mais ils ne réalisent pas que le chemin critique est la main d’oeuvre qui devient extrêmement rare.

69% du volume de l’industrie horlogère suisse sont générés par le Swatch Group, si l’on ajoute Rolex et Tudor on arrive à presque 80% !

#4 Qui sont les gagnants et qui sont les perdants ?

Les quatre premières places restent inchangées, mais une marque quitte le top 10 – Tissot, en grande partie à cause de sa dépendance au faible marché chinois et pour la même raison, la marque sœur Longines perd deux rangs. Breitling et Vacheron Constantin sont les nouveaux venus et aucun d’entre eux n’est une surprise. Breitling a enregistré d’excellentes performances sous l’égide de ses nouveaux propriétaires – le fonds d’investissement privé CVC, récemment rejoint par Partners Group, un autre fonds – et surtout sous la direction de Georges Kern. Ses résultats sont la conséquence logique d’un repositionnement de marque soigneusement planifié et exécuté. Et celle-ci a encore un énorme potentiel à exploiter, avec seulement 5 % de ses ventes réalisées en Chine.
Vacheron Constantin surfe sur la vague de la rareté des montres sport chic – avec sa propre ligne de produits Overseas – qui constituent une part importante des rares montres trophées. Après une période de trop forte dépendance vis-à-vis du marché chinois, le PDG, Louis Ferla, a réussi à se diversifier géographiquement et à attirer une population plus jeune.

©Morgan Stanley x LuxeConsult

 

Rolex a largement surperformé le marché et consolide sa suprématie en tant que première marque de montres de luxe au monde avec une croissance en valeur estimée à 21 % – dont 13 % sont organiques et 8 % dus à deux augmentations de prix – et une croissance en volume de 14 % à 1,2 million d’unités. Le prochain seuil sera le chiffre d’affaires magique de 10 milliards de francs suisses, qui placera la marque au niveau des “überbrands” de luxe tels que Gucci (10,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022), mais avec une offre mono-produit.

Audemars Piguet a bénéficié du 50e anniversaire de son emblématique Royal Oak (> 90 % des ventes), qui a permis à la marque d’atteindre le seuil des 2 milliards de francs suisses pour la première fois de son histoire, triplant ainsi ses ventes en une décennie. Le défi pour le nouveau PDG après le mandat de François-Henri Bennahmias sera de dompter les chevaux plutôt que d’accélérer. À un moment donné, une marque a besoin d’être stabilisée après une période de croissance importante.

Patek Philippe et Richard Mille réalisent également une performance exceptionnelle avec des stratégies de vente au détail opposées : la première s’appuie presque entièrement sur des tiers, tandis que la seconde contrôle ses ventes au détail à 100 %, soit en possédant les boutiques monomarques, soit en s’appuyant sur des joint-ventures.

Swatch Group perd une marque du top 10, Tissot perdant 12% de ses ventes en raison de la mauvaise performance du marché chinois. Omega (3e inchangée) et Longines (de 5e à 7e ) défendent encore la bannière du Swatch Group. Avec un tiers des ventes du groupe, mais deux tiers de son bénéfice opérationnel, OMEGA est le joyau de la couronne.

Vacheron Constantin est le troisième Richemont à entrer dans le top 10 avec IWC et Cartier. IWC et Vacheron seront probablement les prochains membres du club des milliardaires avec… Breitling qui entre également dans le top 10 avec une croissance ininterrompue de +25%. La performance de Breitling doit être mise en perspective avec le fait qu’ils ont un très faible pourcentage de leurs ventes provenant du marché chinois, que nous estimons à env. 5%. L’autre facteur de croissance potentiel pourrait provenir des montres pour dames, qui représentent moins d’un quart des ventes de la marque, ce qui est nettement inférieur à ses concurrents directs.

Hermès continue de se concentrer avec succès sur les montres mécaniques et réussit le grand écart entre les montres Apple accessibles – avec des bracelets en cuir Hermès et vendues au détail à ~CHF 1’300,00 – et les montres haut de gamme vendues à plus de CHF 300’000. Cela montre l’incroyable capital de la marque pour conserver sa crédibilité et s’adresser ainsi à deux segments de prix totalement différents dans la même catégorie de produits. Avec une augmentation de valeur de +43%, Hermès a dépassé Chopard, qui est une marque de joaillerie et d’horlogerie (55% du caf) pure, alors que les montres ne représentent que 4,5% des ventes totales d’Hermès.

Jacob&Co. est entré dans le classement publié à la 32e place après une croissance fulgurante et 130 millions de francs suisses de chiffre d’affaires pour les montres. Ce succès est dû à une stratégie à long terme consistant à créer un univers de marque composé de merveilles mécaniques tridimensionnelles vendues à des prix à six chiffres et à maintenir une activité de base à un niveau de prix inférieur.

Ulysse Nardin et Girard-Perregaux – les deux marques vendues par Kering à la direction – sont en train de rebondir après une longue période de nettoyage des canaux de vente des activités substantielles du marché gris qui nuisaient à la crédibilité des marques. La Laureato de GP est le principal moteur de croissance et profite de la rareté de la Nautilus de PP ou de la Royal Oak d’AP.

Et quelle a été la performance du Swatch Group par rapport au reste de l’industrie horlogère ?

Même si le Swatch Group est le plus important contributeur en volume avec environ 69% du volume total de l’industrie horlogère suisse, ses marques ne se développent pas au même rythme que l’industrie. En annonçant une croissance de ses ventes* de +4,6% par an (à taux de change constants), comparée à la moyenne de +11,6% de l’industrie horlogère suisse, on comprend instantanément que la plupart des 17 marques détenues par le groupe sont plutôt dans un mouvement inverse. C’est encore plus évident si l’on estime que la marque no. 1 du groupe – Omega – a connu une année de croissance très réussie, supérieure à la moyenne de l’industrie, dans les segments de prix de sa gamme de base. En fait, nous estimons qu’OMEGA est le principal contributeur aux ventes, à la croissance et à la marge de Swatch, générant 2/3 de l’EBIT total du groupe. En conclusion, on peut s’interroger sur la pertinence de conserver un portefeuille de marques aussi étendu, sachant la complexité de la gestion de tous ces territoires de marques différents.

Le Swatch Group invoque les blocages en Chine liés à Covid et estime le manque à gagner à CHF 700 millions…. C’est une façon de voir les choses ou l’on pourrait dire que le Swatch Group dépend beaucoup trop d’un seul marché, la Chine. La seule exception à cette observation est encore une fois OMEGA qui a diversifié avec succès ses ventes et a par exemple gagné des parts de marché substantielles sur le marché américain.

Les perspectives pour 2023 sont mitigées, mais globalement positives

Avec la réouverture du marché chinois, les perspectives pour l’industrie du luxe et l’horlogerie suisse sont très prometteuses, mais la situation sur les autres marchés, dont les USA (marché n°1 en 2022 avec un taux de croissance de +26%), sera probablement plus compliquée. Au final, 2023 devrait être à nouveau une année record, avec une croissance plus modeste (~ +5% en valeur) et encore moins bien répartie entre les marques qui surperforment et celles qui auront plus de peine à compenser le recul que connaîtront les marchés porteurs de 2022. Le Swatch Group devrait être le principal bénéficiaire de cette tendance positive en Chine puisque ses deux marques phares – Omega et Longines – sont respectivement les marques n° 1 et n° 2 sur ce marché et que Tissot est également un acteur majeur en Chine.
Il s’agit d’un marché extrêmement polarisé – 5 marques représentent 50 % des ventes – avec quelques marques de niche parmi les indépendants (< 1 % des exportations totales) qui s’en sortent très bien et une marque qui sauve les volumes de toute une industrie, Swatch.

1)Le but de ce rapport est de comparer les marques sur une même base de comparaison qui est le prix public hors taxes. Notre méthodologie est de convertir les chiffres ex-usines (EXW) en prix publics hors taxes en tenant compte notamment du degré d’intégration du réseau de détaillant.

OMEGA met la barre de la chronométrie encore un cran plus haut

La marque phare du Swatch Group, Omega, annonce qu’elle met la barre encore plus haut en termes de chronométrie[1] avec une tolérance de 0/+2 secondes par jour sur ses mouvements mécaniques équipés de l’échappement co-axial[2]. Ce tour de force en termes de précision est réalisé grâce à un nouveau système de réglage du spiral en silicium et qui porte le nom de « Spirate ». Ce dispositif permet un réglage diaboliquement performant – permettant à l’horloger de régler le point d’attache du spiral sur le pont de balancier – du cœur de la montre permettant d’obtenir une précision de marche jamais atteinte pour un mouvement de série industrialisé.

Pour situer le débat, cette tolérance de déviation de marche de 2 secondes par jour est deux fois plus précise que celle admise par Rolex – +2/-2 secondes par jour = 4 secondes d’écart journalier – qui revendique pourtant un label « superlative chronometer officially certified ». Ce label qui est plus un terme marketing, car le « officially » fait référence uniquement à la certification du mouvement et non pas la double certification (mouvement et tête de montre) qui elle est faite en interne, est une valeur cardinale de la marque à la couronne.

Et par ailleurs il faut comparer les 2 secondes d’écart revendiquées par Omega avec les 10 secondes par jour admises par la norme ISO 3159 que le COSC (bureau officiel suisse des chronomètres) certifie.

Balancier spiral “Spirate” avec un spiral en Si14 et un système excentrique de réglage du point d’attache du spiral

 

Pourquoi la chronométrie devrait être un sujet pour les marques horlogères

La précision de marche d’une montre mécanique n’est certainement plus un sujet d’une importance absolue depuis 1969, année de lancement de la première montre bracelet quartz par Seiko. Le quartz a permis de supplanter la précision du mouvement mécanique le plus précis par un facteur d’au moins 10[3].

Autrefois les concours de chronométrie permettaient aux marques horlogères de prouver leur maîtrise de la mesure du temps et pour certaines de se déclarer « maître chronométrier ». Aujourd’hui ce sont quelques rares marques – et pas forcément uniquement celles que l’on attendrait sur ce terrain – qui se positionnent dans ce domaine d’excellence mécanique.

Beaucoup de prétendants peu de certifiés

Beaucoup de marques prétendent à l’excellence chronométrique peu le prouvent au-travers d’une certification officielle comme le COSC (contrôle officiel suisse des chronomètres) qui certifie uniquement le mouvement ou d’autres instances comme par exemple l’Observatoire Chronométrique de Genève ou l’Obervatoire de Besançon qui certifient la précision de marche d’une tête de montre (mouvement emboîté) et non plus uniquement le mouvement. La plus-value de ces tests – à part le fait de prouver que vous faites réellement de la chronométrie et pas seulement du marketing – est un joli fascicule qui est un bulletin de marche de chronométrie calligraphié qui accompagnera la montre.

Bulletin de marche de chronométrie de l’Observatoire de Besançon pour un tourbillon de la maison Laurent Ferrier

On peut donner du crédit à des petites marques de niches comme Laurent Ferrier ou Akrivia qui ne font certes pas certifier l’entier de leur production, mais qui se donnent les moyens d’obtenir des bulletins de marche de chronométrie à l’Observatoire de Besançon si le client le souhaite.

On peut déplorer le fait que le terme de « Chronomètre » n’est pas protégeable légalement – car générique – et que certaines marques abusent de ce label. Zenith – qui se revendique championne historique de la chronométrie – a par exemple commercialisé une montre avec la maison de ventes aux enchères Phillips qui bien qu’étant dépourvue de tout certificat de chronométrie mentionnait sur le cadran « Chronomètre » et « Observatoire ». Pour essayer de lui donner une caution morale on a associé l’artisan horloger Kari Voutilainen qui en a décoré le mouvement.

Ou encore un grand prix d’horlogerie de Genève 2022 décerné dans la catégorie « Chronométrie » à un tourbillon Grand Seiko (par ailleurs magnifique et techniquement abouti) dépourvu lui aussi de tout certificat officiel de chronométrie.

Une certification d’excellence manufacturière et de tradition horlogère : le poinçon de Genève

Timelab à Genève propose une certification qui mélange des aspects de bienfacture (la décoration des mouvements), l’origine des composants (le canton de Genève) et le respect de certains principes de construction des mouvements mécaniques horlogers. Les têtes de montres sont aussi testées par rapport à leur précision de marche et la déviation ne doit pas dépasser la minute en 7 jours soit 8,5 secondes par jour ce qui est plus exigeant que la norme du COSC.

On peut déplorer le fait que très peu de manufactures se donnent la peine de se conformer à cette procédure assez contraignante : Chopard pour ses montres L.U.C, Roger Dubuis ou encore Vacheron Constantin. Elles ont d’autant plus de mérite de le faire qu’elle permette de maintenir une tradition porteuse d’excellence dans le monde en acceptant de produire, assembler et régler les gardes-temps certifiés dans le canton de Genève.

Le graal de la précision chronométrique : une double certification le « master chronometer »

La certification ultime étant celle où l’on certifie le mouvement par le COSC, puis la tête de montre. Et là les marques ne sont plus qu’au nombre de deux à passer une procédure de certification contrôlée par un organe officiel qui est le METAS (Institut fédéral de métrologie) : OMEGA et Tudor (marque sœur de Rolex) et qui leur décerne le label « master chronometer » après une procédure de tests suivant un protocole et des normes techniques et qui concernent :

  • La certification du mouvement du mouvement par le COSC

Puis une batterie de 8 tests – selon un protocole établi par le METAS – qui vont faire subir à la montre une multitude de chocs magnétiques (le magnétisme est présent partout à travers nos portables, etc.), de changements de positions pour simuler le porté de la montre au poignet (la gravité terrestre a une incidence négative sur la précision de marche) et de changements de températures. Pour finalement vérifier son étanchéité et certifier la précision de marche.

Une marque a toujours revendiqué l’excellence chronométrique

Rolex a eu très tôt l’intelligence marketing d’inscrire le terme « superlative chronometer officially certified » qui en soit constitue déjà un concept marketing plus qu’un label officiellement certifié. En effet chaque mouvement Rolex – la marque fabrique exclusivement des mouvement mécaniques – passe la certification de chronométrie auprès du COSC*. Chaque montre subit en interne une deuxième certification de chronométrie qui atteste de la précision de marche sur la tête de montre et non plus du seul mouvement. En soi ceci représente une exigence déjà nettement plus élevée que la seule certification du mouvement en instaurant une double certification.

Les critères de certification retenus par Rolex sont beaucoup plus exigeants que celles du COSC avec une déviation de marche de maximum +2/-2 secondes par jour ce qui fait 4 secondes d’amplitude maximale. Le COSC admet +6/-4 secondes – équivalents à 10 secondes par jour – selon une norme ISO 3159 qui définit très précisément les mesures et les résultats à atteindre pour obtenir le sésame de « chronomètre ».

Seul petit bémol : Rolex soumet uniquement le mouvement à un organe de contrôle officiel qui est le COSC, mais procède aux autres tests – qui sont calqués sur la procédure de contrôle mise au point par Omega avec le METAS – en interne. Ce qui lui enlève une légitimité officialisée par une instance étatique.

Nouvel enjeu pour Rolex face à Omega

 Dans une démarche très provocatrice, Rolex avait lancé en mai 2021 – longtemps après Omega en 2015 – la certification « master chronometer », mais uniquement pour Tudor, sa marque B. Ce qui peut sembler banal était en fait une provocation destinée à l’attention d’Omega et du Swatch group qui voulait dire : Rolex n’a pas besoin d’un sceau officiel pour prouver sa suprématie revendiquée – mais non officialisée – la certification du Master Chronometer étant déjà à la portée de la petite sœur.

Presque deux ans plus tard il n’y a qu’un seul modèle de Tudor qui est certifié Master Chronometer et on peut se demander si cette certification n’avait pour but unique de vouloir prouver à la marque concurrente de Rolex que son excellence chronométrique officiellement certifiée n’était pas aussi exceptionnelle. Sauf que … OMEGA fait certifier 95% de ses mouvements mécaniques (dont 99% sont équipés d’un échappement co-axial) soit 500’000 montres labelisées « Master Chronometer » et le solde étant certifié COSC. Ce qui représente une tout autre performance horlogère et industrielle que les quelques milliers (est. < 5’000 pièces) de montres certifiées par Tudor.

Le défi est lancé et il sera intéressant de voir comment la marque à la couronne va le relever !

 

Speedmaster Super Racing dotée du calibre co-axial master chronometer 9920. Prix public CHF 11’000

 

For the english version : https://watchesbysjx.com/2023/01/omega-spirate-hairspring.html

[1] Pour éluder tout malentendu, un chronomètre est selon le Larousse une « montre de précision réglée dans différentes positions et sous des températures variées, et ayant obtenu un bulletin officiel de marche ». Un chronographe est une « montre de précision, munie d’un compteur qui permet de mesurer et d’afficher des intervalles de temps ». Et pour compliquer le tout un chronographe peut être chronomètre, mais un chronomètre n’est pas forcément un chronographe.

[2] Echappement inventé par l’horloger anglais Georges Daniels et breveté en 1980 et mis au point puis industrialisé par Swatch Group pour sa marque OMEGA et présenté à Baselworld en 1999.

[3] la certification de chronométrie – selon la norme ISO 3159 – par le bureau officiel suisse des chronomètres (COSC) exige des mouvement quartz une déviation maximale de 0,14 s/jour, alors qu’un mouvement mécanique peut se permettre 10 s/jour (+6/-4 sec. /Jour) de déviation, soit un facteur 70.

 

Une année 2022 record pour l’industrie horlogère Suisse

Les exportations horlogères suisses ont une fois encore « explosé les compteurs » en 2022 à CHF 23,7 milliards ce qui représente un record historique et une croissance de 11,6% par rapport à 2021. La croissance est encore plus impressionnante en comparaison de l’année pré-Covid 2019 avec un +15,5% ou CHF 3,2 milliards d’exportations supplémentaires.

Une valeur de vente moyenne qui ne cesse d’augmenter, mais des volumes en chute libre

 Après une chute continue des volumes depuis 20 ans et un plus bas historique à 13,8 millions de montres bracelets exportées en 2020, les volumes ne remontent pas. L’industrie a exporté seulement 15,8 millions de montres – ce qui représente que 49’000 unités ou 0,3% de plus qu’en 2021 – et n’atteint même pas les 16 millions de pièces en 2022, alors qu’en 2000 nous exportions encore 30 millions de montres par année.

Et pire que ça : si on enlevait les volumes de la MoonSwatch qui sont estimés à ~950’000 unités exportées et 1’000’000 d’unités vendues globalement, on peut déduire que nous aurions un déficit de ~900’000 unités par rapport à 2021 !

Lire aussi : LinkedIn : Nick Hayek annonce 1 million de MoonSwatch vendues

Une montre renait de ses cendres grâce à un magnifique coup de pub

 

Une pyramide inversée entre volumes et valeurs exportés

L’industrie horlogère suisse confirme la règle de Pareto (80/20) avec seulement 17% des unités qui engrangent 83% de la valeur des ventes. Ce sont les montres les plus chères qui illustrent ceci de la façon la plus extrême :

  • ~25’000 montres d’un prix public supérieur à CHF 100’000 sur 15,8m (0,2%) génèrent ~CHF 3 milliards du total des exportations (12,5%) !

 

Exportations horlogères en unités par gammes de prix > CHF 2’000 Prix public
© LuxeConsult 2023

 Rien de nouveau sous le soleil, ce sont les marques championnes comme Rolex, Audemars Piguet (record historique des ventes en 2022 grâce au jubilé de son  icône la «Royal Oak »), Patek Philippe, Richard Mille, Tudor, Breitling, Omega et Cartier qui contribuent à la croissance avec « l’anomalie » Swatch et sa MoonSwatch que personne n’attendait.

La seule conclusion à en retirer :

  • À l’exception du phénomène de la MoonSwatch et du Swatch Group au global, le marché de l’horlogerie Suisse est concentré sur une niche avec un prix moyen en constante augmentation depuis 20 ans !

 

Les perspectives 2023 sont contrastée, mais globalement positives

 Avec la réouverture du marché chinois les perspectives de l’industrie du luxe et de l’horlogerie suisse sont portées par beaucoup d’espoir, mais la situation des autres marchés, dont les USA (marché no. 1 en 2022 avec un +26%), va probablement se compliquer. Au final, 2023 devrait être à nouveau une année record avec une croissance qui sera plus modeste (+3-4% en valeur) et encore moins équitablement répartie entre les marques qui surperforment et celles qui auront plus de peine à compenser la baisse que les marchés porteurs en 2022 vont subir. A priori le Swatch Group sera le principal bénéficiaire de cette tendance positive en Chine (-22,5%), car ses deux marques leaders – Omega et Longines – sont les marques no. 1 et 2 respectivement sur ce marché.

Un marché polarisé à l’extrême – 5 marques font 50% des ventes – avec quelques marques de niche parmi les indépendants (< 1% des exportations totales) qui se portent très bien et une marque qui sauve les volumes de toute une industrie, Swatch.

 

Construire et pérenniser une marque de luxe : cas d’étude de marques horlogères suisses (2ème partie)

L’original de cet article a été corédigé avec le professeur Jonathan Zhang de la Colorado State University aux USA et a été publié en anglais sur le site de la Rutgers Business School le 29 novembre 2022[1]. Le texte original en anglais et cette traduction sont soumis au droit d’auteur. Pour en faciliter la lecture la version française sera publiée en plusieurs parties.

Lire également : Construire et pérenniser une marque de luxe (1ère partie)

Pour les marques patrimoniales : trouver des inspirations dans le passé

Alors, comment les marques doivent-elles développer le code et la valeur de la marque ? Une marque qui a une longue histoire peut fouiller dans ses archives et identifier la valeur de la marque et le code de conception qui l’inspirent, peut-être à l’époque de sa création. Cette approche permet à la marque de tirer parti du romantisme d’une époque révolue, puis d’adapter la valeur et le design à l’ère moderne. Par exemple, des marques comme Breguet et Leroy ont eu une histoire illustre en fabriquant des horloges et des montres de poche pour les cours royales et des chronomètres de pont de navire de la fin du XVIIIe siècle aux années 1800. Une histoire aussi riche leur permet de s’inspirer de ce patrimoine pour développer leurs produits actuels – les collections actuelles Marine et Classique de Breguet rappellent en effet le code de conception de la marque dans les années 1800, créant ainsi un lien entre le passé et le présent.

Pour les nouvelles marques, développez un récit avant de vous lancer dans le prototypage !

 Si les marques historiques ont l’avantage de l’histoire, elles peuvent aussi être liées et limitées par leur héritage. En revanche, les marques nouvellement créées ont la liberté de créer leur propre récit, leur valeur et leur code de conception à partir d’une feuille blanche. Pour les propriétaires de marques en phase de démarrage, avant de se lancer dans le prototypage de produits, il est impératif de bien réfléchir à la niche que vous souhaitez occuper, ainsi qu’à la valeur de la marque et au code de conception que vous souhaitez que les consommateurs associent instantanément. Une telle clarté augmentera non seulement les chances de réussite du lancement, mais pourra également guider les stratégies de produit, de communication et d’investissement de l’entreprise pour les années à venir. Dans cet esprit, Richard Mille, une marque lancée il y a seulement 20 ans, a suivi une approche claire avec son thème F1 et s’est ensuite étendue aux thèmes des sports de performance.

En interrogeant des professionnels du secteur, des consommateurs chevronnés et novices, ainsi que d’autres parties prenantes telles que les fournisseurs, les détaillants et la presse, on peut identifier et développer une valeur et un code de marque convaincants. On peut également s’inspirer de catégories adjacentes pertinentes pour la vie des clients cibles, comme les arts, les voyages, les sports et les activités épicuriennes. Ces efforts de préparation peuvent prendre des mois, mais le résultat permettra à l’entrepreneur d’évaluer plus précisément où se trouvent les espaces vierges de la concurrence et la possibilité d’occuper ces espaces à long terme en termes d’investissements nécessaires, de capacités de l’entrepreneur et de réponses potentielles de la concurrence.

D’après nos expériences, trop d’entrepreneurs sont trop pressés de produire un prototype de produit sans faire les devoirs ci-dessus au préalable. Cet état d’esprit “produit d’abord, stratégie ensuite” est l’une des principales causes de l’échec des start-ups, et l’absence d’une stratégie de marque cohérente à long terme peut être particulièrement fatale pour l’industrie du luxe “lourde en capital de marque”.

Dans le cadre de mon activité de conseil pour des marques en devenir, 99% de mes clients sont déjà allés voir un designer pour faire dessiner la montre de leurs rêves. Parfois, le coup de crayon peut se révéler génial, mais dans la grande majorité des cas il faudra inventer des codes et un territoire autour d’un produit et la cohérence de la marque en pâtira ,malheureusement, grandement. Le succès d’une marque récente – lancée en 2001 – et ayant connu un succès phénoménal comme Richard Mille vient à l’appui de ce précepte qui consiste à établir les fondations de la marque avant de réfléchir à la couleur du cadran. Dans cette marque tout – du produit au positionnement prix en passant par son réseau de vente et sa communication (les fameux 4P du marketing, dont nous parlerons dans le prochain chapitre) – a été fait avec une cohérence et une consistance absolue.

[1] RUTGERS BUSINESS REVIEW (2022), VOL. 7, NO. 3, PP- 250-266 https://rbr.business.rutgers.edu/article/building-and-sustaining-luxury-brands-reflections-swiss-watch-industry 

Construire et pérenniser une marque de luxe : cas d’étude de marques horlogères suisses (1ère partie)

L’original de cet article a été corédigé avec le professeur Jonathan Zhang de la Colorado State University aux USA et publié en anglais sur le site de la Rutgers Business School le 29 novembre 2022[1]. Le texte original en anglais et cette traduction sont soumis au droit d’auteur. Pour en faciliter la lecture la version française – éditée – sera publiée en plusieurs parties.

Contrairement à la plupart des entreprises qui connaissent des hauts et des bas en raison de disruptions technologiques ou de nouveaux modèles d’affaires, l’industrie mondiale du luxe, qui pèse CHF 1 200 milliards de chiffre d’affaires annuel (l’horlogerie suisse représente 3,6% de ce montant, soit CHF 43Mrd), subit moins de perturbations de ce type.

Cependant, cette relative stabilité technologique ne se traduit pas nécessairement par une stabilité commerciale, car le secteur dépend fortement de la création et du maintien de marques fortes. Le processus est dynamique, et les résultats peuvent être très prononcés. Par exemple, dans l’industrie horlogère suisse qui compte plus de 350 marques actives, ces dernières années, un petit nombre de marques telles que Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet et Richard Mille ont connu une croissance beaucoup plus rapide que leurs concurrentes et se taillent la part du lion dans les revenus (chiffre d’affaires et marges bénéficiaires) de l’industrie.

Construire et développer les marques de luxe

D’un autre côté, de nombreuses marques horlogères autrefois dominantes, comme Ebel et Corum, ont eu du mal à maintenir leurs anciens niveaux de prestige et de succès commercial.Nous nous sommes rendu compte que les modes opératoires pour le secteur du luxe peuvent être très différents de ceux proposés aux secteurs portés par les innovations technologiques et les nouveaux modèles d’affaires. La question qui s’impose est : “Comment construire et développer une marque de luxe ?”

Premièrement, les cycles des produits horlogers sont relativement longs car les exigences techniques sont beaucoup plus élevées que dans des industries telles que la mode. Deuxièmement, le prix relativement élevé en fait un secteur peu fréquent et à forte implication – les consommateurs effectuent souvent des recherches approfondies au cours du processus d’achat. Troisièmement, l’émotion, les récits socioculturels et le narratif de la marque (le storytelling) influencent fortement la prise de décision des consommateurs. Quatrièmement, la nature durable des produits entraîne un marché secondaire[2] robuste dans les ventes aux enchères et sur les marchés en ligne – les marques doivent prêter attention aux prix de revente lorsqu’elles formulent leur stratégie, car ils influencent les performances des marques sur le marché primaire.

Définir le succès dans l’industrie du luxe

Sur ce point, le CEO d’Audemars Piguet François-Henri Bennahmias livre sa version : ” le succès de la marque (AP)[3] s’est construit par une combinaison de suivi de l’offre de produits, de nettoyage de la distribution, de constitution de la meilleure équipe, de définition d’une stratégie claire, et de ne pas la changer tous les deux ans et évidemment de concentrer tous nos efforts sur les clients “.

Cela montre l’importance primordiale du capital de la marque dans cette industrie et souligne le temps et le dévouement nécessaires pour établir la crédibilité du capital de la marque. Les résultats de la pertinence et de la désirabilité d’une marque sont une sensibilisation accrue, un prestige perçu, une valeur de revente plus élevée, ainsi qu’une augmentation des revenus et de la rentabilité (par le biais d’une croissance de la production, certes modérée pour entretenir la rareté, la diminution des marges allouées aux détaillés et l’absorption partielle du réseau de vente au détail par la marque).

Cette définition implique également que les marques doivent avoir une vision à long terme lorsqu’elles formulent des stratégies au lieu de céder à la tentation de générer des revenus à court terme. Les entreprises gagnantes mentionnées au début de cet article sont toutes non cotées en bourse et en mains privées (actionnariat familial ou fondation). Celles-ci ont souvent des horizons stratégiques plus longs et sont moins poussées à s’écarter de leurs stratégies de base que les entreprises cotées en bourse et donc confrontées à des pressions constantes de croissance des revenus. Cette tension entre l’orientation à long terme et l’orientation à court terme est un thème récurrent.

Stratégie de base – développer et maintenir un code de marque et une valeur de marque clairs

Avant tout, l’objectif à long terme nécessite une stratégie de base consistant à développer des codes, des valeurs et un territoire de marque uniques et forts. Par la suite, la marque doit se tenir à ces valeurs de base lorsqu’elle formule les quatre piliers de la stratégie marketing – produit, prix, placement et promotion.

Les codes de la marque incarnent des éléments de conception spécifiques, tandis que les valeurs de la marque reflètent des idéaux d’ordre supérieur tels que l’excellence, le respect de la tradition et l’innovation. La valeur de la marque doit être intégrée de manière crédible dans le code de la marque. Par exemple, si la valeur de la marque est l’innovation, les produits doivent refléter un design, une fonctionnalité, une technologie et des matériaux d’avant-garde. Certains appellent la combinaison du code et de la valeur de la marque “l’ADN de la marque”.

La cohérence de codes et valeurs de marque cohérents et consistants dans le temps, incarnés par les produits et la communication, cimente dans l’esprit des consommateurs une identité de marque claire – ce que la marque représente vraiment. Une identité de marque claire et crédible est essentielle à la constitution du capital de la marque.

À mesure que l’environnement du marché et les préférences des consommateurs évoluent (par exemple, les tendances en matière de questions environnementales et sociales), des adaptations stratégiques peuvent avoir lieu pour rester pertinent dans la culture dominante. Toutefois, cette adaptation ne doit pas être radicale au point de s’écarter des codes et des valeurs de base de la marque ou de leur faire de l’ombre, sous peine de provoquer une confusion et une dilution de la marque.

Par exemple, la valeur de la marque Rolex est “l’excellence”, qui est véhiculée par la communication de la marque dans divers domaines du sport, des sciences et des arts. Cette valeur est liée à ses produits, que Rolex mesure à leur précision, leur fiabilité et leur durabilité. Si la collection actuelle reflète les recherches menées au fil des ans en matière de précision, de fiabilité et de durabilité des mouvements et présente quelques mises à jour esthétiques mineures, le code de la marque et les éléments de conception de Rolex sont restés pratiquement inchangés depuis les années 1960.

De même, la stratégie centrale de Hublot, “l’art de la fusion”, fait en sorte que les stratégies et les investissements de la marque soient orientés vers le développement et l’intégration de nouveaux matériaux dans leurs produits, tels que de nouveaux alliages dans les boîtiers ou les mouvements.

La devise de Blancpain “Depuis 1735, il n’y a jamais eu de quartz Blancpain. Et il n’y en aura jamais” (slogan défini par J-C. Biver[4] dans les années 1980) dicte une stratégie globale de l’entreprise selon laquelle tous les produits doivent incarner des éléments horlogers traditionnels et ne doivent contenir que des mouvements mécaniques, et non des mouvements à quartz fonctionnant sur piles. Afin d’assurer une mise en œuvre concertée dans l’ensemble de l’organisation, toutes ces entreprises ont dispensé une formation approfondie sur le code et la valeur de la marque à tous les employés.

Nos interlocuteurs se font l’écho de l’importance primordiale de codes et de valeurs de marque clairs. Comme le dit F-H. Bennahmias, CEO d’Audemars Piguet, “Vous construisez le succès de votre marque en établissant une stratégie claire et surtout en vous y tenant à long terme.” À la question de savoir si l’ADN de la marque est un concept fixe ou s’il peut évoluer, il répond : “Les racines fondamentales de l’ADN de la marque doivent toujours demeurer, mais vous devez les adapter à votre époque. Ce qui était bon à une époque donnée n’est peut-être plus valable. Mais la règle d’or est la suivante : ne jamais s’éloigner de ses véritables racines !”

J-C. Biver fait écho au même sentiment : “L’ADN est clairement un concept fixe, mais il peut s’adapter légèrement aux tendances. L’ADN des êtres humains ne change jamais, même si le corps se modifie avec l’âge. Il en va de même pour les marques. L’ADN des marques ne peut pas changer fondamentalement, mais certaines adaptations aux tendances sont possibles.”

Georges Kern, CEO de Breitling, met également en garde contre les distractions du marché : “Ne vous laissez pas abuser par les références [de produits] que certaines personnes attendent de votre marque. Vous devez connaître vos propres valeurs et être capable de vous concentrer sur vos véritables racines… Évitez de monter trop haut, trop vite, en résistant aux tentations à court terme.”

[1] RUTGERS BUSINESS REVIEW (2022), VOL. 7, NO. 3, PP- 250-266, https://rbr.business.rutgers.edu/article/building-and-sustaining-luxury-brands-reflections-swiss-watch-industry

[2] Le marché secondaire des produits horlogers est composé de montres de seconde main ou neuves (marché gris) vendues aux ventes aux enchères, en ligne sur des plateformes telles que Chrono24 ou Ebay ou chez des détaillants.

[3] Audemars Piguet a triplé son chiffre d’affaires entre 2012 et 2022 à CHF 2 milliards de ventes tout en doublant sa marge bénéficiaire.

[4] Jean-Claude Biver a été l’un des artisans de la renaissance de l’horlogerie mécanique dans les années 1980 avec Blancpain dont il était le CEO et co-propriétaire. Il a également été le CEO d’Hublot, de TAG Heuer et à ce titre aussi le patron de la division horlogère du groupe LVMH.

Une marque renaît de ses cendres avec un magnifique coup de pub, nom de code “MoonSwatch”

Swatch et OMEGA ont réussi ensemble un coup de maître en réalisant une collaboration, dont les deux marques tirent profit, en lançant la MoonSwatch. Le nom du produit est la contraction du produit iconique d’Omega – la Speedmaster Professional rebaptisée Moonwatch depuis l’alunissage en 1969 – et Swatch icône du renouveau de l’horlogerie suisse dans les années 1980. Le lancement de cette nouveauté a créé un engouement que la marque n’avait plus connu depuis les années 1990 et ses séries limitées en formes de légumes qui avaient suscité les passions des acheteurs à tel point qu’ils passaient la nuit devant les points de vente pour être les premiers lors de l’ouverture.

Le 26 mars de cette année les mêmes scènes se sont reproduites presque partout dans le monde avec des files interminables devant les 110 magasins sélectionnés pour vendre cette nouveauté. Selon la taille et l’emplacement du magasin l’allocation était de 100 à plus de 1’000 montres, mais l’achat limité à deux pièces par client puis par la suite à une pièce.

 

Lire également : https://www.letemps.ch/economie/retour-folie-swatch 

L’histoire se répète… en sens inverse

Petit client d’œil historique : dans les années 1980 Swatch a sauvé l’industrie horlogère suisse – et notamment sa marque sœur OMEGA – en prouvant qu’il était possible de fabriquer un produit en Suisse à un prix extrêmement compétitif avec un look branché et les codes d’une marque disruptive. Swatch a vendu plus de 20 millions de montres par année quand elle était au zénith de sa trajectoire fulgurante et approximativement 700 millions au total depuis son lancement. Ce chiffre est descendu cependant à 3 millions de pièces vendues annuellement ces dernières années et un chiffre d’affaires estimé à un peu plus de CHF 200 millions, mais surtout une perte estimée à CHF 150 millions annuellement (estimations Morgan Stanley x LuxeConsult sur la base des ventes 2021). Ces chiffres sont à mettre en perspective avec une industrie qui a exporté moins de 16 millions de montres l’année passée (15,75 millions selon les statistiques douanières).

Swatch collection “one more time” 1991 x Alfred Hofkunst

Aujourd’hui l’association de Swatch et OMEGA permet à la première de reprendre son envol en s’appuyant sur la légitimité de la seconde. A quarante ans d’intervalle l’histoire se répète en sens inverse et cette MoonSwatch – vendue CHF 250 en boutique – va probablement permettre à Swatch – marque structurellement déficitaire depuis de nombreuses années – de revenir dans les chiffres noirs. Et à OMEGA de recruter une clientèle plus jeune qui ne connaît pas encore forcément sa montre iconique. La hausse de fréquentation dans les boutiques Swatch – seules certaines des boutiques gérées en direct par la marque sont autorisées à vendre la MoonSwatch – et dans les boutiques OMEGA pour découvrir la montre originale semble prouver que l’équation est réussie pour les deux marques.

 

Une nouvelle famille de produits pour Swatch

collection MoonSwatch

Swatch est une marque qui vit de couleurs et de déclinaisons produits. La MoonSwatch honore cette tradition en proposant 11 modèles qui incarnent chacun une mission, la plus emblématique et la plus convoitée aussi, étant la « Mission to the Moon » qui est la copie exacte dimensionnelle et visuelle de la Speedmaster « Moonwatch ». La grande différence étant bien sûr la motorisation avec un mouvement quartz pour la MoonSwatch et un magnifique mouvement chronographe mécanique à remontage manuel pour la Moonwatch. L’autre particularité de cette nouvelle Swatch est que le matériau utilisé est bio-compatible en utilisant de la biocéramique pour le boîtier qui est en fait un mélange d’un plastique bio-sourcé d’une huile végétale – le ricin – pour un tiers et de deux tiers de céramique conventionnelle.

 Ce qui est intéressant dans ce contexte est le fait que Swatch avait lancé un an auparavant une ligne de produits (Swatch Big Bold Ceramic) qui n’a pas rencontré un succès fulgurant, puis une Swatch NASA qui elle n’a pas non plus déclenché une hystérie collective auprès des acheteurs potentiels.

 

Analyse du succès

Si les clients ont unanimement répondu présents lors du lancement, les concurrents ont été tout aussi unanimes à critiquer l’opération par rapport à son impact potentiellement négatif pour Omega. La marque biennoise est devenue au fil des années le joyau de la couronne du Swatch Group et contribue à plus de 50% au bénéfice opérationnel du Groupe (53% de l’EBIT selon l’estimation Morgan Stanley/LuxeConsult) et à presque un tiers de ses ventes.

Grégory Pons – journaliste spécialisé et commentateur avisé de l’actualité horlogère – a interrogé 17 CEO des plus grandes marques horlogères suisses et tous ont répondu qu’ils comprenaient l’intérêt de cette collaboration pour Swatch, mais certainement pas pour Omega. Tous ont répondu que le fait de banaliser un produit iconique – la Moonwatch – en le déclinant dans un produit d’entrée de gamme était une très mauvaise idée.

Plutôt que de verser dans l’analyse raccourcie et symptomatique d’une industrie habituée à ne pas se remettre en question, je vais essayer d’analyser avec des éléments plus tangibles et objectifs.

Lire également : https://businessmontres.com/article/les-medias-qui-parlent-de-montres-sont-lhorlogerie-ce-que-la-gynecologie-est-lerotisme-swatch-omega-moonswatch-watchesandwonders

 

1ère règle d’une collaboration fructueuse : associer les antagonismes

OMEGA Speedmaster Professional x MoonSwatch “Mission to the sun”

 

Pour créer l’intérêt il faut privilégier les antagonismes, car les extrêmes créent une tension.Swatch et Omega ne pourraient pas être plus différentes l’une de l’autre : d’un côté une marque historique (créée en 1848) et de l’autre une marque lifestyle lancée en 1982 dont les codes sont la couleur, l’humour et les références à l’art sous toutes ses formes. Les modèles ne sont pas faits pour durer, mais font partie de collections qui comme dans la mode sont biannuelles et disparaissent une fois les lots de production vendus. Ce sont des objets faits pour être éphémères et saisonniers, mais qui pour certaines sont devenues des classiques.

Chez Omega ont vit de collections faites pour durer et qui pour certains modèles deviennent des icones. Il s’agit notamment de la Seamaster 300m qui est devenue la montre de James Bond ou de la Speedmaster Professional « Moonwatch ».

D’un côté on peut se permettre d’expérimenter avec des nouveaux matériaux, des designs qui ne suivent pas forcément une logique, sauf celle de disrupter sans cesse. De l’autre on est face à une marque institutionnelle qui se doit de respecter des codes, mais surtout les attentes de ses clients. La dialectique entre deux territoires d’expressions, à priori antagonistes, permet de créer la tension qu’il faut.

2ème règle : associer les compétences

Swatch Group possède un avantage concurrentiel unique qui est son outil industriel lui permettant de développer et fabriquer un projet comme celui-ci 100% en interne. Le revers de la médaille est que cet outil industriel doit être « nourri » pour être efficient, mais surtout rentable. Les volumes des marques Tissot, Longines et Omega (un total annuel estimé de 5,5 millions*) ne suffisent pas à compenser entièrement la baisse de volume de la marque Swatch avec 3,2m* de pièces vendues estimées l’année passée.

ETA – la principale manufacture de mouvements du Swatch Group – a amené les solutions techniques, notamment la chaîne de fabrication de la biocéramique (fabrication 100% en Suisse). Omega a pris le lead du développement produit et cela se voit par rapport aux différents détails et la cohérence du tout. Et finalement Swatch apporte la touche colorée et son réseau de vente, même si l’on peut se demander si la vente en boutique monomarque Omega ne serait pas un bon moyen de légitimer le produit et d’amener les jeunes clients directement dans une boutique dont ils ne franchiraient pas forcément la porte.

 

3ème règle : chauffer la salle avant l’arrivée de la star

Campagne Instagra

Aujourd’hui le drop shipping est devenu presque la norme avec l’annonce sur les réseaux sociaux de l’arrivage imminent d’une paire de sneakers ultra limitée (quelques milliers dans le monde) vendues dans quelques points de vente sélectionnés (quelques dizaines). Le public plutôt jeune et habitué à attendre dans une file se prépare souvent tôt le matin à attendre des heures pour toucher le graal.

Et dans ce cas Swatch et Omega ont utilisé tous les moyens à disposition pour créer un buzz en mettant des annonces dans les quotidiens et le relayant sur les réseaux sociaux en annonçant une date avec un message faisant allusion à une date précise, le 26 mars, et vous enjoignant de changer votre Swatch ou dans la deuxième version votre Omega. Dès que le message est sorti les rumeurs ont commencé à courir et le buzz à s’amplifier.

 

4ème règle : une distribution ultra sélective… mais adaptée à la clientèle cible

Afin de concentrer l’effet de surprise les ventes se font uniquement dans des boutiques Swatch sélectionnées et en quantités très limitées par rapport au potentiel de vente. Pour faire simple ce sont 110 points de vente dans le monde qui ont reçu chacun entre 100 et 1’000 pièces pour cette journée événement qui a déclenché la ferveur à tel point que par exemple à Singapour des clients ont campé devant le magasin pour être les premiers lors de l’ouverture du magasin. Des scènes jamais vues depuis les temps glorieux des séries limitées de la Swatch dans les années 1990. Inutile de préciser que les points de vente ont été dévalisés en très peu de temps, même si Swatch avait pris soin de limiter l’attribution de 2 pièces maximum par client.

Dans une récente interview accordée au blog horloger fratellowatches, le CEO de Swatch Group a exclu toute vente de la MoonSwatch sur internet. Cette décision pour le moins surprenante Nick Hayek l’explique par le fait qu’ « Il n’y a pas d’émotion dans l’achat en ligne. Il s’agit d’une montre Swiss Made fabriquée avec soin et non d’une marchandise. Après que le monde entier ait dû rester à la maison pendant deux ans à cause du COVID, il était temps de faire la fête et de ramener les gens dans les rues, de se rencontrer et de faire revivre les magasins traditionnels ». On peut être d’accord sur le fait que l’événement créé à travers le monde est le fruit d’un événement physique (et non dans le metavers), mais de là à interdire par exemple aux chinois cantonnés chez eux de pouvoir acheter une montre aussi cool est pour le moins questionnable.

Lire également : https://www.fratellowatches.com/swatch-group-ceo-nick-hayek-about-the-moonswatch/#gref

 

5ème règle : séquencer l’effort

 Le concept est adéquat dans la mesure où les marchés n’ont pas été inondés en quantités lors du lancement, bien au contraire et ne le sont toujours pas trois mois après le lancement. On peut estimer que lors du weekend de lancement plus de 50’000 montres ont trouvé preneurs et que depuis 100’000 pièces supplémentaires ont été vendues. La cote sur le marché secondaire est d’ailleurs restée relativement stable avec un prix réaliste de transaction à CHF 600 – après être monté à CHF 1’500 et plus – soit 2,5 fois le prix public recommandé, soit un gain de presque 150% pour les spéculateurs.

Cote de la MoonSwatch “Mission to the Moon” le 07 juillet 2022. copyright chrono24.ch

N’aurait-il pas été plus judicieux de séquencer le lancement des 11 modèles par collection de peut-être 3 modèles ? En entretenant la curiosité des clients et de venir à la fin avec la star de la collection « Mission to Moon » par exemple le jour anniversaire du premier alunissage le 20 juillet et d’en faire une série ultra-limitée de 1969 pièces ? et de créer une pièce unique – qui serait la seule à être motorisée par le mouvement mécanique calibre 1861 qui équipe la fameuse Speedmaster Professional d’OMEGA – vendue lors d’une vente aux enchères caritative du type « ONLYWATCH » ? Imaginez le buzz médiatique en vendant une pièce en « plastique », certes biosourcé, à plus d’un million de francs !

 

Est-ce que les objectifs ont été atteints ?

Pour Swatch, une marque en perte de vitesse à la recherche de volumes pour faire tourner les usines du Groupe aussi bien pour les mouvements que l’habillage (cadrans, aiguilles, boîtiers) l’exercice est bien sûr extrêmement bénéfique. Pour comprendre les enjeux il faut comparer les volumes du temps de la splendeur dans les années 1990 – plus de 20 milllions de montres vendues par année – à 2021 et 3,2 millions de Swatch vendues dans le monde (estimation Morgan Stanley & LuxeConsult). Selon une estimation faite par Morgan Stanley après le lancement de la MoonSwatch, il pourrait s’en vendre jusqu’à 500’000 pièces cette année pour générer un chiffre d’affaires estimé à CHF 125 millions, mais surtout une marge brute phénoménale estimée à 90% , ce qui correspond à CHF 112 millions, qui permettrait quasiment de ramener la marque à l’équilibre.

En tenant compte du fait que la montre n’a pas encore été lancée en Chine – pour cause de fermetures des points de ventes liées à la Covid – et que par voie de conséquence les ventes en ligne n’ont pas encore débuté (pour autant qu’elles débutent un jour; v. point 4 ci-dessus), on peut estimer le potentiel des ventes annuelles pour cette seule montre à 1 million d’unités par année soit un chiffre d’affaires de CHF 230 millions qui permettrait de plus que doubler le chiffre d’affaires actuel, tout en améliorant la rentabilité de la marque et en apportant le volume de production à l’outil industriel du Swatch Group.

La collaboration a sensiblement augmenté le trafic dans les points de vente Swatch, mais surtout il a permis de faire découvrir la Speedmaster d’Omega à un public plus jeune qui ne connaissait pas forcément cette icône de l’horlogerie.

 

Des critiques ? Et des explications

MoonSwatch “Mission to the Moon”

 

 

Le plus beau succès marketing et commercial de l’horlogerie suisse de ces 20 dernières années aurait pu être encore plus conséquent si les points suivants avaient été mieux gérés :

  • la famille de produits est composée de 11 modèles, dont le modèle « Mission to the Moon » qui est une copie exacte de la montre originelle d’Omega en taille et esthétique globale. On peut se demander s’il est judicieux de copier quasiment 1 :1 son produit le plus iconique en le vendant pour un vingtième du prix (CHF 250 au lieu de CHF 5’050).
    • À l’inverse cette copie – presque conforme, car l’amateur reconnaît au premier coup d’œil les différences, notamment les compteurs du chronographe – a permis aux clients cibles de découvrir la vraie Moonwatch.
  • De même que le fait d’installer cette collection dans le temps et de ne pas en faire une collaboration limitée dans le temps, soit une collection capsule ou un « drop shipping », est questionnable.
    • On peut penser qu’au vu du succès de cette première collaboration Swatch, on verra d’autres initiatives par exemple sur la Sistem 51 qui est tout simplement l’un des mouvements mécaniques industriels le plus abouti de l’horlogerie suisse. On peut associer d’autres icones de l’horlogerie du groupe Swatch ou …. en-dehors du groupe.
  • Ma plus grande critique est liée à la politique de communication de Swatch qui n’en n’a pas fait un de ses axes prioritaire en amont et après le lancement. Aucune communication spécifique n’a été faite à part quelques posts sur le compte Instagram de Swatch et une campagne d’annonces dans les journaux et dès lors on peut se poser la question de la pertinence par rapport à la cible visée des générations Z et Alpha qui ne lisent plus aucun média imprimé.
    • Les médias spécialisés de l’horlogerie – dans leur immense majorité – n’ont tout simplement pas compris l’impact de cette montre, ni le succès rencontré. Il y a ceux qui mettent ceci dans la rubrique animation marketing et d’autres qui pensent qu’elle va nuire au prestige d’Omega.
    • la règle d’or de la communication d’une marque est la répétition et la cohérence du message et ce ne sont pas quelques maigres posts sur le compte Instagram des deux marques qui font la différence.
  • Et puis finalement au-delà de se réjouir des cohues provoquées devant les magasins et la file d’attente de plus de 500m devant le siège de Swatch à Bienne, on peut regretter les bagarres entre clients et le racket organisé devant les magasins, notamment à Genève. Une meilleure coordination et communication auraient certainement contribuer à rendre ce succès encore plus beau.

 

En conclusion : un cas d’école d’une action marketing – presque – parfaitement planifiée et vendue comme du « guérilla marketing » qui a bluffé tout le monde et qui a volé la vedette aux marques présentes au salon Watches & Wonders qui démarrait quelques jours plus tard. Et pour conclure, je me risque à prédire d’autres collaborations de Swatch avec des marques institutionnelles internes ou externes au groupe. Affaire à suivre…

 

 

Les modèles de la collection MoonSwatch sont vendus CHF 250,00 TTC dans des boutiques Swatch sélectionnées à travers le monde https://www.swatch.com/fr-ch/bioceramic-moonswatch.html 

Omega vend sa Speedmaster Professional “Moonwatch” à partir de CHF 4’850,00 TTC https://www.omegawatches.com/fr-ch/watch-omega-speedmaster-moonwatch-professional-chronograph-42-mm-31133423001001

*rapport “The Magnificent Seven” publié le 07.03.2022 par la banque Morgan Stanley et auquel LuxeConsult a contribué

François-Henri Bennahmias annonce son départ d’Audemars Piguet pour fin 2023 après un règne couronné de succès

François-Henri Bennahmias quittera son poste de CEO d’Audemars Piguet à la fin de 2023 après un règne de 11 ans en tant que CEO. Electron libre dans l’industrie qui a osé dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas, il a mis le turbo à une marque qui sommeillait un peu et se faisait bousculer par des concurrents plus agressifs.

En 10 ans, la marque a plus que doublé son chiffre d’affaires et sa marge de rentabilité opérationnelle, tout en maintenant la marque rare et attractive pour les clients et les collectionneurs. Le plan marketing et commercial de F-H. Bennahmias ne doit rien au génie, mais tout au bon sens et à sa capacité à fédérer les équipes. Souvent critiquée pour sa dépendance à une seule famille de produits – la légendaire Royal Oak – qui contribue pour plus de 90% à son chiffre d’affaires et encore plus à sa rentabilité, la marque du Brassus a su réinventer un produit phare qui est aujourd’hui une icône dans le monde de l’horlogerie.

A lire : Le Temps Interview de Jasmine Audemars & FH Bennahmias par F. Noghero “François-Henry Bennahmias, l’enfant terrible de l’horlogerie, quittera Audemars Piguet fin 2023”

Les marques sont faites par des humains

Le chemin du succès et les ingrédients clés d’un tel (re)lancement turbo d’une icône horlogère du monde de l’horlogerie sont nombreux mais ils sont tous liés à des facteurs humains. J’aime à dire que les marques sont faites par des humains, et non par des tableurs excel. Dans une marque de luxe, la personnalité du CEO ou du directeur de la création est essentielle pour la promotion de ses valeurs. Bennahmias – une forte personnalité avec des traits de caractère qui pourraient convenir à un boxeur – possède un fort charisme qui lui permet de motiver ses troupes et de montrer la voie. Il a réussi à constituer une équipe de spécialistes de haut niveau dans tous les domaines d’excellence nécessaires pour obtenir le succès que la marque a rencontré. Plutôt enclin à être un showman qu’un manager discret, Bennahmias a parfois surjoué son rôle, mais toujours pour le bien de la marque… du moins dans son propre entendement.

Oser une collaboration entre Marvel et AP, tout en étant une institution datant de 1875 n’aurait pas été mon premier choix pour être franc. Mais le succès et le buzz créés surtout aux USA coupent court à toute discussion sur la pertinence de cette collaboration. La première pièce a été vendue aux enchères pour 5,2 millions de dollars (pour une charité) et les 250 pièces de l’édition limitée dont le prix avait été fixé à 165 000 dollars ont été vendues rapidement.

ROYAL OAK CONCEPT “BLACK PANTHER” FLYING TOURBILLON

 

Un projet avec des fondamentaux sains et solides

Les principaux axes de la reconstruction de la marque depuis 2012 ont été :

une forte poussée sur les ventes avec moins de détaillants et une meilleure disponibilité des produits dans les magasins, tout en gardant une ” rareté raisonnable ” sur les marchés. En quelques années, la marque est passée de 30’000 pièces à 45’000 en 2021 avec l’objectif d’atteindre 65’000 dans les cinq ans (2022 amènera une augmentation à 50’000 montres vendues).

Gérer la rareté sans frustrer vos clients existants est probablement l’exercice le plus difficile à réussir. Lorsque l’on dit aux gens que la liste d’attente n’existe même plus et qu’ils devront attendre probablement des années pour obtenir leur graal, une Royal Oak, la frustration pointe immanquablement …. à moins d’accepter de mettre 3 x le prix retail recommandé.

  • F-H. Bennahmias a récemment déclaré que son objectif était d’allouer au moins 35% aux clients existants de la marque. C’est un objectif noble, mais qui va s’assurer qu’il est atteint ?

un nettoyage de la collection avec l’élimination progressive des collections Millenary et Jules Audemars, qui n’étaient pas de grands succès commerciaux et qui dataient d’une époque où AP cherchait à diversifier son offre de produits.

– la concentration de la famille Royal Oak elle-même – lancée en 1972 avec un concept marketing totalement disruptif (une montre en acier plus chère que l’or) – avec une montée en gamme vers des modèles à plus forte valeur ajoutée.

– une réduction de sa distribution de 75% en moins de 10 ans, passant de 470 détaillants à 120 en 2021. L’objectif est de compter 80 portes dans le monde d’ici 2026, dont environ la moitié seront des magasins appartenant à la marque.

– la création d’un concept de boutiques – les maisons AP – où le visiteur vient non seulement en tant que client, mais surtout en tant qu’invité de la Maison pour prendre un verre, rencontrer d’autres passionnés et pour devenir un ambassadeur de la marque.

– Une communication beaucoup plus claire et pointue sur les valeurs de l’entreprise liées à l’un des berceaux de l’horlogerie, la Vallée de Joux et sa tradition de haute horlogerie. La dernière campagne, avec son slogan ” De l’iconoclaste à l’icône “, résume le chemin parcouru depuis 1972 et le lancement de la Royal Oak jusqu’à son élévation au rang d’icône pour une montre qui – à l’époque – avait osé casser les codes de la haute horlogerie.

des investissements massifs dans les moyens de production, non seulement pour revendiquer le label de manufacture, mais surtout pour renforcer sa légitimité à faire de la haute horlogerie.

– la construction d’un nouveau musée avec une approche totalement moderne, non seulement par son architecture, mais surtout par une scénographie présentant les pièces non pas par quantité, mais montrant l’évolution d’une Maison qui fabriquait surtout des pièces en séries limitées sans volonté de construire une collection, pour devenir finalement une marque mono-produit. (Je recommande vivement le musée AP qui donne le sentiment d’être reçu dans une maison privée, plutôt que dans un musée, en très petit groupe accompagné de guides très compétents https://www.museeatelier-audemarspiguet.com/fr/home.html ).

L’héritage d’un mandat de 11 ans

Le développement de la marque sur 11 ans (jusqu’à fin 2023) fera certainement partie des ” case studies ” dans les écoles de marketing pour illustrer la capacité d’une marque à tout réinventer sans rien changer. Et même si les esprits chagrins évoqueront le lancement quelque peu controversé de la famille de produits Code 11:59, destinée à réduire la dépendance de la marque à sa famille de produits Royal Oak, ils n’auront pas compris que l’effet collatéral aura été d’introduire une toute nouvelle famille de calibres totalement conçus et fabriqués en interne. Le Code 11:59 et ses faibles quantités ont permis à la marque de lancer les 3 nouveaux calibres (six nouvelles références de montres) de manière contrôlée, ce qui n’aurait pas été possible si cela avait été fait avec la famille Royal Oak et ses volumes nettement plus élevés. Les calibres son dorénavant communs aux deux familles de produits.

CODE 11.59 BY AUDEMARS PIGUET PERPETUAL CALENDAR

 

Les ventes de la Code 11:59 ne sont pas encore substantielles, mais certainement substantiellement plus importantes que ses critiques – nombreux et virulents sur les réseaux sociaux lors du lancement – l’envisageaient. Il a fallut revoir la copie sur certains produits, mais AP a démontré sa capacité à s’adapter et son CEO à faire profil bas quand cela s’est avéré nécessaire.

Passer de 630 millions de chiffre d’affaires en 2012 à 2 milliards de francs suisses cette année tout en maintenant la rareté du marché, en renforçant le capital de la marque et en dégageant davantage de marges est un exploit que de nombreux CEO de marques horlogères rêveraient d’accomplir.

“Les 7 magnifiques” : Morgan Stanley publie son rapport annuel sur l’industrie horlogère suisse

Basé sur les chiffres d’exportations de l’industrie horlogère suisse qui ont enregistré un record historique à CHF 22,3 milliards en 2021 (CHF 21,2md pour les montres-bracelets), la banque d’affaires américaine Morgan Stanley – en collaboration avec le cabinet LuxeConsult spécialisé dans le monde horloger – publie ce jour son rapport annuel.

  • La principale bonne nouvelle est que nous avons retrouvé le niveau pré-Covid des ventes avec un résultat en hausse de 31,2% par rapport à 2020 et même 2,7% au-dessus de 2019
  • La mauvaise nouvelle est que – malgré l’augmentation de 2 millions d’unités en une année – nous sommes encore 4,9 millions en-dessous de 2019.

 

Rolex intouchable et largement en tête

Sans surprise Rolex reste le leader absolu des marques horlogères suisses en prenant 29% des parts de marché de l’industrie horlogère suisse avec un chiffre d’affaires estimé à CHF 8 milliards en 2021. Sur la deuxième marche du podium on retrouve Cartier avec CHF 2,39 milliards ce qui correspond à 40% de progression en une année. Omega descend d’une marche avec CHF 2,2 milliards de chiffre d’affaires.

Rolex réalise non seulement le meilleur exercice de son histoire depuis la création de la marque en 1905, mais surtout elle le fait après une année 2020 qui avait vu une réduction de sa production de presque 20%.

Source: LuxeConsult, Morgan Stanley Research. © Ce graphique ne peut être reproduit sans l’autorisation expresse de Morgan Stanley.

Pour mieux illustrer la performance de Rolex on peut aussi mentionner le fait que :

  • Rolex détient autant de parts de marché que les cinq concurrents suivants additionnés
  • Le chiffre d’affaires de Rolex est supérieur de CHF 1 milliard à celui du Swatch Group qui résulte de 17 marques
    • Si l’on ajoute les ventes de la marque sœur – Tudor – avec CHF 510 millions, Rolex réalise CHF 8,5 milliards de ventes, soit 20% de plus que le Swatch Group.
  • On estime la part de marché de Rolex sur les deux marchés clés d’exportation de l’industrie horlogère à 40% pour les USA (marché no. 1) et 35% au Royaume-Uni (5ème).
    • Aucune autre marque de luxe ne possède une position aussi dominante sur son marché respectif.

 

Une industrie plus que polarisée

On assiste depuis plusieurs années à une polarisation accélérée d’un marché horloger dans lequel quelques marques surperforment et sont dans un cycle vertueux. Le taux de croissance des marges devient dans ce cas supérieur à celui du chiffre d’affaires. Pour faire simple : plus la marque vend et plus sa rentabilité augmente et lui donne des moyens supplémentaires pour être plus visible.

Derrière le club des 4 marques qui affichent une croissance presque insolente depuis plusieurs années, Rolex, Audemars Piguet, Patek Philippe et Richard Mille on peut ajouter un deuxième groupe composé notamment de Cartier, Omega, Longines et IWC.

  • Les 5 plus importantes marques représentent plus de la moitié du marché (53%)
  • 13 marques prennent 75% de parts de marché
  • 25 marques prennent 90% du marché

Ces chiffres sont à comparer avec les 350 marques horlogères Swiss made en activité.

 

Les grands gagnants en 2021

 Même si la base comparative de 2020 est forcément très basse, on peut mettre en avant :

 

  1. La polarisation accrue du marché entre quelques marques qui surperforment maintenant depuis des années (l’édition 2018 du rapport Morgan Stanley avait été le premier à le relever) et qui sont en mains privées : Rolex, Audemars Piguet, Patek Philippe et Richard Mille. On peut désormais ajouter Breitling à cette liste qui réalise une remarquable progression à +40%. Ces 5 marques représentent presque la moitié du marché horloger suisse avec 43% de la valeur totale.
  2. Cartier détrône Omega et monte à la deuxième place du classement avec CHF 2,39m de ventes (+40%). Ceci reflète le dynamisme d’une marque qui a su connecter avec une clientèle plus jeune sur quasiment tous les marchés. La performance de Cartier est d’autant plus remarquable que : a. son segment joaillier a connu une croissance encore plus forte que la division horlogerie et que b. Omega a fait une très bonne année avec un plus de 30%.
  3. Audemars Piguet gagne deux places et se place en 4ème position et accomplit une année record, la meilleure de son histoire. Elle dépasse son concurrent historique Patek Philippe qui malgré ses succès d’estime et le buzz créé par la sortie de collection de sa mythique Nautilus 5711, ne connaît pas la même dynamique vertueuse qu’AP. Audemars Piguet surfe sur une vague interrompue du succès de sa Royal Oak qui fête cette année ses 50 ans et qui sans aucun doute contribuera à faire de 2022 une nouvelle année record. On peut estimer que quasiment 90% de ses ventes sont dues à son produit le plus iconique (Royal Oak et Royal Oak Offhsore), mais la collection Code 11 :59 lancée en janvier 2019 commence à faire sa place et génère déjà 5% des ventes de la marque. Le chiffre d’affaires est généré par un nombre croissant de boutique monomarques (75% de son chiffre d’affaires) qui procurent les avantages de : a. capturer la marge du détaillant, b. connaître ses clients finaux (sell-out) et c. de mieux gérer ses stocks pour éviter de perdre des ventes pour une marque qui est en rupture de stock perpétuelle.
  4. Le club des marques milliardaires compte à nouveau 7 membres avec l’arrivée de Richard Mille qui se place en 7ème position avec des ventes de CHF 1,1md.
  5. Les gagnants de la reprise en 2021 sont aussi dans le groupe Richemont avec notamment Cartier (division horlogère) à +40% et Vacheron Constantin à +53%. Il faut aussi mentionner les montres Hermès qui réussissent une performance à +73%, même si le chiffre d’affaires de CHF 364m ne la place qu’en 19ème position, la progression reste phénoménale et est le fruit d’un travail entrepris depuis plusieurs années : a. de repositionnement de l’offre horlogère vers le haut et b. de la désirabilité de la marque de maroquinerie.
  6. La premiumisation* s’est renforcée en 2021 avec les segments de prix au-dessus de CHF 2’000 prix exports qui affichent une croissance aussi bien en volumes qu’en valeurs. Ces montres correspondent à un prix public de CHF 4’000 et au-delà. Ce segment de prix ne représente que 16% des volumes, mais 82% des valeurs exportées.

*une montée en gamme de prix par une offre concentrée sur le haut de gamme et la rareté (réelle ou artificielle) de l’offre.

  1. La répartition des marges est encore plus polarisée que celle des chiffres d’affaires où les 4 marques championnes prennent 41% des ventes, mais 62% de la marge opérationnelle totale. Rolex, Audemars Piguet, Patek Philippe et Richard Mille atteignent des rentabilités auxquelles peu de marques de luxe peuvent prétendre.
© 07.03.2022 Morgan Stanley x LuxeConsult, reproduction interdite sans autorisation préalable

 

  1. L’entrée de gamme de l’horlogerie suisse subit indéniablement l’assaut des montres connectées, dont 80 millions se sont vendues l’année passée pour même pas 16 millions de montres pour l’ensemble de l’horlogerie suisse. Ce chiffre est à mettre en comparaison de 2016, année de démarrage de l’Apple watch (présentée en 2015) qui reste leader absolu de ce segment avec plus de 50% des parts de marché : 22m de montres connectées vendues cette année-là pour 25m de montres Swiss made dont 18 millions de quartz.
  2. Rolex reste intouchable et vient d’achever sa meilleure année depuis sa fondation en 1905. Les produits sont devenus quasiment introuvables malgré une augmentation de la production à 1’050’000 une quantité jamais atteinte auparavant. La cohérence entre le message d’excellence de la marque et son offre produits est imparable. Rolex a aussi entrepris des efforts dans le seul domaine où elle possède encore une grosse marge de progression, son réseau de détaillants qui n’est parfois pas à la hauteur du prestige de la marque.
  3. Swatch Group a réussi une très belle année avec un plus de 30,7%, mais ce chiffre est légèrement inférieur au taux de progression affiché par l’ensemble de l’industrie horlogère à 31,4%. Logiquement il perd des parts de marché – 22% – et vient se positionner derrière Rolex et ses 30,5% (incluant la marque sœur Tudor). Ce qui est surtout inquiétant est l’accélération de Rolex par rapport à son principal challenger Omega, dont la part de marché (7,5%) correspond à un quart de celle de Rolex. Le Swatch Group est de plus en plus dépendant de 3 marques sur un total de 17 dans son portefeuille aussi bien pour ses ventes que pour ses marges : deux-tiers de son chiffre d’affaires sont générés par Omega, Longines et Tissot qui génèrent la quasi-totalité de son résultat opérationnel (EBITDA). On peut estimer qu’Omega génère à elle seule plus de la moitié de marge du groupe.
  4. Les groupes ne sont pas à la fête à l’exception notable de Richemont, car LVMH perd des parts de marché, malgré une très bonne performance (+45%) d’Hublot. Zenith a selon nos estimations quasiment doublé ses ventes, mais son résultat net est tout juste à l’équilibre et son poids relativement marginal dans les comptes du groupe.
  5. Kering – 2ème groupe mondial du luxe et propriétaire de Gucci – a jeté l’éponge début 2022 en cédant ses marques Ulysse Nardine et Girard Perregaux qui n’ont fait que dégringoler depuis leurs reprises par le groupe français. Leurs chiffres d’affaires sont devenus anecdotiques et surtout elles génèrent les deux des pertes. Kering ne garde une activité horlogère que pour sa marque Gucci où elle semble avoir la main plus heureuse.
  6. Les marques de niche indépendantes, telles que F-P Journe, Greubel Forsey, Kari Voutilainen, MB&F ou Laurent Ferrier connaissent un succès absolument phénoménal autant sur le marché primaire (montres neuves) que secondaire (ventes de seconde main, ventes aux enchères et marché « gris »). Pour certaines les listes d’attente atteignent désormais plusieurs années et quelques-unes ont décidé de ne plus prendre de nouvelles commandes pour ne pas décevoir des collectionneurs. Cette tendance aussi réjouissante soit-elle et importante en termes d’image et de préservation de savoir-faire artisanaux, a un impact marginal sur les valeurs – nous estimation celles-ci à 1% du total – et encore moins sur les volumes avec une estimation à 0,05%.
  7. Marché secondaire: estimé à approximativement la moitié de celui des montres neuves, soit CHF 20md, il est très révélateur de la désirabilité des marques. Les cotes de reventes donnent une très bonne idée de la rareté de l’offre sur le marché primaire avec des primes « coupes files » qui atteignent parfois 50-150% du prix de vente recommandé. En-dehors des marques et produits iconiques comme la Rolex Daytona, la Patek Philippe Nautilus ou encore la Royal Oak d’Audemars Piguet, les prix sont à des niveaux historiquement élevés et peuvent faire craindre l’éclatement d’une bulle spéculative. Lorsqu’une Patek Philippe Nautilus « Tiffany » se vend à USD 6,2m c’est une bonne chose pour la communication, mais ceci engendre aussi une fièvre spéculative qui a été notamment alimentée par les gains des crypto monnaies.

 

*méthodologie : contrairement aux autres industries notamment des biens de consommation (FMCG), l’industrie horlogère est une « boîte noire ». Très peu de chiffres sont publiés, notamment ceux des exportations qui sont recensés dans les statistiques douanières suisses et reprises par la fédération de l’industrie horlogère Suisse (FH). Ces chiffres présentent certes le désavantage de valoriser le « sell-in » (ventes des marques aux distributeurs ou détaillants) et non pas le « sell-out » (ventes aux clients finaux), mais ils reflètent des tendances. Certes un décalage temporel existe – plus ou moins important selon les marques – entre le moment où la montre est livrée et le moment où elle se trouve au poignet du client, mais celui-ci n’est pas aussi important que certains commentateurs le prétendent. En effet les marques les plus désirables et par définition celles qui pèsent le plus dans les comptes sont aujourd’hui dans l’heureuse position d’avoir une circulation de stocks extrêmement rapide.

La méthode adoptée par Morgan Stanley x LuxeConsult est de convertir ces données de ventes en parts de marché retail (les ventes du détaillant au client final) en tenant compte : a. des ventes des 65 plus grandes marques Swiss made (25 marques représentent 90% du marché) b. nous recoupons des informations publiquement accessibles avec des interviews d’acteurs de l’industrie, c. nous faisons une estimation du degré d’intégration de la distribution de chaque marque, d. nous intégrons les marges données au distributeurs ou détaillants ce qui nous permet finalement d’obtenir un prix public moyen et de calculer les parts de marché.

 

 

Les marques d’horlogerie qui plaisent aux ultra-riches Chinois

Le succès d’une marque est mesuré sur la base de ses résultats financiers, mais parfois d’autres indicateurs sont plus pertinents pour son capital de marque (“brand equity”) comme sa cote auprès de son public cible. Pour les marques horlogères le fait d’être désirées sur un marché aussi référent que la Chine, qui reste leur principal marché d’exportation*, est un signe qui ne trompe pas !

La banque d’affaires Morgan Stanley analyse, dans une note publiée ce jour**, un classement publié par Hurun de la désidérabilité des marques horlogères en Chine , société qui est la référence des études de marché dans ce pays. Le classement est établi sur la base d’un sondage de 750 HNWI*** et UHNWI*** dont le patrimoine net moyen est de 42 millions de RMB (= USD 6,6m).

 

Classement Hurun
  • Premier constat : Rolex grimpe à la première place – devant Patek Philippe qui détenait la 1ère place depuis 2010 ! – en termes de désidérabilité sans toutefois être le leader du marché chinois, dont les deux premières places sont trustées par les marques du Swatch Group OMEGA et Longines. OMEGA apparaît en 6ème position du classement Hurun et Longines ne figure pas dans le top 10, mais ceci s’explique par le panel de clients qui reflètent beaucoup plus les préférences d’un segment de clientèle très haut de gamme. Le rapport Morgan Stanley relève avec pertinence que Rolex qui détient 25% des parts de marché de l’horlogerie Suisse dans le monde (rapport annuel Morgan Stanley x LuxeConsult) – loin devant Omega qui est le no. 2 mondial avec seulement 9%, est le leader incontesté sur des marchés aussi référents que les USA* (premier marché d’exportations de l’horlogerie suisse selon la FH) ou la Grande-Bretagne (no. 5). Sur ces deux marchés de référence Rolex détient plus de 30% du marché ce qui est unique pour l’ensemble de l’industrie du luxe. Aucune autre marque de luxe n’est aussi dominatrice sur les marchés clés.
copyright Rapport Morgan Stanley x LuxeConsult 2021 sur base ventes 2020
    • Rolex est cependant beaucoup moins dominante en Chine avec une part de marché estimée par Morgan Stanley à 15% ce qui est inférieur aux parts de marché du Swatch Group. Omega, Longines et Tissot profitent de l’implantation de leur réseau de distribution chinois par le Swatch Group dès les années 1990. Par ailleurs Omega est auréolée d’une notoriété historique très particulière en Chine, car Mao Zedong a porté une Omega pendant des décennies.
Rolex Submariner
  • La deuxième surprise du classement est la percée des montres Hermès qui figurent seulement pour la troisième fois depuis 2010 dans ce classement et qui se hisse cette année en 4ème position devant Cartier et Omega. Ce rang n’est pas dû au hasard, mais à un travail de longue haleine de la part d’une des plus belles maisons de luxe dans l’absolu qui a positionné son horlogerie dans le territoire naturel d’une marque éponyme d’une vision à long terme. Hermès a su repositionner son offre en diminuant le nombre de références de sa collection, en développant fortement l’offre de garde-temps équipés d’un mouvement mécanique et en lançant des nouvelles montres comme la récente H08 avec tous les codes pour devenir iconique. La marque arrive aujourd’hui même à vendre des répétition-minutes/ tourbillons vendues à plusieurs centaines de milliers de francs.
Hermès H08
Hermes-Arceau-Lift-Tourbillon-Repetition-Minutes
  • Troisième constat le groupe Richemont place 5 marques dans le top 10 des marques horlogères les plus désirées par les ultra-riches chinois. Le seul bémol étant le recul de Vacheron Constantin qui recule de la 3ème place à la 7ème, alors qu’elle offre les produits les plus prisés par les clients chinois avec une esthétique très classique et un savoir-faire manufacturier. Ce recul peut s’expliquer par le rajeunissement de la clientèle au-travers du succès de sa collection Overseas qui plaît probablement plus à des clients qui ne font pas encore partie des HNWI.

 

  • Mais la plus grande surprise est le fait qu’Audemars Piguet ne figure pas dans les 10 premières marques citées. Pour une marque leader toujours citée comme faisant partie des 4 marques championnes (avec Rolex, Patek Philippe et Richard Mille) et qui a enregistré 38% de croissance de son chiffre d’affaires en 2021, ceci est pour le moins surprenant.

 

Même si ce classement n’est qu’un instantané et ne donne qu’une vue très partielle, il est quand même un indicateur révélateur des efforts fournis par les marques pour développer leur cote de popularité sur le marché du luxe avec la plus forte croissance attendue pour la prochaine décennie.

 

 

 

 

*basé sur les chiffres des exportations horlogères en 2021, la fédération de l’industrie horlogère suisse estime que les USA sont devenus le premier marché. Si l’on agrège les exportations vers la Chine continentale et HK, le marché chinois reste largement en tête. Mais la différenciation faite par la FH peut se justifier si l’on considère que Hong Kong sert aussi de hub logistique pour d’autres marchés asiatiques.

**« Rolex becomes the most desirable watch brand among Chinese HNWIs”

*** les HNWI cités par le classement Hurun, sont des « High Net Worth Individuals » ou “Ultra HNWI” qui disposent d’un patrimoine net de dettes les définissant comme la cible clients de marques de luxe

Quand les casseurs de codes inventent un nouvel objet horloger

Code41 est le Petit Nicolas de l’horlogerie, en somme le cancre qui vient questionner les bonnes, mais surtout les mauvaises habitudes de l’industrie horlogère. En s’érigeant « briseur de codes » – le concepteur horloger – est souvent perçu par les autres acteurs de l’horlogerie comme un « empêcheur de tourner en rond ».

En lançant d’abord des montres avec des composants asiatiques, afin de pouvoir offrir un beau produit à un prix très accessible, mais surtout en orchestrant une campagne de communication virale, les agitateurs de Code41 ont tout de suite marqué leur terrain. Le concept totalement numérisé a été précurseur dans le monde de l’horlogerie en créant un nouveau business modèle de distribution qui réunit le crowdfunding* et le crowdsourcing**. Plus d’intermédiaires, donc des prix plus intéressants pour le client final et surtout une participation aux choix de design par une communauté composée de 530’000 passionnés après seulement 5 ans d’existence.

Plutôt que de cacher l’origine des composants asiatiques, tout a été déclaré en bonne et due forme lors de la levée de fonds qui a eu lieu sur Kickstarter. Le concept ambitieux de créer une charte de transparence nommée TTO pour « total transparency on origin » (transparence totale sur la provenance) s’est révélé payant. Ce label détaille l’origine et le coût de chaque composant sans rien cacher et visiblement cette transparence est très bien perçue par une communauté de gens à la recherche d’un produit, plutôt que de la valeur statutaire d’une marque.

copyright Code41 : structure de marges habituelles dans l’industrie horlogère

 

copyright Code41 : structure de marges selon Code41

 

Fait en Suisse, mais pas Swiss made

 

X41 avec mouvement automatique masse périphérique Swiss made manufacturé par Timeless Manufacture

Par la suite Code41 s’est aventuré dans la fabrication suisse, mais en renonçant au très controversé Swiss made, en lançant une nouvelle montre, la X41. Motorisée par un mouvement mécanique 100% fait en Suisse par une manufacture indépendante Timeless, dont les composants sont fabriqués à Genève et les mouvements assemblés dans le Jura. Une offre digne de la haute horlogerie avec un remontage par masse périphérique sur un système de roulement à billes unique, et le tout offert à un prix défiant toute concurrence par rapport à un produit comparable…. Et non pas une ébauche fabriquée en Chine et terminée en Suisse pour acquérir légalement – mais pas moralement – le label Swiss made. Les composants fabriqués ailleurs qu’en Suisse sont déclarés en toute transparence. Une façon de faire un pied de nez à un label mal né et qui a ouvert une boîte de Pandore à toutes sortes d’abus.

Lire également : https://blogs.letemps.ch/olivier-muller/2018/04/26/pour-un-swiss-made-horloger-credible-et-honnete/

 

copyright Code41. Détail des coûts et provenance des composants

 

Le Mecascape : une révolution horlogère ?

 

Le Mecascape comme pendulette de bureau
Le Mecascape se glisse dans la poche

Aujourd’hui Code41 lance un nouvel objet qui va détonner dans le monde horloger, car il crée une nouvelle catégorie de produit. Son MECASCAPE, contraction de « mechanical landscape », soit paysage mécanique pour illustrer le fait que le mouvement mécanique par remontage automatique à micro-rotor est décomposé et étiré….. et surtout l’objet ne se met pas au poignet ! Le mecascape se glisse dans une poche ou se pose sur un bureau ou une table de nuit.

Vidéo de la présentation du Mecascape

Est-ce qu’il arrivera à créer une nouvelle catégorie d’objet horloger mécanique comme ses créateurs le revendiquent ? Même si le fait de décomposer et étirer un mouvement a déjà été réalisé par l’horloger indépendant Vincent Calabrese en 1977 et que la marque Corum continue d’exploiter, on peut relever l’audace de Code 41 de réinventer un objet de mesure du temps, plus accessoire qu’instrument. Le design du mecascape est extrêmement plaisant et le choix d’un mouvement mécanique automatique manufacturé en Suisse, comme d’ailleurs l’ensemble des composants, est audacieux. Un ovni horloger conçu comme une œuvre mécanique tridimensionnelle, le mecascape trouvera ses fans.

Son prix n’est pas encore définitif, car le vote de la communauté, qui a pu découvrir cet OVNI horloger lors d’un livestream hier soir, interviendra ultérieurement. On peut estimer qu’il se situera en-dessous de CHF 9’000 pour un objet mécanique 100% Swiss made et dont le design est très disruptif.

Lire également : https://www.letemps.ch/economie/claudio-damore-poignets-aujourdhui-surcharges-tres-convoites

 

* crowdfunding = financement participatif

**crowdsourcing = achat collectif

 

www.mecascape.com