Construire et pérenniser une marque de luxe : cas d’étude de marques horlogères suisses (1ère partie)

L’original de cet article a été corédigé avec le professeur Jonathan Zhang de la Colorado State University aux USA et publié en anglais sur le site de la Rutgers Business School le 29 novembre 2022[1]. Le texte original en anglais et cette traduction sont soumis au droit d’auteur. Pour en faciliter la lecture la version française – éditée – sera publiée en plusieurs parties.

Contrairement à la plupart des entreprises qui connaissent des hauts et des bas en raison de disruptions technologiques ou de nouveaux modèles d’affaires, l’industrie mondiale du luxe, qui pèse CHF 1 200 milliards de chiffre d’affaires annuel (l’horlogerie suisse représente 3,6% de ce montant, soit CHF 43Mrd), subit moins de perturbations de ce type.

Cependant, cette relative stabilité technologique ne se traduit pas nécessairement par une stabilité commerciale, car le secteur dépend fortement de la création et du maintien de marques fortes. Le processus est dynamique, et les résultats peuvent être très prononcés. Par exemple, dans l’industrie horlogère suisse qui compte plus de 350 marques actives, ces dernières années, un petit nombre de marques telles que Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet et Richard Mille ont connu une croissance beaucoup plus rapide que leurs concurrentes et se taillent la part du lion dans les revenus (chiffre d’affaires et marges bénéficiaires) de l’industrie.

Construire et développer les marques de luxe

D’un autre côté, de nombreuses marques horlogères autrefois dominantes, comme Ebel et Corum, ont eu du mal à maintenir leurs anciens niveaux de prestige et de succès commercial.Nous nous sommes rendu compte que les modes opératoires pour le secteur du luxe peuvent être très différents de ceux proposés aux secteurs portés par les innovations technologiques et les nouveaux modèles d’affaires. La question qui s’impose est : “Comment construire et développer une marque de luxe ?”

Premièrement, les cycles des produits horlogers sont relativement longs car les exigences techniques sont beaucoup plus élevées que dans des industries telles que la mode. Deuxièmement, le prix relativement élevé en fait un secteur peu fréquent et à forte implication – les consommateurs effectuent souvent des recherches approfondies au cours du processus d’achat. Troisièmement, l’émotion, les récits socioculturels et le narratif de la marque (le storytelling) influencent fortement la prise de décision des consommateurs. Quatrièmement, la nature durable des produits entraîne un marché secondaire[2] robuste dans les ventes aux enchères et sur les marchés en ligne – les marques doivent prêter attention aux prix de revente lorsqu’elles formulent leur stratégie, car ils influencent les performances des marques sur le marché primaire.

Définir le succès dans l’industrie du luxe

Sur ce point, le CEO d’Audemars Piguet François-Henri Bennahmias livre sa version : ” le succès de la marque (AP)[3] s’est construit par une combinaison de suivi de l’offre de produits, de nettoyage de la distribution, de constitution de la meilleure équipe, de définition d’une stratégie claire, et de ne pas la changer tous les deux ans et évidemment de concentrer tous nos efforts sur les clients “.

Cela montre l’importance primordiale du capital de la marque dans cette industrie et souligne le temps et le dévouement nécessaires pour établir la crédibilité du capital de la marque. Les résultats de la pertinence et de la désirabilité d’une marque sont une sensibilisation accrue, un prestige perçu, une valeur de revente plus élevée, ainsi qu’une augmentation des revenus et de la rentabilité (par le biais d’une croissance de la production, certes modérée pour entretenir la rareté, la diminution des marges allouées aux détaillés et l’absorption partielle du réseau de vente au détail par la marque).

Cette définition implique également que les marques doivent avoir une vision à long terme lorsqu’elles formulent des stratégies au lieu de céder à la tentation de générer des revenus à court terme. Les entreprises gagnantes mentionnées au début de cet article sont toutes non cotées en bourse et en mains privées (actionnariat familial ou fondation). Celles-ci ont souvent des horizons stratégiques plus longs et sont moins poussées à s’écarter de leurs stratégies de base que les entreprises cotées en bourse et donc confrontées à des pressions constantes de croissance des revenus. Cette tension entre l’orientation à long terme et l’orientation à court terme est un thème récurrent.

Stratégie de base – développer et maintenir un code de marque et une valeur de marque clairs

Avant tout, l’objectif à long terme nécessite une stratégie de base consistant à développer des codes, des valeurs et un territoire de marque uniques et forts. Par la suite, la marque doit se tenir à ces valeurs de base lorsqu’elle formule les quatre piliers de la stratégie marketing – produit, prix, placement et promotion.

Les codes de la marque incarnent des éléments de conception spécifiques, tandis que les valeurs de la marque reflètent des idéaux d’ordre supérieur tels que l’excellence, le respect de la tradition et l’innovation. La valeur de la marque doit être intégrée de manière crédible dans le code de la marque. Par exemple, si la valeur de la marque est l’innovation, les produits doivent refléter un design, une fonctionnalité, une technologie et des matériaux d’avant-garde. Certains appellent la combinaison du code et de la valeur de la marque “l’ADN de la marque”.

La cohérence de codes et valeurs de marque cohérents et consistants dans le temps, incarnés par les produits et la communication, cimente dans l’esprit des consommateurs une identité de marque claire – ce que la marque représente vraiment. Une identité de marque claire et crédible est essentielle à la constitution du capital de la marque.

À mesure que l’environnement du marché et les préférences des consommateurs évoluent (par exemple, les tendances en matière de questions environnementales et sociales), des adaptations stratégiques peuvent avoir lieu pour rester pertinent dans la culture dominante. Toutefois, cette adaptation ne doit pas être radicale au point de s’écarter des codes et des valeurs de base de la marque ou de leur faire de l’ombre, sous peine de provoquer une confusion et une dilution de la marque.

Par exemple, la valeur de la marque Rolex est “l’excellence”, qui est véhiculée par la communication de la marque dans divers domaines du sport, des sciences et des arts. Cette valeur est liée à ses produits, que Rolex mesure à leur précision, leur fiabilité et leur durabilité. Si la collection actuelle reflète les recherches menées au fil des ans en matière de précision, de fiabilité et de durabilité des mouvements et présente quelques mises à jour esthétiques mineures, le code de la marque et les éléments de conception de Rolex sont restés pratiquement inchangés depuis les années 1960.

De même, la stratégie centrale de Hublot, “l’art de la fusion”, fait en sorte que les stratégies et les investissements de la marque soient orientés vers le développement et l’intégration de nouveaux matériaux dans leurs produits, tels que de nouveaux alliages dans les boîtiers ou les mouvements.

La devise de Blancpain “Depuis 1735, il n’y a jamais eu de quartz Blancpain. Et il n’y en aura jamais” (slogan défini par J-C. Biver[4] dans les années 1980) dicte une stratégie globale de l’entreprise selon laquelle tous les produits doivent incarner des éléments horlogers traditionnels et ne doivent contenir que des mouvements mécaniques, et non des mouvements à quartz fonctionnant sur piles. Afin d’assurer une mise en œuvre concertée dans l’ensemble de l’organisation, toutes ces entreprises ont dispensé une formation approfondie sur le code et la valeur de la marque à tous les employés.

Nos interlocuteurs se font l’écho de l’importance primordiale de codes et de valeurs de marque clairs. Comme le dit F-H. Bennahmias, CEO d’Audemars Piguet, “Vous construisez le succès de votre marque en établissant une stratégie claire et surtout en vous y tenant à long terme.” À la question de savoir si l’ADN de la marque est un concept fixe ou s’il peut évoluer, il répond : “Les racines fondamentales de l’ADN de la marque doivent toujours demeurer, mais vous devez les adapter à votre époque. Ce qui était bon à une époque donnée n’est peut-être plus valable. Mais la règle d’or est la suivante : ne jamais s’éloigner de ses véritables racines !”

J-C. Biver fait écho au même sentiment : “L’ADN est clairement un concept fixe, mais il peut s’adapter légèrement aux tendances. L’ADN des êtres humains ne change jamais, même si le corps se modifie avec l’âge. Il en va de même pour les marques. L’ADN des marques ne peut pas changer fondamentalement, mais certaines adaptations aux tendances sont possibles.”

Georges Kern, CEO de Breitling, met également en garde contre les distractions du marché : “Ne vous laissez pas abuser par les références [de produits] que certaines personnes attendent de votre marque. Vous devez connaître vos propres valeurs et être capable de vous concentrer sur vos véritables racines… Évitez de monter trop haut, trop vite, en résistant aux tentations à court terme.”

[1] RUTGERS BUSINESS REVIEW (2022), VOL. 7, NO. 3, PP- 250-266, https://rbr.business.rutgers.edu/article/building-and-sustaining-luxury-brands-reflections-swiss-watch-industry

[2] Le marché secondaire des produits horlogers est composé de montres de seconde main ou neuves (marché gris) vendues aux ventes aux enchères, en ligne sur des plateformes telles que Chrono24 ou Ebay ou chez des détaillants.

[3] Audemars Piguet a triplé son chiffre d’affaires entre 2012 et 2022 à CHF 2 milliards de ventes tout en doublant sa marge bénéficiaire.

[4] Jean-Claude Biver a été l’un des artisans de la renaissance de l’horlogerie mécanique dans les années 1980 avec Blancpain dont il était le CEO et co-propriétaire. Il a également été le CEO d’Hublot, de TAG Heuer et à ce titre aussi le patron de la division horlogère du groupe LVMH.

François-Henri Bennahmias annonce son départ d’Audemars Piguet pour fin 2023 après un règne couronné de succès

François-Henri Bennahmias quittera son poste de CEO d’Audemars Piguet à la fin de 2023 après un règne de 11 ans en tant que CEO. Electron libre dans l’industrie qui a osé dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas, il a mis le turbo à une marque qui sommeillait un peu et se faisait bousculer par des concurrents plus agressifs.

En 10 ans, la marque a plus que doublé son chiffre d’affaires et sa marge de rentabilité opérationnelle, tout en maintenant la marque rare et attractive pour les clients et les collectionneurs. Le plan marketing et commercial de F-H. Bennahmias ne doit rien au génie, mais tout au bon sens et à sa capacité à fédérer les équipes. Souvent critiquée pour sa dépendance à une seule famille de produits – la légendaire Royal Oak – qui contribue pour plus de 90% à son chiffre d’affaires et encore plus à sa rentabilité, la marque du Brassus a su réinventer un produit phare qui est aujourd’hui une icône dans le monde de l’horlogerie.

A lire : Le Temps Interview de Jasmine Audemars & FH Bennahmias par F. Noghero “François-Henry Bennahmias, l’enfant terrible de l’horlogerie, quittera Audemars Piguet fin 2023”

Les marques sont faites par des humains

Le chemin du succès et les ingrédients clés d’un tel (re)lancement turbo d’une icône horlogère du monde de l’horlogerie sont nombreux mais ils sont tous liés à des facteurs humains. J’aime à dire que les marques sont faites par des humains, et non par des tableurs excel. Dans une marque de luxe, la personnalité du CEO ou du directeur de la création est essentielle pour la promotion de ses valeurs. Bennahmias – une forte personnalité avec des traits de caractère qui pourraient convenir à un boxeur – possède un fort charisme qui lui permet de motiver ses troupes et de montrer la voie. Il a réussi à constituer une équipe de spécialistes de haut niveau dans tous les domaines d’excellence nécessaires pour obtenir le succès que la marque a rencontré. Plutôt enclin à être un showman qu’un manager discret, Bennahmias a parfois surjoué son rôle, mais toujours pour le bien de la marque… du moins dans son propre entendement.

Oser une collaboration entre Marvel et AP, tout en étant une institution datant de 1875 n’aurait pas été mon premier choix pour être franc. Mais le succès et le buzz créés surtout aux USA coupent court à toute discussion sur la pertinence de cette collaboration. La première pièce a été vendue aux enchères pour 5,2 millions de dollars (pour une charité) et les 250 pièces de l’édition limitée dont le prix avait été fixé à 165 000 dollars ont été vendues rapidement.

ROYAL OAK CONCEPT “BLACK PANTHER” FLYING TOURBILLON

 

Un projet avec des fondamentaux sains et solides

Les principaux axes de la reconstruction de la marque depuis 2012 ont été :

une forte poussée sur les ventes avec moins de détaillants et une meilleure disponibilité des produits dans les magasins, tout en gardant une ” rareté raisonnable ” sur les marchés. En quelques années, la marque est passée de 30’000 pièces à 45’000 en 2021 avec l’objectif d’atteindre 65’000 dans les cinq ans (2022 amènera une augmentation à 50’000 montres vendues).

Gérer la rareté sans frustrer vos clients existants est probablement l’exercice le plus difficile à réussir. Lorsque l’on dit aux gens que la liste d’attente n’existe même plus et qu’ils devront attendre probablement des années pour obtenir leur graal, une Royal Oak, la frustration pointe immanquablement …. à moins d’accepter de mettre 3 x le prix retail recommandé.

  • F-H. Bennahmias a récemment déclaré que son objectif était d’allouer au moins 35% aux clients existants de la marque. C’est un objectif noble, mais qui va s’assurer qu’il est atteint ?

un nettoyage de la collection avec l’élimination progressive des collections Millenary et Jules Audemars, qui n’étaient pas de grands succès commerciaux et qui dataient d’une époque où AP cherchait à diversifier son offre de produits.

– la concentration de la famille Royal Oak elle-même – lancée en 1972 avec un concept marketing totalement disruptif (une montre en acier plus chère que l’or) – avec une montée en gamme vers des modèles à plus forte valeur ajoutée.

– une réduction de sa distribution de 75% en moins de 10 ans, passant de 470 détaillants à 120 en 2021. L’objectif est de compter 80 portes dans le monde d’ici 2026, dont environ la moitié seront des magasins appartenant à la marque.

– la création d’un concept de boutiques – les maisons AP – où le visiteur vient non seulement en tant que client, mais surtout en tant qu’invité de la Maison pour prendre un verre, rencontrer d’autres passionnés et pour devenir un ambassadeur de la marque.

– Une communication beaucoup plus claire et pointue sur les valeurs de l’entreprise liées à l’un des berceaux de l’horlogerie, la Vallée de Joux et sa tradition de haute horlogerie. La dernière campagne, avec son slogan ” De l’iconoclaste à l’icône “, résume le chemin parcouru depuis 1972 et le lancement de la Royal Oak jusqu’à son élévation au rang d’icône pour une montre qui – à l’époque – avait osé casser les codes de la haute horlogerie.

des investissements massifs dans les moyens de production, non seulement pour revendiquer le label de manufacture, mais surtout pour renforcer sa légitimité à faire de la haute horlogerie.

– la construction d’un nouveau musée avec une approche totalement moderne, non seulement par son architecture, mais surtout par une scénographie présentant les pièces non pas par quantité, mais montrant l’évolution d’une Maison qui fabriquait surtout des pièces en séries limitées sans volonté de construire une collection, pour devenir finalement une marque mono-produit. (Je recommande vivement le musée AP qui donne le sentiment d’être reçu dans une maison privée, plutôt que dans un musée, en très petit groupe accompagné de guides très compétents https://www.museeatelier-audemarspiguet.com/fr/home.html ).

L’héritage d’un mandat de 11 ans

Le développement de la marque sur 11 ans (jusqu’à fin 2023) fera certainement partie des ” case studies ” dans les écoles de marketing pour illustrer la capacité d’une marque à tout réinventer sans rien changer. Et même si les esprits chagrins évoqueront le lancement quelque peu controversé de la famille de produits Code 11:59, destinée à réduire la dépendance de la marque à sa famille de produits Royal Oak, ils n’auront pas compris que l’effet collatéral aura été d’introduire une toute nouvelle famille de calibres totalement conçus et fabriqués en interne. Le Code 11:59 et ses faibles quantités ont permis à la marque de lancer les 3 nouveaux calibres (six nouvelles références de montres) de manière contrôlée, ce qui n’aurait pas été possible si cela avait été fait avec la famille Royal Oak et ses volumes nettement plus élevés. Les calibres son dorénavant communs aux deux familles de produits.

CODE 11.59 BY AUDEMARS PIGUET PERPETUAL CALENDAR

 

Les ventes de la Code 11:59 ne sont pas encore substantielles, mais certainement substantiellement plus importantes que ses critiques – nombreux et virulents sur les réseaux sociaux lors du lancement – l’envisageaient. Il a fallut revoir la copie sur certains produits, mais AP a démontré sa capacité à s’adapter et son CEO à faire profil bas quand cela s’est avéré nécessaire.

Passer de 630 millions de chiffre d’affaires en 2012 à 2 milliards de francs suisses cette année tout en maintenant la rareté du marché, en renforçant le capital de la marque et en dégageant davantage de marges est un exploit que de nombreux CEO de marques horlogères rêveraient d’accomplir.

“Les 7 magnifiques” : Morgan Stanley publie son rapport annuel sur l’industrie horlogère suisse

Basé sur les chiffres d’exportations de l’industrie horlogère suisse qui ont enregistré un record historique à CHF 22,3 milliards en 2021 (CHF 21,2md pour les montres-bracelets), la banque d’affaires américaine Morgan Stanley – en collaboration avec le cabinet LuxeConsult spécialisé dans le monde horloger – publie ce jour son rapport annuel.

  • La principale bonne nouvelle est que nous avons retrouvé le niveau pré-Covid des ventes avec un résultat en hausse de 31,2% par rapport à 2020 et même 2,7% au-dessus de 2019
  • La mauvaise nouvelle est que – malgré l’augmentation de 2 millions d’unités en une année – nous sommes encore 4,9 millions en-dessous de 2019.

 

Rolex intouchable et largement en tête

Sans surprise Rolex reste le leader absolu des marques horlogères suisses en prenant 29% des parts de marché de l’industrie horlogère suisse avec un chiffre d’affaires estimé à CHF 8 milliards en 2021. Sur la deuxième marche du podium on retrouve Cartier avec CHF 2,39 milliards ce qui correspond à 40% de progression en une année. Omega descend d’une marche avec CHF 2,2 milliards de chiffre d’affaires.

Rolex réalise non seulement le meilleur exercice de son histoire depuis la création de la marque en 1905, mais surtout elle le fait après une année 2020 qui avait vu une réduction de sa production de presque 20%.

Source: LuxeConsult, Morgan Stanley Research. © Ce graphique ne peut être reproduit sans l’autorisation expresse de Morgan Stanley.

Pour mieux illustrer la performance de Rolex on peut aussi mentionner le fait que :

  • Rolex détient autant de parts de marché que les cinq concurrents suivants additionnés
  • Le chiffre d’affaires de Rolex est supérieur de CHF 1 milliard à celui du Swatch Group qui résulte de 17 marques
    • Si l’on ajoute les ventes de la marque sœur – Tudor – avec CHF 510 millions, Rolex réalise CHF 8,5 milliards de ventes, soit 20% de plus que le Swatch Group.
  • On estime la part de marché de Rolex sur les deux marchés clés d’exportation de l’industrie horlogère à 40% pour les USA (marché no. 1) et 35% au Royaume-Uni (5ème).
    • Aucune autre marque de luxe ne possède une position aussi dominante sur son marché respectif.

 

Une industrie plus que polarisée

On assiste depuis plusieurs années à une polarisation accélérée d’un marché horloger dans lequel quelques marques surperforment et sont dans un cycle vertueux. Le taux de croissance des marges devient dans ce cas supérieur à celui du chiffre d’affaires. Pour faire simple : plus la marque vend et plus sa rentabilité augmente et lui donne des moyens supplémentaires pour être plus visible.

Derrière le club des 4 marques qui affichent une croissance presque insolente depuis plusieurs années, Rolex, Audemars Piguet, Patek Philippe et Richard Mille on peut ajouter un deuxième groupe composé notamment de Cartier, Omega, Longines et IWC.

  • Les 5 plus importantes marques représentent plus de la moitié du marché (53%)
  • 13 marques prennent 75% de parts de marché
  • 25 marques prennent 90% du marché

Ces chiffres sont à comparer avec les 350 marques horlogères Swiss made en activité.

 

Les grands gagnants en 2021

 Même si la base comparative de 2020 est forcément très basse, on peut mettre en avant :

 

  1. La polarisation accrue du marché entre quelques marques qui surperforment maintenant depuis des années (l’édition 2018 du rapport Morgan Stanley avait été le premier à le relever) et qui sont en mains privées : Rolex, Audemars Piguet, Patek Philippe et Richard Mille. On peut désormais ajouter Breitling à cette liste qui réalise une remarquable progression à +40%. Ces 5 marques représentent presque la moitié du marché horloger suisse avec 43% de la valeur totale.
  2. Cartier détrône Omega et monte à la deuxième place du classement avec CHF 2,39m de ventes (+40%). Ceci reflète le dynamisme d’une marque qui a su connecter avec une clientèle plus jeune sur quasiment tous les marchés. La performance de Cartier est d’autant plus remarquable que : a. son segment joaillier a connu une croissance encore plus forte que la division horlogerie et que b. Omega a fait une très bonne année avec un plus de 30%.
  3. Audemars Piguet gagne deux places et se place en 4ème position et accomplit une année record, la meilleure de son histoire. Elle dépasse son concurrent historique Patek Philippe qui malgré ses succès d’estime et le buzz créé par la sortie de collection de sa mythique Nautilus 5711, ne connaît pas la même dynamique vertueuse qu’AP. Audemars Piguet surfe sur une vague interrompue du succès de sa Royal Oak qui fête cette année ses 50 ans et qui sans aucun doute contribuera à faire de 2022 une nouvelle année record. On peut estimer que quasiment 90% de ses ventes sont dues à son produit le plus iconique (Royal Oak et Royal Oak Offhsore), mais la collection Code 11 :59 lancée en janvier 2019 commence à faire sa place et génère déjà 5% des ventes de la marque. Le chiffre d’affaires est généré par un nombre croissant de boutique monomarques (75% de son chiffre d’affaires) qui procurent les avantages de : a. capturer la marge du détaillant, b. connaître ses clients finaux (sell-out) et c. de mieux gérer ses stocks pour éviter de perdre des ventes pour une marque qui est en rupture de stock perpétuelle.
  4. Le club des marques milliardaires compte à nouveau 7 membres avec l’arrivée de Richard Mille qui se place en 7ème position avec des ventes de CHF 1,1md.
  5. Les gagnants de la reprise en 2021 sont aussi dans le groupe Richemont avec notamment Cartier (division horlogère) à +40% et Vacheron Constantin à +53%. Il faut aussi mentionner les montres Hermès qui réussissent une performance à +73%, même si le chiffre d’affaires de CHF 364m ne la place qu’en 19ème position, la progression reste phénoménale et est le fruit d’un travail entrepris depuis plusieurs années : a. de repositionnement de l’offre horlogère vers le haut et b. de la désirabilité de la marque de maroquinerie.
  6. La premiumisation* s’est renforcée en 2021 avec les segments de prix au-dessus de CHF 2’000 prix exports qui affichent une croissance aussi bien en volumes qu’en valeurs. Ces montres correspondent à un prix public de CHF 4’000 et au-delà. Ce segment de prix ne représente que 16% des volumes, mais 82% des valeurs exportées.

*une montée en gamme de prix par une offre concentrée sur le haut de gamme et la rareté (réelle ou artificielle) de l’offre.

  1. La répartition des marges est encore plus polarisée que celle des chiffres d’affaires où les 4 marques championnes prennent 41% des ventes, mais 62% de la marge opérationnelle totale. Rolex, Audemars Piguet, Patek Philippe et Richard Mille atteignent des rentabilités auxquelles peu de marques de luxe peuvent prétendre.
© 07.03.2022 Morgan Stanley x LuxeConsult, reproduction interdite sans autorisation préalable

 

  1. L’entrée de gamme de l’horlogerie suisse subit indéniablement l’assaut des montres connectées, dont 80 millions se sont vendues l’année passée pour même pas 16 millions de montres pour l’ensemble de l’horlogerie suisse. Ce chiffre est à mettre en comparaison de 2016, année de démarrage de l’Apple watch (présentée en 2015) qui reste leader absolu de ce segment avec plus de 50% des parts de marché : 22m de montres connectées vendues cette année-là pour 25m de montres Swiss made dont 18 millions de quartz.
  2. Rolex reste intouchable et vient d’achever sa meilleure année depuis sa fondation en 1905. Les produits sont devenus quasiment introuvables malgré une augmentation de la production à 1’050’000 une quantité jamais atteinte auparavant. La cohérence entre le message d’excellence de la marque et son offre produits est imparable. Rolex a aussi entrepris des efforts dans le seul domaine où elle possède encore une grosse marge de progression, son réseau de détaillants qui n’est parfois pas à la hauteur du prestige de la marque.
  3. Swatch Group a réussi une très belle année avec un plus de 30,7%, mais ce chiffre est légèrement inférieur au taux de progression affiché par l’ensemble de l’industrie horlogère à 31,4%. Logiquement il perd des parts de marché – 22% – et vient se positionner derrière Rolex et ses 30,5% (incluant la marque sœur Tudor). Ce qui est surtout inquiétant est l’accélération de Rolex par rapport à son principal challenger Omega, dont la part de marché (7,5%) correspond à un quart de celle de Rolex. Le Swatch Group est de plus en plus dépendant de 3 marques sur un total de 17 dans son portefeuille aussi bien pour ses ventes que pour ses marges : deux-tiers de son chiffre d’affaires sont générés par Omega, Longines et Tissot qui génèrent la quasi-totalité de son résultat opérationnel (EBITDA). On peut estimer qu’Omega génère à elle seule plus de la moitié de marge du groupe.
  4. Les groupes ne sont pas à la fête à l’exception notable de Richemont, car LVMH perd des parts de marché, malgré une très bonne performance (+45%) d’Hublot. Zenith a selon nos estimations quasiment doublé ses ventes, mais son résultat net est tout juste à l’équilibre et son poids relativement marginal dans les comptes du groupe.
  5. Kering – 2ème groupe mondial du luxe et propriétaire de Gucci – a jeté l’éponge début 2022 en cédant ses marques Ulysse Nardine et Girard Perregaux qui n’ont fait que dégringoler depuis leurs reprises par le groupe français. Leurs chiffres d’affaires sont devenus anecdotiques et surtout elles génèrent les deux des pertes. Kering ne garde une activité horlogère que pour sa marque Gucci où elle semble avoir la main plus heureuse.
  6. Les marques de niche indépendantes, telles que F-P Journe, Greubel Forsey, Kari Voutilainen, MB&F ou Laurent Ferrier connaissent un succès absolument phénoménal autant sur le marché primaire (montres neuves) que secondaire (ventes de seconde main, ventes aux enchères et marché « gris »). Pour certaines les listes d’attente atteignent désormais plusieurs années et quelques-unes ont décidé de ne plus prendre de nouvelles commandes pour ne pas décevoir des collectionneurs. Cette tendance aussi réjouissante soit-elle et importante en termes d’image et de préservation de savoir-faire artisanaux, a un impact marginal sur les valeurs – nous estimation celles-ci à 1% du total – et encore moins sur les volumes avec une estimation à 0,05%.
  7. Marché secondaire: estimé à approximativement la moitié de celui des montres neuves, soit CHF 20md, il est très révélateur de la désirabilité des marques. Les cotes de reventes donnent une très bonne idée de la rareté de l’offre sur le marché primaire avec des primes « coupes files » qui atteignent parfois 50-150% du prix de vente recommandé. En-dehors des marques et produits iconiques comme la Rolex Daytona, la Patek Philippe Nautilus ou encore la Royal Oak d’Audemars Piguet, les prix sont à des niveaux historiquement élevés et peuvent faire craindre l’éclatement d’une bulle spéculative. Lorsqu’une Patek Philippe Nautilus « Tiffany » se vend à USD 6,2m c’est une bonne chose pour la communication, mais ceci engendre aussi une fièvre spéculative qui a été notamment alimentée par les gains des crypto monnaies.

 

*méthodologie : contrairement aux autres industries notamment des biens de consommation (FMCG), l’industrie horlogère est une « boîte noire ». Très peu de chiffres sont publiés, notamment ceux des exportations qui sont recensés dans les statistiques douanières suisses et reprises par la fédération de l’industrie horlogère Suisse (FH). Ces chiffres présentent certes le désavantage de valoriser le « sell-in » (ventes des marques aux distributeurs ou détaillants) et non pas le « sell-out » (ventes aux clients finaux), mais ils reflètent des tendances. Certes un décalage temporel existe – plus ou moins important selon les marques – entre le moment où la montre est livrée et le moment où elle se trouve au poignet du client, mais celui-ci n’est pas aussi important que certains commentateurs le prétendent. En effet les marques les plus désirables et par définition celles qui pèsent le plus dans les comptes sont aujourd’hui dans l’heureuse position d’avoir une circulation de stocks extrêmement rapide.

La méthode adoptée par Morgan Stanley x LuxeConsult est de convertir ces données de ventes en parts de marché retail (les ventes du détaillant au client final) en tenant compte : a. des ventes des 65 plus grandes marques Swiss made (25 marques représentent 90% du marché) b. nous recoupons des informations publiquement accessibles avec des interviews d’acteurs de l’industrie, c. nous faisons une estimation du degré d’intégration de la distribution de chaque marque, d. nous intégrons les marges données au distributeurs ou détaillants ce qui nous permet finalement d’obtenir un prix public moyen et de calculer les parts de marché.

 

 

Les marques d’horlogerie qui plaisent aux ultra-riches Chinois

Le succès d’une marque est mesuré sur la base de ses résultats financiers, mais parfois d’autres indicateurs sont plus pertinents pour son capital de marque (“brand equity”) comme sa cote auprès de son public cible. Pour les marques horlogères le fait d’être désirées sur un marché aussi référent que la Chine, qui reste leur principal marché d’exportation*, est un signe qui ne trompe pas !

La banque d’affaires Morgan Stanley analyse, dans une note publiée ce jour**, un classement publié par Hurun de la désidérabilité des marques horlogères en Chine , société qui est la référence des études de marché dans ce pays. Le classement est établi sur la base d’un sondage de 750 HNWI*** et UHNWI*** dont le patrimoine net moyen est de 42 millions de RMB (= USD 6,6m).

 

Classement Hurun
  • Premier constat : Rolex grimpe à la première place – devant Patek Philippe qui détenait la 1ère place depuis 2010 ! – en termes de désidérabilité sans toutefois être le leader du marché chinois, dont les deux premières places sont trustées par les marques du Swatch Group OMEGA et Longines. OMEGA apparaît en 6ème position du classement Hurun et Longines ne figure pas dans le top 10, mais ceci s’explique par le panel de clients qui reflètent beaucoup plus les préférences d’un segment de clientèle très haut de gamme. Le rapport Morgan Stanley relève avec pertinence que Rolex qui détient 25% des parts de marché de l’horlogerie Suisse dans le monde (rapport annuel Morgan Stanley x LuxeConsult) – loin devant Omega qui est le no. 2 mondial avec seulement 9%, est le leader incontesté sur des marchés aussi référents que les USA* (premier marché d’exportations de l’horlogerie suisse selon la FH) ou la Grande-Bretagne (no. 5). Sur ces deux marchés de référence Rolex détient plus de 30% du marché ce qui est unique pour l’ensemble de l’industrie du luxe. Aucune autre marque de luxe n’est aussi dominatrice sur les marchés clés.
copyright Rapport Morgan Stanley x LuxeConsult 2021 sur base ventes 2020
    • Rolex est cependant beaucoup moins dominante en Chine avec une part de marché estimée par Morgan Stanley à 15% ce qui est inférieur aux parts de marché du Swatch Group. Omega, Longines et Tissot profitent de l’implantation de leur réseau de distribution chinois par le Swatch Group dès les années 1990. Par ailleurs Omega est auréolée d’une notoriété historique très particulière en Chine, car Mao Zedong a porté une Omega pendant des décennies.
Rolex Submariner
  • La deuxième surprise du classement est la percée des montres Hermès qui figurent seulement pour la troisième fois depuis 2010 dans ce classement et qui se hisse cette année en 4ème position devant Cartier et Omega. Ce rang n’est pas dû au hasard, mais à un travail de longue haleine de la part d’une des plus belles maisons de luxe dans l’absolu qui a positionné son horlogerie dans le territoire naturel d’une marque éponyme d’une vision à long terme. Hermès a su repositionner son offre en diminuant le nombre de références de sa collection, en développant fortement l’offre de garde-temps équipés d’un mouvement mécanique et en lançant des nouvelles montres comme la récente H08 avec tous les codes pour devenir iconique. La marque arrive aujourd’hui même à vendre des répétition-minutes/ tourbillons vendues à plusieurs centaines de milliers de francs.
Hermès H08
Hermes-Arceau-Lift-Tourbillon-Repetition-Minutes
  • Troisième constat le groupe Richemont place 5 marques dans le top 10 des marques horlogères les plus désirées par les ultra-riches chinois. Le seul bémol étant le recul de Vacheron Constantin qui recule de la 3ème place à la 7ème, alors qu’elle offre les produits les plus prisés par les clients chinois avec une esthétique très classique et un savoir-faire manufacturier. Ce recul peut s’expliquer par le rajeunissement de la clientèle au-travers du succès de sa collection Overseas qui plaît probablement plus à des clients qui ne font pas encore partie des HNWI.

 

  • Mais la plus grande surprise est le fait qu’Audemars Piguet ne figure pas dans les 10 premières marques citées. Pour une marque leader toujours citée comme faisant partie des 4 marques championnes (avec Rolex, Patek Philippe et Richard Mille) et qui a enregistré 38% de croissance de son chiffre d’affaires en 2021, ceci est pour le moins surprenant.

 

Même si ce classement n’est qu’un instantané et ne donne qu’une vue très partielle, il est quand même un indicateur révélateur des efforts fournis par les marques pour développer leur cote de popularité sur le marché du luxe avec la plus forte croissance attendue pour la prochaine décennie.

 

 

 

 

*basé sur les chiffres des exportations horlogères en 2021, la fédération de l’industrie horlogère suisse estime que les USA sont devenus le premier marché. Si l’on agrège les exportations vers la Chine continentale et HK, le marché chinois reste largement en tête. Mais la différenciation faite par la FH peut se justifier si l’on considère que Hong Kong sert aussi de hub logistique pour d’autres marchés asiatiques.

**« Rolex becomes the most desirable watch brand among Chinese HNWIs”

*** les HNWI cités par le classement Hurun, sont des « High Net Worth Individuals » ou “Ultra HNWI” qui disposent d’un patrimoine net de dettes les définissant comme la cible clients de marques de luxe

Rolex reste le roi incontesté de l’horlogerie Suisse

 La banque d’affaires Morgan Stanley a publié ce matin son rapport annuel sur l’industrie horlogère et son titre est programme : « King Rolex »*. La marque à la couronne est non seulement la première marque en termes de chiffres d’affaires, mais ensemble avec sa marque sœur Tudor, elle est devenue en 2020 le leader du marché horloger suisse**. Malgré un recul de son chiffre d’affaires de l’ordre de 15% Rolex reste le leader incontesté des montres suisses.

Les exportations horlogères suisses en 2020 ont globalement baissé de 21% en valeur et de 33% en unités.

Quoi de nouveau en 6 points dans un marché en pleine reconfiguration ?

#1 : La polarisation du marché s’est encore accentuée avec quelques marques fortes qui ont réussi à limiter les dégâts, malgré un premier trimestre catastrophique et un mois d’avril à -81% pour les exportations horlogères.

  • Les marques en mains privées ont dans l’ensemble mieux performé que la moyenne du marché avec notamment Audemars Piguet qui enregistre une baisse de 9% de son chiffre d’affaires, mais qui selon CEO a enregistré le meilleur mois de son histoire en octobre 2020 !
  • Tudor a été l’une des rares marques Swiss made à progresser en 2020 et prend des parts de marché à ses concurrents directs, dont TAG Heuer qui a enregistré une baisse 31%.

#2 : la premiumisation*** du marché avec le segment des montres d’un prix public supérieur à CHF 7’000 (CHF 3’000 prix export) qui compte pour 70% de la valeur exportée, mais seulement 10% du volume.

#3 : l’entrée de gamme continue de subir les assauts des montres connectées : en 2020 l’industrie horlogère suisse aura vendu 13,7 millions de montres contre 75 millions de montres connectées. En 2016 la Suisse vendait encore 25 millions de montres, alors que les montres connectées totalisaient 22 millions d’unités.

#4 : deux marques du TOP 50 ont réussi à croître en 2020 : Tudor et Dior. La marque sœur de Rolex récolte les fruits d’une stratégie produits et marque très cohérente. Alors que les montres Dior profitent d’une dynamique de la marque dans le domaine de la maroquinerie tout comme les montres Hermès qui maintient pratiquement ses chiffres par rapport à 2019. Hermès a non seulement nettoyé sa collection et est montée en gamme, mais elle réussit également à vendre de la haute horlogerie à des prix dépassant les CHF 300’000 avec par exemple une montre tourbillon, répétition minutes.

  • Rolex, Audemars Piguet, Cartier, Richard Mille et Breitling réussissent à faire mieux que la moyenne du marché

#5 : le roi incontesté s’appelle ROLEX. Malgré une demande qui ne se dément pas et des primes « coupes files » de 50% à 100% sur le marché gris, la marque à la couronne a décidé l’année passée de réduire sa production de pratiquement 20%. Les clés du succès de Rolex s’expliquent par quelques recettes qui n’ont rien de magique, mais qui sont appliquées avec une consistance et cohérence depuis la naissance de la marque en 1908.

  • Une qualité produit sans cesse améliorée et sans compromis.
  • Le but ultime est la perfection et non pas d’arriver premier. « Don’t be first, but be the best ! ».
  • La communication est toujours restée focalisée sur l’excellence produit.
    • Les sponsorings sportifs sont des animations ponctuelles pour la marque, mais jamais le centre de sa communication. Les ambassadeurs de la marque doivent servir les valeurs de celle-ci.
  • La continuité : le produit évolue, mais pas son identité. Comme Porsche avec sa 911, Rolex sait faire évoluer ses classiques sans jamais les dénaturer.
  • La gestion de la rareté dans l’offre crée la désirabilité. Rolex est l’une des rares marques horlogères à pouvoir se payer le luxe d’avoir des listes d’attente qui se chiffrent en années.
copyright site https://www.chrono24.com

#6 : les marques de niche tirent leur épingle du jeu. H. Moser & Cie avec ses produits et sa communication qui osent la provocation sont un exemple positif des « petits » qui s’en sortent plutôt bien avec une offre originale. Moser a connu la croissance dans un marché en plein marasme en jouant sur l’audace que des groupes cotés en bourse ne peuvent se permettre.

Moser Swiss Alp Watch montre mécanique qui ressemble furieusement à une montre connectée. Le symbole “loading” est en fait une indication des secondes.
  • On pourrait aussi parler de la folie qui s’est emparée de la communauté horlogère après l’annonce de la dernière série des montres Simplicity de l’horloger Philippe Dufour où l’on parle de 4’000 acheteurs pour …. les 10 dernières montres qui se vendront pour un prix dépassant largement le demi-million de francs pour une montre vendue pour CHF 34’000 à ses débuts en 2000 !
Philippe Dufour “Simplicity”. Copyright monochrome-watches.com

 

Mais ceci sont des épiphénomènes – certes réjouissants – à l’échelle d’une industrie qui a perdu la moitié de ses volumes en l’espace de 6 ans !

 

Rolex s’impose comme leader du marché

 Avec une part de marché équivalente au quart du total**, Rolex est le leader incontesté devant Omega qui comptabilise “seulement” un tiers de la valeur de son concurrent direct.

  • les 5 plus grandes marques trustent plus de 50% du marché de la montre suisse
  • 14 marques détiennent les trois-quarts (77%) du marché

 

Lire également : https://www.letemps.ch/economie/rolex-detrone-swatch-group

 

 

 

 

*  Rapport Morgan Stanley (Edouard Aubin, equity analyst, Luxury industry) x Luxeconsult 08.03.2021 basé sur les chiffres d’exportations 2020 « King Rolex ». Ce rapport est destiné aux clients de la banque Morgan Stanley et peut être cité avec les sources correspondantes.

 

** les données du rapport Morgan Stanley sont basés sur les chiffres d’exportations fournis par la fédération horlogère Suisse qui collectent elle-même ces chiffres de l’administration fédérale des douanes. Morgan Stanley calcule les parts de marché en valeur retail (prix de vente public HT) et non pas en chiffres d’affaires ex-usine, car les marques ont des degrés d’intégration de leur retail très divers. Rolex possède une seule boutique dans le monde à Genève, alors que Richard Mille contrôle le 100% de sa vente au détail par des boutiques qu’elle possède en propre ou par joint-venture avec un détaillant.

 

*** la premiumisation est un anglicisme qui consiste à décrire l’effet de levier obtenu par un positionnement prix plus élevé donnant un avantage concurrentiel pour des produits de luxe.

 

2020 une année à oublier pour l’horlogerie Suisse

La polarisation du marché horloger se confirme avec des chiffres d’exportations globalement en baisse et des volumes en chute libre

La fédération de l’industrie horlogère suisse annonce ce matin des chiffes pour 2020 qui sont mauvais, voire catastrophiques concernant le nombre de montres exportées. Avec 13,7 millions de montres exportées (- 33%) et 2,8 millions de mouvements, nous sommes descendus à un volume inégalé depuis 1939 ! Le chiffre d’affaires est certes en forte baisse à CHF 16,9 milliards ( – 21,8%), mais à mettre en perspective avec les CHF 10,2 milliards de 2000.

Personne ne s’attendait à un miracle, mais 2020 a été une rude épreuve pour les économies avec des fermetures de magasins, des arrêts d’activités complets et une remise en question de certains modèles économiques. L’horlogerie suisse a souffert avec une dégringolade des chiffres des ventes dans le premier semestre avec son marché le plus important – la Chine – confiné et des ventes quasiment inexistantes. Dès mi-mars les ventes sur le marché chinois ont inversé la tendance, mais ce sont les autres marchés qui ont commencé à plonger.Le fond a été atteint en avril avec – 81% par rapport à l’année précédente.

Moyenne mobile 12 mois.
Copyright Fédération de l’industrie horlogère Suisse FH, 01.2021

 

Des inégalités géographiques….

 Tout le monde sait que le marché du luxe dans sa globalité dépend de façon sur proportionnelle des marchés asiatiques et en premier lieu de la Chine. L’horlogerie ne fait pas exception dans ce tableau et dépend même plus du marché chinois que les autres segments du luxe avec 14%, voire 24% en incluant Hong-Kong. Un quart de nos ventes d’horlogerie sont faites à des clients chinois et 54% au total à des clients asiatiques. A ce titre l’année 2020 est un bon indicateur avec des ventes quasi inexistantes à des touristes asiatiques – qui Covid oblige – restent dans leur pays. Le marché chinois a été quasiment le seul marché de croissance pour l’horlogerie suisse* avec un plus de 20% par rapport à 2019 et même de + 39% comparativement à 2018.

La société de conseil Bain & Co. prédit que 90% de la croissance de l’industrie du luxe viendront de la Chine dans les 5 à 10 ans à venir ! On peut donc comprendre que les marques horlogères suisses soient particulièrement actives et présentes sur ce marché. Les deux marques les plus importantes du Swatch Group – Omega et Longines – sont d’ailleurs leaders sur ce marché depuis bientôt 25 ans. A l’inverse Patek Philippe – 5ème marque horlogère Suisse selon le classement annuel publié par Morgan Stanley** et surtout la plus prestigieuse – ne possède que deux points de ventes en Chine continentale. Ceci peut paraître curieux, mais dénote d’une grande prudence dans la pondération du risque face à des marchés qui peuvent parfois se montrer volatils.

Copyright Fédération de l’industrie horlogère Suisse FH, 01.2021

 

 … et des fortes inégalités entre marques

 Le luxe en général, mais l’horlogerie suisse de façon extrême, est un marché fortement polarisé. Peu de marques occupent une place prépondérante dans l’industrie horlogère et elles sont caractérisées par les paramètres suivants** :

  • Les marques à forte notoriété bénéficient d’une croissance exponentielle dans un marché haussier due à leur capacité d’investissement dans leur communication, le développement de nouveaux produits et de nouveaux marchés. Mais également dans un marché baissier où elles profitent d’un repli des marchés sur des marques institutionnelles, considérées comme moins risquées par les détaillants et les clients finaux. Quand l’avenir est incertain on préfère les valeurs sûres.
  • Les marques fortes possèdent une position dominante avec 5 marques (sur approx. 300 marques Swiss made actives) qui trustent 50% du marché horlogers et seulement 28 marques pour 90% du marché.
  • Les leaders génèrent une rentabilité avec un taux de croissance plus important que celui de leur chiffre d’affaires : non seulement elles grandissent plus vite, mais elles deviennent de plus en plus rentables.
  • Et fait unique dans l’industrie du luxe, les marques horlogères en mains privées sont plus rentables que celles détenues par des groupes cotés en bourse ! Quatre marques : Rolex (fondation Wilsdorf), Patek Philippe (famille Stern), Audemars Piguet (3 familles détiennent la majorité) et Richard Mille (Audemars Piguet et deux associés, dont M. Mille) détiennent 35% des ventes, mais surtout 59% des bénéfices réalisés par l’industrie!

 Les marques fortes ont probablement mieux résisté à la baisse généralisée du marché l’année passée avec le CEO d’Audemars Piguet qui annonçait une baisse pour 2020 contenue entre 8 et 9%. Et ce comparé avec une année 2019 record à CHF 1,235 milliards. Par ailleurs le mois d’octobre 2020 – en pleine pandémie, mais aidé par un effet de rattrapage a été le meilleur mois de l’histoire de la marque !

On peut supposer que Rolex (malgré une réduction substantielle de sa production), Patek Philippe, Omega, Tudor et Richard Mille ont mieux performé que la moyenne du marché.

 

L’exception des marques de niches

Les grands « clusters « de marques fortes créent aussi des appels d’air pour des marques avec des positionnements de niches dans tous les segments de prix. Ceci sont les exceptions à la règle édictée ci-dessus qui dit que les champions ramassent tout (« the winner takes it all ! »). Les artisans horlogers tels que Kari Voutilainen, Philippe Dufour, le duo Petermann Bédat et les marques de niche comme De Béthune, H. Moser ou MB&F ont de belles perspectives dans un marché de collectionneurs et de passionnés d’horlogerie.

 

Décrochage de l’entrée de gamme

 Et au risque de me répéter : l’industrie horlogère suisse a raté le marché des montres connectées dominé par Apple (55% de parts de marché estimées), Samsung et quelques fabricants chinois. Ceci a conduit à une forte baisse des volumes de montres vendues dans l’entrée de gamme jusqu’au milieu de gamme inférieur (de CHF 50 à CHF 1’000 prix publics). On peut voir sur le graphique ci-dessous que les gammes de prix allant de CHF 50 à CHF 1’000 francs (prix exports à multiplier par un facteur de 2,5 x pour arriver au prix publics) ont largement plus souffert que les gammes de prix entre CHF 4’000 et CHF 20’000 et entre CHF 40’000 et CHF 100’000.

La suisse est non seulement en train de perdre la guerre des poignets de l’entrée de gamme, mais en plus sa sous-traitance horlogère est mise à rude épreuve avec une dégringolade des volumes de composants fabriqués. 30 millions de montre exportées en 2000, 20 millions en 2019  ( – 3,1 millions vs. 2018) et 13,7 millions l’année passée.

 

*les deux autre marchés ayant connu une croissance sont l’Irlande (+611%) pour des raisons fiscales qui n’ont rien à voir avec une croissance réelle du marché local et Oman (+73%) pour d’autres raisons.

** Rapport Morgan Stanley (Edouard Aubin, equity analyst, Luxury industry) x Luxeconsult 12.03.2020 basé sur les chiffres d’exportations 2019 « Swiss watches : Polarisation accelerates further »

 

Hereunder for the English version :

State of the Industry: A Year to Forget for Swiss Watchmaking

Quand la montre la plus désirée du marché devient une icône inaccessible

Lorsque le patron de Patek Philippe – Thierry Stern – évoquait pour la première fois dans une interview – la sortie de collection de sa meilleure vente j’ai cru à une intox. Même si la marque ne l’a pas encore officiellement confirmé, le modèle mythique Nautilus 5711/1A-10 (les collectionneurs raffolent de références qu’ils vous récitent comme un mantra) va disparaître de la collection malgré des listes d’attente longues de … 12 ans !

Ceci dit M. Stern ne prend pas un risque hors normes, car cette référence sera très probablement remplacée rapidement par une nouvelle qui gommera les quelques « désavantages » du modèle existant.  Un bracelet et une boucle perfectibles pour une montre de ce prix avec peut-être aussi un stop-secondes que l’on trouve sur des montres de marques plus accessibles. Et une taille éventuellement légèrement agrandie serait plus dans l’air du temps.

 

La naissance d’une icône à contre-courant de la tendance

 La Nautilus a été dessinée par le designer de légende – Gerald Genta – qui est également le père d’une autre montre mythique, la Royal Oak d’Audemars Piguet. Ce qui est très intéressant à relever est le fait que ces deux références étaient totalement à contre-courant d’une horlogerie plutôt portée sur des canons esthétiques très classiques et qui privilégiait l’or pour légitimer le produit. Or en 1972 quand la Royak Oak est lancée c’est un pari esthétique et commercial, car elle censée conquérir un nouveau marché dans le haut de gamme : une montre sportive en acier au design reconnaissable à dix mètres avec une lunette octogonale avec des vis apparentes. Chez Patek Philippe on comprend très vite que malgré le démarrage commercial plutôt lent de la Royal Oak, ce segment prend rapidement de l’importance et en 1976 Patek lance sa Nautilus.

Un design tranchant avec également une lunette octogonale et un bracelet acier intégré, mais un peu plus de rondeur pour la Nautilus. Le design qui reprend tous les codes des années 1970 avec notamment un magnifique cadran texturé de lignes horizontales qui permet à la couleur bleue de prendre des reflets dégradés selon la prise de lumière au gré de la position du poignet du porteur.

Pour faire court, les deux montres concurrentes sont devenues des objets mythiques et inspirent encore aujourd’hui les grandes tendances esthétiques. Nous avons pu voir ces deux dernières années un florilège de montres fortement inspirées des deux produits leaders avec un bracelet métal intégré, un cadran bleu et une esthétique de boîtier assez tranchante.

Une prise de valeur impressionnante….

 Le prix de vente officielle d’une Nautilus en acier est de CHF 28’500, alors que son prix de revente sur le marché secondaire était de CHF 70’000 soit 2,5 fois ! Depuis la confirmation officieuse de la sortie de collection de cette Nautilus les prix se sont envolés à plus de CHF 100’000 soit 50% d’augmentation ou une plus-value de 250% par rapport au « prix de vente officiellement recommandé (SRP) » !

Les experts s’accordent sur une estimation d’une fourchette de prix entre CHF 130’000 à 150’000 (+425% vs. SRP) à court et moyen terme ! Ce n’est pas encore le bitcoin, mais admettez qu’il est plus probable que vous trouviez un acheteur pour votre Patek Philippe Nautilus 5711-A dans 5 ans que pour vos bitcoins … à la valorisation actuelle !

Pour rebondir sur l’exemple de mon article en référence ci-dessous et datant de 2019, la double signature Tiffany sur une Patek Philippe est devenue encore plus désiré avec des prix qui s’envolent. Une montre qui se vendait encore USD 75’000 sur le marché secondaire (SRP USD 30’000) vaut désormais plus de USD 250’000 soit plus de 8 x le prix public recommandé.

Lire également : https://blogs.letemps.ch/olivier-muller/2019/10/28/11-ans-pour-obtenir-sa-montre-de-reve-est-ce-bien-raisonnable/

 

Source site www.chrono24.com données du 25.01.2021; évolution du prix de revente Patek Philippe Nautilus en acier réf. 5711/1A-010. Période mai 2013 – janvier 2021

 

Evolution du prix période 25 décembre 2020 au 25 janvier 2021

 

…. et beaucoup d’acheteurs potentiels frustrés

 

Je me suis posé la question pour ces milliers d’acheteurs potentiels d’une Nautilus qui garnissent les carnets de commandes de la marque pour les prochains 12 ans et à qui on a dit, après par exemple 6 ans d’attente, « Circulez, il n’y a rien à voir ! » …. Comment vont-ils réagir ? Se fâcher avec une marque qu’ils considèrent – à juste titre comme la Rolls de l’horlogerie – et se tourner vers une marque concurrente, à toute hasard, Audemars Piguet ? Ou attendre la nouvelle Nautilus qui portera très probablement la référence 6711 ?

 

Ce qui m’a le plus intrigué dans cette histoire n’est pas le fait que Patek Philippe décide de sortir son produit phare (elle en a certes d’autres !) de sa collection, mais le fait que la communication autour de cette décision assez téméraire soit entièrement assurée par les réseaux sociaux et non par la marque elle-même. Certes les premières rumeurs datent d’une interview donnée par M. Stern en décembre 2019 au magazine GQ dans laquelle il constatait – à juste titre – que le succès d’une marque ne pouvait pas reposer sur un seul modèle et que la Nautilus avait été suffisamment vendue pour pouvoir passer à autre chose. En répondant à la question si la marque ne perdait pas des clients en limitant la quantité de montres produites, le CEO de Patek répond avec franchise. « Je ne pourrai jamais être Rolex, en produisant de plus grandes quantités, et je ne le veux pas. Nous aurions du succès, mais nous ne serions pas Patek Philippe. »

Mais de là à entretenir une complète opacité sur la suite il y a une marge d’amélioration de la communication de la marque qui est substantielle et potentiellement bénéfique. Je pense qu’à l’époque des réseaux sociaux et de leur capacité à lancer des rumeurs infondées (ex. le rachat maintes fois annoncé de Patek Philippe), il vaut mieux qu’une maison de luxe reste maître des messages qu’elle souhaite faire passer.

Un nouveau « case study » pour les écoles de marketing

 J’ai le privilège d’enseigner ponctuellement quelques règles de marketing à de jeunes étudiants et je suis ravi de pouvoir ajouter ce cas de « phase-out » sans annoncer le lancement (phase-in) du modèle de substitution. Non seulement la marque réussit à créer le buzz chez tous les collectionneurs de montres, mais elle garde le statut d’une marque de luxe absolu qui peut se permettre de choisir ses clients.

 

Remarque : l’augmentation phénoménale des prix de vente sur la Nautilus ne profite aucunement – en termes de chiffre d’affaires – à Patek Philippe qui continue de vendre au prix public de CHF 28’500 ce qui permet déjà de générer une marge très confortable. Mais l’augmentation phénoménale de la demande profite bien sûr de l’augmentation de la « brand equity » : « la capacité future d’une marque à générer un surplus de bénéfices du seul fait de son nom… dans l’esprit du client »*

*Les marques « Capital de l’entreprise » par Jean-Noël Kapferer, Ed. Eyrolles, 2007, p. 276 et ss.

 

Hereunder for the English version :

Editorial: When the Most Desirable Watch Become an Inaccessible Icon