99’350 francs suisses, c’est précisément la différence entre le prix moyen des 400 nouveautés présentées au récent salon Watches & Wonders et celui de la nouvelle montre de Tissot la PRX Powermatic.
Je suis souvent confronté aux remarques, par ailleurs totalement justifiées, de la déconnexion de l’horlogerie suisse par rapport à une clientèle « normale ». Les montres suisses montent en gamme avec un prix moyen à l’exportation qui a quasiment quadruplé en vingt ans à presque CHF 1’200 ce qui correspond à un prix public d’approximativement CHF 2’500, soit presque quatre fois le prix de la Tissot PRX dans sa version automatique et huit fois celui de la version quartz !
Comme je ne fais pas partie des gens qui pensent qu’une industrie peut vivre que des segments haut de gamme, j’ai décidé de présenter régulièrement des modèles de montres accessibles au commun des mortels, dont je fais partie. Pour commencer cette nouvelle rubrique, j’ai choisi une montre de la marque Tissot, la PRX en version quartz ou automatique.
Deux mouvements avec deux raisons d’être
La version quartz permettra de conquérir des clients plus jeunes ou des marchés avec un pouvoir d’achat plus limité, car à ce niveau de prix rares sont les alternatives crédibles.
La version automatique part à l’assaut d’une clientèle qui peut être considérée comme étant aspirationnelle, celle qui ne peut pas encore se permettre la Royal Oak d’Audemars Piguet, mais qui pourrait un jour se l’offrir. Et c’est là que ce cette catégorie de prix revêt toute son importance pour le futur de l’horlogerie suisse. Dans un monde normal où le salaire moyen n’est pas équivalent à celui de la Suisse, il est inconcevable pour un jeune client de s’offrir une montre à CHF 2’500 comme premier achat. C’est là où une offre de prix équivalente à celle d’une AppleWatch – et qui ne finira pas au mieux dans un tiroir dans 4 ans pour cause d’obsolescence technique – peut faire réfléchir un jeune client. On tient tous les arguments positifs d’un achat : la durabilité technique et esthétique, une empreinte carbone raisonnable pour sa production et l’utilisation de matières recyclables.
Facteurs de séduction
Pour autant que vous soyez un fan de design vintage – on parle ici des années 1970 – cette montre va immédiatement vous plaire. A l’époque un nouveau trend fait des ravages, la montre sport chic, initié par la Royal Oak d’Audemars Piguet en 1972 qui sera suivi de la Nautilus de Patek Philippe en 1976 et d’une Tissot Seastar en 1978.
Les années 1970 sont celles d’un langage du design fait de formes géométriques tranchantes et de couleurs vives.
Tissot a fait un choix intelligent d’aller chercher l’inspiration et la légitimité de cette nouvelle montre dans son patrimoine et de lui donner ce look vintage qui plaît tant à une nouvelle clientèle.
Un boîtier en forme tonneau avec une lunette ronde avec un bracelet métal parfaitement intégré et des maillons satinés sur le dessus et polis sur les tranches. Le confort au porté est parfait et sa taille de 40mm pour une épaisseur de 10,4mm en quartz et de 11,3mm pour la version automatique qui lui procure des proportions harmonieuses dans les deux cas.
Un look néo-vintage, une esthétique chic-sportive, un mouvement automatique avec 80 heures de réserve de marche et un spiral Nivachron qui lui procure des caractéristiques largement supérieures à la moyenne des montres mécaniques. Un fond saphir sur la version automatique qui permet de mettre en valeur un joli mouvement, certes avec des finitions industrielles, mais avec une jolie décoration sur la masse oscillante.
Un prix défiant toute concurrence et susceptible de plaire aux jeunes
Ce n’est plus un scoop, les générations Y et Z ne portent soit plus de montres, soit des montres connectées…. Et heureusement pour l’industrie horlogère suisse ils restent quelques aficionados qui découvrent l’horlogerie par l’entremise des montres vintage, héritées ou achetées sur Ebay ou des plateformes spécialisées.
Pour juger de l’attractivité du prix public défiant toute concurrence à CHF 345 pour le modèle en quartz et de CHF 650 pour le modèle automatique, je fais abstraction de l’anomalie suisse de revenus extrêmement élevés.
Moins de mille francs pour une très jolie montre d’une marque historique suisse avec un mouvement Swiss made de grande facture qui pourrait en remontrer à des marques bien plus prestigieuses, suisses ou non, c’est une formule gagnante pour reconquérir un public abreuvé d’offres asiatiques ou de crowdfunding, deux caractéristiques qui dans la majeure partie des cas s’additionnent.
Le facteur coolness est mise en avant dans une vidéo qui rappelle que les années 1970 n’ont pas toujours été du meilleur goût, mais que cette période a durablement marqué les codes du design et pas que dans l’horlogerie.
Très agréable au porté et avec un look conquérant
J’ai eu la chance de tester cette PRX pendant plusieurs semaines et son look a plu dans mon entourage. J’ai même fait l’expérience de rencontrer un jour un jeune homme qui a les moyens de s’acheter des modèles de marques plus prestigieuses et qui m’a spontanément dit : « Regardez je porte la même montre que vous et je trouve ça génial à un prix canon ! D’ailleurs j’en ai fait acheter à tout mon cercle d’amis ».
Recommandation
Une très belle montre Swiss made d’une marque traditionnelle à un prix défiant toute concurrence avec un look à faire pâlir des concurrents dans le haut de gamme
La garantie d’un SAV pour une longue période
Un rapport qualité-prix imbattable avec une mention spéciale pour l’automatique qui est l’un des meilleurs mouvements mécaniques industriels Swiss made
un facteur de coolness dans le trend du revival des années 1970
Pour commencer par les bonnes nouvelles, les propriétaires de Baselworld, la société MCH, a finalement compris que ce n’était pas une bonne idée d’enterrer une marque forte. Il abandonne donc le nom de HourUniverse, qui était par essence une mauvaise idée, et lance un nouvel événement sous l’ancien nom de BASELWORLD.
MCH a annoncé aujourd’hui que Baselworld serait relancé dans un nouveau format en 2022 et que les dates seraient alignées sur celles de Watches and Wonders (du 30 mars au 5 avril) et se déroulera du 31 mars au 4 avril 2022.
Les enjeux liés au relancement d’un événement qui a déjà été enterré une fois
Je ne suis pas tout à fait sûr que le management du salon ait enfin compris pourquoi Baselworld s’est arrêté après plus de cent ans d’existence et le dernier salon de 2019. Probablement un mélange d’arrogance et de manque de connexion avec les nouveaux clients qui sont beaucoup plus à la recherche d’une expérience plutôt que d’un salon tape-à-l’œil où les marques se présenteraient comme des icônes de luxe inaccessibles. Une bonne idée pourrait être de se reconnecter avec les vrais clients, les C après les B comme business.
Ce qui a immédiatement retenu mon attention, est le fait que le nouveau Baselworld se positionne comme un salon pour les marques de milieu de gamme et avant tout un salon B2B. La tendance actuelle n’est-elle pas à la vente directe au consommateur (DTC), qui vise à éliminer les trop nombreux intermédiaires qui n’apportent rien – ou pas grand chose – à la table et augmentent les prix de détail ? Sans aucun doute, les ventes de produits de luxe sont liées aux émotions créées par les rencontres avec les gens et les histoires qu’ils ont à vous raconter sur le produit qu’ils vendent. Alors pourquoi limiter l’accès aux nouveautés de la marque aux détaillants plutôt que de laisser le consommateur final – du moins certains d’entre eux – exprimer ses critiques et ses réactions ?
De nouvelles idées pourraient insuffler l’énergie nécessaire à la création d’un nouveau classique annuel.
D’un autre côté, BASELWORLD promet d’être le premier salon à proposer un mélange d’initiatives numériques tout au long de l’année et un roadshow ponctuel dans les points névralgiques à travers le monde. C’est une idée très intéressante que de rapprocher le salon des marchés et de maintenir un certain niveau sonore tout au long de l’année, plutôt que d’essayer de surcharger l’attention une fois par an.
Un autre aspect positif de ce nouveau concept est que la direction du salon a enfin compris qu’une marque “normale” n’a pas les moyens financiers de financer un stand coûtant des centaines de milliers de francs suisses une fois par an. Pour mémoire, les budgets de Baselworld au bon vieux temps se chiffraient en dizaines de millions de francs suisses pour une marque institutionnelle établie…
Est-ce que quelqu’un a encore besoin de rencontres physiques à l’ère des happenings numériques et des réunions quotidiennes de Zoom ?
Oui, nous en avons tous besoin. Si l’on observe des “über marques” comme Apple ou Tesla, on comprend que leurs lancements de produits ou leurs rassemblements annuels sont L’occasion de créer des liens uniques et émotionnels avec leurs fans. Aucun spectacle numérique, virtuel ou de réalité augmentée ne remplacera jamais le caractère unique de la rencontre avec le créateur d’un produit unique tel qu’une montre ou un bijou d’une marque de niche. Tout le reste, vous pouvez l’obtenir avec une carte de crédit comme le disait une célèbre campagne publicitaire ! Les émotions ne peuvent pas être virtuelles et même si l’IA nous guidera de plus en plus vers des campagnes et des expériences clients plus ciblées, les rencontres humaines seront toujours la référence.
Quelles marques et quels publics sont visés par le pas si nouveau Baselworld ?
Sur le terrain des marques horlogères, les intéressés se limiteront aux marques de taille moyenne qui ont besoin de plus d’exposition et de notoriété. Des expositions de ce type, préparées et réalisées de manière professionnelle, peuvent vous faire économiser beaucoup d’argent et de temps que vous passeriez à voyager dans le monde entier, surtout maintenant avec la pandémie de Covid. Le gouvernement chinois vient d’annoncer qu’il allait étendre ses restrictions de voyage pour au moins une année supplémentaire. C’est pourquoi l’idée de Baselworld – qu’elle partage avec le salon genevois Watches and Wonder – d’organiser le salon autour du monde dans des lieux sélectionnés est intelligente. Viser 300 marques – horlogères et joaillières – est un objectif raisonnable pour Baselworld après le pic de plus de 1’500 marques de l’édition 2015.
À côté des marques de luxe du groupe Richemont et des quelques indépendants qui exposent à Watches and Wonders (38 au total pour l’édition 2020), il y a pas mal de marques qui tentent de profiter de la lumière de ce salon. Mais pour trop de marques, principalement les petites, la concurrence est fixée à un niveau inatteignable autour du salon de Genève.
Ma grande interrogation concerne le format d’un salon B2B….. Pourquoi restreindre l’accès de tant de marques et de leurs nouveautés à une foule de professionnels qui sont de moins en moins pertinents pour l’ensemble de l’industrie ? Les détaillants multimarques sont toujours nécessaires, tout comme les journalistes spécialisés “traditionnels” et encore plus les blogueurs et les influenceurs. Mais au bout du compte, nous devons vendre toutes ces montres et pourquoi empêcher ces clients d’accéder à un salon où ils pourraient voir et toucher toutes ces merveilles ?
Osons espérer que Baselworld réussisse sa renaissance en se réinventant comme un pont entre l’ancien et le nouveau monde, offrant aux marques indépendantes une scène décente pour se présenter et se vendre.
La banque d’affaires Morgan Stanley a publié ce matin son rapport annuel sur l’industrie horlogère et son titre est programme : « King Rolex »*. La marque à la couronne est non seulement la première marque en termes de chiffres d’affaires, mais ensemble avec sa marque sœur Tudor, elle est devenue en 2020 le leader du marché horloger suisse**. Malgré un recul de son chiffre d’affaires de l’ordre de 15% Rolex reste le leader incontesté des montres suisses.
Les exportations horlogères suisses en 2020 ont globalement baissé de 21% en valeur et de 33% en unités.
Quoi de nouveau en 6 points dans un marché en pleine reconfiguration ?
#1 : La polarisation du marché s’est encore accentuée avec quelques marques fortes qui ont réussi à limiter les dégâts, malgré un premier trimestre catastrophique et un mois d’avril à -81% pour les exportations horlogères.
Les marques en mains privées ont dans l’ensemble mieux performé que la moyenne du marché avec notamment Audemars Piguet qui enregistre une baisse de 9% de son chiffre d’affaires, mais qui selon CEO a enregistré le meilleur mois de son histoire en octobre 2020 !
Tudor a été l’une des rares marques Swiss made à progresser en 2020 et prend des parts de marché à ses concurrents directs, dont TAG Heuer qui a enregistré une baisse 31%.
#2 : la premiumisation*** du marché avec le segment des montres d’un prix public supérieur à CHF 7’000 (CHF 3’000 prix export) qui compte pour 70% de la valeur exportée, mais seulement 10% du volume.
#3 : l’entrée de gamme continue de subir les assauts des montres connectées : en 2020 l’industrie horlogère suisse aura vendu 13,7 millions de montres contre 75 millions de montres connectées. En 2016 la Suisse vendait encore 25 millions de montres, alors que les montres connectées totalisaient 22 millions d’unités.
#4 : deux marques du TOP 50 ont réussi à croître en 2020 : Tudor et Dior. La marque sœur de Rolex récolte les fruits d’une stratégie produits et marque très cohérente. Alors que les montres Dior profitent d’une dynamique de la marque dans le domaine de la maroquinerie tout comme les montres Hermès qui maintient pratiquement ses chiffres par rapport à 2019. Hermès a non seulement nettoyé sa collection et est montée en gamme, mais elle réussit également à vendre de la haute horlogerie à des prix dépassant les CHF 300’000 avec par exemple une montre tourbillon, répétition minutes.
Rolex, Audemars Piguet, Cartier, Richard Mille et Breitling réussissent à faire mieux que la moyenne du marché
#5 : le roi incontesté s’appelle ROLEX. Malgré une demande qui ne se dément pas et des primes « coupes files » de 50% à 100% sur le marché gris, la marque à la couronne a décidé l’année passée de réduire sa production de pratiquement 20%. Les clés du succès de Rolex s’expliquent par quelques recettes qui n’ont rien de magique, mais qui sont appliquées avec une consistance et cohérence depuis la naissance de la marque en 1908.
Une qualité produit sans cesse améliorée et sans compromis.
Le but ultime est la perfection et non pas d’arriver premier. « Don’t be first, but be the best ! ».
La communication est toujours restée focalisée sur l’excellence produit.
Les sponsorings sportifs sont des animations ponctuelles pour la marque, mais jamais le centre de sa communication. Les ambassadeurs de la marque doivent servir les valeurs de celle-ci.
La continuité : le produit évolue, mais pas son identité. Comme Porsche avec sa 911, Rolex sait faire évoluer ses classiques sans jamais les dénaturer.
La gestion de la rareté dans l’offre crée la désirabilité. Rolex est l’une des rares marques horlogères à pouvoir se payer le luxe d’avoir des listes d’attente qui se chiffrent en années.
#6 : les marques de niche tirent leur épingle du jeu. H. Moser & Cie avec ses produits et sa communication qui osent la provocation sont un exemple positif des « petits » qui s’en sortent plutôt bien avec une offre originale. Moser a connu la croissance dans un marché en plein marasme en jouant sur l’audace que des groupes cotés en bourse ne peuvent se permettre.
On pourrait aussi parler de la folie qui s’est emparée de la communauté horlogère après l’annonce de la dernière série des montres Simplicity de l’horloger Philippe Dufour où l’on parle de 4’000 acheteurs pour …. les 10 dernières montres qui se vendront pour un prix dépassant largement le demi-million de francs pour une montre vendue pour CHF 34’000 à ses débuts en 2000 !
Mais ceci sont des épiphénomènes – certes réjouissants – à l’échelle d’une industrie qui a perdu la moitié de ses volumes en l’espace de 6 ans !
Rolex s’impose comme leader du marché
Avec une part de marché équivalente au quart du total**, Rolex est le leader incontesté devant Omega qui comptabilise “seulement” un tiers de la valeur de son concurrent direct.
les 5 plus grandes marques trustent plus de 50% du marché de la montre suisse
14 marques détiennent les trois-quarts (77%) du marché
* Rapport Morgan Stanley (Edouard Aubin, equity analyst, Luxury industry) x Luxeconsult 08.03.2021 basé sur les chiffres d’exportations 2020 « King Rolex ». Ce rapport est destiné aux clients de la banque Morgan Stanley et peut être cité avec les sources correspondantes.
** les données du rapport Morgan Stanley sont basés sur les chiffres d’exportations fournis par la fédération horlogère Suisse qui collectent elle-même ces chiffres de l’administration fédérale des douanes. Morgan Stanley calcule les parts de marché en valeur retail (prix de vente public HT) et non pas en chiffres d’affaires ex-usine, car les marques ont des degrés d’intégration de leur retail très divers. Rolex possède une seule boutique dans le monde à Genève, alors que Richard Mille contrôle le 100% de sa vente au détail par des boutiques qu’elle possède en propre ou par joint-venture avec un détaillant.
*** la premiumisation est un anglicisme qui consiste à décrire l’effet de levier obtenu par un positionnement prix plus élevé donnant un avantage concurrentiel pour des produits de luxe.
La polarisation du marché horloger se confirme avec des chiffres d’exportations globalement en baisse et des volumes en chute libre
La fédération de l’industrie horlogère suisse annonce ce matin des chiffes pour 2020 qui sont mauvais, voire catastrophiques concernant le nombre de montres exportées. Avec 13,7 millions de montres exportées (- 33%) et 2,8 millions de mouvements, nous sommes descendus à un volume inégalé depuis 1939 ! Le chiffre d’affaires est certes en forte baisse à CHF 16,9 milliards ( – 21,8%), mais à mettre en perspective avec les CHF 10,2 milliards de 2000.
Personne ne s’attendait à un miracle, mais 2020 a été une rude épreuve pour les économies avec des fermetures de magasins, des arrêts d’activités complets et une remise en question de certains modèles économiques. L’horlogerie suisse a souffert avec une dégringolade des chiffres des ventes dans le premier semestre avec son marché le plus important – la Chine – confiné et des ventes quasiment inexistantes. Dès mi-mars les ventes sur le marché chinois ont inversé la tendance, mais ce sont les autres marchés qui ont commencé à plonger.Le fond a été atteint en avril avec – 81% par rapport à l’année précédente.
Des inégalités géographiques….
Tout le monde sait que le marché du luxe dans sa globalité dépend de façon sur proportionnelle des marchés asiatiques et en premier lieu de la Chine. L’horlogerie ne fait pas exception dans ce tableau et dépend même plus du marché chinois que les autres segments du luxe avec 14%, voire 24% en incluant Hong-Kong. Un quart de nos ventes d’horlogerie sont faites à des clients chinois et 54% au total à des clients asiatiques. A ce titre l’année 2020 est un bon indicateur avec des ventes quasi inexistantes à des touristes asiatiques – qui Covid oblige – restent dans leur pays. Le marché chinois a été quasiment le seul marché de croissance pour l’horlogerie suisse* avec un plus de 20% par rapport à 2019 et même de + 39% comparativement à 2018.
La société de conseil Bain & Co. prédit que 90% de la croissance de l’industrie du luxe viendront de la Chine dans les 5 à 10 ans à venir ! On peut donc comprendre que les marques horlogères suisses soient particulièrement actives et présentes sur ce marché. Les deux marques les plus importantes du Swatch Group – Omega et Longines – sont d’ailleurs leaders sur ce marché depuis bientôt 25 ans. A l’inverse Patek Philippe – 5ème marque horlogère Suisse selon le classement annuel publié par Morgan Stanley** et surtout la plus prestigieuse – ne possède que deux points de ventes en Chine continentale. Ceci peut paraître curieux, mais dénote d’une grande prudence dans la pondération du risque face à des marchés qui peuvent parfois se montrer volatils.
… et des fortes inégalités entre marques
Le luxe en général, mais l’horlogerie suisse de façon extrême, est un marché fortement polarisé. Peu de marques occupent une place prépondérante dans l’industrie horlogère et elles sont caractérisées par les paramètres suivants** :
Les marques à forte notoriété bénéficient d’une croissance exponentielle dans un marché haussier due à leur capacité d’investissement dans leur communication, le développement de nouveaux produits et de nouveaux marchés. Mais également dans un marché baissier où elles profitent d’un repli des marchés sur des marques institutionnelles, considérées comme moins risquées par les détaillants et les clients finaux. Quand l’avenir est incertain on préfère les valeurs sûres.
Les marques fortes possèdent une position dominante avec 5 marques (sur approx. 300 marques Swiss made actives) qui trustent 50% du marché horlogers et seulement 28 marques pour 90% du marché.
Les leaders génèrent une rentabilité avec un taux de croissance plus important que celui de leur chiffre d’affaires : non seulement elles grandissent plus vite, mais elles deviennent de plus en plus rentables.
Et fait unique dans l’industrie du luxe, les marques horlogères en mains privées sont plus rentables que celles détenues par des groupes cotés en bourse ! Quatre marques : Rolex (fondation Wilsdorf), Patek Philippe (famille Stern), Audemars Piguet (3 familles détiennent la majorité) et Richard Mille (Audemars Piguet et deux associés, dont M. Mille) détiennent 35% des ventes, mais surtout 59% des bénéfices réalisés par l’industrie!
Les marques fortes ont probablement mieux résisté à la baisse généralisée du marché l’année passée avec le CEO d’Audemars Piguet qui annonçait une baisse pour 2020 contenue entre 8 et 9%. Et ce comparé avec une année 2019 record à CHF 1,235 milliards. Par ailleurs le mois d’octobre 2020 – en pleine pandémie, mais aidé par un effet de rattrapage a été le meilleur mois de l’histoire de la marque !
On peut supposer que Rolex (malgré une réduction substantielle de sa production), Patek Philippe, Omega, Tudor et Richard Mille ont mieux performé que la moyenne du marché.
L’exception des marques de niches
Les grands « clusters « de marques fortes créent aussi des appels d’air pour des marques avec des positionnements de niches dans tous les segments de prix. Ceci sont les exceptions à la règle édictée ci-dessus qui dit que les champions ramassent tout (« the winner takes it all ! »). Les artisans horlogers tels que Kari Voutilainen, Philippe Dufour, le duo Petermann Bédat et les marques de niche comme De Béthune, H. Moser ou MB&F ont de belles perspectives dans un marché de collectionneurs et de passionnés d’horlogerie.
Décrochage de l’entrée de gamme
Et au risque de me répéter : l’industrie horlogère suisse a raté le marché des montres connectées dominé par Apple (55% de parts de marché estimées), Samsung et quelques fabricants chinois. Ceci a conduit à une forte baisse des volumes de montres vendues dans l’entrée de gamme jusqu’au milieu de gamme inférieur (de CHF 50 à CHF 1’000 prix publics). On peut voir sur le graphique ci-dessous que les gammes de prix allant de CHF 50 à CHF 1’000 francs (prix exports à multiplier par un facteur de 2,5 x pour arriver au prix publics) ont largement plus souffert que les gammes de prix entre CHF 4’000 et CHF 20’000 et entre CHF 40’000 et CHF 100’000.
La suisse est non seulement en train de perdre la guerre des poignets de l’entrée de gamme, mais en plus sa sous-traitance horlogère est mise à rude épreuve avec une dégringolade des volumes de composants fabriqués. 30 millions de montre exportées en 2000, 20 millions en 2019 ( – 3,1 millions vs. 2018) et 13,7 millions l’année passée.
*les deux autre marchés ayant connu une croissance sont l’Irlande (+611%) pour des raisons fiscales qui n’ont rien à voir avec une croissance réelle du marché local et Oman (+73%) pour d’autres raisons.
** Rapport Morgan Stanley (Edouard Aubin, equity analyst, Luxury industry) x Luxeconsult 12.03.2020 basé sur les chiffres d’exportations 2019 « Swiss watches : Polarisation accelerates further »
Lorsque le patron de Patek Philippe – Thierry Stern – évoquait pour la première fois dans une interview – la sortie de collection de sa meilleure vente j’ai cru à une intox. Même si la marque ne l’a pas encore officiellement confirmé, le modèle mythique Nautilus 5711/1A-10 (les collectionneurs raffolent de références qu’ils vous récitent comme un mantra) va disparaître de la collection malgré des listes d’attente longues de … 12 ans !
Ceci dit M. Stern ne prend pas un risque hors normes, car cette référence sera très probablement remplacée rapidement par une nouvelle qui gommera les quelques « désavantages » du modèle existant. Un bracelet et une boucle perfectibles pour une montre de ce prix avec peut-être aussi un stop-secondes que l’on trouve sur des montres de marques plus accessibles. Et une taille éventuellement légèrement agrandie serait plus dans l’air du temps.
La naissance d’une icône à contre-courant de la tendance
La Nautilus a été dessinée par le designer de légende – Gerald Genta – qui est également le père d’une autre montre mythique, la Royal Oak d’Audemars Piguet. Ce qui est très intéressant à relever est le fait que ces deux références étaient totalement à contre-courant d’une horlogerie plutôt portée sur des canons esthétiques très classiques et qui privilégiait l’or pour légitimer le produit. Or en 1972 quand la Royak Oak est lancée c’est un pari esthétique et commercial, car elle censée conquérir un nouveau marché dans le haut de gamme : une montre sportive en acier au design reconnaissable à dix mètres avec une lunette octogonale avec des vis apparentes. Chez Patek Philippe on comprend très vite que malgré le démarrage commercial plutôt lent de la Royal Oak, ce segment prend rapidement de l’importance et en 1976 Patek lance sa Nautilus.
Un design tranchant avec également une lunette octogonale et un bracelet acier intégré, mais un peu plus de rondeur pour la Nautilus. Le design qui reprend tous les codes des années 1970 avec notamment un magnifique cadran texturé de lignes horizontales qui permet à la couleur bleue de prendre des reflets dégradés selon la prise de lumière au gré de la position du poignet du porteur.
Pour faire court, les deux montres concurrentes sont devenues des objets mythiques et inspirent encore aujourd’hui les grandes tendances esthétiques. Nous avons pu voir ces deux dernières années un florilège de montres fortement inspirées des deux produits leaders avec un bracelet métal intégré, un cadran bleu et une esthétique de boîtier assez tranchante.
Une prise de valeur impressionnante….
Le prix de vente officielle d’une Nautilus en acier est de CHF 28’500, alors que son prix de revente sur le marché secondaire était de CHF 70’000 soit 2,5 fois ! Depuis la confirmation officieuse de la sortie de collection de cette Nautilus les prix se sont envolés à plus de CHF 100’000 soit 50% d’augmentation ou une plus-value de 250% par rapport au « prix de vente officiellement recommandé (SRP) » !
Les experts s’accordent sur une estimation d’une fourchette de prix entre CHF 130’000 à 150’000 (+425% vs. SRP) à court et moyen terme ! Ce n’est pas encore le bitcoin, mais admettez qu’il est plus probable que vous trouviez un acheteur pour votre Patek Philippe Nautilus 5711-A dans 5 ans que pour vos bitcoins … à la valorisation actuelle !
Pour rebondir sur l’exemple de mon article en référence ci-dessous et datant de 2019, la double signature Tiffany sur une Patek Philippe est devenue encore plus désiré avec des prix qui s’envolent. Une montre qui se vendait encore USD 75’000 sur le marché secondaire (SRP USD 30’000) vaut désormais plus de USD 250’000 soit plus de 8 x le prix public recommandé.
Je me suis posé la question pour ces milliers d’acheteurs potentiels d’une Nautilus qui garnissent les carnets de commandes de la marque pour les prochains 12 ans et à qui on a dit, après par exemple 6 ans d’attente, « Circulez, il n’y a rien à voir ! » …. Comment vont-ils réagir ? Se fâcher avec une marque qu’ils considèrent – à juste titre comme la Rolls de l’horlogerie – et se tourner vers une marque concurrente, à toute hasard, Audemars Piguet ? Ou attendre la nouvelle Nautilus qui portera très probablement la référence 6711 ?
Ce qui m’a le plus intrigué dans cette histoire n’est pas le fait que Patek Philippe décide de sortir son produit phare (elle en a certes d’autres !) de sa collection, mais le fait que la communication autour de cette décision assez téméraire soit entièrement assurée par les réseaux sociaux et non par la marque elle-même. Certes les premières rumeurs datent d’une interview donnée par M. Stern en décembre 2019 au magazine GQ dans laquelle il constatait – à juste titre – que le succès d’une marque ne pouvait pas reposer sur un seul modèle et que la Nautilus avait été suffisamment vendue pour pouvoir passer à autre chose. En répondant à la question si la marque ne perdait pas des clients en limitant la quantité de montres produites, le CEO de Patek répond avec franchise. « Je ne pourrai jamais être Rolex, en produisant de plus grandes quantités, et je ne le veux pas. Nous aurions du succès, mais nous ne serions pas Patek Philippe. »
Mais de là à entretenir une complète opacité sur la suite il y a une marge d’amélioration de la communication de la marque qui est substantielle et potentiellement bénéfique. Je pense qu’à l’époque des réseaux sociaux et de leur capacité à lancer des rumeurs infondées (ex. le rachat maintes fois annoncé de Patek Philippe), il vaut mieux qu’une maison de luxe reste maître des messages qu’elle souhaite faire passer.
Un nouveau « case study » pour les écoles de marketing
J’ai le privilège d’enseigner ponctuellement quelques règles de marketing à de jeunes étudiants et je suis ravi de pouvoir ajouter ce cas de « phase-out » sans annoncer le lancement (phase-in) du modèle de substitution. Non seulement la marque réussit à créer le buzz chez tous les collectionneurs de montres, mais elle garde le statut d’une marque de luxe absolu qui peut se permettre de choisir ses clients.
Remarque : l’augmentation phénoménale des prix de vente sur la Nautilus ne profite aucunement – en termes de chiffre d’affaires – à Patek Philippe qui continue de vendre au prix public de CHF 28’500 ce qui permet déjà de générer une marge très confortable. Mais l’augmentation phénoménale de la demande profite bien sûr de l’augmentation de la « brand equity » : « la capacité future d’une marque à générer un surplus de bénéfices du seul fait de son nom… dans l’esprit du client »*
*Les marques « Capital de l’entreprise » par Jean-Noël Kapferer, Ed. Eyrolles, 2007, p. 276 et ss.
Il semblerait que la Chine reste le seul marché capable de redonner une impulsion positive dans l’immédiat aux ventes de montres suisses. Selon les chiffres des exportations annoncés ce matin par la fédération horlogère, il semblerait que nous ayons atteint le point d’inflexion d’une tendance négative qui dure depuis trop longtemps. Le mois d’août est certes encore à -11% par rapport à l’année passée, mais après la dégringolade des mois précédents avec notamment le mois d’avril à – 81%, la chute semble être amortie.
Le cumul des exportations horlogères depuis le début de l’année se chiffre à – 30,5% par rapport à 2019, qui restera une année record pendant longtemps, mais on peut espérer une amélioration substantielle d’ici la fin de cette année…. sans espérer de miracles.
La Chine seul Eldorado pour l’industrie du luxe ?
Selon une récente étude publiée par Bain Altagamma, les consommateurs chinois seront les principaux contributeurs de la croissance du marché du luxe ces cinq prochaines années. Bain prédit que plus de 90% de la croissance sera faite avec les clients chinois ! Je serais un peu plus prudent sur le pourcentage, mais je rejoins le constat de Bain que sans le marché chinois tous les acteurs du luxe sont condamnés à régresser.
La lueur d’espoir, pour que nous évitions de mettre tous les œufs dans le même panier, vient des USA où les derniers indicateurs sur les ventes de biens de luxe commencent à tourner au vert. Les multiples facteurs négatifs convergents sur la consommation (confinements liés au Covid, l’incertitude de l’élection présidentielle, etc.) semblent largement moins influencer les ventes que l’excellente tenue des marchés boursiers. Et surtout les USA – encore plus que la Chine – sont un marché très ouvert à l’e-commerce. Les marques horlogères suisses qui ont fait des gros efforts sur leur e-commerce et leur e-communication ces derniers mois – je pense notamment à Omega et Breitling – commencent à engranger les fruits de leurs efforts.
Une étude publiée par la banque Morgan Stanley et intitulée « Not just a China story »* (“Pas uniquement une histoire chinoise”) rappelle très justement qu’un franc sur cinq (22%) engrangé par l’industrie du luxe dans le monde est le fait du marché US. Pour l’horlogerie la proportion est moindre, mais toujours significative avec un franc sur huit (12% en 2019).
Le haut de gamme se porte mieux que l’entrée de gamme
Une tendance qui se confirme est l’érosion du socle de l’offre de l’horlogerie suisse. Et les smartwatches sont clairement passées par là ! Apple qui vient de présenter la 6ème version de son Apple Watch vendra cette année trois fois plus de montres que l’ensemble des marques horlogères suisses (estimation Luxeconsult) !
Certaines marques horlogères suisses ont présenté récemment des initiatives intéressantes, mais qui se situent toutes dans un segment de prix nettement plus élevés que ses concurrents américains, coréens ou chinois.
On peut voir dans le tableau ci-dessous basé sur les exportations que les marques avec un prix public entre CHF 5’000 et 12’000 (prix export entre CHF 2’000 et 5’000) se reprennent. On en revient toujours aux mêmes marques dans ces segments de marché qui tirent leur épingle du jeu avec notamment Rolex, Omega, Tudor, Longines. Mais en cumul toutes les gammes de prix sont en régression en 2020 aussi bien en valeur qu’en volume ! Nous avons perdu depuis le début de l’année 5,6 millions d’unités après une chute de 3,1m l’année passée… ce sont des volumes qui manquent aux sous-traitants de notre industrie.
Les marques sont obligées de retravailler le marché local
Un CEO d’une des rares marques horlogères à passer ce tsunami du Covid sans dégâts majeurs, me confiait récemment que son message à ses équipes de ventes à travers le monde était que le marché du touriste chinois, client captif, était terminé ! Et pour aller dans la punchline qui caractérise les motivateurs il leur a donné l’image suivante « Imaginez vous que tout autour de vos marchés respectifs il y ait une paroi jusqu’au ciel ! Plus de touristes ! Comment faites-vous pour vous vendre ? Vous allez reconnecter avec votre marché local, car les voyages des touristes consommateurs sont terminés pour longtemps ! ».
Je rejoins 100% ce constat qu’il faut se remettre à travailler son marché local en plus de toutes les initiatives digitales qui permettent aux marques de rester au contact de leurs client. Le direct-to-consumer et le local sont complémentaires, comme le phygital qui permet de créer des ponts entre le monde physique et le digital !
*le rapport de Morgan Stanley est réservé à ses clients
Le prélude est venu de l’annonce – certes attendue – de la rupture des négociations de LVMH et Tiffany & Co. en vue du rachat de la marque de joaillerie new-yorkaise. Le montant de la transaction à USD 16,2 milliards en aurait fait l’acquisition la plus coûteuse de l’histoire du luxe. Mais entre le début des négociations et la date prévue de la conclusion de la transaction le Covid est passé comme un tsunami sur les valorisations des marques de luxe. Le conglomérat français qui est le plus grand groupe de luxe au monde et valorisé plus de EUR 200 milliards par la bourse, peut facilement se permettre une telle acquisition, mais sa volonté a toujours été de payer le “juste prix”. Donc exit l’urgence de l’acquisition, dans les meilleurs délais de sa proie, destinée à cause des problèmes à son rival Richemont.
Tiffany s’apprête à porter plainte contre LVMH qu’elle accuse d’avoir volontairement ralentit la procédure des autorités antitrust européennes pour rendre impossible une signature du contrat avant la date butoir du 24 novembre de cette année. LVMH invoque une injonction du gouvernement français lui intimant de ne pas signer le deal avant le 6 janvier pour garder un joker contre l’administration Trump qui menace de taxer les biens français exportés vers les USA. La manoeuvre est naturellement destinée à éviter de devoir payer la pénalité (“termination fee”) prévue dans le contrat de rachat signé avec Tiffany qui obligerait le groupe français à lui payer USD 575 millions !
C’est une bonne nouvelle pour le groupe Richemont qui voit s’éloigner le spectre d’un concurrent très puissant qui pourrait causer du tort à sa marque phare Cartier.
Comment renégocier un prix d’achat qui a été fixé ?
Là nous entrons dans l’art de la négociation dans lequel M. Bernard Arnault, principal actionnaire du groupe LVMH, excelle ! Comme dans une partie de poker vous demandez aux autres joueurs de participer ou de renoncer à la surenchère sans bien sûr dévoiler votre jeu de cartes. Et comme vous avez des relais politiques au plus niveau de l’état français – ce qui est compréhensible si l’on tient compte de l’importance du groupe LVMH en tant que plus gros contribuable français – vous allez voir le ministre des affaires étrangères. Et vous lui parlez de votre souci avec une date de conclusion impérative pour le rachat d’une société américaine. Le ministre qui ne vous veut que du bien et qui est convaincu par vos intentions tout à fait louables et patriotiques de loyauté en faveur de l’état français, vous signe un courrier vous demandant de renoncer à la transaction avant le 6 janvier 2021. Les raisons invoquées sont la préservation des intérêts français face à la menace brandie par l’administration de Trump de taxer les importations en provenance de la France. Pour faire simple l’état français aimerait garder un atout dans sa manche en “interdisant” à LVMH de racheter une société américaine. Tout ceci bien sûr en totale contradiction avec les valeurs et règles d’une économie de marché qui interdit à un état de se mêler d’affaires relevant du droit commercial privé qui à priori dans le cas précis n’enfreint aucune norme légale.
L’art de la négociation pour l’acheteur : faire traîner les choses et invoquer l’imprévu
Je soupçonne presque M. Arnault qui possède une longe histoire de “négociations” dans le rachat de sociétés d’être un adepte des méthodes chinoises. Un bon homme d’affaires chinois vous fait toujours croire que vous avez conclu la négociation, lorsqu’il vous sort un nouvel élément du chapeau qui remet les compteurs à zéro et en règle générale lui permet de faire craquer son adversaire. Il semblerait que M. Arnault ait adopté cette méthode très efficace de l’effet de surprise dans une négociation qui permet de mettre KO un adversaire qui se voit déjà en train de sabrer le champagne.
Alors que les actionnaires de Tiffany se voit probablement déjà avec une plus-value de leurs comptes en banque, LVMH décide de stopper les négociations en invoquant la fameuse lettre de M. Le Drian – le ministre bien-intentionné – et le fait qu’elle ne pourra pas répondre aux interrogations des autorités de la concurrence, notamment celles de l’union européenne en temps et en heure. A souligner que la vitesse de réponse du groupe français aux autorités européennes relève plus de la lenteur helvétique que de la précipitation française.
Les conséquences du non-rachat de Tiffany par LVMH sur le monde du luxe
Je vous rassure tout de suite sur le fait que LVMH ira au bout de sa démarche et qu’elle attrapera sa proie au “juste prix”. La longue liste des acquisitions faites par M. Arnault et son groupe depuis plus de 35 ans sont un garant d’efficience. A l’exception de Gucci où la famille Pinault – une autre famille française active dans le luxe avec le groupe Kering – a grillé la politesse à M. Arnault et le rachat avorté d’Hermès….. qui a rapporté à LVMH la bagatelle d’un milliard d’euros au passage, M. Arnault se lève toujours de la table de poker en tant que vainqueur.
Les conséquences du report de ce rachat sont multiples : Richemont voit s’éloigner dans l’immédiat la menace d’un concurrent très sérieux pour sa marque phare Cartier. Le plan de LVMH étant de “muscler” Tiffany et de faire monter la marque en gamme de prix et de prestige. La stratégie de LVMH est intelligente, car elle lui permet de protéger par le bas sa marque Bulgari qui cartonne dans une gamme similaire à celle de Cartier, mais qui a des ambitions pour monter en gamme. Et surtout LVMH prend des parts de marché dans la joaillerie qui possède une structure encore fortement atomisée, car le fait d’avoir des marques fortes est encore récent. Historiquement beaucoup de bijouteries faisaient produire leurs propres bijoux ou possédaient leurs propres ateliers. Cartier a été le premier acteur de la joaillerie qui est devenu une marque transversale et qui a commencé à établir des produits iconiques facilement identifiables et donc porteurs de statut social.
Epilogue : tout le monde gagne comme à l’école des fans… sauf la proie
Le vendredi 11 septembre 2020 la banque américaine Morgan Stanley publie un rapport sur les bonnes performances de produits de luxe sur le marché US qui fait immédiatement grimper les actions en bourse des acteurs du luxe. Le rapport rédigé par son département de recherche sur l’industrie du luxe et intitulé sans équivoque “Not just a China story” et qui dit que malgré le fait que les chinois seront les contributeurs de 90% de la croissance de valeur de l’industrie du luxe dans les cinq prochaines années (estimation Bain Altagamma), le marché américain se porte bien ! Et le marché américain est toujours extrêmement important pour le luxe qui y gagne plus d’un dollar sur cinq (22%). Et c’est là où nous retrouvons Tiffany qui était plutôt à la peine depuis le début de la crise du Covid avec des ventes en baisse de 29% au dernier trimestre, se reprendre depuis début août avec une légère croissance des ventes. Comme Tiffany dépend fortement des ventes sur le marché américain (43% de son chiffre d’affaires) elle profite de façon surproportionnelle de cette croissance. Donc logiquement son cours devrait augmenter…. sauf qu’il baisse ! Mais pendant ce temps LVMH a augmenté sa valeur boursière de 7 milliards d’euros depuis l’annonce de “l’abandon” des négociations avec Tiffany. Tous les groupes de luxe ont d’ailleurs connu une augmentation substantielle de leur valeur en une journée selon un article de Bloomberg (réservé à leurs abonnés) intitulé “LVMH, Hermes Gain as Morgan Stanley Sees Rosier Luxury Outlook”.
Les chiffres des exportations horlogères suisses publiés ce matin par la FHS parlent pour eux-mêmes : 82% de baisse pour les montres pour le seul mois d’avril et un recul de 26% depuis le début de l’année ! Comment expliquer cette baisse historique, brutale et d’une ampleur qui fait craindre le pire pour une année qui s’annonçait déjà catastrophique après le premier trimestre ?
Le communiqué de presse de la FHS du jour qui mentionne “Les détails de cette baisse généralisée ne revêtent pas d’intérêt particulier – à la seule exception de la Chine – dans la mesure où elle reflète un blocage exceptionnel plus qu’une évolution de la demande” doit sonner comme une gifle aux oreilles des sous-traitants qui enregistrent une baisse de 1,8 million de montres en moins produites !
Une pandémie qui agit comme un vecteur accélérateur d’une décroissance annoncée
La crise du Covid19 servira de base d’explication, mais ne suffira pas pour tout comprendre dans une crise qui annonce la pire année de l’horlogerie suisse depuis les années de l’après-guerre. Il est difficile de comparer des statistiques en valeurs, mais les quantités exportées cette année devraient nous ramener aux volumes de ventes des années 1947-48 avec 14,5 millions de montres vendues. Et encore il s’agit d’une estimation prudente de ma part qui chiffre la baisse attendue en 2020 à 30% ce qui nous ramènerait à 14 millions de montres et un chiffre d’affaires à l’exportation de CHF 15 milliards et qui correspondrait à 2010. D’ailleurs mon pronostic consiste à dire que 2021 verra le retour à la croissance, mais que nous mettrons 10 ans à retrouver les volumes de ventes de 2019.
La pandémie du Covid19 et l’arrêt total des activités économiques à travers la planète ont créé une situation inédite qui ont vu les chaînes d’approvisionnement et les marchés s’arrêter brutalement et en même temps. Si les affaires des marques horlogères suisses avaient plutôt bien débuter l’année pour certaines avec des chiffres en hausse par rapport à 2019, l’arrêt complet de la Chine juste avant le nouvel an chinois dans la 2ème semaine de février a servi de signal d’alarme. Si le mois de janvier avait encore connu une forte progression de presque 10%, le mois de février à -9% et surtout mars à -22% annonçaient des temps plus compliqués pour les ventes de montres.
Une conjonction d’éléments conjoncturels et structurels donne toujours un mix létal pour une économie
Personne ne pouvait prévoir une telle catastrophe pour l’économie où la gestion de la santé publique a pris le pas sur les intérêts économiques dans presque tous les pays du monde. Mais il ne faut pas non plus tomber dans la facilité de vouloir expliquer tous les problèmes de notre industrie par un élément conjoncturel dramatique, jamais vu depuis les années 1930. Aucune crise rencontrée par notre industrie ne tient la comparaison, car même la crise du quartz qui a duré presque dix ans de 1975-84 aura eu un effet aussi dévastateur sur une industrie pourtant habituée à devoir affronter des défis majeurs depuis les années 1830. Même si l’impact sur l’emploi sera – espérons le ! – moindre dans cette crise, car aujourd’hui beaucoup d’opérations nécessaires dans la fabrication sont assurées par des machines, voire robotisées dans certains cas. La crise du quartz a vu l’anéantissement de plus de 56’000 emplois en l’espace d’une quinzaine d’années. L’industrie horlogère suisse comptait 59’000 emplois fin 2019 et je pense que malheureusement d’ici la fin de cette année nous verrons 5-6’000 emplois disparaîtrent principalement dans la sous-traitance qui subit de plein fouet la chute vertigineuse des volumes de montres : moins 3,1 millions l’année passée et probablement encore une fois le double cette année !
Les éléments structurels qui sont en train de disrupter l’industrie du luxe en général sont :
les smartwatches, dont Apple est le leader mondial incontesté, se sont vendues à 14 millions d’unités au premier trimestre de cette année… 14 millions sera probablement le nombre de montres vendues par l’horlogerie suisse pour l’année !
les marques fashion d’entrée de gamme qui rendent la vie difficile aux montres Swiss made dont on se demande s’il est aujourd’hui encore un critère de sélection dans cette gamme de prix.
les changements culturels et générationnels par rapport à un objet qui dans l’absolu peut-être considéré comme obsolète par rapport à son utilité réelle
Un avenir radieux pour peu de marques
Au risque de me répéter, l’industrie horlogère suisse est basée sur peu de marques qui surperforment depuis des années et qui vont profiter des difficultés rencontrées par beaucoup de marques.
5 marques se partagent 50% du marché
28 marques génèrent 90% du marché
En plus de ces quelques marques qui font partie du peloton de tête de l’horlogerie suisse quelques marques de niche se sont créées des positions fortes dans un segment de marché.
Pour survivre une marque devra soit faire jouer les muscles avec des investissements en communication massifs ou être forte dans une niche. Mais dans les deux cas il faut une vision long terme pour passer les écueils, les crises et rester serein dans la tempête.
Morgan Stanley a publié sa liste du Top 50 des marques horlogères suisses1 en collaboration avec LuxeConsult. Le rapport est très attendu par la communauté financière et horlogère pour diverses raisons. Les CEO des marques sont bien sûr intéressés par leur position dans la liste et surtout celles de leurs concurrents supposés.
Pour évacuer tout malentendu et en liminaire, le but principal de ce rapport est d’identifier les parts de marché et la dynamique de celles-ci. C’est-à-dire de savoir qui gagne et qui perd.
La deuxième remarque est que les chiffres sont basés sur 2019 et nous avons tenu compte de l’effet dévastateur du Coronavirus pour les projections 2020 qui seront forcément très mauvaises pour tout le monde.
Leçon #1 : la polarisation de l’industrie s’est accélérée
Le premier rapport publié avec Morgan Stanley en 2018 avait déjà mis en évidence que seulement 7 marques étaient milliardaires en chiffres d’affaires. Cette situation n’a pas changé en 2019 à la difference qu’Audemars Piguet est passée à la 6ème place de ce club très exclusif. La polarisation entre très peu de marques qui surperforment et une immense majorité de maisons horlogères qui sont au mieux en stagnation et au pire en perte de chiffres d’affaires année après année.
Il y a une seule marque qui rejoindra probablement en 2020 – sauf si la conjoncture actuelle l’en empêche – ce club très exclusif des Milliardaires, Richard Mille. Cette remontée au classement de la 19ème à la 8ème place n’est pas seulement le fruit d’une stratégie marketing implacable, mais surtout l’intégration du chiffre d’affaires dans ses propres boutiques mono marque. La marque a fait une croissance organique de 20% en passant de CHF 300m à CHF 360m de chiffres d’affaires, mais le reste de l’augmentation à CHF 900 millions provient du fait que le chiffre d’affaires de ses boutiques (42 dans le monde) est dorénavant consolidé dans les comptes de la marque.
Le classement est mené par les sept champions qui ont – à une exception près, Tissot – progressé au niveau de leurs ventes. Sur l’ensemble des marques analysées, 50% ont progressé, mais 30% ont reculé et parfois de façon significative.
Le graphique ci-dessous (basé sur les chiffres d’affaires détaillants) démontre de façon impressionnante la suprématie de la marque à la couronne qui détient à elle seule presque un quart du marché de la montre suisse ! Rolex (23,4%) et sa marque sœur Tudor (1,4%) que l’on retrouve à la 20ème place du classement avec CHF 310m de ventes.
Leçon #2 : les marques indépendantes performent le mieux ou “the winner takes it all”
L’industrie horlogère suisse est probablement le seul segment du luxe dans lequel les marques indépendantes performent mieux que celles détenues par des groupes cotés en bourse.Le top 4 du classement des indépendants est composé de Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet et Richard Mille qui ont généré un chiffre d’affaires cumulé de CHF 8,7 milliards ce qui représente 35% du marché ! Et ces marques ont réalisé chacune leur meilleur exercice de leur histoire en termes de ventes et de profitabilité.
Ceci est à comparer avec les 55% détenus par les quatre groupes – Swatch Group (17 marques), Richemont (11), LVMH (6) et Kering (3) – et leurs 37 marques.
Leçon #3: les profits sont encore plus concentrés sur un nombre très réduit de marques
L’estimation faite par Morgan Stanley x Luxeconsult est de CHF 5,3 milliards d’EBIT2 générés par l’ensemble de l’industrie, dont 59% sont le fruit des 4 marques indépendantes citées plus haut ! Pour faire court et résumer ces quatre marques :
Croissent plus vite que le reste de l’industrie et gagnent des parts de marché
Et elles sont plus profitables, car nous estimons leur marge EBIT en moyenne à 35% avec Richard Mille au-delà des 40%
Les quatres groupes cotés en bourse (Swatch Group, Richemont, LVMH et Kering) doivent se contenter de 39% de la marge générée pour l’ensemble de l’industrie. En prenant leurs part de marchés cumulées à 55% des ventes totales leur profitabilité au niveau de chaque marque est nettement inférieure à celle des quatre marques susmentionnées.
Alors que reste-t-il pour les autres ? Pas grand-chose à vrai dire…. 90% des ventes et surtout 98% des profits sont contrôlés par 41 marques (4 indépendants + 37 marques de groups).
Quelques hypothèses sur le futur de l’horlogerie Suisse
Nous estimons le marché de la montre Suisse à un peu plus de CHF 50 milliards (valeur des ventes au détail) avec une croissance en 2019 de 2,6% des exportations (statistiques des exportations de la fédération horlogère suisse). En constatant la hausse constante du prix moyen des montres vendues et surtout la chute abyssale du nombre de montres suisses vendues l’année passée (-3,1 millions d’unités), on peut aisément conclure à un repli d’un grand nombre de marques suisses dans une niche très haut de gamme.
L’horlogerie Suisse est toujours maître du jeu sur le marché mondial de l’horlogerie et détient encore 53% en valeur, mais que 2% du volume. La baisse de 13% (3,1 millions de montres) des volumes l’année passée est concentrée sur tous les segments de prix inférieurs à CHF 2’000 prix d’exportation correspondant à CHF 5’000 prix public. Les montres de cette categories ont perdu des parts de marché en valeur et en quantités.
La baisse reflète une décroissance ininterrompue depuis 20 ans (2000, 29 millions d’unités vendues), mais fortement accélérée en 2019 (20,6 millions).
L’industrie horlogère Suisse devrait se focaliser sur le fait qu’elle perd continuellement des parts de marché dans l’entrée de gamme jusqu’au milieu de gamme. La retraite vers le haut ne peut pas être la solution pour toutes les marques. Il faut affronter la concurrence dans l’entrée de gamme et notamment les montres connectées, dont Apple est le leader incontesté avec une croissance de 36% l’année passée et plus de 30 millions d’Apple watches vendues3 !
Quelque va se réveiller et devenir la nouvelle Swatch !
Hypothèse #2:
Les marques fortes génèrent une dynamique vertueuse. Le milieu de gamme (Longines, Tudor et Tissot), le premium (Rolex, Omega, Cartier, IWC, TAG Heuer, Breitling) et le haut de gamme (Patek Philippe, Audemars Piguet, Richard Mille) sont chacun dominés par des fortes à forte notoriété. Ces maisons horlogères sont capables d’investir dans leur communication, l’innovation produits et l’intégration de leur réseau de distribution (pour ce dernier point avec les exceptions de Rolex et Patek Philippe).
Hypothèse #3:
Les agglomérations de marques fortes créent des appels d’air pour des niches. A côté des marques citées plus haut à titre d’exemples des sous-segments de marchés vont devenir suffisamment intéressants pour des concepts plus pointus.
Les artisans horlogers ou signatures de créateurs (ex. un designer qui signe ses montres) : ils produisent des quantités extrêmement faibles de montres, parfois moins que 50 pièces par année. Ils vendent en grande partie directement au client final (le fameux DTC « direct-to-consumer ») et engrangent la totalité de la marge tout en ayant un dialogue direct avec leurs clients. On peut citer Kari Voutilainen, Rexhep Rexhepi ou De Bethune comme les meilleurs exemples et Philippe Dufour comme l’horloger ayant ressuscité “l’horlogerie soignée” dans les années 1990.
Les micro-marques avec un « story-telling » cohérent avec leur territoire de marque. MB&F et son fondateur Max Büsser ont su créer ce genre de concept avec chaque année une nouvelle montre éditée en série limitée et développée en partenariat avec l’un des horlogers susmentionnés. Le but n’étant pas de créer une collection permanente, mais de faire comme dans la haute joaillerie des pièces uniques ou fortement limitées en quantité. Le design des montres ne suit pas une identité de marque, mais un fil rouge qui dans ce cas est la création d’un instrument du temps tri-dimensionnel avec une interprétation unique et innovante de l’affichage du temps.
Les initiatives de crowdfunding4 et crowdsourcing5. Le meilleur exemple récent et suisse étant Code41 qui a démarré son projet avec comme leitmotiv la transparence sur les origines de ses composants (TTO / Transparence totale sur l’origine). L’équipe de projet a décidé de communiquer dès le début en toute transparence sur l’origine des composants, même s’ils sont par exemple chinois. Leur initiative produit la plus intéressante à mes yeux à été de lancer une montre avec un mouvement fait 100% en Suisse et dont le coût compte pour 87% dans le prix de revient total. Ils ont fait le choix – payant vu les ventes phénoménales à leur taille – de prendre un mouvement fabriqué par une manufacture de mouvements totalement indépendante – Timeless, plutôt que de banaliser le produit en prenant un mouvement ETA ou Sellita qui aurait certes coûté beaucoup moins cher, mais qui aurait été aussi beaucoup moins unique.
Un autre exemple de l’utilisation intelligente des réseaux sociaux et du big data récoltés sur les clients potentiels (comme chez Code 41) est Daniel Wellington. Car ce n’est certainement pas le produit qui a fait la différence… mais le dialogue avec un public cible sur Instagram notamment. Un succès phénoménal pour une marque lancée en 2011 et qui a vendu en 2018, 2,5 millions de montres. Le succès est déjà en diminution, mais le fait est que toutes ces montres ont été vendues au détriment de montres Swiss made, notamment de Swatch qui propose des montres nettement plus intéressantes. Le facteur critique ici n’est pas le produit, mais la façon d’engager un consommateur sur les codes d’une marque.
Et finalement les marques de modes qui étendent leur proposition horizontalement avec des montres dont le positionnement prix correspond à leur clientèle. La montre est vue comme un accessoire au même titre que le parfum que l’on vend à la caisse. De bons exemples de cette stratégie sont Ck Watches (licence anciennement exploitée par Swatch Group), Guess ou Diesel.
Cette année va extrêmement compliquée pour toute l’économie et l’ensemble des marques de luxe. Au risque de me répéter, le deuxième semester ne permettra pas de compenser les chutes abyssales sur l’ensemble des marchés et de la Chine en premier lieu. Beaucoup de marques avec une assise financière déjà fragile avant le Coronavirus vont disparaître et mon estimation est que d’ici fin 2020, 30 à 60 marques horlogères Swiss made auront définitivement « tiré la prise ». Avec tout le respect dû aux victimes de cette pandémie, je pense que cette crise aura deux effets positifs majeurs sur notre industrie :
De remettre en question notre dépendance à un seul marché, la Chine et ses marchés connexes (les achats de touristes chinois).
Et de chercher des alternatives aux fournisseurs chinois pour la fabrication de composants horlogers, dont certaines marques – dites Swiss made – abusent en toute impunité. Il ne s’agit pas de passer d’un extrême à l’autre du jour au lendemain, mais de repenser les fondamentaux d’une industrie en incluant les fournisseurs suisses qui sont les « faiseurs » !
Ce rapport est réservé aux clients de la banque Morgan Stanley
EBIT : Earnings Before Interests and Taxes; bénéfice de l’entreprise avant soustraction des intérêts dus aux créanciers et aux actionnaires (dividende) et les taxes et impôts.
Finalement nous terminons l’année sur une note positive avec un mois de décembre qui a vu une croissance de 5,8% en valeur et qui clôture l’année avec un léger plus de 2,4% pour CHF 21,6 milliards de produits horlogers suisses vendus dans le monde.
Ce qui est par contre beaucoup plus inquiétant est la baisse drastique et ininterrompue des volumes de montres vendues ! En 2019 l’industrie horlogère suisse a vendu 20,4 millions de montres, soit une baisse de 3,1 millions d’unités sur une année ! L’essentielle de la baisse se concentre sur les montres à mouvements quartz avec une baisse de 2,8 millions d’unités, mais même les montres mécaniques connaissent une baisse de volumes avec une perte de 290’000 montres vendues en moins !
Une conjugaison de problèmes conjoncturels et structurels
Les chiffres positifs du mois de décembre ne sont malheureusement pas le reflet des ventes aux consommateurs finaux, mais le réassort effectué en vue du nouvel an chinois et de la fameuse semaine de congé qui engendre une frénésie d’achats notamment de produits de luxe. Il s’agit traditionnellement de la meilleure période de ventes pour l’ensemble du secteur du luxe, car comme nous le savons les clients chinois représentent aujourd’hui plus d’un tiers du marché mondial du luxe. Or manque de chance, les chiffres de ventes en Chine et ailleurs vont être catastrophiques dû au coronavirus qui est en train de paralyser l’activité économique chinoise. Car il est certain qu’en interdisant les voyages d’une soixantaine de millions de personnes, le pouvoir chinois a choisit de prendre le problème à bras le corps, mais en prenant aussi le risque d’étouffer les ventes du nouvel an chinois.
Le problème structurel est que l’offre suisse pour l’entrée et le milieu de gamme inférieur ne correspond visiblement plus à la demande d’une grande partie des acheteurs potentiels. Il y a une inadéquation grandissante entre une jeune génération de clients qui soit ne portent plus de montres ou alors des montres connectées. Comment doit-on recréer l’envie d’une nouvelle génération pour un objet porteur de valeurs culturelles liée à la mesure du temps ? Même si l’horlogerie suisse garde le haut du pavé avec une part de marché mondiale de 53% des montres vendues en valeur, mais que 2% en volume (20 millions sur 1 milliard), on peut se dire que sa marge de progression est énorme même à côté des montres connectées. L’addition des 20 millions de montres suisses et des 68 millions de montres connectées vendues l’année passée dans le monde (dont 28 millions d’Apple Watch !) laisse augurer d’un potentiel phénoménal à (re-)conquérir !
Le haut de gamme ne suffira pas à sauver une industrie
Le tableau ci-dessous illustre à la perfection l’inquiétante évolution de l’horlogerie suisse qui se réfugie dans une niche du haut de gamme avec une croissance uniquement dans les gammes de prix supérieurs à CHF 2’000 prix export, soit l’équivalent de CHF 5’000 prix public. Et comme par hasard c’est là où l’on retrouve plusieurs des rares marques qui ont encore de la croissance comme Omega (prix moyen estimé CHF 6’500) ou Rolex (prix moyen estimé CHF 12’000).
Cette croissance dans le haut de gamme est trompeuse, car elle pourrait faire penser que le salut ne viendra que par une croissance des prix. Comme expliqué notamment dans un précédent article, la disparition des volumes de production est un problème structurel majeur pour toute une industrie qui ne pourra plus occuper correctement ses moyens de production, ni amortir correctement ses frais de recherche et développement.
Les menaces conjoncturelles sont multiples et variées et font craindre une année très compliquée, notamment pour l’industrie horlogère suisse :
Entre un franc fort qui se rapproche à nouveau de la parité par rapport à l’euro (CHF/EUR 1,07 ce matin, +6% en 1 an)
des cours de l’or qui s’envolent et renchérissent les coûts de production justement dans le haut de gamme qui continue de surperformer (CHF 49’600/kg ce matin, +17% en 1 an)
le principal marché d’exportation, Hong Kong, qui perd 11% en 2019 en sell-in* qui ne représente pas les quantités vendues au client final, mais les quantités livrées aux distributeurs et détaillants. On estime que le sell-out** , qui sont les ventes des boutiques aux clients finaux, a baissé dans les boutiques hongkongaises de 60%, voire plus !
Une autorité de surveillance de la concurrence – la bien mal nommée COMCO – suisse qui vient d’engendrer une terrible pagaille en interdisant au Swatch Group et sa filiale ETA de livrer ses principaux clients tout en l’obligeant à livrer des PME.
des montres connectées et surtout Apple (35% de parts de marchés sur les 68 millions de montres connectées vendues en 2019 à travers le monde) qui menacent l’entrée de gamme et milieu de gamme inférieur de l’horlogerie suisse.
Un réveil qui risque d’être brutal pour tout une industrie
Heureusement nous avons un peloton de tête de marques qui continuent de gagner des parts de marché au détriment d’une myriade de petites marques. D’un côté des “block-busters” comme la Royal Oak d’Audemars Piguet et la Nautilus de Patek Philippe et de l’autre des micro-marques qui tentent péniblement de survivre. Une polarisation entre les champions qui captent plus de 90% de parts de marché (une trentaine de marques) et les autres (plus de 300 marques) qui se partagent moins de 10% du marché !
Il faut que l’industrie horlogère s’unisse pour créer un message commun et identitaire et défende ses valeurs sur les marchés mondiaux. Une voie serait de nommer un porte-parole de l’industrie – M. Horlogerie – qui s’emploie à promouvoir les valeurs d’une branche économique qui porte – avec le chocolat, le tourisme et l’industrie dans sa globalité – une image positive d’un petit pays qui ne doit sa prospérité qu’à ses exportations ! Une idée lancée par le journaliste du quotidien Le Temps et que je soutiens pleinement.
*sell-in : les quantités de montres exportées et vendues aux intermédiaires grossistes ou détaillants et qui représentent le stock tampon pour parer aux délais de livraison.
** sell-out : les quantités de montres vendues aux clients finaux, soit par la marque en direct ou par ses concessionnaires.