Le business model de l’horlogerie en pleine mutation digitale

Cet article a pour but de décrire la genèse – très succincte – de l’e-commerce et son adoption par l’industrie du luxe. Dans un deuxième article je traiterai du changement de modèle d’affaires pour l’horlogerie induit par la mutation digitale.

Pour entrer directement dans le vif du sujet, l’industrie horlogère de par ses codes et son histoire n’est pas forcément vue comme étant la plus innovante. Sa résilience lui a néanmoins permis de s’adapter aux crises et aux changements de règles du jeu. Le défi qui s’impose à elle aujourd’hui n’est plus simplement un changement de règles, mais un nouveau jeu (game changer) avec un changement de comportement lié aux technologies digitales et notamment les réseaux sociaux.

Le consommateur d’aujourd’hui veut à tout moment pouvoir consommer sans se lever de son divan en utilisant son smartphone ou sa tablette. Nul besoin de faire de grandes études scientifiques pour comprendre que les magasins se vident et que le e-commerce BtoC (business to consumers) se développe de façon exponentielle (+24% en 2016 à plus de 1’900 milliards de dollars).

Face à ce défi induit par un changement de comportement fondamental l’industrie du luxe dans sa globalité a longtemps cherché à arguer du fait que seule l’expérience physique pouvait décider un client à dépenser une somme à 5 voire 6 chiffres sur un objet de luxe. Aujourd’hui ces convictions sont obsolètes et des exemples récents de transactions à plusieurs milliers, voire centaines de milliers de francs rendent ce point de vue totalement obsolète (exemple : Aston Martin vendue pour 1 million de francs grâce à ApplePay ).

La naissance de l’e-commerce et son adoption par l’industrie du luxe

Comme toute technologie disruptive l’e-commerce progresse par paliers. Et ceux qui doutaient de la pertinence d’un nouveau mode de consommation doivent déchanter, car la progression de l’e-commerce est phénoménale en ampleur et en vitesse.

Je me souviens du démarrage de LeShop.ch et des commentaires narquois sur la pertinence de pouvoir commander ses bananes en ligne plutôt que de les acheter au supermarché du coin de la rue. L’adoption de ce nouveau mode de distribution fut lente et coûteuse pour les investisseurs. Aujourd’hui en observant le nombre de véhicules de livraison des enseignes d’e-commerce dans les rues en fin de journée on peut se rendre compte de l’ampleur du phénomène.

Lorsque vous induisez un changement de comportement chez le consommateur vous pouvez vous attendre rapidement à un développement de l’offre horizontale (une offre démultipliée) et verticale (la multiplicité de produits proposés). Vient s’ajouter à ceci la confiance dans un vendeur virtuel : pour la transaction et pour le service après-vente grâce aux améliorations technologiques. Et le phénomène des ventes flash qui permettent de contourner toutes les législations régissant les soldes pour les lieux de ventes physiques.

Comment le luxe peut-il s’adapter au nouveau mode de consommation digital ?

Après avoir observé avec intérêt les changements de comportement des consommateurs pour les biens de première nécessité et de masse (en première position l’habillement et les chaussures), l’industrie du luxe a commencé par décréter que le digital pouvait être au mieux une vitrine pour les produits, mais en aucun cas le lieu virtuel de la transaction de vente.

Puis les réseaux sociaux avec facebook, Instagram, etc. sont venus s’ajouter comme canal de communication des marques. A nouveau le consensus de la branche a été de poliment décliner le transfert du lieu physique (brick&mortar) au lieu virtuel de la transaction. Tout le monde peut se souvenir – et dans certains cas encore aujourd’hui observer – les pop-ups sur certains sites internet qui expliquaient clairement que les produits de la Maison de Luxe XY ne pouvaient être acquis qu’au travers des boutiques mono-marques ou des détaillants agréés.

Vint le moment décisif en 2002 où une marque de luxe aussi iconique qu’Hermès décida d’ouvrir son premier site de e-commerce dans un premier temps uniquement pour les clients aux USA. Certes l’offre était réduite à un marché et à certains produits excluant les produits de grand prestige (les sacs à main), mais l’expérience s’est révélée être un véritable succès. D’autres maisons de luxe ont eu la main moins heureuse comme LVMH qui avait tenté l’expérience avec une offre très important sur le site eLuxury. Le site a été fermé après avoir essuyé d’importantes pertes. Le groupe Richemont cherche à renouveler l’expérience en proposant à ses concurrents directs Kering et LVMH de participer à sa plateforme Net a porter en espérant atteindre une masse critique. (https://www.letemps.ch/economie/2015/06/09/richemont-veut-collaborer-lvmh-kering ). En observant la rubrique des Montres sur ce site on comprend immédiatement que même les marques du groupe Richemont n’y croient pas et dans le meilleur des cas on y trouve les « rossignols » de la collection….

Depuis les Maisons de luxe ont commencé à essayer de comprendre pourquoi l’e-commerce représente « uniquement » la finalité d’une démarche liée à une ou des technologies (transactions démonétisées, blogs, réseaux sociaux, etc.). A partir de ce moment les acteurs du luxe ont commencé à essayer de comprendre pourquoi le « nouveau » consommateur voulait avant tout découvrir le pourquoi et le comment (les valeurs) avant de simplement aller commander un article de luxe dont il connaissait déjà tous les détails. L’expérience est aujourd’hui le principal motivateur ou déclencheur de l’acte d’achat pour la génération Y ou Millenials.

On l’aura compris le seul moteur de croissance pour l’industrie du luxe est le canal numérique qui a permis à cette industrie de croître de 4% l’année passée (source : Bain & Co. Bain Company ) et qui devrait croître encore cette année, malgré de fermetures de points de ventes physiques, notamment en Chine.

Les enjeux pour les Maisons de luxe

L’équation pour une marque de luxe consiste :

  • à établir un fil rouge entre sa présence physique et digitale: par exemple ne plus voir l’application iPhone de la marque comme un simple gadget, mais plutôt comme un canal de communication et de ventes – réactif et interactif – avec ses clients.
  • à trouver un savant équilibre entre son e-commerce et ses lieux de ventes physiques, principalement les boutiques mono-marques.

Ne pas avoir de présence sous une forme de e-commerce revient à abandonner internet comme canal de distribution aux acteurs du marchés gris. Car le client potentiel qui aura suivi une campagne promotionnelle sur le net ira instinctivement chercher le produit en « Googlant » et fort est à parier qu’en tête de liste sortiront tous les sites de ventes parallèles (marché gris ou noir selon le point de vue).

En résumé le défi de l’industrie du luxe consiste aujourd’hui à reporter l’expérience émotionnelle, nécessaire au déclic d’un achat totalement irrationnelle, d’un contact physique à un contact (engagement) digital.

Olivier R. Müller

Passionné de mécanique et de design, Olivier R. Müller évolue dans le monde de la haute horlogerie depuis 25 ans. Au fil de son parcours, il a acquis de solides compétences en management et en développement de produit auprès de prestigieuses maisons horlogères suisses en évoluant à des postes clés. Aujourd’hui il conseille dans le cadre de LuxeConsult des marques horlogères institutionnelles ou niches dans leur stratégie marketing.

Une réponse à “Le business model de l’horlogerie en pleine mutation digitale

  1. Merci Oliver pour ce papier très intéressant, qui illustre à merveille la mutation digitale qui s’opère dans tous les secteurs, y compris dans le luxe.
    Néanmoins, permettez-moi d’apporter un bémol à cette course effréné à l’e-Commerce que se livrent les acteurs de la haute horlogerie et les risques qu’ils encourent:
    Outre les aspects réels liés à la sécurité et à la contrefaçon (surtout en Asie), comment les marques horlogères répondront aux problématiques suivantes?
    1. La distribution horlogère, disons les choses, s’effectue en (très!) large proportion via du discount, que ce soit par les mono marque ou par les distributeurs.
    2. Les (quelques) montres non soumises à mon premier point sont des pièces rares et/ou chères et/ou indisponibles.
    3. La clientèle de ces produits pratique leurs achats en detax et là ou le positionnement prix est le plus avantageux (je vous invite à consulter notre app MrIndex dans ce sens http://urlz.fr/5zO8).
    Aussi, le digital est un outils marketing formidable, que ce soit de communication, d’image ou d’information. Il est et sera créateur de trafic pour les marques et donc générateur de ventes… au sein du réseau de distribution officiel des marques!
    Enfin et dans la suite de mon résonnement, je suis en désaccord avec votre dernier point: un client ayant accepté les règles du jeu de l’e-Commerce ira instinctivement sur les sites des marchés parallèles en y privilégiant le prix. Entrer sur leur terrain c’est légitimé leur modèle.

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