Le scalpel de l'histoire

Le coronavirus: un appel à l’autoritarisme? L’avis de Tocqueville

Au milieu des temps troublés que nous traversons, une sorte de désir d’autorité semble circuler dans la population aussi insidieusement que le virus qui nous obsède. Il est évident qu’une pandémie, comme la guerre, exige une direction unifiée des opérations au risque d’aggraver le chaos que la situation va créer d’elle-même. Mais ce besoin logique d’autorité se double d’un étonnante nostalgie de régimes qui sauraient ne pas s’embarrasser de procédures lourdes et lentes, alors que la situation nécessiterait rapidité et esprit de décision. D’un appel légitime à des mesures puissantes, on glisse doucement vers le souhait d’une autorité bien visible…

Qui s’acharne contre le fédéralisme comme facteur présumé de lenteur, qui s’offusque d’une mise en œuvre trop progressive des mesures de contrainte, qui va même jusqu’à louer l’efficacité « chinoise »… Stupéfiant aveuglement lorsque l’on se souvient que l’ampleur de la pandémie résulte notamment de l’art du mensonge et du secret si savamment cultivé par les dirigeants de Pékin… et de l’impéritie qui règne dans la gestion des marchés d’animaux vivants dans l’Empire du Milieu !

Mais c’est un fait, indubitable : les démocraties réagissent avec une lenteur désarmante face au péril… tout en rêvant de mesures tranchées et impératives ! En 1914, le conseiller national et rédacteur de la Gazette de Lausanne Edouard Secrétan pestait déjà contre le désespérante inclination de ses concitoyens, lorsque l’heure du danger a sonné, à évincer la démocratie au profit d’une dictature qu’ils ne pourraient s’empêcher d’admirer, si naïvement. Un penseur illustre du XIXe siècle avait déjà réfléchi sur l’attitude des démocraties confrontées à des situations exceptionnelles : l’aristocrate normand Alexis de Tocqueville.

Dans le second volume de sa Démocratie en Amérique, publié en 1835, il examine le comportement des démocraties propulsées dans un état de guerre. La comparaison vaut évidemment pour la guerre « sanitaire » dans laquelle nous sommes désormais plongés. Et son constat est accablant. Les sociétés démocratiques, fascinées par la recherche du bien-être de leurs habitants, se désintéressent, en temps de paix, des questions militaires. Tous leurs efforts sont concentrés sur l’industrie et le commerce : c’est vers eux que filent toutes leurs ressources financières et intellectuelles. Le domaine militaire est laissé à l’abandon ou confié à des gens qui n’auraient pas trouvé leur place dans la société « productive »….

Ce n’est donc pas elles qui vont déclarer la guerre à un autre Etat. Elles devront toujours subir les provocations d’Etats autoritaires qui, eux, ne vivent que par et pour la guerre, jusqu’à, peut-être l’inéluctable. Et si celui-ci survient, les démocraties y seront catapultées dans un état d’impréparation redoutable. C’est ce qui s’est passé en 1914 et en 1939 en des heures dramatiques que Tocqueville avait décrites un siècle auparavant… Le résultat est toujours le même et le futur éphémère ministre des affaires étrangères français l’avait analysé avec perspicacité : les démocraties commencent toujours par perdre. De nouveau, 1914 et 1939 confirment hélas le diagnostic.

Les choses ne changeront que progressivement. Une fois le dos au mur et le premier choc passé, les démocraties vont se ressaisir, se réorganiser, déployer leur formidable énergie vers que ce qui est devenu le nouvel objectif politique et social, plus précieux que tout : la victoire contre l’ennemi. Et elles réussiront, prophétise Tocqueville, avec une préscience que l’histoire valdera ! Grâce à leur amour de la liberté, à l’initiative individuelle qui les caractérise, les sociétés démocratiques sauront renverser un sort contraire.

L’après-coronavirus ressemblera sans doute aux périodes sombres que notre continent à traversées. Oui, nos démocraties occidentales ont répondu avec une apparemment déprimante mollesse aux premiers assauts de l’infâme bestiole. Mais comment auraient réagi les gens si les autorités politiques, en Suisse ou ailleurs, avaient proclamé beaucoup plus vite l’état de siège ? Avec rejet, se hasardera-t-on à pronostiquer… Nous vaincrons cependant le coronavirus, apprendrons de nos erreurs, saurons réadapter nos processus décisionnels face à des événements aussi extraordinaires. En ayant tenté de préserver la douce vie démocratique jusqu’au dernier moment avant d’agiter le tocsin, et en faisant tout pour la restaurer après !

Pendant ce temps, la Chine s’enfoncera dans sa logique totalitaire, dévoilant jour après jour son angoissante fragilité… Sa solidité n’est-elle pas fondée sur un consumérisme effréné, destiné à détourner les esprits des turpitudes du régime communiste ? Un regret cependant : nous avons oublié que Taiwan et la Corée du Sud sont elles aussi des démocraties qui fonctionnent bien : nous aurions pu observer plus attentivement leur combat contre le virus.

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