Le scalpel de l'histoire

Fédéralisme et coronavirus: il faudra chercher un autre bouc émissaire

Il fallait s’y attendre… A peine le Conseil fédéral avait-il achevé sa conférence de presse du 13 mars que les commentaires ont fusé de toutes parts : si une certaine cacophonie a régné, et continue dans une certain mesure à régner, face aux mesures à prendre pour enrayer la propagation de la pandémie, c’est à cause du fédéralisme, qui empêcherait une conduite centralisée des opérations !

Non, Mesdames et Messieurs, le fédéralisme n’est pas coupable ! Je me porte en faux contre ce réflexe si courant sous nos latitudes et consistant à désigner le fédéralisme dès que l’on croit dépister un défaut dans l’organisation si fine de notre Etat fédéral. Au contraire, serais-je même tenté de dire ! C’est vrai qu’il offre tous les atours du bouc émissaire idéal : il impose la concertation avec un grand nombre d’acteurs politiques, oblige à écouter des sensibilités pas forcément audibles dans les bureaux d’une administration centrale… et ralentirait donc les processus décisionnels en entamant leur efficacité présumée. Voilà pour l’argumentaire classique psalmodié par les analystes biberonnés aux vertus souvent fantasmées du centralisme.

En réalité, accabler le fédéralisme dénote plutôt une certaine paresse. Certes le fédéralisme interdit au pouvoir central de décider dans son coin. Le gouvernement est en effet soumis à un certain nombre de contraintes. Il doit respecter les droits du Parlement, du peuple et des cantons. C’est beaucoup, mais c’est son lot quotidien. Et la question se pose bien sûr : cet étage « cantonal », vilipendé par les uns, loué par les autres, constitue-t-il un handicap alors que les circonstances exigent des décision fortes et parfois impopulaires ?

Et si le fédéralisme favorisait en réalité l’efficacité de la direction politique du pays ? En matière de fédéralisme, la comparaison avec l’étranger s’impose toujours. C’est peut-être banal de le rappeler mais nécessaire : les pays centralisés se sont-ils montrés plus percutants dans leurs décisions ? L’affirmer relèverait de la plus pure mauvaise foi. On peut estimer que le Conseil fédéral aurait dû (devrait ?) être plus directif, mais est-ce de la faute du fédéralisme ? La France, hypercentralisée, et l’Italie, malgré tout très centralisée, ne sont pas apparues sous leur meilleur visage, en tout cas au début de la crise…

Et l’Espagne direz-vous ? L’Espagne est un pays centralisé qui octroie, il est vrai, de larges prérogatives à ses provinces. Mais comme le mentionnait Le Temps du 16 mars, le « fédéralisme » local n’est qu’une arme politique entre les mains de l’irrédentisme qui caractérise certaines régions du pays. Basques et Catalans s’offusquent des compétences « scandaleuses » que s’arrogerait le pouvoir central au nom du droit d’urgence qu’il a proclamé. Dans ce pays, le fédéralisme devient une foire d’empoigne… au nom de luttes politiques inexpiables…

Rien de cela en Suisse. Le canton du Tessin, aux premières loges du désastre, a, nous a-t-on dit, exercé une intense pression sur le Conseil fédéral, pour l’accentuation de mesures. Il a été relayé dans ses revendications par d’autres cantons, que le gouvernement a dû finir par entendre. Les cantons avaient ainsi la possibilité de tester des mesures qui pouvaient inspirer leurs voisins. L’effet « laboratoire » du fédéralisme a bien fonctionné et le Conseil fédéral a pu prendre ses décisions selon le rythme qu’il estimait juste.

Oui, me rétorquera-t-on, mais le Conseil fédéral aurait dû agir avec plus de force. Il a dû procéder à une pesée d’intérêts, en tenant comptes de multiples considérations qu’il est inutile de rappeler ici. Comme n’importe quel gouvernement. Mais le fédéralisme donne une légitimité aux demandes des gouvernements cantonaux, dotés de larges pouvoirs, notamment dans la santé, et qui sont responsables devant la population. La cacophonie helvétique me réjouit plutôt et constitue aussi un bon moyen de préparer les gens à l’inévitable rehaussement des mesures de contrainte.

Le bilan de l’opération sera dressé après la crise, en Suisse et en Europe. Sans doute créera-t-on un système de gestion des crises épidémiologique nouveau, peut-être inspiré de ce qui a été mis en place à Taiwan ou en Corée du Sud. Ce qui est sûr pour la Suisse, à ce jour, c’est que le dysfonctionnement le plus gave, à jour, n’a pas eu lieu, à mon sens dans la coordination entre les cantons mais au sein de l’administration fédérale elle-même ! Est-ce normal que le patron des opérations dise une chose le 12 mars à 8 heures du matin… avant de se faire contredire quatre heures plus tard… par la direction de son propre office ? Heureusement le Conseil fédéral a remis bon ordre le lendemain de façon magistrale… Mais le cafouillage du 12 mars n’a rien à voir avec le fédéralisme !

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