LE MUSEE COMME MEDIATEUR DU SAVOIR HISTORIQUE

La Suisse est, dit-on, le pays qui connaît la plus forte concentration de musées en Europe. Il est vrai que rares sont les communes à ne pas posséder au moins une institution chargée de dévoiler ses trésors, artistiques ou historiques, à un public que l’on souhaite toujours le plus nombreux possible… mais qui peine parfois à se mobiliser tant l’offre est vaste.

On peut dès lors, et jusqu’à un certain point, comprendre celles et ceux tentés de déplorer cette abondance, les uns prétextant que l’argent dépensé pour ces musées serait mieux investi ailleurs, les autres se plaignant de la « muséification » de la Suisse qu’entraînerait cette pléthore de musées. Cet amas de musées figerait ainsi les esprits dans un passé bloqué, pétrifié, en les maintenant dans l’illusion que l’on peut se complaire dans la contemplation de notre « grandeur » alors que le monde, autour de nos, ne cesse de bouger.

Ces reproches, que l’on se doit d’entendre, passent cependant à côté du rôle du musée, surtout lorsqu’il a une vocation historique. Le musée n’a jamais eu pour mission de célébrer un passé révolu en magnifiant un conservatisme, de droite ou de gauche d’ailleurs, qui s’opposerait à un présent que d’aucuns jugeraient trop mouvementé, trop inquiétant. Non, un musée ne fait sens que dans sa capacité à illustrer le cheminement emprunté par nos prédécesseurs pour en identifier, à travers objets et témoignages visuels, les moments clés, pour « raconter » les étapes structurantes de la construction, sociale, politique, économique, d’une ville, d’un pays, d’une collectivité.

Si, heureusement, ce passé ainsi ressuscité pour le plaisir de l’œil ne détermine pas notre présent, à tout le moins il le marque d’un tatouage indélébile. Lui seul peut contribuer à éclairer les enjeux qui obstruent les routes de l’information continue qui forment notre quotidien. Mais loin de n’être que le miroir d’une société en train de s’observer dans son évolution, le musée fonctionne aussi comme un acteur de la recherche historique.

Il montre donc, et aide à comprendre. Il explique le passé par d’autres moyens : le « récit » qui se tisse au gré de salles d’exposition n’est pas le même que celui qui surgit d’un livre, il s’édifie sur un autre rythme, le compose par le truchement d’autres outils. Mais la tâche du musée historique va encore au-delà, souvent à l’insu du grand public. L’importance d’un musée ne se mesure pas seulement à travers les objets qu’il exhibe, mais aussi par les collections qu’il possède mais que, faute de place souvent, il ne peut installer dans ses vitrines.

Moins connu, ce travail muséologique de l’ombre n’en est pas moins primordial pour la recherche. Comment imaginer un récit historique sans une iconographie judicieusement choisie ? Or, les musées possèdent d’innombrables trésors qui, s’ils ne trouvent pas à se loger dans le parcours « officiel » des musées, sont largement utilisés pour des expositions temporaires ou pour illustrer des ouvrages soucieux de s’appuyer sur une base documentaire originale et fiable.

Pour le canton de Vaud par exemple, à côté du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire (MCAH) et d’autres belles institutions régionales, le Musée historique de Lausanne (MHL) joue un rôle fondamental. L’ Histoire vaudoise, publiée en 2015 (Infolio et Bibliothèque historique vaudoise) et que j’ai eu l’honneur de diriger, a puisé la plus grande partie de son iconographie dans les réserves du MHL.

Il en va de même pour les deux « balades révolutionnaires » de 1830 et 1845, organisées à l’occasion du 175ème anniversaire du Cercle démocratique de Lausanne en juin et septembre dernier. Ces deux visites originales de Lausanne au gré des lieux principaux empruntés par les révolutionnaires libéraux (1830) puis radicaux (1845) n’auraient pu être mises en ligne de façon aussi attrayante (elles sont bien accessibles dès aujourd’hui sur le site cette association – www.cercle.democratique.org) sans un recours intensif à la formidable mémoire imagée renfermée dans les caves de ce même MHL !

Olivier Meuwly

Olivier Meuwly

Docteur en droit et ès lettres, Olivier Meuwly est auteur de plusieurs ouvrages portant sur l'histoire suisse, l'histoire des partis politiques et l'histoire des idées. Auteur notamment d'une biographie du Conseiller fédéral Louis Ruchonnet (1824-1893) et de l'ouvrage: «La droite et la gauche: Hier, aujourd'hui, demain». Essai historique sur une nécessité structurante (2016). Son dernier livre: "Une histoire de la démocratie directe en Suisse" (2018).

2 réponses à “LE MUSEE COMME MEDIATEUR DU SAVOIR HISTORIQUE

  1. Bienheureux les pays riches qui peuvent encore créer des musées et voter sur la longeur des cornes de leurs vaches, dans un temps où certains aimeraient réécrire l’histoire à leur goût.

    Plus sérieusement, il me parait assez difficile de passer du musée 1.0 au musée 4.0.
    Or les destinataires de musées devraient être les jeunes, pour connaître leurs racines.

    Peut-être là, y a-t-il un questionnement à faire?

    1. Bonjour,
      Oui vous avez raison. Les musées travaillent beaucoup actuellement sur cette question du 4.0. C’était aussi le sens du colloque organisé voici une dizaine de jours par les musées cantonaux qui resteront à Rumine après le départ du MCBA. Les réponses ne sont évidemment pas encore claires mais ils y réfléchissent!
      Avec mes meilleurs messages.

Les commentaires sont clos.