Le Parti socialiste français: un laboratoire riche d’enseignements

Beaucoup a déjà été dit sur le caractère crucial des élections françaises et allemandes qui vont se succéder à quelques mois de distance. Vers quel type d’alternance se dirige-t-on en France ? Le SPD a-t-il une chance de renverser l’omnipotence apparente d’Angela Merkel ? Ou devra-t-on encore se satisfaire d’une nouvelle « grande coalition » outre-Rhin ? Quels gains les droites extrêmes de ces deux pays obtiendront-elles ? Au-delà de ces questionnements décisifs, il est intéressant de s’interroger sur le devenir des frontières traditionnelles qui balisent le champ politique des démocraties occidentales.

Alors que l’Allemagne semble se tourner vers la résurrection d’un affrontement « classique » entre la CDU et des sociaux-démocrates ragaillardis par l’entrée en lice de Martin Schulz, c’est la France qui offre les territoire le plus propice à des expérimentations inédites. On ne s’arrêtera pas sur les droites hexagonales, dont on soupçonne déjà l’état de décrépitude au soir du 7 mai 2017 si Fillon ne parvient pas à redresser la barre de sa barque brinquebalante. Focalisons-nous plutôt sur la gauche, au visage plus surprenant depuis l’émergence, en son sein, de l’énigmatique figure d’Emmanuel Macron.

La présence aux portes du pouvoir d’un homme issu des rangs du PS « hollandien », mais courant sous des couleurs prétendument neuves, est souvent interprétée comme la preuve de la mort clinique de ce parti. Est-ce si sûr ? Se réclamant d’un centrisme avéré, Macron entend assurément brouiller le clivage habituel gauche-droite. Lui qu’on aurait pu un temps rattaché au radicalisme « historique », ratisse désormais ses soutiens parmi les « barons » socialistes. Une cohorte en soi hétérogène dûment encadrée par Jacques Attali, quelques libéraux égarés, l’ancien communiste Robert Hue, le démocrate-chrétien François Bayrou et l’ « anarcho-écologiste » Daniel Cohn-Bendit : un singulier attelage qui laisse perplexe…

De quoi le « macronisme » est-il dès lors le nom, demandera-t-on en paraphrasant la question qu’agitait le philosophe marxiste Alain Badiou à l’ère du « sarkozysme » triomphant ? Un centre  réinventé et autonome par rapport à une droite et à un gauche trop stéréotypées ? Un mixage obéissant à l’air du temps voué à un syncrétisme politique multicolore… et qui expliquerait l’indiscutable engouement qu’il provoque chez les jeunes ? Ou Macron ne consacrerait-il que l’avènement d’une gauche socialiste clairement bicéphale dont il s’apprêterait à prendre la tête de l’un des embranchements ? L’embranchement que l’on appelle en France « social-démocrate » ou parfois « social-libéral ».

Pour notre part, nous penchons pour cette dernière hypothèse. Il serait évidemment possible de gloser sur son ambition de constituer ex nihilo un centre enfin advenu qu’il incarnerait paré des allures messianiques qu’il arbore volontiers. Nous continuons cependant à penser que ce centre ne peut exister dans sa volonté de transcender les idéologies sans s’y subordonner. Il ne sera jamais que le lieu où se rencontrent et se coordonnent des gauche  de droite appelées de travailler ensemble.

Bien qu’il tente de s’en défendre, à travers un discours à vocation rassembleuse, Macron, en dépit de ses propres contradictions, est en train de construire une approche du socialisme français en déshérence depuis les déboires de Dominique Strauss-Kahn. Nous avons toujours pensé que le seul coup de génie dont François Hollande s’est fait l’auteur durant son quinquennat fut d’associer dans le même cabinet Macron, l’énarque conscient de la nécessité d’une économie ouverte et dynamique,  et Manuel Valls, le réformiste garant de la majesté de l’Etat. Dommage qu’il n’ait su gérer ce duo…

Or à qui l’ancien Premier ministre a-t-il fini par prêter allégeance ? A l’homme avec lequel on le croyait en guerre… Mais ces deux personnages sont mus par un même objectif, qui dépasse la rigueur étatique et la modernité économique : ils veulent tous deux éviter que le PS ne se transforme en un simple parti de protestation aspiré par le destin peu glorieux du Labour de James Corbyn. Un tel parti, ils le savent, deviendrait le jouet des machinations d’une gauche extrême, qui a renoué avec un anticapitalisme viscéral à connotation écolo-romantique et que symbolisent aussi Jean-Luc Mélenchon en France, Podemos en Espagne et Syriza en Grèce.

Dans ce sens, si la situation du PS n’est guère différente de celle qui attend des Républicains au terme des « présidentielles », son horizon semble paradoxalement plus clair. Campé sur un pilier « social-démocrate », avec Macron et Valls, et un pilier « gauchisant » derrière Benoît Hamon, rempart contre l’extrême-gauche, il est en ordre de bataille. Mais avec en embuscade Macron ambitionnant de réunifier le PS en tant que chef d’un « vrai » socialisme de gouvernement, qui aurait avalé les moins « gauchisants » des partisans de Hamon. Il n’ose toutefois l’avouer de peur de décourager tous ceux qui croient encore qu’il est différent…

Olivier Meuwly

Docteur en droit et ès lettres, Olivier Meuwly est auteur de plusieurs ouvrages portant sur l'histoire suisse, l'histoire des partis politiques et l'histoire des idées. Auteur notamment d'une biographie du Conseiller fédéral Louis Ruchonnet (1824-1893) et de l'ouvrage: «La droite et la gauche: Hier, aujourd'hui, demain». Essai historique sur une nécessité structurante (2016). Son dernier livre: "Une histoire de la démocratie directe en Suisse" (2018).

3 réponses à “Le Parti socialiste français: un laboratoire riche d’enseignements

  1. Macron me rappelle beaucoup Matteo Renzi et le peuple n’est pas dupe: après avoir été soulé avec des beaux discours pendant deux ans, la situation s’empirant de jour en jour, il l’a viré d’une façon éclatante

    1. Bonjour,
      C’est en effet le risque que court Macron en effet… Pour l’instant il ne s’en sort pas mal.. Mais à voir!

    2. Bonjour,
      Votre comparaison entre Macron et Renzi est intéressante. Mais Macron paraît plus prudent, d’aune part, et plus cohérent dans sa volonté de réforme. Renzi est vite devenu l’égal de ceux qu’il voulait dégommer. Le peuple n’est en effet pas dupe, comme les dernières élections italiennes l’ont montré même si, en l’occurrence, le remède risque bien d’être pire que le mal.

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