Quand le dopage ne sera qu’un incident de l’histoire…

Même Usain Bolt… Alors que la star du sprint semblait voler au-dessus des soupçons comme ses souliers ailés le transportaient sur les pistes cendrées à des vitesse supersoniques, voilà que le spectre du dopage l’absorbe à son tour. Celui qui avait émis le souhait de se reconvertir comme footballeur au Borussia Dortmund risque de se voir dépouillé de ses innombrable trophées conquis sur les stades du monde entier. Il s’est d’ailleurs déjà vu retiré l’un d’eux, après le verdict rendu à l’encotre de l’un de ses compères de relais. Un légende serait-elle en train d’exploser ?

Lance Armstrong, les révélations sur le dopage systématique et ordonné par les instances dirigeantes dans les ex-RDA et ex-URSS, l’impressionnante liste des vainqueurs du Tour de France détrônés, sans parler de cette armada d’athlètes et d’haltérophiles expédiés dans les oubliettes de la gloire sportive pour avoir usé et abusé d’amphétamines diverses et autres anabolisants… Entre rubriques sportives, pages politiques et faits divers, bon clients de la scène médiatique, les affaires de dopage sont devenues l’un des serpents de mer de l’actualité, décrochant les cris de révolte des uns et les protestations de vertu souvent hypocrites des autres.

Mais ces événements pourraient-ils prochainement rejoindre les livres d’histoire ? Il est de bon ton aujourd’hui de proclamer son indignation face à la tricherie pratiquée par un un si grand nombre de sportifs. Mais comment juger d’une amélioration indue du corps humain lancé dans les affres de la compétition sportive tandis que l’on disserte sans vergogne sur l’homme « augmenté » et le transhumanisme ? La question est-elle encore de savoir si chercher à prolonger des dons naturels par des artifices techniques est illicite lorsque l’on imagine les contours d’un statut juridique inédit pour les robots, perçus désormais comme des « quasi-humains » ?

Car on n’en est plus à lutter contre les déficiences du corps humain à l’aide de vulgaires adjuvants chimiques. D’aucuns entendent appliquer à la lettre la prophétie émise par Condorcet dans son Esquisse d’un tableau des progrès de l’esprit humain qu’il rédigea en 1795 peu avant de mourir poursuivi par les sbires de Robespierre. Le marquis mathématicien ouvrait dans son écrit des perspectives infinies au perfectionnement de l’humanité et, s’il excluait l’éventualité de l’immortalité, n’en annonçait pas moins un renforcement constant des capacités humaines et, grâce à la créativité scientifique, une prolongation siginificative de la vie.

Le Belge Gilbert Hottois, par exemple, s’appuie sur Condorcet pour souhaiter ce progrès qui protégerait l’homme  des avanies sanitaires de l’existence et, en éliminant les inconvénients physiques dus au seul hasard, consacrerait une égalité authentique entre les êtres. A ses yeux, ce ne serait que l’aboutissement logique d’un transhumanisme bien compris.  Avec les progrès des techniques numériques couplées à celles de l’intelligence artificielle, il est de plus en plus difficile de supposer des limites possibles au progrès médical. Chez Google, Ray Kurzweil, avec son Université de la singularité, travaille d’arrache-pied sur ces questions. Quelles conséquences ce phénomène aura-t-il sur le sport, surtout de compétition ?

L’obsolescence du problème du dopage semble ainsi programmée, au même titre que celle de la maladie ou du handicap physique. Ne sera-t-il dès lors pas légitime de déployer toutes les stratégies imaginables afin de développer des performances jugées insuffisantes ? Ne sera-ce pas le lot commun d’une humanité entièrement convertie au corps parfait, utopie dans laquelle le « jeunisme » du moment avait inoculé des ambitions sans cesse répétées et que la science « algorithmique » est en train de métamorphoser en vérité absolue ?

De nombreuses disciplines se sont emparées du problème du transhumanisme : juristes, philosophes, éthiciens, médecins, en contact permanent avec la « pâte » humaine, sont confrontés souvent dans leur quotidien à ces questions. Le monde politique semble plus emprunté, à l’instar du monde sportif . Le regroupement de ces deux univers dans le même déni n’est pas étonnant : le sport, contrairement à ce que beaucoup croient encore, n’est qu’un avatar du politique et ce dernier, constructeur de ce qui doit entourer notre avenir en termes d’infrastructures et d’institutions, si prompt à raisonner selon des schémas planificateurs, peine à se projeter dans le futur, a fortiori quand l’humain risque de revêtir une physionomie, physique et mentale, nouvelle.

Il ne s’agit pas de banaliser le dopage ni d’en sous-estimer les effets délétères, tant sur la santé des sportifs que sur l’image du sport, dont les vertus sociales sont indiscutées. Mais le sport de compétition, de par la rémanence d’une société de divertissment dont le numérique amplifiera encore l’omnipotence, est directement interpellé. Il doit se saisir du problème quitte à revoir ses modes de fonctionnement.

Olivier Meuwly

Docteur en droit et ès lettres, Olivier Meuwly est auteur de plusieurs ouvrages portant sur l'histoire suisse, l'histoire des partis politiques et l'histoire des idées. Auteur notamment d'une biographie du Conseiller fédéral Louis Ruchonnet (1824-1893) et de l'ouvrage: «La droite et la gauche: Hier, aujourd'hui, demain». Essai historique sur une nécessité structurante (2016). Son dernier livre: "Une histoire de la démocratie directe en Suisse" (2018).