Le Baron noir: une nouvelle charge contre les partis politiques?

Disons-le d’entrée de cause : la série produite voici quelques mois par Canal + avec Kad Merad et Niels Arestrup dans les rôles principaux est remarquable. Qualité de l’écriture, finesse des profils psychologiques, connaissance approfondie des fonctionnements politiques, non seulement de par l’expérience des coulisses du parti socialiste français que possèdent les auteurs, mais surtout par leur compréhension des enjeux personnels qui sous-tendent toute aventure politique : tout concourt à une œuvre d’une grande intelligence soutenue par un suspense savamment entretenu et une narration qui s’apparente aussi à une plongée sociologique dans les cuisines pas toujours ragoûtantes d’un parti à vocation gouvernementale.

Inspiré de la série américaine House of Cards, Le Baron noir interpelle cependant. Focalisé sur le conflit entre le nouveau président de la République Francis Langier et son « âme damnée », le populaire maire de Dunkerque Philippe Rickwaert, il ne s’intéresse à la « substance » politique que dans la mesure où les dossiers « chauds » (loi scolaire, Europe, déficit budgétaire) nourissent l’antagonisme entre les deux hommes. Ce conflit constitue le creuset des ambitions en compétition, la matrice des haines, amours et amitiés qui recentrent toujours, il est vrai, le récit sur l’humanité en politique. Il représente en définitive lieu géométrique unique de la vie politique scandée par les huit épisodes que compte la série. Autre manque : les médias sont rejetés dans un rôle de faire-valoir. C’est certes par eux que transitent les opérations d’intoxication et les manipulations de l’adversaire, mais ils ne jouent aucun rôle actif. Ils servent d’interface entre les grands « fauves » qui rôdent dans les salons et les antichambres du pouvoir.

Dans ce sens, en dépit de son talent, la série français ne rivalise pas avec son homologue danois Borgen. Cette dernière série parvient à brosser un tableau des plus nuancés de la réalité politique, d’une part en soulignant les interactions entre les divers pôles qui balisent le champ politique (politiciens, médias, Parlement, conseillers politiques et autres spin doctors) et, d’autre part, en se glissant avec subtilité  et empathie dans la solitude du pouvoir qui remplitle quotidien de celles et ceux chargés de conduire les affaires politiques du pays. Dès lors, l’actualité politique, loin de former l’arrière-fond devant lequel se nouent et se dénouent les différentes intrigues, fournit la thématique même des épisodes, comme autant de cas concrets que les politiciens, entre batailles idéologiques et luttes personnelles, doivent affronter dans un contexte réaliste qui met également en évidence la richesse, la dureté mais aussi la grandeur du politique.

Le Baron noir, quant à lui, se concentre sur la face sombre de la politique. Avec un sens de la narration hors-pair, la série dévide tous les types de scandale susceptibles de hanter les journées des politiciens avec une gourmandise et une pertinence qui laissent le spectateur pantois. La manière avec laquelle Rickwaert manipule un mouvement estudiantin représente un cas d’école qui mériterait à lui seul un article analytique. Malgré son réalisme ébouriffant, la série ne se laisse-t-elle toutefois pas rattraper par la rythme haletant qu’elle a voulu elle-même imprimer au scénario, pour dériver parfois vers un thriller plus banal, flirtant avec une vraisemblance subitement prise en défaut? Quelques rebondissements, s’ils contribuent à accabler encore plus les « héros » de l’histoire, écornent la rigueur « chirurgicale » d’autres descriptions..

Dès lors une question se pose, de nouveau au-delà de la valeur intrinsèque de la série : le Baron noir ne joue-t-il pas abusivement des dysfonctionnements du monde politique, et en particulier français, que dévoile jour après jour l’actualité hexagonale ? Car la série offre un condensé hallucinant autant que crédible de tout ce qui pervertit aujourd’hui l’action politique, à la source du dégoût légitime qui envahit inexorablement l’opinion piblique dès qu’il est question de partis politiques. Ne risque-telle pas dès lors de renforcer le mépris en train de submerger les « élites » politiques en se complaisant dans les déviances du « système » ? Ce serait assurément dommage pour la série, car la mise en scène de la réalité politique qu’elle propose montre avec brio comment prennent corps les « affaires » qui minent nos démocraties occidentales. Mais il est nécessaire de rappeler en parallèle que la politique est menée par des êtres humains et que, si leurs mauvaises actions doivent être poursuivies, c’est sa capacité à débusquer des méfaits qu’engendrent tous les système politiques qui garantit la vie démocratique.

Olivier Meuwly

Docteur en droit et ès lettres, Olivier Meuwly est auteur de plusieurs ouvrages portant sur l'histoire suisse, l'histoire des partis politiques et l'histoire des idées. Auteur notamment d'une biographie du Conseiller fédéral Louis Ruchonnet (1824-1893) et de l'ouvrage: «La droite et la gauche: Hier, aujourd'hui, demain». Essai historique sur une nécessité structurante (2016). Son dernier livre: "Une histoire de la démocratie directe en Suisse" (2018).