L’échec programmé du front républicain

La mélopée envoûtante qui ritellement envahit les écrans TV au soir des élections françaises est revenue, obsédante… Le 13 décembre dernier, au soir du second tour des élections régionales françaises, la ritournelle du « front républicain », chantée à gorges déployées, a repris sa ronde virevoltante. C’est en effet le vote « sacrificiel » de nombreux électeurs socialistes qui a empêché le FN de conquérir les deux régions qui lui semblaient promises…

La belle affaire ! Xavier Bertrand, le nouveau président du conseil de la région Nord-Picardie, a sans doute tenu le discours le plus remarquable de la soirée : il n’a à aucun moment mimé la posture victorieuse de rigueur en pareille circonstance. Il a accepté de faire profil bas, a reconnu que sa victoire était cadenassée par une alliance anti-FN, que la système politique français n’aurait plus d’autre occasion d’actionner son renouvellement. Joignant la parole à l’acte, il a démissionné de ses autres mandats.

Le verbe haut et l’attitude digne de Xavier Bertrand sous-tend d’autres appels au changement, désormais récurrents. Tout le monde veut faire barrage au FN, changer la politique, réinventer un sens du compromis qui a déserté depuis trop longtemps le champ politique français. L’Obs est de ceux-là. Mais que proposent ces voix qui n’ont toujours que leur hostilité à Marine Le Pen à faire valoir ? L’hebdomadaire de gauche fondé par Jean Daniel en est persuadé : le mot « compromis » peut à nouveau s’insinuer dans le lexique politique français. Mais tout le monde le comprend-il de la même façon, ce compromis que l’on brandit à toute circonstance pour mieux dénoncer le nationalisme du FN…. et le sectarisme présumé… de l’autre camp ?

Car voilà bien le problème ! Il est vrai que la France doit réapprendre ce que signifie le dialogue en politique, le consensus, tels que le pratiquent Suisses et Allemands. Mais comment se lancer dans une pratique renouvelée de la politique alors qu’on s’y refuse depuis des décennies ? Pourtant, c’est bien dans ce terme magique que réside la seule réponse au FN. Non dans des alliances scellées sans aucun souci de contenu, mais dans un changement de pratique.

Mais pour qu’un tel revirement puisse advenir, fallait-il conclure ce front républicain qui ne pourra que détabiliser un électorat déjà fortement lassé par les discours farcis de bons sentiments que tient quotidiennement son personnel politique ? Pour expérimenter ce dialogue et ce sens du compromis, si loué, il fallait oser l’expérimenter. Et, paradoxalement, les élections du 13 décembre offraient une occasion inouïe de tester une nouvelle manière d’appréhender la collaboration entre partis au sein d’une assemblée délibérante !

Lorsque le parti socaliste et les Républicains (LR) anoncent leur aggiornamento et leur désir de réinventer la pratique politique française, qui peuvent-ils convaincre ? Pas grand-monde, sinon les électeurs du FN de la justesse de leur choix… Comment croire des politiciens qui, à peine leur profession de foi consensuelle exprimée, s’écharpent la minute d’après sur le premier sujet venu ? L’art du compromis politique ne s’improvise pas. C’est la dimension fascinante de l’histoire suisse : la suivre nous apprend que la Suisse, pays riche d’une diversité culturelle et socio-économique si dense, n’a pas découvert subitement, par la grâce d’un quelconque don divin, ces procédures si complexes mais si essentielles qui ont amené ses « parties » à préférer,en fin de compte, le dialogue et la paix à la guerre. Et pourtant, Dieu sait que la Suisse en a connu de nombreuses, et souvent violentes !

Socialistes et Républicains devaient saisir cette chance de mettre à l’épreuve leurs bonnes résolutions. Droite et gauche ont encore un sens : les deux camps ne sont pas condamnés à s’aimer sous prétexte qu’ils n’auraient pas d’autre choix. En revanche, ils peuvent coopérer, à condition d’accepter l’apprentissage subtil que pareille démarche exige. Les deux partis auraient peut-être dû laisser ces deux régions au FN et montré comment ils pouvaient travailler ensemble, non derrière le paravent artificiel de connivences négociées lors d’élections délicates, mais dans la réalité quotidienne que connaissant les Français.

LR et PS n’auraient pas besoin de se « boucher le nez », comme ils le disent avec si peu d’élégance lorsqu’ils doivent voter pour ceux qu’ils ne cessent de disqualifier comme un « ennemi ». On ne pactise avec un « ennemi » que si on affiche un volonté de dépasser les clivages habituels. Pas en se cachant derrière une hypocrisie qui ne fera que baliser le chemin du pouvoir à un FN oscillant entre l’extrême droite et une gauche non moins extrême en matière économique !

 

Olivier Meuwly

Docteur en droit et ès lettres, Olivier Meuwly est auteur de plusieurs ouvrages portant sur l'histoire suisse, l'histoire des partis politiques et l'histoire des idées. Auteur notamment d'une biographie du Conseiller fédéral Louis Ruchonnet (1824-1893) et de l'ouvrage: «La droite et la gauche: Hier, aujourd'hui, demain». Essai historique sur une nécessité structurante (2016). Son dernier livre: "Une histoire de la démocratie directe en Suisse" (2018).