Toute la presse européenne se lamente du déclin de la France sur la scène internationale. L’incapacité de ce pays à affronter ne serait-ce que l’idée de réforme fait frémir. Le dépit face à l’immobilisme français et ses blocages bureaucratiques et économiques suscitent toutefois moins l’ironie qu’une profonde colère.
Car l’inventivité française, la créativité de ses artistes et entrepreneurs qui bouillonne aux quatre coins de l’Hexagone, demeurent exceptionnelle : ce pays a tout entre les mains pour rayonner de par le monde. Or la France s’enlise dans ses querelles picrocholines, se croyant toujours au centre de l’admiration du monde sous prétexte qu’elle aurait hébergé une Révolution qui, en effet, marqua une césure majeure dans l’histoire de l’humanité.
Les pays francophones se désespèrent, de Dakar à Liège, de Sion à Montréal, et paient la facture de la perte d’influence du centre culturel de leur langue : comment justifier l’enseignement du français alors que le modèle de référence s’effondre ? Mais la déréliction française en matière économique ne serait-elle pas qu’un aspect de la nature de la crise qui la submerge ?
On a déjà beaucoup glosé, et à raison, sur son droit du travail boursouflé, sur le poids trop lourd de sa grosse industrie, inappropriée face à une mondialisation qui exige mobilité et réactivité, sur son administration drapée dans un « colbertisme » démodé, sur ses élites formatées. On sait que les jeunes Français rêvant d’aborder des horizons économiques épris d’innovation ont tendance à se réfugier en Angleterre, aux USA ou en Suisse, contribuant à appauvrir encore davantage leur sérail économique national.
La culture économique reste terriblement marquée par les us et coutumes de l’Ancien Régime. Mais comment s’en étonner ? Comment croire qu’un pays qui, pendant huit siècles, a fixé comme aboutissement social l’oisiveté cultivée par la Cour d’un Roi-Soleil puisse apercevoir dans les 35 heures une hérésie ? L’abolition de la loi Aubry n’est pas pour demain… On a l’impression que la France ne sait s’ouvrir qu’à deux options : la Révolution ou la stagnation…
Mais, au-delà de ces considérations économiques, le vrai problème de la France ne résiderait-il pas dans sons système politique ? Pas tellement dans sa centralisation paralysante, mais dans son système des partis politiques, dans la vision du monde que la droite et de la gauche propagent en France. Comme si ce pays, figé dans l’Ancien Régime pour son économie, se complaisait dans une approche des forces politiques qui n’aurait pas évoluer depuis un 19ème siècle héritier direct des convulsions révolutionnaires de 1789.
Les réaction épidermiques que provoque le mot « libéralisme » à droite ou les déchirements psychédéliques que cause le mot « social-démocratie » à gauche montrent que la France, dont les théoriciens politiques se sont pourtant disitingués avec génie dans toutes les idéologies, n’a jamais assimilé les mutations que droites et gauches ont partout dû enregistrer au cours des deux derniers siècles.
Alors que les bouleversements de notre troisième millénaire débutant redistribuent les cartes partisanes et explosent les modes d’expression politique, la France ne peut exhiber qu’un paysage politique enchâssé dans un contexte prisonnier de son histoire.
La droite française est ravagée. Convaincue comme la gauche que seul l’Etat est producteur de liberté, elle ne se dérobe pas à un conservatisme viscéral, attaché à la grandeur de l’Etat, et hésite à puiser ses valeurs dans une économie où primerait l’initiative privée. Surgit ainsi une vision de la société enracinée dans un traditionalisme sans doute important, mais rétif à une liberté vivifiante. Résultat, l’UMP peine à se rassembler sur un discours réformateur d’obédience libérale et ne s’invente une unité factice que dans son combat contre le FN qui, lui, concentre son discours ur un refus absolu de toute modernité.
Et que dire de la gauche ? Sous le regard vengeur d’une extrême gauche qui change régulièrement de costume pour mieux se mouvoir dans une continuité idéologique immergée dans les antiques combats ouvriers d’ailleurs souvent conçus en France, le PS découvre benoîtement que sa clientèle originelle a migré vers le FN. Si cette évolution a frappé tous les partis socialistes, elle semble prendre les camardees français au dépourvu…
Les droites et les gauches européennes, si elles n’ont pas toujours bien saisi les changements en cours, ont au moins pris acte de certaines tendances de fond et essaient de maîtriser leurs propres contradictions, au moins avec un vocabulaire qui ne fuit pas devant des mots comme « mondialisation » ou « réforme »… Et surtout, malgré les périls qui les guettent à travers l’émergence de violents courants conservateurs tant à gauche (les Verts) qu’à droite (conservateurs-libéraux ou populistes), ils tentent d’imaginer des synthèses nouvelles.
Rien de cela en France. D’où l’importance du combat de Manuel Valls, pas seulement pour la gauche française, mais aussi pour la droite, car il l’oblige elle aussi à réfléchir sur sa propre évolution. Dans une récente interview au Nouvel Observateur, le Premier ministre français dit vouloir « en finir avec la gauche passéiste, celle qui s’attache à un passé révolu et nostalgique, hantée par le surmoi marxiste et par le souvenir des Trente Glorieuses ». Au nom de l’émancipation des individus, il réclame une gauche « pragmatique, réformiste et républicaine ».
On croirait entendre les radicaux suisses de la seconde moitié du 19ème siècle… La posture adoptée par Manuel Valls est cruciale : en s’attaquant à l’idéologie de son parti, il bouge les lignes de front et pose les bases d’une vraie réorganisation politique de son pays, condition d’une réflexion renouvelée sur sa vision économique.
