Qu’ajouter aux programmes de l’école post- ou para-covidienne ?

Beaucoup échafaudent déjà des plans pour les “jours d’après”, avec plus ou moins d’espoirs et d’appréhensions, d’utopies et de pragmatisme. Les écoles vont réouvrir, la plupart de leurs acteurs trépignent. Elles devront en priorité gérer un retour à la “normale” et la réalisation des procédures simplifiées d’examens et de passages aux degrés subséquents. Mais, plus tard, à la rentrée d’automne, quelque chose aura-t-il changé dans les contenus et les approches pédagogiques ? Je fais le pari que oui.

 

Le retour en classe n’est sans doute pas pour demain, mais après-demain, et déjà beaucoup s’y préparent, avec semble-t-il plus de joie que de crainte. Le caractère profond de sociabilité et du vivre ensemble de l’école n’aura jamais été aussi évident qu’au cours de ces dernières étranges semaines, les écrans n’étant qu’un ersatz électronique. On peut sans risque d’erreur se montrer convaincu que cet épisode d’urgence épidémique et de prudent confinement aura non seulement marqué les esprits, mais s’inscrira intuitivement et durablement dans les apprentissages scolaires.

Si je me permets d’évoquer quelques perspectives probables, c’est non du fait d’une science infuse, mais bien d’une connaissance concrète et approfondie des contenus et des mécanismes programmatiques de la scolarité obligatoire pour m’être trouvé ces vingt dernières années au coeur des travaux préparatoires du Plan d’études romand et de la détermination des “compétences fondamentales communes” au niveau national.

Je prends donc le pari – ou plus modestement j’émets l’espoir – qu’on accordera désormais bien plus d’importance aux cinq dimensions suivantes dans les apprentissages disciplinaires et dans la compréhension du monde et de la vie commune au sein de celui-ci :

  • l’éducation à la santé, bien évidemment, mais d’abord en termes de réflexes hygiéniques, de self-contrôle et de prévention, ainsi que sur le plan de l’attention portée à la vaccination, à l’alimentation et à l’évitement des comportements à risque et des surconsommations médicamenteuses, en veillant à éviter toute dérive hypocondriaque;
  • la solidarité et la notion de proche-aidant, après avoir été confrontés à de nouvelles formes de voisinage et de solitude qui auront montré, à tout âge, que le vivre-ensemble et l’entraide sont des caractéristiques vitales pour l’humain et que la valeur des métiers exercés ne relève pas que du revenu espéré ou de la concurrence sur les diplômes et les signes extérieurs de prestige ; on peut espérer la même prise de conscience sur le respect mutuel, l’égalité entre les genres et la répartition des responsabilités et des tâches dans la vie commune;
  • la conscience de la mondialisation et des interdépendances, sous forme d’une attention accrue aux interdépendances sociales, économiques et environnementales, s’incarnant dans l’éducation au développement durable comme dans la réflexion sur les effets de ses propres comportements de consommateur, mais renforçant également la place de l’éducation citoyenne et l’intérêt porté aux rôles des autorités, de la politique, des organisations multilatérales, des marchés internationaux et des influenceurs et autres grands acteurs économiques;
  • le poids de la communication, le rôle des médias et l’importance des technologies numériques, phénomènes marquants de l’information comme de la vie quotidienne en temps de crise et de contrainte domiciliaire, qui devraient fortement impacter l’usage raisonné, courant et efficace des instruments et des ressources numériques dans nos relations et nos apprentissages;
  • les projets et les choix professionnels et privés, dans le cadre de l’orientation et des choix de formation, comme aussi dans le besoin de procéder à une solide information, analyse préalable et planification lors de la préparation de ses projets de tous types, ce qui implique des capacités de recherche documentaire, de correspondance, de gestion des finances et des risques … et une conviction que la formation est par conséquent un phénomène et une nécessité la vie durant (“lifelong learning”).

 

Au moment de conclure cette brève réflexion, trois évidences sont à mettre en exergue :

– Ces considérations et leurs dimensions éducatives ne sont ni de gauche ni de droite, elles n’ont ici aucune obédience politique, mais relèvent du bon sens et sont apparues distinctement sur la photographie de notre monde actuel, un peu comme des reliefs et des visages que le révélateur dégage sous nos yeux lorsque, à l’ancienne, on développe une photo argentique.

– L’école et l’enseignement ne vont pas être révolutionnés et les programmes révisés à court terme. Tout est question de couleurs et d’accentuation, du fait qu’enseignant-e-s et élèves, mais également concepteurs-trices de moyens d’enseignement et de contenus multimédias et numériques seront désormais beaucoup plus sensibles à ces dimensions.

– Les contenus énoncés plus haut n’introduisent absolument rien de nouveau dans les programmes actuels de nos pays occidentaux. Ils constituent déjà une dimension spécifique du Plan d’études romand introduit à partir de 2011, celle de la formation générale, dont le caractère est en premier lieu éducatif et vient s’inscrire à la fois dans les diverses disciplines traditionnelles et dans les pratiques et échanges réguliers au niveau de la classe et de la vie d’établissement.

Si, comme le dit le proverbe, à toute chose malheur est bon, il faut donc considérer que ce deuxième trimestre de l’année calendaire 2020 aura boosté la formation générale, jusqu’ici parente pauvre de la concrétisation du PER et de ses bonnes intentions éducatives.

 

 

Olivier Maradan

Ayant exercé de multiples fonctions dans l'encadrement et la coordination de la formation, dont 21 ans au service des conférences intercantonales nationale et romande (notamment en tant que responsable d'HarmoS), Olivier Maradan s'est établi comme consultant indépendant et travaille depuis l'automne 2019 dans la gestion de projets et le conseil sur le plan institutionnel, de même que comme rédacteur et chargé de cours.

Une réponse à “Qu’ajouter aux programmes de l’école post- ou para-covidienne ?

  1. effectivement comme vous le décrivez très bien, ce temps de confinement permet de redéfinir les enjeux scolaires à long terme.
    Les enfants sont très touchés socialement par le confinement et le fait de ne plus aller à l’école avec leurs camarades est difficile à gérer pour les parents.
    Les écoles publiques et privées vont devoir réinventer un nouveau type de scolarité , surement plus centré sur les élèves et avec une approche personnelle, que l’on retrouve dans certains instituts privés spécialisé.
    Esperons que de bonnes solutions émergent !

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