Apprendre des situations de crise … mais durablement !

Les mesures de confinement enfin imposées dans notre pays comme peu à peu chez nos voisins rebattent, brutalement et temporairement, les cartes traditionnelles de la vie sociale, familiale, professionnelle, économique et scolaire. Les espaces de vie correspondants s’en trouvent bousculés, déstructurés et interrogés. Des solutions doivent être inventées et adaptées au fur et à mesure à chaque situation particulière ; les réseaux sociaux fourmillent d’idées et de conseils peu ou prou sensés ; de nombreux opportunistes surfent déjà sur l’offre de nouveaux services et d’autres profitent malhonnêtement de l’angoisse d’une partie de la population.

De fait, notre population n’a plus connu depuis la dernière guerre mondiale une telle situation, mais notre potentiel pour y répondre est aujourd’hui sans commune mesure. Va-t-on savoir en profiter pour instaurer un certain nombre de progrès déterminants dans nos manières d’agir, de se protéger, de s’entraider, de communiquer, d’apprendre ? Les réactions à une telle situation d’urgence pourraient-elles engendrer des “faits éducatifs” durables à l’échelle de toute une société ?

 

Tous les commentaires tournent autour du coronavirus, pourquoi se priver de rebondir, vu que ces réactions donnent matière à réfléchir. Nous n’avons certainement pas encore atteint le pic infectieux, mais savons que cette crise aura un terme, à l’échéance de plusieurs semaines sans doute et sur un bilan que nous osons espérer pas trop lourd. De nombreuses réactions, et en particulier les éditos du Monde de ces deux derniers lundis (9 et 16 mars), m’inspirent une réflexion sur les opportunités à saisir pour progresser durablement à partir des mesures prises en urgence et en dépannage du fait des exigences de confinement et de nécessité qui viennent d’être imposées dans de nombreux pays, dont le nôtre. Plus succinctement : saurons-nous conserver, entretenir et améliorer toutes sortes de bonnes pratiques issues de la crise 2020 du coronavirus ? en sortirons-nous mieux préparés, plus solidaires et sociables, musclés de nouveaux usages et réflexes exercés en temps de crise ?

 

On peut aisément entamer à ce stade des réactions au COVID-19 un florilège non exhaustif de triolets d’observations ou d’espoirs quant à nos comportements futurs.

– sur le plan de l’hygiène et de la prévention :

  • se laver correctement et précautionneusement les mains à de réitérées reprises dans la journée, notamment en période de grippe saisonnière, au moment de se retrouver en situation sociale, de passer à table ou d’entrer dans un établissement médico-social, de profiter d’un moment d’intimité … si ce n’est plus trivialement après s’être soulagé aux WC ;
  • apprendre dès le jardin d’enfants à éternuer ou tousser dans son coude ou dans un mouchoir jetable, comme cela se fait depuis longtemps déjà dans plusieurs pays ; il en va de même d’ailleurs pour le brossage des dents sans mélange des instruments ;
  • se laisser vacciner conformément aux alertes et recommandations de santé publique, en particulier au sein des professions soignantes, non seulement pour se protéger soi-même, mais plus encore pour ne pas transmettre à d’autres plus fragiles un virus, à commencer par celui de la souche grippale saisonnière ciblée ;

– sur le plan de la gouvernance et de la communication :

  • assurer rapidement une communication publique limpide, franche et adaptée, par des personnalités crédibles, bonnes vulgarisatrices et sachant rassurer de manière non anxiogène, ce qui suppose également la permanence d’un centre national d’épidémiologie en interaction avec l’OMS et ses partenaires étrangers ;
  • collaborer efficacement avec les médias de tout type, en ayant notamment su préserver des médias de service public, et instaurer dès le début de crise des centres d’appels aux répondants formés couvrant collectivement les principales langues des résidents immigrés ;
  • solliciter des vecteurs de communication ciblés et sur d’autres canaux, selon les publics et selon les styles (sur l’exemple du professeur Didier Pittet des HUG, mettant intelligemment à contribution humoristes et caricaturistes aux dizaines de milliers de followers), tout en s’attaquant aux influenceurs jouant les apprentis sorciers et aux sites survivalistes et apocalyptiques ;

– sur le plan économique et international :

  • assurer, sous l’égide d’une institution onusienne, une veille universelle et permanente et une capacité rapide de réaction et de coordination, aussi bien face aux Etats plus ou moins collaboratifs, aux lanceurs d’alerte qu’aux entreprises pharmaceutiques et aux instituts universitaires de pointe ;
  • promouvoir sans tarder et de manière stratégique une sérieuse déglobalisation, une diversification et une recontinentalisation de la production de diverses ressources indispensables ne pouvant souffrir de pénuries ou d’embargos ;
  • développer en commun, hors des critères commerciaux et sans monopole industriel ou privé, des applications permettant d’utiliser le big data en respect des standards de protection des données personnelles pour assurer les premiers dépistages précoces et massifs, à l’instar de l’exemple taïwanais qui a su contenir d’emblée, un mois avant la Chine, l’explosion de l’épidémie ;

– sur le plan des relations interpersonnelles et du voisinage :

  • se décarcasser et sortir de sa zone de confort pour se rendre moult petits services entre voisins et entre générations, en mettant à profit les réseaux sociaux et les applications conviviales ; les exemples commencent à pulluler et sont des plus chaleureux et réjouissants, puissent-ils perdurer ;
  • entretenir les liens sociaux, directs ou audiovisuels avec ses “proches” et ses voisins ou, pourquoi pas, de proches et voisins inconnus, surtout s’ils sont âgés et/ou isolés, bien au-delà de la période de quarantaine ;
  • retisser une foule d’activités familiales que le confinement et la fermeture des classes auront réveillées ou fait découvrir, à l’intérieur comme à l’extérieur de son salon ou de sa cuisine ;

– sur le plan du travail et de la formation :

  • accepter et développer comme un fait courant et non permanent le télétravail et les téléséances, avec les technologies et les savoir-faire et savoir-être qui les conditionnent, afin qu’ils entrent tant que faire se peut dans une part permanente de l’activité professionnelle, limitant également les déplacements et les complications occasionnelles de l’organisation familiale ;
  • pouvoir et savoir enseigner  – et respectivement pour les élèves apprendre et travailler ainsi à distance – dans le contexte scolaire, ce qui devrait constituer une part intégrante de l’éducation numérique, pouvant être déployée individuellement et collectivement selon les nécessités ; autant dire que, pour ce faire, les enseignants soient au taquet et le BYOD indispensable dans le cadre domestique, alors que les premiers manquent encore de pratique sinon de formation et que le second est déjà tant décrié sur le plan scolaire ou rendu impossible par la gratuité totale de la scolarité obligatoire ! ;
  • accéder à des contenus d’apprentissage attractifs et adaptatifs, gérables hors des situations de classe, ayant statut de moyens d’enseignement ou de compléments agréés et adaptés aux moyens d’enseignement officiels, en fonction des objectifs d’apprentissage propres à chaque niveau et filière d’enseignement ; quelques éditeurs en proposent désormais.

 

On pourrait poursuivre longuement l’exercice au-delà de ces quinze brefs exemples, … mais force est de reconnaître qu’on a tout un chacun encore du boulot devant soi ! Dans son texte très pertinent récemment paru dans les Blogs et même repris dans l’édition imprimée du Temps du 16 mars, Ola Söderström emprunte au philosophe Michel Foucault les termes de “biopolitique” et “biosocial” pour évoquer de la gestion du COVID-19 par les gouvernements nationaux. Comme il le souligne, “l’épidémie est un processus biosocial” et doit être traitée “comme une question biopolitique”. Autrement dit, la propagation du virus dépend principalement des interactions sociales et ses dégâts peuvent être, selon les stratégies de prévention, de protection et de prise en charge, démographiquement et socialement sélectifs. Or, d’autres épidémies apparaîtront encore dans le futur, pour lesquelles le genre humain n’a pas encore développé d’anticorps et la pharmacopée de vaccins et de traitements. Autant s’y préparer socialement et politiquement, entre autres par des comportements plus adaptés progressivement enrichis de l’expérience acquise. C’est un véritable objectif éducatif.

Le coronavirus a également infecté toute l’actualité, repoussant dans l’ombre des flashs info les questions géopolitiques, la violence des conflits, la misère des réfugiés et les effets des changements climatiques. Soyons pourtant certains que la déliquescence du climat et de l’environnement impactera nos habitudes quotidiennes plus lentement mais plus lourdement et durablement qu’un virus, aussi bien qu’elle occasionnera d’autres conflits entre populations ou pays et des vagues successives de réfugiés climatiques. Face à ces événements potentiels ou probables, saurons-nous, comme citoyens, parents, enseignants, gouvernants, anticiper, prendre les bonnes décisions et anticiper correctement et courageusement les mesures adéquates ? Parce que, espérons-le, nous aurons su nous montrer, à l’échelle locale, mieux préparés, plus solidaires et sociables, musclés de nouveaux usages et réflexes exercés en temps de crise à l’échelle planétaire.

 

Olivier Maradan

Ayant exercé de multiples fonctions dans l'encadrement et la coordination de la formation, dont 21 ans au service des conférences intercantonales nationale et romande (notamment en tant que responsable d'HarmoS), Olivier Maradan s'est établi comme consultant indépendant et travaille depuis l'automne 2019 dans la gestion de projets et le conseil sur le plan institutionnel, de même que comme rédacteur et chargé de cours.