Récidivistes, multirécidivistes, lorsque l’indicible vient tout remettre en question…

Par

Olivier Guéniat, Commandant ad interim de la police cantonale jurassienne,

Aurélien Schaller, psychologue et criminologue, inspecteur scientifique à la police judiciaire neuchâteloise, auteur d’évaluations criminologiques et actuel rédacteur d’une thèse de doctorat sur le risk assessment et le risk management ([email protected])

L’heure est à l’analyse, réfléchie, nuancée.

Aujourd’hui en Suisse, au deuil s’est légitimement ajouté la colère, l’incompréhension et, inexorablement, la critique… Les critiques ! « Vous n’avez donc pas encore compris, vous les savants-fous, les juges embourgeoisés et déconnectés qui n’avez aucun scrupule à jouer avec des vies » tancent certains, alors que pour d’autres, il n’est nul besoin de s’aventurer plus longtemps, qui plus est avec circonspection, sur la voie de l’analyse, du discours « explicatif ». Non, les nécessaires et urgents remèdes existent et cette fois, le décideur n’a plus le droit aux tergiversations. Il convient d’agir, d’appliquer des « sentences », comment dire…moins conciliantes.

C’est que sans crier gare, dernièrement, l’indicible s’est une nouvelle fois brutalement invité sur la place publique. Une intrusion d’une telle force que bon nombre de rousseauistes convaincus ont certainement été amenés, et on ose espérer malgré eux, à délaisser quelque peu les thèses de l’écrivain, musicien et philosophe du bout du lac pour davantage intérioriser les idées d’un « aïeul » lointain à Rousseau, Hobbes. C’est que la perception de l’humain offerte par l’intellectuel anglais, soit égoïste, ne présentant que peu de vertu et ne lésinant pas à utiliser sa « puissance » pour se satisfaire lui-même, du moins se préserver (voir notamment le magistral Léviathan (Hobbes, 1651)), s’accorde bien plus facilement à ce que nos capacités de représentation ont pu nous offrir, individuellement, ces derniers jours.

Une rage « populaire » intelligible et finalement plutôt saine.

C’est que le monstre en question ici a réussi une chose bien difficile pour l’homme « sain », dans notre société actuelle. Faire l’unanimité ! Ce qui a résonné ces derniers jours est un accord sur « la question » complet et massif: tout le monde condamne! Parallèlement, ce drame a rappelé aux différentes personnes côtoyant quotidiennement des personnes « à risques » qu’un bon lien – qu’il soit thérapeutique ou non – n’est garant d’aucune sécurité. Il a questionné tellement frontalement certaines « identités professionnelles » qu´il a causé un réel effritement des convictions, de certaines convictions. Sans vouloir souligner le trait exagérément, c’est comme si, émotionnellement heurtés et en plus blessés par une critique « extérieure » souvent ignorante, certains acteurs du domaine avaient perdu une partie de leur « foi ». Rappelons ici que l´on ne parle d´eux, d´ailleurs, que lorsque cela va vraiment mal, très mal.

Délits et crimes édictés, sentences définies, application des peines.

Il faut rappeler ici qu´il n´est pas raisonnable de mélanger dans les critiques, qui viennent d´à peu près partout, les lois, qui formalisent ce qui a été défini par le législateur comme étant des attitudes et/ou des manquements inacceptables, de même que les sanctions y-relatives, avec l´application des peines et les prononcés de la peine. Il ne faut pas confondre non plus, dans le débat, les considérations structurelles relatives à notre complexe système de justice, les acteurs de cette organisation et les outils à disposition dudit système, comme par exemple les très décriées expertises. Il y aurait le risque très clair de ne plus apporter un regard constructif à la nécessaire analyse à mener, et d’ajouter à la confusion, sinon de la confusion.

La vindicte populaire tient son responsable : l’expert-psychiatre.

On sentait, au fil des dernières années et des événements traumatisants, la critique à l´encontre de l´expert se frayer un chemin de plus en plus conséquent. Aujourd´hui, force est de constater et d’admettre que le vase a bel et bien débordé et que le pavé qui y a été jeté est bien plus conséquent que la modeste « goutte d’eau » de l’adage…

En premier-lieu, sur le banc des accusés, lors des premières réactions qui ont suivi le drame, et non seulement dans l’esprit des foules – il était question à l’instant de vindicte « populaire », mais il n’est pas si certain que cela que cette « dénonciation » ne soit l’œuvre que de « populaires » mouvements – on trouve la psychiatrie, la médecine de l’âme et ses outils les plus connus.

Ce que pensait Castel, en 1983 déjà, au sujet de l’expertise, parlant de « religion des temps modernes », est aujourd´hui certainement négativement partagé par bon nombre de citoyens.

Un retour en arrière d’importance. De la responsabilité à la dangerosité.

A l’origine, le regard expertal a été imaginé comme le moyen d’aider le magistrat dans sa prise de décision. Est expert aujourd’hui au sens du code de procédure pénale, « celui qui, dans le domaine concerné, possède les connaissances et les compétences nécessaires » (Art. 183 CPP).

Très rapidement, le magistrat s’est ainsi tourné ordinairement vers la psychiatrie pour tenter d’obtenir des pistes de réflexions ou pour le moins de comprendre les actes auxquels il était confronté. Fort d’une expérience certaine, d’une confrontation historique à l’homme violent, aux mécanismes de la violence, la psychiatrie a tenté d’apporter des réponses aux demandes de la justice. La demande et les sollicitations sont naturellement allées croissantes. Le regard psychiatrique est ainsi devenu aussi incontournable qu´influent, tant et si bien qu´un des points crucial de l’expertise, celui de la dangerosité « potentielle » présentée par un individu, est apparu l’un des critères majeurs sur lequel vont se baser les magistrats pour prendre des décisions multiples (forme de la sanction, modalité d’application de la sanction, etc.) – certaines études réalisées en Suisse font état de plus de 90% de concordances entre les conclusions rendues par les experts et les décisions prises par les magistrats -. On a donc assisté au développement d’une normativité expertale, dont on sait maintenant qu´elle est plus ou moins bien assumée.

Mais il convient de regarder de plus près la nature des demandes formulées par le décideur à l´attention des médecins psychiatres, car il y a eu des changements significatifs en quelques années seulement. Ces changements sont d´ailleurs vraisemblablement passés inaperçus pour le « commun des mortels » quand bien même ils sont lourds de sens. Il y a encore quelques années, l’expert était sollicité pour partir d’une situation rencontrée – par exemple, le drame du Grand Pont à Lausanne -, et devait renseigner le demandeur sur le « niveau de conscience » de la personne concernée au moment du drame. Il était alors question de responsabilité, notion définie dans notre système pénal sur la base d’un continuum: pleine et entière, partielle, absente. Autrement dit, partant d’un individu, de faits bien précis, seul un regard rétrospectif était demandé à l’expert. Or aujourd’hui, la mission demandée aux experts a complètement transmuté: on lui demande, sur la base d’une ou de plusieurs rencontres avec un individu qui est amené à partager notamment son histoire de vie jusqu’au moment de l´entretien, « d’imaginer » la suite, d’imaginer le champ du possible, l’incertain. L’exercice n’est dès lors plus du tout rétrospectif, mais prospectif. Le renversement de paradigme est plus que considérable, il est même déraisonnable!

Une « photo » d’une situation nécessaire, mais une illustration sujette aux limites de la méthode utilisée.

L’expertise est une « photo », prise à un moment donné, une illustration de bonne qualité qui permet, et cela semble nécessaire pour des actes d’une gravité certaine, de tenter de donner du sens à l’agir délictuel. Qu’est-ce qui, dans l’organisation « psychique » de l’individu incriminé, a rendu possible pareil agissement ? Comment cet individu, à ce moment-là de sa vie, a pu présenter pareil comportement ?

Généralement, l’expert psychiatre se penche sur l’histoire de vie de la personne rencontrée. Il évalue la présence d’un trouble psychique, sa forme, son intensité. Il tente de démontrer l’impact possible de ce dernier sur le comportement du principal concerné. Il se prononce quant au risque de récidive à futur – dangerosité – et donne un avis étayé sur les « mesures » les plus pertinentes à prendre pour tenter de soigner, bonifier ou parfois seulement neutraliser son « sujet » d’étude.

La méthode appliquée pour y parvenir est ce que l’on nomme « l’entretien clinique », majoritairement encore en Suisse romande plutôt non structuré. Il s´agit d´une méthode qualitative très utilisée en sciences sociales qui consiste à rencontrer autrui et, sur la base de ses connaissances et de ses expériences, elles-mêmes influencées par le cadre théorique auquel « on appartient », du moins on se rattache, à orienter les débats et à penser, construire, pièce par pièce, un discours de synthèse.

Comme à chaque fois que l’homme cogite, expert ou pas, parce qu’il est humain, il est confronté à des sources malveillantes tentant de l’induire en erreur. On parlera alors d’heuristiques. Le clinicien aura par exemple potentiellement tendance à s’attarder davantage ou à accorder davantage de poids à des facteurs individuels, ce au détriment de facteurs « situationnels ». Or il est fondamentalement différent de dire que Monsieur X est dangereux – dangerosité comme attribut de la personne – ou de repérer les situations dans lesquelles Monsieur X est à risque de présenter un certain danger, par exemple lorsqu’il est ivre et contrarié par la défaite de son club de football fétiche – dangerosité comme attribut du comportement.

Parfois encore, par exemple, le clinicien tend à surestimer la relation associative existante entre le facteur qu’il retient et la récidive. Il accordera ainsi du poids à tel indicateur, alors que dans les faits, le lien statistique n’est pas aussi précisément défini, n’est pas aussi « significatif ». Bref, le mode de raisonnement humain – la méthode ici employée – présente certaines failles, certaines limites.

Des réserves certainement connues et intégrées par les experts dignes de ce nom, mais peut-être pas tous.

Une pratique difficile et complexe, dans une société indiscutablement nouvelle.

La sollicitation des experts psychiatres s´est considérablement développée dans une dynamique inflationniste et la nature des demandes s´est fondamentalement transformée, mais ce n’est pas tout! Il faut aussi mettre en parallèle les considérations relatives aux expertises psycho-judiciaires avec l’évolution observable de notre société.

Car notre société est en train d´inscrire dans le marbre le récent concept du risque zéro. « Pouvez-vous m’assurer ceci ?», « Est-ce que vous me garantissez que ?»… Il s´est dès lors créé un abîme philosophique magistral par rapport à un passé encore proche. Les modèles libéraux ont supplanté le traditionnel modèle welfare. Les moyens engagés par les états sont de plus en plus contrôlés. On parle plus facilement des « devoirs » de l’état – due diligence -, on veut des garanties, des certitudes et on accepte de moins en moins les paris, les prises de risque. Il ne s´agit évidemment pas de faire référence ici aux paris « très à risques ». Il serait d´ailleurs irrespectueux de parler ainsi après les derniers faits divers hautement choquants. Non, ce que l’on est en droit de questionner, si ce n’est de dénoncer, ce sont nos nouvelles organisations qui ambitionnent la « forme » parfaite au détriment parfois du « fond » et du bon sens.

Il est même apparu une forme d´insouciance quant au bien fondé de la démarche prospective relative à « l’appréhension » de l´âme humaine, des dangers qu’elle peut présenter,  elle-même inscrite dans une fuite face aux responsabilités. Personne en fait, et c’est bien intelligible, ne souhaite porter une quelconque, même très indirecte, responsabilité dans le cadre d´un pronostic "souvent impossible", d’une décision prise et lourde de sens. Dès lors, on cherche à se couvrir, à ouvrir un parapluie, ne se souciant parfois que peu de ce qu’il y a en-dessous. En demandant trois expertises sur une situation – c’est l’une des propositions que l’on a pu lire dernièrement dans les médias -, quand bien même l’expertise reste un exercice imparfait, on se donne l´illusion de se disculper de toute responsabilité. Mais c´est sans compter qu´aujourd´hui, il faut un responsable pour tout. La quête du responsable est un procédé souvent public qui laisse des traces profondes et dont les répercussions ne sont jamais anodines. Le piège est d´ailleurs là, car il existe un moyen simple d´éviter le risque, il suffit de surévaluer systématiquement la dangerosité. Il est du reste à craindre, dans la conjoncture actuelle, que l’intérêt de l’expert psychiatre consistera à arriver constamment à la conclusion que l’homme évalué est dangereux et donc perdu. Comment pourrait-il en être autrement avec une telle pression? Notre système judiciaire ne serait alors simplement plus en adéquation avec les buts qu´il poursuit, ce qui serait intrinsèquement insupportable.

Ainsi, la différence entre « aider » à la décision et participer à la « neutralisation » d’une population posant problème est fondamentale, voire déconcertante. Même si l´histoire reste à écrire, on verra ces prochaines années comment la psychiatrie légale surmontera ces obstacles à son bon sens.

Là où les psychologues, les criminologues, les psychiatres ont pêché.

Il est peu contestable de postuler qu’aucun jeune psychiatre n’embrasse la profession avec l’idée de devenir, lorsqu’il est sollicité par la justice, non plus un auxiliaire savant de la justice avec qui l’on peut débattre, mais l’individu qui déterminera, parfois seul, la destinée d’un auteur.

Les psychiatres, psychologues et criminologues ont certainement une responsabilité – encore elle – quant à l´évolution de la situation à laquelle nous assistons et qui fait suite à la succession des faits divers et des drames qui nous bouleversent.  Par pêché d’orgueil, peut-être par vanité, parce qu´ils ont constamment à justifier du sérieux de leurs études, les spécialistes « forensiques » n´ont pas suffisamment combattu l’idée selon laquelle l´état de leurs connaissances et de leurs sciences pouvait apporter autre chose que des avis, laissant ainsi croire que la certitude n’était pas loin. « Les juges ne savent pas, laissons faire les psychiatres. Ils soigneront le criminel-fou, ils le responsabiliseront ». Des chimères, encore des chimères. Comment en est-on arrivé aujourd’hui à confier autant de pertinence au résultat d’une expertise psychiatrique qu´à celui d’une prise de sang ? Les "sachants" ont vraisemblablement tendu les bras pour se faire battre, ils ont permis que des hommes de la trempe de Me Bonnant, même si la généralisation est à condamner, puisse jouir d’un écho favorable lorsque, sans ménagement, il traite les psychologues de « psychopathes » qui, pour faire simple, pensent être en mesure si ce n’est de « contrôler le monde », de le prédire.

D´ailleurs, qu’avaient dit les expertises réalisées sur la crédibilité des enfants dans le cadre du procès d´Outreau en France ? Qu’ils avaient dit vrai et qu´ils avaient bel et bien été abusés sexuellement, que cela ne faisait aucun doute! Et pourtant, il y a de quoi douter, le doute ne doit jamais quitter l´expert, il n´y a pas de place pour les certitudes dans ce moule-là.

Vers de meilleures communications sur les limitations de nos sciences respectives.

Le défi de demain consistera à mieux communiquer. Cela peut paraître à la limite simpliste, mais au moins ce qui est simple et souvent compréhensible ou intelligible. Il y a en effet une énorme différence lorsque l´expert prétend que le discours présenté par un enfant, à un moment donné, comporte les caractéristiques d’un récit plutôt vécu et lorsqu´il prétend que l’enfant entendu a été abusé. Dans le même registre, il est différent de prétendre que Monsieur X peut présenter certains comportements dangereux à futur, mais qu’aucune certitude absolue n’existe, plutôt que de se présenter en prédicateurs d´événements impossible à prévoir.

Si la psychiatrie-légale et la psychologie-légale sont des sciences qui ont été placées au premier plan du procès pénal et de l´exécution des peines, la criminologie est restée bien discrète dans ce dossier difficile. Pourtant, cette science a vraisemblablement beaucoup à apporter, de par ses validations empiriques, les connaissances qu’elle a développées sur les indicateurs de risque, les variables corrélées à la récidive, mais aussi par le regard situationnel des thèses qu’elle défend. Espérons qu´elle ne commette pas les mêmes erreurs que ses consœurs de la psyché, quand bien même les indicateurs sont au rouge vif.

Les récents développements, les récentes restructurations et/ou les acquisitions observables, principalement du côté de la Suisse alémanique sont inquiétantes. Il est effectivement inquiétant de voir la Suisse romande être traitée de « baba cool attentiste et coupable » lorsqu’il est question des moyens mis en place pour « évaluer les risques », et ce quel que soit le domaine. Ce n´est évidemment pas vraiment vrai à mesure que ce qui distingue la Suisse alémanique de la Suisse romande, c´est bel et bien, dans ce registre très précis, son manque d´engouement pour les méthodes actuarielles, dada des pays anglo-saxons. 

Par exemple, si l´on s´intéresse d´un peu plus près à Dyrias, un logiciel permettant notamment de « prédire » – il s’en défend plus ou moins -, la survenue de folies meurtrières dans les écoles, on constate qu´il a été adopté par bon nombre de cantons alémaniques, mais par aucun canton romand, pour l´instant. Or, la Suisse romande a vraisemblablement raison de se montrer prudente, voire réticente, car ce logiciel prétend évaluer le risque de survenu d’un phénomène rare, qui plus est en proposant un modèle statistique en filigrane,  sur la base de l’analyse de moins d’une cinquantaine de cas. Dès lors, on a appliqué une méthode statistique, quantitative, à un phénomène qui ne peut être appréhendé que de manière qualitative. Bref, il s´agit d´un outil sans réelle validité scientifique qui permet d’étiqueter des gens selon le degré de dangerosité qu’ils présentent. Comment ne pas se montrer méfiant à ce type de fausse scientifisation du modèle prédictif ?

Les criminologues associés à ce projet sont très probablement tombés dans les mêmes travers que leurs aïeux psychiatres. Et il est aussi probable qu´ils aient entraîné dans leurs dérives plusieurs décideurs en les persuadant d´avoir trouvé Le remède, leur propre fuite des responsabilités. Mais tôt au tard, les vulnérabilités de ces méthodes jailliront au grand jour et il faudra rendre des comptes. Presqu´exactement comme la psychiatrie à l’heure actuelle. La pierre peut donc être jetée aux « sachants » qui ont laissé croire que la technologie ou la technocratie allait permettre d’éviter la survenue de certains types de drames. Ce que l´on peut raisonnablement retenir de tout ceci, c´est qu´il est certain que les résultats présentés par les méthodes actuarielles sont réellement très bons et stimulants.  Mais sans jamais oublier qu´ils présentent aussi des limitations, tout comme les expertises cliniques dont il était question ci-dessus.

Ainsi, aucune méthode ne permet d’appréhender la dangerosité de manière concrète et parfaite. Rappelons-le, ouvertement, directement ! Les phénomènes graves, par définition rares, sont d’autant plus délicats à appréhender – les cas d’homicides conjugaux ne « scorent » pas forcément de manière importante aux outils actuariels. Or, ce sont bel et bien ces cas extrêmes qui intéressent le plus les décideurs -. La dangerosité n’est pas un concept linéaire. Il ne convient pas d’empiler des variables pour arriver, une fois un certain seuil atteint, à un pronostic clair et précis. L’hétérogénéité des situations rencontrées, autrement dit la complexité du champ d’étude des sciences prédictives est si vaste, si immense, qu’il doit obliger à un aveu, au moins partiel, d’impuissance.

Ne pas émettre ces remarques, c’est finalement un peu ne pas être si différent que Gall (1757- 1828) et sa phrénologie – neurologue allemand qui a édité une théorie jugée par certains à cette époque très sérieuse selon laquelle les bosses du crânes des gens reflètent leur caractère – ou pour une référence plus tardive, dans la même veine, que Cesare Lombroso et son criminel-né (Lombroso , 1876). Tous deux pensaient détenir certaines clés du comportement humain. Aujourd’hui, leurs thèses font sourire.

Pour dire les choses simplement, il est possible aujourd´hui – on parlera de pouvoir discriminant – de différencier assez convenablement, pour des délits relativement fréquents, les personnes qui vont récidiver des personnes qui ne récidiveront pas. Par contre, il est beaucoup plus difficile de distinguer, parmi quelques personnes « à risques », la personne qui passera à l’acte et tuera – délit violent extrême -, la personne qui volera – délit non violent -,  la personne qui présentera un risque de violence hétéro-agressive, etc. C´est là que les progrès à réaliser sont les plus importants et les plus considérables. Et le problème de la passation du savoir au processus décisionnel ne sera toujours pas résolu, autre progrès à réaliser.

Les criminologues sont clairement meilleurs aujourd'hui qu'hier en termes de connaissances de la violence et de ses mécanismes.  Les indicateurs de risque sont de mieux en mieux connus. Les évaluations intègrent de mieux en mieux les notions de risque, de besoin et de réceptivité. Mais il convient de rester très humble par rapport à ce que les sciences forensiques apporteront concrètement aux besoins de la justice, des décideurs et de la population.

Debuyst (1984) disait de la dangerosité qu'elle était la "maladie infantile de la criminologie". Elle a été en réalité l’infantile maladie de la psychiatrie et de la criminologie, elle tend d´ailleurs à l’être toujours, mais elle peut être présentée aujourd'hui, suite à l´apparition de différents moyens, sous un angle plus mature.

Pistes de réflexions futures

  • Les approches actuarielles et cliniques : il faut favoriser l´inter-complémentarité des sciences.

Là où certains acteurs de luttes intestines y voient une opposition non négociable, la complémentarité des outils de recherche et les regards croisés constituent certainement la meilleure approche visant à dégager les pistes les plus enthousiasmantes et les plus fiables pour les décideurs.

Il existe autant de situations pour lesquelles l’approche actuarielle ne s’applique pas que de situations qui ne supportent pas d´approches cliniques. Par contre, le lien entre les deux concepts constitue peut-être la voie du meilleur succès.

Il faut arrêter, au moins momentanément, de perdre du temps à réfléchir à si oui ou non il est opportun de lancer ou d´utiliser telle ou telle catégorie de méthodes. Il faut au contraire profiter des apports respectifs des différentes approches, se concentrer à rationaliser tous les « outils » à disposition, en dehors de toutes considérations dogmatiques. Il convient de dépasser les oppositions d’école, sans jamais oublier les limitations méthodologiques respectives.

Si le décès d´Adeline peut servir à cette cause à laquelle elle souscrirait, il s´agit dès à présent d´un devoir.

  • La dangerosité, un concept opérationnel variant.

Il ne faut pas perdre de vue que le concept de dangerosité varie dans le temps ainsi que dans l’espace. Est dangereux celui qui possède certaines caractéristiques dira n´importe quel expert. Mais il se trouve que tout le monde ne partage pas la même définition, encore moins dans des environnements professionnels aussi distincts quant aux missions que ceux des psychiatres et psychologues, des magistrats, des policiers ou encore des politiciens et décideurs. Il convient  d´en être conscient et d´adopter un vocable partageable par l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale, il s´agit là d´une question de cohérence.

  • Vers plus de transparence.

Les experts, on peut l´espérer après les meurtres de Lucie, Marie et Adeline, sauront se recentrer et proposer des évaluations étayées, des expertises transparentes, notamment dans leurs conclusions, ne rechignant pas à exposer ouvertement les limitations de leurs observations, ne serait-ce que pour être compris, crus, et de permettre, on l’oublie bien trop souvent, de rendre possible, notamment, des comparaisons dans le temps entre deux expertises.

  • Favoriser un regard interdisciplinaire dans l’expertise et valoriser les regards croisés.

En complément à cette analyse, il semble pertinent de diversifier beaucoup plus régulièrement les regards croisés, d’opter pour des visions interdisciplinaires, à l’instar de ce qui se fait au sein des commissions de dangerosité qui n´existent d´ailleurs pas dans tous les cantons.

Il serait aussi opportun de faire en sorte que l’expert, qu’il soit psychiatre ou autre, n’ait plus à assumer seul les conclusions d’analyses très lourdes, au risque de les voir disparaître s´ils doivent systématiquement rendre des comptes lorsque les diagnostics et les conclusions ont été démenties par les faits.

Il est indéniablement pertinent de voir se confronter différentes visions de la dangerosité et d’intégrer, dynamiquement, les regards des uns et des autres dans le processus décisionnel. Il est tellement évident de comprendre et d´accepter que le regard d´un surveillant en détention est aussi important que celui de l’expert. Et de se demander simplement ce que peut apporter et apprendre par exemple le regard de l’animateur socioculturel – qui rencontre les principaux concernés dans un contexte fondamentalement différent – sur la façon d’être et/ou les intentions d’un individu? La réponse est simple: beaucoup!

En filigrane de ces propos, on l´aura compris, ce sont les sources d’informations qu´il s´agit de valoriser à l´avenir. Elles sont tellement déterminantes. Il faut donc oser poser des gardes fous en valorisant les sources de renseignement de qualité, et ne pas hésiter à diversifier ces  sources autant que possible, à « utiliser » tous les différents regards s’offrant à nous. En clair, il faut mettre sur pied un véritable "monitoring" du détenu potentiellement dangereux.

Dans "Évaluation précoce de la dangerosité relatif au domaine des violences conjugales et des menaces: recherches et expériences du service de probation du canton de Neuchâtel", (Schaller & Huguenin-Dumittan, 2010), une méthodologie d´évaluation a été décrite et tenait compte des aspects liés au monitoring. Cette méthodologie par étapes a eu le mérite d´être évaluée « en situation réelle », qui plus est dans des situations plutôt sensibles, et elle a été jugée concluante.

L’idée était finalement assez élémentaire: deux évaluateurs (plutôt qu´un seul), si possible d’âges différents, de sexe différent (en fonction aussi de la thématique appréhendée) et une indépendance des regards dans un premier temps suivie d´une confrontation des points de vue.

Répondant à certaines demandes, notamment d’évaluations des risques de récidive (individus multirécidivistes notamment), ce cheminement avait réservé bien des surprises, tant les différences de comportements observées entre les évaluateurs « différents » 1 et 2 s’étaient révélées manifestes. Tant les regards croisés, cliniques et actuariels (criminologiques), avaient offert des captations complémentaires, dynamiques, des risques présentés par la situation étudiée. Le tout en maintenant cette nécessaire tentative d’attribution de sens à l’agir délictuel, par le maintien du contact humain avec le sujet.

  • Donner les moyens aux ambitions.

L’exercice de l’estimation du degré de dangerosité d’une personne est et restera toujours empreint de subjectivité et, surtout, complexe. Les échanges d´informations ne sont souvent pas autorisés, sous le couvert du secret de fonction ou du secret médical. Il faut des bases légales susceptibles de rendre possibles les échanges qui sont nécessaires aux évaluations et au monitoring des détenus susceptibles de dangerosité, bref favoriser l´accès aux informations souvent cruciales. Les outils légaux sont donc incontournables.

  • Oser reconnaitre que certains profils ne sont pas accessibles aux traitements thérapeutiques.

Les personnes incurables semblent exister, il ne faut pas en faire le déni, il faut oser le reconnaître, donc accepter cette idée.

"C'est seulement à partir du moment où je sais que les étiquettes enferment les choses et les gens – et que cela les tue – que je peux en faire usage. C'est seulement quand je sais que les mots ne sont que des étiquettes que je peux appeler un chat un chat", écrivait le philosophe suisse Alexandre Jollien dans son dernier ouvrage (2012, p. 18).

Accepter l’utilisation de ce type « d’étiquettes », parfois, semble une nécessité.

Conclusion: vers un modèle plus souple et une généralisation du monitoring.

Il est temps d´évoluer vers un modèle plus réactif qui permettrait d’intégrer plus rapidement des observations diverses et variées, émanant des différentes sources, il n´est plus question d’être dans l’attente.

Il devient urgent de fédérer les avis, possiblement sous la forme de commissions interdisciplinaires, afin de déterminer si oui ou non quelqu’un à droit à une libération conditionnelle. Il faut donner les moyens d’intégrer des faits nouveaux inquiétants et questionnants dans le cadre des évaluations et de la gestion des situations à risques – risk assessment et risk management -, ceci de manière beaucoup plus rapide qu´actuellement, de manière plus dynamique. C’est d’ailleurs une revendication, un droit que bon nombre de citoyens réclament.

Il s´agira en fait d´offrir aux décideurs des évaluations nouvelles et de donner les moyens d’interagir et de mieux contrôler les décisions prises. Le drame de Marie l’a montré : il n´y a pas eu, professionnellement parlant, de faute, soit. Le rapport à ce sujet est implacable, il faut le reconnaître, la procédure a été respectée stricto sensu. Pourtant, l´issue n’est pas acceptable tant pour le quidam que vraisemblablement pour les acteurs plus directement liés au fait des fonctionnements. Qui plus est, si l’on en croit les informations relayées par les médias, des sonnettes d´alarmes avaient été tirées dans le cadre des congés du récidiviste. Certes, ceux qui avaient constaté des faits inquiétants n’étaient pas psychiatres, n’étaient pas identifiés comme étant des « experts » en tant que tels, mais ils connaissaient, d’une manière ou d’une autre, l ‘individu en question ou pour le moins détenaient des informations capitales, on le sait aujourd´hui.

En conclusion, il est indéniable que la recherche doit encore être renforcée sur ce sujet délicat, crucial et difficile. Il n´y a d´ailleurs que la recherche qui sera susceptible de proposer un socle acceptable et fédérateur relatif à l´évaluation et la prise en charge de la dangerosité. Dans l´intervalle, il conviendra d´étayer les débats en intégrant au maximum les apports récents des sciences criminelles dans les concepts classiques liés au champ des évaluations. Mais la discipline doit aussi obliger les experts à resserrer les rangs et à rester humbles autant que raisonnables. La voie à suivre semble s´inscrire dans l´ouverture des champs de vision et le décloisonnement de ceux-ci, vraisemblablement même dans une vision holistique des situations traitées. C´est peut-être à ces conditions que les évaluations des personnes dangereuses ou à risque seront meilleures à futur, peut-être…

Bibliographie

Castel, R. (1983). De la dangerosité au risque. Actes de la recherche en sciences sociales , 47-48, pp. 119-127.

Debuyst, C. (1984). La notion de dangerosité, maladie infantile de la criminologie. La dangerosité, un débat à poursuivre , 17 (2), pp. 7-24.

Hobbes, T. (1651). Léviathan. Traité de la matière, de la forme et du pouvoir ecclésiastique et civil (1651). Voir notamment Collection "Les auteur(e)s classiques".

Jollien, A. (2012). Petit traité de l'abandon. Pensées pour accueillir la vie telle qu'elle se propose. Seuil.

Lombroso , C. (1876). L'Uomo delinquente.

Schaller, A., & Huguenin-Dumittan, V. (2010). Evaluation précoce de la dangerosité dans le domaine des violences conjugales et des menaces: recherches et expériences du service de probation du canton de Neuchâtel. Dans F. Riklin, & A. Baechtold, Sécurité avant tout? Chances et dangers du "risk assessment" dans le domaines de l'exécution des sanctions et de la probation (pp. 33-55). Bern: Stämpfli.

Le QUIZZ sécuritaire de l’été

J'adore l'été parce qu'il fait chaud, mais aussi parce que pratiquement tous les journaux people offre des QUIZZ qui nous permettent de savoir qui nous sommes, quels sont nos croyances et nos représentations, dans pratiquement tous les domaines et de manière ludique. Je vous propose de vous découvrir par rapport à votre représentation du monde sécuritaire réel dans lequel vous vivez et de l'évolution de la sécurité. Répondez aux questions ci-dessous, comptabilisez vos points et découvrez votre profil.

(une seule réponse possible)

Q-1.  En Suisse, selon la statistique policière de la criminalité,

A.     il y avait moins de cambriolages à la fin des années 90 qu'aujourd'hui;

B.     le nombre de cambriolages est resté stable entre 1982 et 2012;

C.    il y avait plus de cambriolages en 1998 qu'en 2012.

Q-2. En Suisse, selon la statistique policière de la criminalité,

A.     c'est en 2012 qu'il y eu le plus de brigandages avec arme à feu depuis 30 ans;

B.     iI y a eu moins de brigandages avec arme à feu en 2012 qu'en 1982;

C.    il y a beaucoup plus d'attaques de banques avec arme à feu aujourd'hui que dans les années 80;

D.    les banlieues françaises (p.ex. de Lyon) ont fait exploser le nombre de brigandages avec arme à feu.

Q-3. En Suisse, selon la statistique policière de la criminalité,

A.     le nombre d'homicides réalisés a quadruplé de nos jours à cause de la violence conjugale;

B.     il y a environ deux fois moins d'homicides réalisés ces trois dernières années qu'au début des années 90;

C.    les homicides réalisés sur rue ont doublé en vingt ans.

Q-4. En Suisse, selon la statistique policière de la criminalité,

A.     les actes de violence sont en perpétuelle augmentation;

B.     les infractions de violence ont nettement diminué entre 2009 et 2012;

C.    ce sont les violences graves qui ont le plus augmenté entre 2009 et 2012.

Q-5. En Suisse, selon la statistique policière de la criminalité,

A.     aujourd'hui, il y a beaucoup plus de risques de se faire voler son véhicule (voiture, moto ou vélo) qu'il y a 30 ans;

B.     les vols de véhicules ont diminué de moitié en vingt ans;

C.    il y a beaucoup plus de vélos, donc le nombre de vols de véhicules a nettement augmenté.

Q-6. En Suisse, selon la statistique policière de la criminalité,

A.     il n'y a que 10 à à15 lésions corporelles graves avec l'usage d'une arme à feu par année en Suisse;

B.     les lésions corporelles graves avec l'usage d'une arme à feu ont fortement augmenté ces dix dernières années;

C.    au niveau des violences graves, ce sont uniquement les viols qui ont fortement augmenté ces cinq dernières années.

Q-7. Selon un sondage de victimisation et auto-reporté effectué à Zürich en 1999 et en 2007 auprès des 15-16 ans, les résultats montrent que 

A.     la violence des 15-16 ans a explosé;

B.     ce sont uniquement les victimes de viols collectifs qui ont augmenté;

C.    il n'y a aucun changement significatif lorsque l'on compte le total des délits de violence entre 1999 et 2007;

D.    45% des sondés ont été victimes de violences dans les 30 derniers mois.

Q-8. Selon un sondage de victimisation et auto-reporté effectué à Zürich en 1999 et en 2007 auprès des 15-16 ans, les résultats montrent que 

A.     la part des 15-16 ans qui boivent de l'alcool fort a plus que doublé; 

B.     les 15-16 ans fument plus de cannabis en 2007 qu'en 1999;

C.    la consommation de cigarettes par les 15-16 ans a diminué de manière significative;

D.    les jeunes consomment toujours plus de psychotropes.

Q-9. Parmi les variables qui expliquent le mieux le passage à l'acte chez les jeunes, laquelle est-elle susceptible de réduire le plus significativement et rapidement la délinquance?

A.     le background personnel (âge, sexe, conditions sociales, etc);

B.     l'urbanisme;

C.    l'avenir socio-professionnel;

D.    la supervision parentale.

 

Votre profil:

70 à 90 points:               

Votre perception de la sécurité et de son l'évolution est très altérée, votre confiance en la société est en état de crise, vous vivez dans un état d'angoisse qui peut nuire gravement à votre santé, vous succombez aveuglément aux discours sécuritaires et vous contribuez à augmenter les coûts de la sécurité. Conseil: documentez-vous, changez vos lectures quotidiennes et essayez de vous sevrer de la télévision durant un mois au moins.

50 à 60 points:               

Attention, votre niveau d'angoisse et votre indice de confiance sont en train de montrer des signes inquiétants. Vous êtes sur le point de sombrer dans le tout-sécuritaire et de voir le mal partout. Il vous faut consacrer du temps à bien réfléchir aux valeurs auxquelles vous croyez et voulez défendre. Faites le point le plus objectivement possible sur votre sécurité objective et vos conditions de vie.

30 à 50 points:               

Vous êtes normal(e). Votre niveau d'angoisse et votre indice de confiance ne sont pas encore altérés. Vous avez une certaine clairvoyance relative à la sécurité objective de votre environnement social. Vous devez être vigilent(e) face aux assauts des faits divers liés à la criminalité pour ne pas croire à tort que vous êtes devenu(e) une cible et changer vos habitudes. Gardez confiance!

0 à 20 points:                  

Bravo, vous vivez dans le monde sécuritaire réel, vos valeurs et vos représentations sont intactes. Continuez, persistez et persuadez autour de vous.

Réponses et points:

Q1: A=10; B=10; C=0

Q2: A=10; B=0; C=10; D=10

Q3: A=10; B=0; C=10

Q4: A=10; B=0; C=10

Q5: A=10; B=0; C=10

Q6: A=0; B=10; C=10

Q7: A=10, B=10; C=0; D=10

Q8: A=10; B=10; C=0; D=10

Q9: A=10; B=10; C=0; D=10

L´histoire récente du sentiment d´insécurité

Avec la collaboration de Julien Niklaus (assistant diplômé et doctorant à l'Institut de Hautes Études en Administration Publique – IDHEAP/UNIL)

Le rapport sur "Sécurité 2013" vient d'être publié. Il s'agit d'un sondage d'opinion réalisé par l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich visant à suivre l'évolution, depuis 1994, de la perception de la sécurité au sens large du terme des représentations et des besoins sécuritaires. On y apprend, par exemple, que 89% des sondés estiment qu'ils se sentent en sécurité en Suisse (32% «très en sécurité» et 57 «plutôt en sécurité»), alors qu'ils n'étaient que 69% en 1994. En d'autres termes, il semble que le sentiment d'insécurité ne soit pas allé croissant ces vingt dernières années. Parallèlement, on parle, ces dernières semaines, très abondamment de la sécurité et de ses enjeux, que ce soit à Lausanne, à Genève ou à Berne, souvent de manière contradictoire à ce que montrent les sondages et les diagnostics relatifs à la sécurité, surtout lorsqu´ils sont réalisés à l´échelle nationale. C´est comme si  l´on oscille entre le "rien ne va plus" et le "pourtant tout va plutôt bien". Pour s´y retrouver et bien comprendre, il faut retourner aux fondamentaux et reprendre les résultats de la recherche en matière de sécurité des 30 à 50 dernières années, ne serait-ce que pour savoir de quoi on parle au juste. Dans ce cadre, il ne faut jamais perdre de vue que l´objectif premier de la sécurité doit rester constamment le bien-être dans la vie communautaire, avec en filigrane le maintien du sentiment d´insécurité à un seuil aussi bas que possible. Ainsi, l´équation la plus simple de la sécurité coïnciderait à la définition d´un modèle de police susceptible d´agir sur le sentiment d´insécurité ou au moins de l´influencer. Mais au fait, de quoi parle-t-on et qu'est-ce qui se cache derrière le concept de "sentiment d´insécurité"?

Le sentiment d’insécurité (appelé "fear of crime" chez les anglophones) a trouvé très tôt une place de choix dans les études tant sociologiques, psychologiques que criminologiques dans le monde anglo-saxon. En 1955 déjà, Katz et Lazarfeld esquissèrent des liens entre insécurité, sentiment d’insécurité et jugements politiques (in Roché, 1993). Mais à cette époque, les études menées restaient encore très marquées par le concept de victimisation qui est au centre des débats, ainsi que la rationalité de l’individu. C’est véritablement en 1967, dans la Commission Katzenbach, que la problématique de la fear of crime fait sa première apparition. Toutefois, comme le souligne Roché (1993 : 37), il aurait été scientifiquement plus correct de parler de "peur de la victimisation", car "celle qui était employée était ‘peur du crime’ suggérant déjà que les deux ordres de phénomène (peur et victimation[1]) étaient réunis par un troisième (crime), en dépit du plan d’expérimentation qui posait l’équation peur = victimation".

En parallèle à cette approche mécaniste dominante, différents chercheurs, dont notamment Stafford et  Warr (1983) et Balkin (1979), tenteront d’apporter des éléments de la psychosociologie de la peur en ouvrant la réflexion sur les systèmes de représentation et d’évaluation de la violence, du risque estimé par la personne elle-même. Afin de montrer leur orientation différente, les auteurs parlent de "fear of victimization" et non de "fear of crime" (Stafford, Warr, 1983). Il y a donc là, pour la première fois, une anticipation du principe de victimisation. Toutefois, l’acteur dit rationnel reste la pièce centrale du puzzle et l’influence de la société n’est pas vraiment abordée, alors qu´elle est bien réelle. Dans ce modèle, les individus évalueraient la probabilité d’être victime et la peur (anticipée ou non) serait donc intrinsèquement liée au crime. Ainsi, suivant ce modèle quelque peu réducteur, il suffirait de s’attaquer au crime pour faire diminuer la peur de la victimisation. La réalité est, en fait, quelque peu plus complexe. Cette théorie repose sur les dimensions émotionnelles et cognitives de la peur du crime, car il prend en compte toutes les émotions (donc liées à l’affect) que les citoyens peuvent ressentir à l’idée d’être victime (fear of victimization) et il prend aussi en considération l’anticipation, un aspect plus cognitif, du fait de l’évaluation de la potentialité du problème (du crime). L´individu redoute et réalise que ce qui arrive aux autres pourrait aussi se produire à son encontre.

Presque parallèlement au "modèle anticipatoire", Balkin (1979) découvre que les personnes qui ont un taux de victimisation plutôt bas sont celles qui évaluent le plus hautement la peur du crime. Son modèle introduit la notion d’exposition. Ainsi, il semblerait que les personnes inquiètes adaptent leurs comportements en vue de limiter leur exposition au crime. Pour la première fois, on réalise que la victimisation peut être inversement proportionnelle à la peur du crime.

De manière globale, la recherche sur le sentiment d'insécurité peut donc être généralisée en un modèle en trois dimensions dont la première, dite "émotionnelle", s’intéresse à la peur en premier lieu comme une inquiétude quotidienne face à une potentielle menace, la seconde est déterminée par une "anxiété" plus diffuse, ambiante, relative au risque, la troisième, "cognitive" de la peur du crime, est quant à elle relative à la perception qu’ont les individus de leurs propres risques d’être victimes.

Une autre approche, décrite notamment par Fustenberg (1972), Lavrakas (1982), Gomme (1986), Liska et al. (1988), Fattah et Sacco (1989), Ferraro (1995), Jackson et Gray (2010), met en relief  les comportements. Le tenants de ce modèle postulent que lorsque les acteurs perçoivent un haut potentiel de victimisation, ils développent des comportements dits "contraints" (constrained behaviors). L’approche liée à la perception du lieu de vie serait alors au cœur de la peur du crime. Ainsi, la représentation que les habitants se font du désordre social (incivilités, etc.) ou de la cohésion sociale peut avoir des incidences sur la peur du crime (Taylor, Hale, 1986 ; LaGrange, Ferraro, 1989, 1992 ; Gates, Rohe, 1987 ; Bursik, Grasmick, 1993 ; Bannister, 1993 ; Sampson, Raudenbush, 1997 ; Tulloch, 2003 ; Carvalho, Lewis, 2003). Les incivilités sont au cœur de cette approche, car elles contribuent, selon certains auteurs, à la variation de la peur du crime et participent à l’érosion de la cohésion sociale.

Parallèlement, la recherche a fait émerger la notion de la dimension intersubjective. Selon les principaux auteurs (notamment Skogan, Maxfield, 1981 ; Tyler, 1984 ; Skogan, 1986 ; Taylor, Hale, 1986 ; Covington, Taylor, 1991), la peur du crime est exacerbée après avoir eu connaissance de la commission d’un crime ou d’une attaque sur un voisin par exemple. L’influence des médias serait alors une variable intervenant comme une sous-dimension. Finalement, certains auteurs anglo-saxons (notamment Garland, 2001 ; Lee, 2001, 2007) ont développé des pistes de réflexions autour de la peur du crime en tant que construction sociopolitique. Dans ce cadre, les auteurs soulignent la nécessité de prendre en compte un contexte sociopolitique plus large (sans pour autant dénigrer l’influence de la victimisation). Par exemple, le fait que certains politiciens reprennent le thème de l’insécurité à des fins politiques induira une augmentation de la peur du crime. C'est d'ailleurs ce qui s'est produit en France lors des présidentielles de 2002.

A noter que dans le monde de la recherche francophone, l’approche liée au sentiment d’insécurité ne remet pas l’individu au centre de l’équation, contrairement aux recherches plus pragmatiques anglo-saxones, mais place plutôt les problèmes et phénomènes sociaux au premier plan. En effet, le sentiment d’insécurité est appréhendé au travers des violences urbaines (Roché, 2006 ; Soullez, 2006)  de l’immigration (Mucchielli, 1999 ; Jobard, 2006) ou encore des incivilités (Piednoir, 2008 ; Robert, Zauberman, 2011). Ainsi, la différence fondamentale entre l’approche anglophone et francophone réside dans le focus mis sur des "inconnues" différentes de l’équation.

Reste à savoir quelles sont les variables qui influencent le plus le sentiment d´insécurité, dans un sens ou dans l´autre, et à déterminer s´il est possible d´agir institutionnellement ou dans le cadre d´une méthodologie appropriée visant augmenter le bien-être des citoyens d´un quartier, d´une ville, d´un canton ou d´un pays. C´est justement ce qui sera discuté dans les prochaines éditions de ce blog.

Bibliographie

 


[1] En France, la traduction de victimisation (ou victimization) est victimation. En Suisse, la traduction retenue est victimisation (Viredaz, 2005). 

 

Nous sommes en pleine semaine Alcool 2013

La campagne de prévention nationale contre la consommation d'alcool se déroule du 18 au 26 mai 2013. A mon goût, je la trouve bien discrète et timide, même si je suis conscient qu'un grand nombre de professionnels ou de bénévoles ont multiplié les efforts de communication ces derniers temps. J'aimerais également amener ma petite pierre à l'édifice en discutant ici la relation entre alcool et sécurité, sous deux angles, parce qu'ils ont le mérite d'avoir été étudiés en criminologie: celui de la violence conjugale et celui des jeunes.

En ce qui concerne les violences exercées contre les femmes en Suisse, selon une étude internationale (M. Killias, M. Simonin, J. De Puy, 2004, Violence experienced by women in Switzerland over their lifespan, Bern, Stämpfli) à laquelle la Suisse a participé, il ressort que la consommation "parfois excessive" d'alcool du conjoint masculin multiplie les risques, pour une femme, d'être violentée, d'un facteur 2.5. Ce n'est pas anodin. S'il a déjà consommé de la drogue, le facteur multiplicateur est de 2.6. Ce sont là les deux facteurs les plus signifiants de toutes les variables qui ont été étudiées, après celui de savoir que le conjoint avait déjà commis des violences à l'extérieur de la famille (8.5 fois plus de risques pour une femme d'être victimée, il s'agit de la variable championne, ce n'est pas une surprise). Et lorsque l'on regarde dans le détail les réponses du sondage, on découvre que 44.7% des femmes victimes d'un conjoint actuel violent déclarent "qu'il boit parfois trop", que 62.2% des femmes considèrent que leur ex-partenaire violent  "buvait parfois trop". Et enfin, elles sont à peu près 20% à penser que leur partenaire actuel non-violent "boit parfois trop". Ces résultats sont extrêmement révélateurs de la place de l'alcool dans la relation de couple, ce d'autant plus si l'on considère que 2% des femmes sondées ont été victimes de violences ou de menaces de la part de leur conjoint dans les 12 derniers mois et 27% durant leur vie entière. Il est donc prouvé que l'alcool joue un rôle déterminant dans l'action de violence contre les femmes et, par extrapolation, contre les enfants, dans le cadre des divorces et bien d'autres drames familiaux. Intéressant, non?

Concernant les jeunes, une recherche (O. Guéniat, S. Lucia, A. Schaller, 2009, Etude portant sur la consommation d´alcool et/ou de cannabis et le passage à l´acte), basée sur un sondage auto-reporté des 15-16 ans du canton de Neuchâtel (1575 sondés), vient nous éclairer sur la variable "consommation d'alcool" et "transgression des règles".  Les résultats montrent, de manière significative, que, pour les 15-16 ans, impliqués dans les affaires de port d'arme ou de bagarres, ils sont deux fois plus nombreux à avoir déjà consommé de l'alcool que de n'en avoir jamais consommé (16.3% contre 7.9%). Pour le vandalisme ou les incendies intentionnels, ils sont 2.7 fois plus nombreux (14.9% contre 5.5%). Pour les cambriolages et les vols, ils sont 2.8 fois plus nombreux à avoir consommé de l'alcool, 2.4 fois plus nombreux pour les affaires de racket, de lésions corporelles ou brigandages. Par contre et de manière intéressante, les affaires d'atteintes à l'intégrité sexuelle semblent échapper à la règle, ils ne sont que 1.2 fois plus nombreux à avoir consommé de l'alcool. La pulsion sexuelle serait donc alors plus forte que l'effet désinhibiteur de l'alcool? La molécule de testostérone serait-elle plus incitative à transgresser les règles que la molécule éthylique? Ce serait un peu contraire aux attentes des chercheurs, à quelques autres constats et cette dimension mériterait évidemment d'être approfondie. A titre indicatif, la variable "consommation de cannabis" serait 4 fois plus explicative des affaires de port d'armes ou de bagarres (35.5% contre 8.8%),  4 fois plus explicative des affaires de racket, lésions corporelles et brigandages, 4.5 fois plus pour le vandalisme et les incendies intentionnels, 6.6 fois plus pour les affaires de vols ou de cambriolages, 4.2 fois plus dans les délits sexuels, 42 fois plus dans la vente de produits stupéfiants. Ainsi, il est acceptable et légitime de penser que la transgression de règles pénales ou de vie, appelle à la transgression. Très intéressant!

Alors que faire? La recherche ne servirait à rien si elle n'influençait pas les décisions politiques. Elle nous enseigne certainement que:

1.       Il faut interdire la vente d´alcool dans les stations essence. Certains cantons ont osé cette mesure avec les succès escomptés. Les mineurs y trouvent un moyen simple de se procurer de l´alcool, notamment en soirée au-delà de la fermeture des grandes surfaces. Au vu des résultats de la recherche, limiter les heures d'accès à l'alcool de même que l'âge limite sont des propositions adéquates.

2.       Il faut renforcer ou établir le contrôle de la vente d´alcool aux mineurs. Les polices n´ont pas le droit d´utiliser des mineurs pour des achats-tests. Il s´agit pourtant d´un moyen simple d´agir sur la responsabilisation des vendeurs dans le cadre d´une procédure de flagrant délit.

3.       Il faut augmenter le montant des amendes infligées à ceux qui vendent de l´alcool aux mineurs. Il est certain que si le risque réel d´une sanction (certitude de la sanction) n'est pas clairement identifié par celui qui est susceptible de vendre de l´alcool aux mineurs, alors même que la sanction est soit un avertissement, soit une amende de quelques centaines de francs, l´effet dissuasif de la sanction est quasi nul. Si la loi permet de procéder à des contrôles efficaces et que les amendes représentent plusieurs milliers de francs, il est certain que l´accessibilité à l´alcool par les mineurs sera immédiatement diminuée de manière drastique.

4.       En ce qui concerne la consommation de cannabis, il faut agir sur la sanction définie dans la Loi fédérale sur les stupéfiants. En augmentant clairement la sévérité de la vente aux mineurs, il y aura un effet dissuasif évident auprès des revendeurs. Actuellement, la vente de cannabis étant très peu réprimée en termes de sévérité, les actions de la police sont totalement disproportionnée par rapport à la sanction encourue. Des actions répressives ciblées pourraient être organisées si les sanctions en valaient la peine.

A l'aube de la modification de la Loi sur l'alcool, il sera intéressant de voir nos députés prendre position sur un sujet faisant l'objet d'un lobby à tous points inégal à la prévention et très important. A suivre.

La réponse d'un membre du Groupe romand d'études des addictions (GREA) à Olivier Guéniat.

Police de proximité: l’avenir fécond du bien-être

 

Ces derniers temps, la population neuchâteloise ne doit plus rien comprendre au concept de Police de proximité mis en place dans le canton de Neuchâtel à l'occasion du projet de Police unique. En effet, après la parution d'une interview sur Arcinfo le 30.10.2012 du conseiller communal loclois, Charles Häsler, puis plusieurs autres articles dans l'intervalle, dont les contenus sont contradictoires, voici que le Courrier neuchâtelois publie, le 08.05.2013, un article intitulé "Les communes neuchâteloises veulent faire leur propre police". On y lit que certaines communes ne veulent plus établir de contrats de prestations avec la police cantonale, jugeant le coût des prestations trop cher, qu'elles veulent recruter des Assistants de Sécurité Publique (ASP) pour exécuter certaines prestations (notamment la surveillance du trafic dormant). Mais on y lit une réelle hérésie: les communes reprennent ainsi la main en matière de police de proximité. C'est faux, totalement faux. Il s'agit d'une méconnaissance extrême du concept de Police de proximité. D'ailleurs, la confusion est commune, on y attache souvent n'importe quelle définition.

Ce qui se passe à Neuchâtel est globalement bénéfique, c'est certain et même prouvé par la recherche. Le projet Police unique a permis de supprimer les polices communales au profit d'une philosophie commune de Police de proximité. Il faut savoir en effet, à ce stade, que les polices communales n'ont jamais fait de la police de proximité au sens où on l'entend dans le monde scientifique du management de la sécurité. Il existe donc une confusion de définition en amont des projets qui se sont réalisés à travers Police unique et la création du processus Police de proximité.

Je viens de finir de lire la thèse de doctorat de Julien Niklaus, d'une exceptionnelle qualité (je l'ai initiée et je fais partie du jury), relative à la conceptualisation de la police de proximité, étudiant les villes de La Chaux-de-Fonds, de Neuchâtel et de La Riviera. Je me rends compte aujourd'hui que l'on aurait dû substituer l'appellation Police de proximité par "Dispositif Partenarial de Sécurité Publique" (DPSP) et la confusion ne se serait probablement jamais produite, elle n'aurait présenté en tous les cas, politiquement et sociétalement, aucun enjeu.

Pour tenter de comprendre ce que poursuivent les dirigeants du management de la sécurité en ce début du 21ième siècle et pour une bonne vingtaine d'année, dont le canton de Neuchâtel est un véritable pionnier en Suisse, il faut savoir et comprendre la notion que recouvre la Police de proximité. Voici un bref aperçu et les objectifs contemporains. Le concept de Police de proximité a mon âge, 46 ans (tiens, tiens, c'est peut-être pour cela qu'il m'apparaît si vaillant). C'est effectivement en 1967 qu'apparaît la notion de fear of crime (peur du crime) dans le monde anglo-saxon de la criminologie. Dès lors, toutes les recherches vont se focaliser et s'intéresser à la victimisation, puis à la peur d'être victime d'un crime. Il s'agit du lien qui a amené les chercheurs sur le terrain du sentiment d'insécurité, à vouloir savoir quelles sont les variables influençant celui-ci, puis à cibler les populations qui manifestent des sentiments de peurs face au crime. Parallèlement, les spectres de la recherche se sont intéressés à définir des stratégies susceptibles d'acter sur les variables qui régissent le sentiment d'insécurité, pour augmenter le bien-être collectif. C'est ainsi qu'est née la Police communautaire (community policing) ou Police de proximité, s'intéressant à la relation entre police et citoyens, à la manière dont la police communique avec les citoyens, aux objectifs légitimes de la police, et à la responsabilité partagée de la police et des citoyens face à la sécurité et à l'ordre social. Les maître-mots deviennent dès lors: analyser correctement les problèmes pour intervenir de manière adaptée et efficiente.

Aujourd'hui, la Police de proximité consiste à développer des stratégies de management policier qui promeuvent la coresponsabilité de la police, des citoyens et d'autres acteurs publics à l'égard de la sécurité publique. Les objectifs visent à (1) à diminuer le sentiment d'insécurité, (2) diminuer la délinquance et les incivilités, (3) augmenter la confiance entre la police et les citoyens, (4) augmenter la qualité de vie.  Quant aux moyens de parvenir à réaliser ces objectifs, ils se déclinent en partenariat sécuritaire (population civile et politique), insertion dans les réseaux (associations de quartier, écoles), patrouilles pédestres, résolution de problèmes, diagnostics de sécurité, etc.

On l'aura compris, la Police de proximité répond à des critères techniques et méthodologiques précis et complexes, il s'agit d'une vraie spécialisation. La recherche scientifique nous enseigne qu'elle est le meilleur moyen (pour ne pas écrire le seul moyen) de réduire le sentiment d'insécurité et d'augmenter le bien-être collectif, la qualité de vie en société. Mais surtout, la recherche nous enseigne qu'il ne peut y avoir de résultats positifs relatifs à la criminalité sans l'approbation de la société civile et politique, sans partenariat et confiance mutuelle. A contrario, un modèle de "police guerrière", ou réactive, est un projet d'échec programmé.  

Ce que révèle la confusion actuelle dans l'esprit de certains politiciens communaux neuchâtelois est de trois ordres prépondérants: (1) une méconnaissance totale des concepts et objectifs de la Police de proximité, (2) une volonté de minimiser les coûts relatifs à la sécurité (ou plutôt de ne pas accepter les coûts réels de la sécurité) et (3) la volonté de croire faussement que la Police de proximité actuelle est toujours la "Police communale que l'on a toujours connue". Concernant ce troisième point, le chercheur Julien Niklaus (thèse de doctorat, 2013) conclut que "les méthodes, outils et compétences sociales des agents de la Police de proximité, inscrits dans une modélisation robuste, devraient pouvoir s'imposer en tant que dispositif policier différent de la police communale classique, répondant mieux aux besoins actuels de la population. Une solution à ce problème serait de miser sur une communication auprès des citoyens, via les associations de quartier, mais surtout en tentant, dès la mise ne place, d'inclure la société civile et politique intéressée dans le dispositif partenarial de sécurité publique. L'inclusion notamment de la société civile et politique est l'un des facteurs qui pourrait permettre à la Police de proximité de se profiler en tant que stratégie policière nouvelle se distançant des polices communales classiques (au sein desquelles l'idée de coproduction n'existait pas). Il s'agit alors tant d'un point central dans la philosophie de la Police de proximité que d'une manière intrinsèque (au modèle) de se différencier et de valoriser la stratégie de proximité". Il s'agit-là d'un défi important! Ces considérations, intelligentes à souhait, fonctionneront certainement à merveille avec la population, mais sous-estiment la mauvaise foi politique, même éphémère, liée à l'équilibre des budgets communaux ou, plus simplement, l'objectif politique de ne pas vouloir payer des prestations sécuritaires à leur juste prix, soit environ CHF 130.-/h et par policier (coût réel pour l'État), et non pas comme c'était le cas "faussement" (avant les études demandées à des experts financiers) dès le début du projet à CHF 60.-/h.

Je crois que la confusion majeure vient du mélange entre tâches policières et tâches du domaine public. Cette dernière décennie, il y a eu, outre le projet de Police unique ou l'implantation de la Police de proximité, un autre changement: les policiers ont été brevetés et leurs compétences ont été reconnues. Ainsi, il y a des tâches qui entrent dans le cahier des charges des policiers brevetés et d'autres qui n'y entrent plus. Dès lors, un nouveau statut a été créé, celui d'Assistant de Sécurité Publique (ASP), évidemment pour les tâches qui n'entrent plus dans le cahier des charges des policiers (tâches qui seraient alors trop chères), notamment celles liées à la gestion du domaine public (trafic dormant, parcages, signalisation, encaissement de taxes, etc). Il est entendu que ces tâches étaient totalement entremêlées lorsque les polices communales existaient, elles ne le sont plus aujourd'hui, c'est une question de priorité et d'efficience, soit l'utilisation de la meilleure organisation, des meilleurs outils et des meilleurs moyens pour obtenir les meilleurs résultats aux meilleurs coûts. Ainsi, au même titre que l'on ne demanderait pas au chirurgien de nettoyer la salle d'opération après son intervention, préférant le voir s'atteler à remédier à un autre mal auprès d'un nouveau patient souffrant, il faut que le policier reste concentré dans la délimitation des tâches qui nécessitent les compétences acquises et satisfaire aux besoins sécuritaires des citoyens, plutôt que de remplir les caisses de l'état en verbalisant les infractions en zones bleues ou d'orienter les automobilistes vers un parking lors d'un ensevelissement.

Reste à savoir comment un conseiller municipal peut-il ne pas comprendre une situation aussi explicite et simple que celle-là? Vraisemblablement parce qu'il a perdu son dirigisme, son influence directe, un peu de son ego, sa marionnette qui dit oui-oui et sa possibilité d'influencer l'équilibre de ses comptes avec des actions répressives dirigées. Sinon, que reste-t-il rationnellement dans l'argumentaire?

Ainsi, contrairement à ce qu'affirme le Courrier neuchâtelois en pensant faussement que "les communes reprennent ainsi la main en matière de police de proximité", il s'agit plutôt d'un rééquilibrage du partage des tâches inhérentes à la Police et/ou au Service du domaine public, autrement dit au canton ou à la commune. Et je considère que le fait que les communes se réapproprient des tâches qui ne sont pas policières est une excellente direction, une nécessité de clarification allant dans le sens d'une efficience optimisée. En effet, faire réaliser des tâches non policières par des policiers est une apostasie financière et politique. Les communes l'ont enfin compris, c'est très bien et cela n'a rien à voir avec la Police de proximité, puisque les tâches communales sont parfaitement réalisables par des Assistants de Sécurité Publique, qui ne sont ni ne seront jamais des policiers.

En finalité, il est clair que je reviendrai sur les résultats fantastiques révélés par l'excellente thèse de doctorat de Julien Niklaus relative à la Police de proximité. Ce qu'elle révèle doit être le guide des 20 prochaines années en matière de sécurité, c'est dire si elle est importante et qu'elle a besoin d'être démocratisée. Je reste, aujourd'hui encore plus qu'hier, convaincu que la recherche doit dicter les actions sécuritaires plus que toute autre considération. Je suis donc content de ces nouveaux résultats et de la compilation des résultats des autres recherches, parce que je sais pourquoi je me bats pour un modèle nouveau de management sécuritaire, je suis simplement hautement référencé, posture et avantage non négligeables. Je me sens donc honnête et persuadé d'aller dans la bonne direction, malgré toutes les résistances et les réticences, je sais que je travaille pour augmenter le bien-être de la population.

ADN, débats-toi!

 

Mardi 16 avril 2013, le Conseil national, à l´initiative du président du PDC, Christophe Darbelay, acceptait la motion relative à la prise préventive de l´ADN sur "certains" requérants d´asile, par 92 voix contre 85, 12 abstentions. La motion avait été déposée le 28.09.2012, suite à l´avis que j´avais avancé dans une interview de la SonntagsZeitung et du Matin Dimanche le 18.08.2012. L´idée d´utiliser préventivement l´ADN est donc réactivée au niveau parlementaire après avoir été tuée dans l´œuf par le comité des Directeurs cantonaux de justice et police le 22.08.2012, puis par l´avis négatif du Conseil fédéral exprimé le 14.11.2012. Le débat est relancé, c´est bien.

Car, on l´aura compris, je milite, en tant que policier, pour que l´ADN soit "dédiabolisé" et, ainsi, qu´il soit considéré comme l´outil ultraperformant qu´il est bel et bien. L´ADN continue de faire peur, c´est certain, mais les considérations qu´il reflète sont en train de changer. Le Quotidien Jurassien avait d´ailleurs effectué un sondage (807 votants) et révélait que les sondés ne s´inscrivaient pas du tout dans les réticences politiques, avec 88% de oui à la question "Faut-il soumettre certains requérants d´asile à un test ADN?". Le décalage est surprenant. Encore plus surprenantes les réactions favorables des auditeurs dans l´émission de RSR LaPremière "En ligne directe" du 20.08.2012. L´ADN semble de plus en plus accepté par les personnes qui se sont manifestées, il semblerait qu´il a changé dans la représentation et la conscience populaires. Peut-être d´ailleurs grâce à l´immense succès des célèbres séries télévisuelles, comme Les Experts, Esprits criminels, NCIS ou NY-Unité Spéciale et bien d´autres pour ne pas dire toutes. L´efficacité a-t-elle sublimé le diable en matière de sécurité?

Parallèlement, il ne faut pas négliger non plus que le concept même de la protection de la sphère privée s´est totalement effondré ces dix dernières années, reléguant de plus en plus loin et profond les vieilles peurs du scandale de l´Affaire des fiches à la fin des années 80. Aujourd´hui, on se réveille à l´ère de la biométrie, on accepte sans sourciller de donner ses empreintes digitales lorsque l´on achète un passeport suisse, on accepte avec résignation de donner ses empreintes digitales et les photographies des iris oculaires lorsque l´on veut entrer aux Etats-Unis. On accepte de se faire filmer lorsque l´on retire de l´argent à un distributeur à billets. Et à l´ère des données biométriques, il faut ajouter encore l´étage Facebook et autres réseaux sociaux sur lesquels la pudeur inspirée par la protection de la sphère privée n´existe quasiment pas. Sans oublier la géolocalisation partagée volontairement sur les Iphones ou le contrôle des achats par les cartes de fidélité des grandes surfaces. Il y a là-derrière un nouveau concept sociétal qui a changé, à n´en pas douter et en un très court laps de temps, la participation consentie de la population à la sécurité, mais encore la mise à nu approuvée de l´individu. On peut le regretter et tenter de mettre des freins çà et là, l´élan interdit tout retour en arrière et coïncide plutôt à une fuite en avant.

Si le débat relatif à l´ADN judiciaire contribue à le dédiaboliser, il faut admettre que le résultat du vote du Conseil national montre un premier pas vers sa dépolitisation, c´est indéniable, même si la distance entre les oui et les non est bien courte. Si je le pouvais, je parierais que le refus aurait été terriblement cuisant il y a moins de dix ans. Je vois là, simplement, l´explicitation de la nouvelle place de la sécurité en politique suisse et citoyenne.

Je regrette pourtant que l´ADN ne soit pas encore connu et reconnu à sa juste valeur. Il faut écouter le généticien, Denis Duboule, sur RSR LaPremière, dans l´émission "L´invité de la rédaction" du 19 avril 2013. Il dit, comme moi d´ailleurs, même s´il n´est pas favorable à la motion Darbelay, que l´ADN judiciaire n´a rien à voir avec le génome humain (protégé par la Constitution fédérale de la Confédération suisse), ni avec le génie génétique. Il est totalement comparable à l´empreinte digitale en ce sens qu´il ne veut rien dire sur les individus, que l´on ne peut rien savoir, à travers lui, sur les individus ni leur sphère privée, et qu´il n´est qu´une étiquette qui a pour seule vocation d´être comparée à celle d´une trace prélevée sur les lieux d´un délit ou d´un crime.

Techniquement[1], l´ADN est une molécule dont la moitié est donnée par la mère, l´autre par le père. L´ADN judiciaire repose sur 16 morceaux (appelés "loci") qui ne portent aucune information génétique (ADN non codant), mais dont on sait qu´ils sont extrêmement variables dans la population. Bref, ils permettent d´individualiser une personne avec un très haut degré de certitude. Si je publiais mon ADN, il ressemblerait à ceci: 16:13, 15:16, 10:11, 19:19, 15:16; 32,2:33,2; 19:23; 16:17; 11:14; 7:9; 24:25; 12:13; 15:16; 13:18,3; 18:21; 19:24,2. Et qu´est-ce que je risque? On ne peut rien en faire. En pourtant, c´est bel et bien cette suite insignifiante de chiffres qui figure dans la base de données ADN nationale qui se trouve à l´Institut universitaire de médecine légale de Zurich (en mains médicales!), qui fait encore peur sur un plan politique. Et en plus, toutes ces informations sont cloisonnées! En effet, lorsque la police prélève l´ADN d´une personne, elle lui attribue un numéro pour son analyse et elle transmet le prélèvement au laboratoire avec ce numéro uniquement, sans aucune autre donnée liée à l´identité de la personne sur laquelle l´ADN a été prélevé. Ce laboratoire analyse le prélèvement et envoie le résultat dans la base de données ADN à Zürich. Ni Zurich, ni le laboratoire ne connaissent l´identité de la personne. Parallèlement, la police envoie le numéro lié au prélèvement à l´Office fédéral de la police (OFP) avec l´identité de la personne dont est issu le prélèvement ADN. Lorsque la base de données montre une correspondance trace-trace ou trace-personne, l´Office fédéral de la police est averti et informe du résultat la police émettrice. Toute la procédure est placée sous l´autorité et la surveillance de la justice pour l´exploitation en procédure des résultats. Il n´y a donc aucune place pour l´abus d´utilisation de ces données, ni pour la peur d´ailleurs, dans une telle procédure. Enfin, il faut considérer que l´ADN est non invasif, ce qui est un avantage non négligeable, et qu´il ne fait prendre un risque qu´aux personnes qui commettent des délits, rien de plus.

Quant au principe de non-discrimination qui serait violé parce que le prélèvement serait effectué préventivement sur une population à risque, notamment sur les requérants d´asile répondant aux profils de délinquants sériels, il faut tout de même se rappeler que la Suisse connaît déjà de nombreuses règles de discrimination dont on peut s´étonner qu´elle ne font pas et n´ont pas fait débat sur un plan politique. Prenons l´exemple de la Loi sur les armes (LArm) qui interdit, par son article 7 et l´article 12 de son ordonnance, l’acquisition, la possession, l’offre, le courtage et l’aliénation d’armes, d’éléments essentiels d’armes, de composants d’armes spécialement conçus, d’accessoires d’armes, de munition, ainsi que le port d’armes et le tir avec des armes à feu, aux ressortissants des Etats suivants: Albanie, Algérie, Sri Lanka, Kosovo, Croatie, Macédoine, Monténégro, Bosnie et Herzégovine, Serbie, Turquie. Il s´agit clairement d´une discrimination préventive présumant que les ressortissants de ces pays sont potentiellement plus susceptibles d´utiliser une arme contre une autre personne qu´un Espagnol, un Italien, un Français ou un Suisse. Et si l´un des ressortissants de ces pays frappés de l´interdit obtient la nationalité suisse, il est autorisé à l´achat d´armes, c´est la magie de la croix blanche qui lave de tous soupçons. Et que l´on ne vienne pas dire que c´est à cause de la seule guerre que certains pays figurent encore aujourd´hui dans cette liste, la Croatie n´est plus en guerre depuis plus de 20 ans, par exemple. Dans l´intervalle, cela peut faire rire ou pleurer, à l´heure des événements terroristes de Boston, un ressortissant Tchétchène peut acheter une arme en toute légalité en Suisse. Et que dire des primes d´assurance liées à l´immatriculation et à la conduite de véhicules, plus élevées pour certains ressortissants de pays plutôt que d´autres? Et que dire du fait que l´on prend déjà les empreintes digitales à tous les requérants d´asile qui s´annoncent en Suisse? Ne s´agit-il pas aussi déjà d´une mesure discriminatoire? Mais, une fois encore, nous l´avons vu, l´ADN n´est absolument pas différent des empreintes digitales, deux moyens permettant d´identifier un individu ou de savoir s´il a commis un crime ou un délit.

Or, dans le domaine de l´asile, un grand nombre de requérants n´ont simplement pas d´identité propre, pas de passeport, certains s´enregistrent sous une fausse identité. Il n´y a donc aucun moyen de savoir qui ils sont, contrairement à d´autres catégories d´individus. C´est un constat, ce n´est pas une critique, certains migrants n´ont pas le même statut que la population résidente permanente (indépendamment qu´elle soit constituée de nationaux ou d´étrangers). C´est pour cette raison que le prélèvement préventif de l´ADN de certains requérants d´asile ne saurait être intrinsèquement discriminatoire. L´ADN, comme les empreintes digitales, présente l´avantage de savoir s´ils ont déjà commis des délits graves ou sériels dans d´autres pays de l´espace Schengen avant de statuer sur l´issue de la procédure qui les concerne. Ce n´est pas un luxe et je m´inscris totalement dans cette perspective en tant que professionnel de la sécurité.

Relevons que le prélèvement ADN ne serait pas opportun pour les femmes ni pour les enfants. Le profil des auteurs de délits sériels coïncide irrémédiablement et dans l´immense majorité à des hommes âgés de 18 à 40 ans. Il ne serait pas pertinent non plus de prélever l´ADN sur des ressortissants du Tibet, du Sri Lanka ou de Turquie et de bien d´autres pays. Il faudrait donc fixer des critères fiables et aussi objectifs que possible, tout en considérant qu´une mesure comme celle-ci pourrait être levée si elle devenait inopportune. Elle a un caractère éphémère dans la mesure où elle est conjoncturelle et contextuelle.

L´ADN est incontestablement le moyen judiciaire le plus efficient, parce que le moins coûteux, le plus fiable, par rapport aux résultats qu´il offre, de toute la boîte à outils à disposition de la police et dans la lutte contre les délits sériels, comme les cambriolages ou les agressions sexuelles ou encore violentes. Il n´y a aucun doute à ce sujet. De 2008 à 2012, ce ne sont pas moins de 21´178 identifications (hits) qui ont été réalisées en Suisse. Il y en avait 3454 en 2008 et 5834 en 2012: l´ADN offre toujours plus d´efficacité. En 2012, il y a eu  3419 hits pour des vols par effraction, 1117 pour des vols, 197 pour des brigandages, 146 pour des lésions corporelles, 44 dans des affaires d´homicides. Ce sont des résultats spectaculaires, extrêmement performants. Il permet aussi de faciliter l´action de la justice, de favoriser sa célérité, de minimiser les risques d´erreurs judiciaires et le recours aux mesures de contrainte lors de procédures de contrôles à l´encontre de personnes sur lesquelles pouvaient reposer des soupçons.  

Enfin, si l´on se projette un peu dans un avenir proche, il faut aussi savoir que le Traité de Prüm (appelé aussi Schengen III)  prévoit un élargissement de l’échange de données ADN, d´empreintes digitales et de données à caractère personnel entre les États de l´espace Schengen, mais surtout de connecter les bases de données de ces  États entre elles. C´est l´avenir d´une nouvelle efficacité qui donnera des résultats encore plus rapides et plus extraordinaires.

 

 


[1] comme je l´avais déjà publié dans une chronique du journal LeMatin le 31.08.2012

 

Souriez! Vous êtes filmé. Mais que dit la recherche?

Par Olivier Guéniat, commandant de la police cantonale jurassienne, et Francisco Klauser, professeur assistant en géographie politique à l´Université de Neuchâtel ([email protected])

Aujourd’hui, en Suisse comme ailleurs, l’utilisation de caméras de surveillance fixes et mobiles se généralise et se banalise progressivement. Coup sur coup, en ce début du mois d´avril, on apprenait que Genève envisage de répondre à ses problèmes sécuritaires par la pose de 21  caméras de surveillance, que la commune de Lutry était autorisée par le Tribunal cantonal vaudois à poser des caméras dans deux établissements scolaires et à enregistrer les espaces extérieurs durant les heures de cours, que le canton du Jura a le projet d´équiper les axes routiers de transit de caméras reliées à des bases de données répertoriant les plaques d´immatriculation signalées volées, que le corps des gardes-frontière a le projet d´équiper des centaines de caméras aux postes frontières. Que se passe-t-il? Quel est l´élément agitateur de cette effervescence? L´évolution du sentiment d´insécurité, de l´insécurité tout court ou une réponse à une volonté de répondre et de résoudre les problèmes liés à une criminalité ciblée? Des questions difficiles auxquelles les réponses ne sont pas véritablement connues et souvent difficilement compréhensibles sur un plan rationnel. Ce qui est certain, c´est que l´ambiance sécuritaire a produit une octave jamais atteinte publiquement dans l´histoire de notre pays.  Les médias insistent avec une certaine lourdeur sur les enjeux sécuritaires, mettent en scène les faits divers de manière souvent exagérée parce que la recette fait simplement vendre, entre la rubrique people et sportive. Il s´ensuit que la population développe légitimement ses peurs et réclame de la sécurité et des mesures concrètes et que  le monde politique se doit de proposer des solutions convaincantes, au risque d´être disproportionnées, limite populistes,  pour paraître crédibles. La spirale s´emballe-t-elle? La vidéosurveillance est-elle une des réponses appropriées à la criminalité? Il est temps de faire le point sur les résultats de la recherche et de les confronter aux espoirs de la politique-politicienne, citoyenne. Car, ne l´oublions jamais, seule la recherche est crédible et susceptible de nous faire prendre les bonnes décisions, indépendamment des croyances, des ambitions politiciennes, des a priori et des espoirs. Voici donc ce que dit la recherche!

La vidéosurveillance, quelle efficacité?

En matière d´éclaircissement des crimes, la vidéosurveillance est relativement efficace pour enregistrer et résoudre des crimes, surtout lorsque des caméras sont utilisées dans des périmètres restreints comme dans les trains, les bus, les supermarchés, les banques, les aéroports, etc. Dans ces cas, la vidéosurveillance permet non seulement d’identifier des délinquants, mais aussi de comprendre le déroulement et l’organisation du crime.

Dans les aéroports, par exemple, la vidéosurveillance permet incontestablement une efficacité avérée lorsqu´il s´agit de comprendre comment et surtout où se déroulent les vols commis par les pickpockets. Il y a des enquêteurs spécialisés dans le décryptage des comportements derrière les écrans et des équipes d´interpellation dans les zones qui ont été ciblées par l´analyse des données enregistrées. La recette est efficace et fonctionne, il n´y a aucun doute à ce sujet. La même méthodologie donne des résultats efficients s´il s´agit, dans une zone délimitée, de comprendre comment le mode opératoire se met en place, quelles sont ses forces et ses faiblesses, de définir, en quelque sorte, son rodage, toujours dans le but d´identifier son talon d´Achille, de le mettre à mal et de développer une stratégie adaptée. La recette est totalement probante, il n´y a aucune discussion à ce sujet, elle a été démontrée à de réitérées reprises. D´ailleurs, il est commun que la police utilise des caméras de vidéosurveillance dans l´espace public pour mieux comprendre ce qu´il s´y passe et pour s´appuyer sur cet outil afin de développer un plan inhibiteur efficace, tout en minimisant l´engagement de ressources humaines fort coûteuses. C´est le cas notamment en matière de lutte contre la vente de produits stupéfiants, de vols à l´astuce commis en série ou de vols à la tire ou encore de vols à l´arrachée. Dans ce cadre-là, les forces sécuritaires sont hautement efficaces, elles voient les délits (enregistrés), ciblent et obtiennent des succès convaincants. Une fois encore, que du bonheur, de la facilité et de l´efficience. Mais, une fois le problème résolu, les caméras sont retirées, parce qu´elles n´étaient qu´un outil opérationnel hautement efficace, mais éphémère. Elles se différencient donc des autres caméras permanentes, celles qui perdurent sans réelle stratégie. Qu´en est-il de celles-là?

La première conclusion inaliénable aujourd´hui nous permet de conclure, à l´appui de la recherche et de l´expérience, que la vidéosurveillance est efficace si elle s’inscrit dans un système plus large, dans lequel des mesures humaines prédominent. Il découle de ce principe que la vidéosurveillance "permanente" ne saurait être efficace que si elle est associée à un concept élaboré et ciblé. Elle ne saurait ainsi à elle seule substituer l´intelligence humaine et les ressources humaines policières garantes de son efficacité ou de son efficience. Cette technologie est donc plus coûteuse que l’on peut l´imaginer, si l’on veut obtenir des résultats probants. Or, certains politiciens ont tendance à privilégier un peu trop vite des solutions purement technologiques, parce qu’elles paraissent simples, efficaces et bon marché au premier regard, alors que du côté de la police, souvent, on préférerait d’avantage d’investissement dans des mesures humaines. Nous sommes là devant une division d´intérêts divergents.

Et qu´en est-il alors de l´effet préventif? Un vaste corpus de recherches empiriques suggère que les effets préventifs des caméras sur la criminalité doivent être interprétés de façon plutôt critique[1]. Le Gouvernement britannique vient d´ailleurs de publier deux études remarquables à ce sujet. Pensons seulement que ce pays bénéficie de plus de cinq millions de caméras vidéo! Ces études proposent une réévaluation de 35 projets, dont les statistiques disponibles permettent une analyse approfondie. On y apprend que la vidéosurveillance possède un certain potentiel, mais connaît aussi des limites…Tiens donc! Lesquelles?

Il apparaît surtout et avant tout que la propension des caméras à dissuader les individus de s’adonner à des actes criminels diminue au fil du temps. Les délinquants s’habituent aux caméras, et finissent même par les oublier (Gill et Spriggs, 2005)

En ce qui concerne la vidéosurveillance de places et de bâtiments publics, ces évaluations démontrent une réduction moyenne des actes délictueux de 2 à 4%, c´est bien peu. Gill et Spriggs, les auteurs de l’une de ces études, concluent ainsi que «la vidéosurveillance produit peu de bénéfices, par rapport aux coûts investis. Cela n’est pas surprenant parce que les installations connaissent très peu d’effets au niveau de la criminalité, mais aussi parce que la complexité des systèmes cause des coûts tout de même assez élevés…». Si, d’une manière générale, l’efficacité de la vidéosurveillance paraît incertaine, il faut aussi mentionner que les caméras connaissent un succès grandissant, en particulier dans la surveillance de parkings. Mais à quelques exceptions près, la vidéosurveillance connaît une efficacité préventive limitée. C´est évidemment embêtant!

La recherche nous permet d´identifier quatre facteurs prépondérants qui expliquent les limites de l’efficacité préventive de la vidéosurveillance.

Premièrement, il faut mentionner le facteur temporel. Si l’installation de caméras de surveillance peut améliorer la sécurité d’un espace à court terme, les effets préventifs à long terme s’avèrent beaucoup moins clairs (Welsh and Farrington, 2002; Gill and Spriggs, 2005; Armitage, 2002[2]). Il apparaît alors que la propension des caméras à dissuader les individus de s’adonner à des actes criminels diminue au fil du temps. Les délinquants s’habituent aux caméras et finissent même par les oublier (notamment si les ressources humaines à disposition sont insuffisantes ou inopérantes). Ce résultat est décevant ou nous laisse évidemment dubitatifs, enclins aux doutes. Il semblerait donc qu´une caméra abordable à quelques milliers de francs rime avec plusieurs centaines de milliers de francs s´il faut l´accompagner de policiers opérants. N´oublions pas qu´il faut, au minimum, douze agents pour espérer en voir deux, 24/24 heures, dans l´espace public, répondant aux sollicitations de ce qu´on l´on voit derrière les écrans suggérés par les caméras. Douze agents, pour avoir une patrouille H24, plus un(e) collaborateur(trice) derrière l´écran, dont le coût unitaire est d´environ CHF 190´000.- (coût réel, infrastructures comprises), cela représente quand même environ CHF 3´500´000.-, par zone contrôlée. Autrement dit, il faut bien méditer cette perspective.

Deuxièmement, de nombreuses études démontrent que le rôle préventif de la vidéosurveillance n’est pas seulement limité dans le temps, mais aussi dans l’espace. Autrement dit, si la vidéosurveillance peut – à court terme – améliorer la sécurité dans un espace filmé, elle ne fait souvent que déplacer le problème vers une autre zone non-contrôlée (Tilley, 1998[3]; Skinns, 1998).

Troisièmement, la littérature scientifique suggère que l’efficacité de la vidéosurveillance dépend du type de crime analysé. Dans le cas de la criminalité rationnelle, qui intègre une réflexion « coût-bénéfice » explicite de la part du délinquant, l’acte délictueux se déplace souvent au-dehors du champ de la caméra (Brown, 1995[4]; Welsh and Farrington, 2002; Gill and Spriggs, 2005). Par contre, lorsque la criminalité est affective ou émotionnelle ou encore impulsive, par exemple sous l’effet d’alcool ou de drogues, la caméra n’est que très peu remarquée. Ce constat explique pourquoi la vidéosurveillance peut effectivement diminuer le vol dans les voitures dans des parkings placés sous surveillance, alors que son utilité pour combattre des problèmes de vandalisme, des agressions, des bagarres ou des troubles de l´ordre public sous l’effet d’alcool reste dramatiquement minime (Brown, 1995).

Quatrièmement, les effets de la vidéosurveillance dépendent de facteurs relatifs aux systèmes eux-mêmes. Comment expliquer simplement ce constat? Il s´agit de considérer que les collaborations entre les différents acteurs impliqués (opérateurs, patrouilles de police, etc.) ou encore la qualité du matériel lui-même (Gill and Spriggs, 2005) soutient que la vidéosurveillance est efficace si elle s’inscrit dans un système plus large, dans lequel des mesures humaines et technologiques se complètent idéalement. Il faudrait pour cela améliorer la fréquence des patrouilles policières, avoir des opérateurs derrière les écrans dans une centrale de contrôle, favoriser l’animation de rue, organiser des patrouilles de quartier, etc. La technologie est plus coûteuse qu´on ne l´imagine, si l’on veut garantir l´efficience (l´organisation adaptée à l´efficacité ou aux coûts pour obtenir des résultats). Or, il est avéré que certains politiciens ont tendance à privilégier un peu trop vite des solutions purement technologiques, parce qu’elles paraissent simples, efficaces et bon marché au premier regard, alors que du côté de la police, souvent, on préférerait d’avantage d’investissement dans des mesures humaines (Welsh and Farrington, 2002). Bref, le discours et les grandes déclarations sans réel concept sonnent simplement creux, on l´aura compris.

Quelle est la perception de la vidéosurveillance par les citoyens?

En d´autres mots, quels sont les résultats des études portant sur la perception de la vidéosurveillance par les usagers des espaces surveillés? Il y a quelques études qui répondent et soulignent les effets limités des caméras pour améliorer le sentiment de sécurité de la population à long terme et donc pour revitaliser durablement des zones urbaines rencontrant des problèmes spécifiques ou particuliers. Qu´en est-il de cette question cruciale en Suisse ou quels enseignements les politiciens doivent-ils en tirer? Voici les résultats d´une recherche portant sur les expériences et perceptions de la vidéosurveillance en Suisse, cette recherche se basant entre autres sur une enquête par questionnaire auprès de 487 habitants de la ville d’Olten. Un exemple enrichissant à plus d´un titre!

Cette recherche nous apprend que les données récoltées suggèrent que la population adopte une attitude plutôt pragmatique vis-à-vis de la vidéosurveillance : on accepte les caméras parce qu’on estime ne rien avoir à cacher. Cette opinion relève cependant plutôt d’un consentement tacite que d’une revendication explicite : si elles pouvaient librement choisir, il y a quand même quatre fois plus de personnes qui préféreraient une présence renforcée des agents de police plutôt que l’installation de caméras de surveillance. A méditer! En outre, pour sécuriser l’espace public, l’amélioration de l’éclairage public est mentionné aussi souvent que la vidéosurveillance. Il importe aussi de souligner que la vidéosurveillance attire beaucoup moins les jeunes que les personnes âgées, rien d´étonnant, il s´agit là d´une question de vulnérabilité. Enfin, la population accepte aisément l’utilisation de la vidéosurveillance dans les parkings et pour les passages piétons, mais elle se montre beaucoup plus critique face aux caméras installées dans les parcs publics ou dans les quartiers d’habitation. Ici encore, la vidéosurveillance n’est pas perçue comme un instrument miracle, c´est aujourd´hui démontré. Loin d’être acceptée de manière unanime, la vidéosurveillance suscite des opinions très diverses, ce dont, nous l´espérons,  la politique de sécurité devrait tenir compte de manière appuyée.

Les entretiens approfondis effectués avec des utilisateurs de zones vidéo-surveillées permettent de compléter ces résultats[5]. Il apparaît sur cette base que le contrôle de l’espace public à l’aide de caméras manque surtout d’un « élément humain de proximité », qui permettrait non seulement d’établir un rapport de confiance entre la population et la police et d’intervenir en temps réel en cas de nécessité, mais aussi de rappeler aux individus la présence et les modalités de la surveillance. Tiens donc, le rapport humain est encore privilégié au rapport électronique, nous sommes rassurés par ce résultat univoque. Mais il n´en demeure pas moins que la vidéosurveillance dissocie, au contraire des attentes du public, les agents de sécurité publique des citoyens, souvent très concernés par les problèmes liés à l´insécurité. Il faut relever que de nombreuses personnes interviewées ont insisté  sur l’impossibilité d’entrer en contact directement avec les observateurs.

Alors que faire pour faire au mieux?

Il faut favoriser la proximité, indéniablement et inexorablement. Un des principaux défis qui doit être surmonté pour revitaliser les espaces publics grâce au contrôle des caméras est donc la neutralisation de ce « manque de proximité », inhérent à la vidéosurveillance. Aujourd’hui, en effet, de nombreuses mesures d’accompagnement sont mises en œuvre pour atténuer ce problème. Nous proposons donc, dès à présent,  une réflexion axée  sur deux stratégies majeures.

En premier lieu, il est clair qu´il y a toute une série de mesures visant à augmenter et à pérenniser la conscience qu’ont les usagers des espaces filmés par des caméras. Par exemple, dans certaines villes, comme celle de Middlesbrough en Angleterre, les caméras sont désormais couplées avec des haut-parleurs permettant aux surveillants de s’adresser directement aux fauteurs de trouble. De façon moins sophistiquée, le positionnement des écrans de surveillance dans les magasins permet de montrer de façon bien visible les images tirées des caméras situées dans le magasin afin de rappeler aux clients qu’on surveille leurs faits et gestes. Si cela nous semble exagéré, il s´agit bel et bien de "trends" auxquels nous viendrons, que nous subirons d´une manière ou d´une autre!

Une deuxième série de stratégies vise à renforcer la participation de la population aux prises de décisions et même aux pratiques relatives à la vidéosurveillance. En Suisse, par exemple, plusieurs projets de vidéosurveillance ont fait l’objet d’une votation populaire, notamment à Saint-Gall, à Lucerne et à Renens. Dans ces trois cas, la participation du peuple aux processus de prises de décision a contribué à attirer l’attention du public sur ces nouveaux outils et à légitimer leur utilisation, mais aussi à contrer les effets d’oubli et de mise à distance décrits dans les interrogations de la recherche ((Tilley, 1998; Skinns, 1998[6]).

Des stratégies encore plus poussées ont été mises en place récemment par la police anglaise dans certains quartiers de Londres, dans lesquels les habitants peuvent regarder eux-mêmes les images tirées des caméras en temps réel depuis leurs télévisions. Indépendamment des questions de protection de la sphère privée et des questions éthiques que pose évidemment cette initiative, il reste pourtant difficile de prédire si cette mesure permettra vraiment aux habitants de jouer un rôle plus actif dans la sécurisation de leur quartier.

En définitive, ces stratégies rappellent, de manière inaliénable et avant tout, un des principaux problèmes associés à la vidéosurveillance : en délégant la régulation d’un espace à des systèmes et à des individus qui en sont séparés physiquement, la vidéosurveillance risque en effet de nuire à la volonté de mieux intégrer la société civile dans des pratiques sécuritaires « de proximité ». Or, les mesures de contrôle et de régulation à distance tendent au contraire à exacerber l’opposition entre les surveillants et les surveillés. Il importe ainsi grandement de discuter de manière critique les choix budgétaires actuels en matière de sécurité urbaine, tant ceux-ci privilégient souvent les mesures technologiques au détriment des mesures humaines.

Nous espérons, intrinsèquement et de manière sérieuse, même si notre contribution est limitée en temps et en espace, que les lecteurs auront compris que les moyens simples, voire simplistes, n´ont rien à voir avec la sécurisation de l´espace public. La sécurité reste et demeure complexe, in-simplifiable et, surtout, qu´elle ne supporte pas les solutions clef en main.

 

 


[1] Welsh, B.C. and D.P. Farrington. 2002: Crime prevention effects of closed circuit television: a systematic review. Home Office Research Study 252. London: Home Office. http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/20110218135832/rds.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs2/hors252.pdf Gill, M. and A. Spriggs. 2005: Assessing the impact of CCTV. Home Office Research Study 292. London: Home Office.  

https://www.cctvusergroup.com/downloads/file/Martin%20gill.pdf

[2] Armitage, R. (2002) To CCTV or not to CCTV. A review of current research into the effectiveness of CCTV systems in reducing crime. London: National Association for the Care and Resettlement of Offenders

[3] Tilley, N. (1998) ‘Evaluating the effectiveness of CCTV schemes’, in C. Norris, J. Morran and G. Armstrong (eds) Surveillance, CCTV and Social Control, pp. 139–153. Aldershot: Ashgate.

[4] Brown, B. (1995) CCTV in Town Centres: Three Case Studies. Police Research Group, Crime Detection and Prevention Series 68, London: Home Office Police Department.

[5] Klauser, F. 2006: Die Videoüberwachung öffentlicher Räume. Zur Ambivalenz eines Instruments sozialer Kontrolle. Frankfurt: Campus.

[6] Skinns, D. (1998) ‘Crime reduction, diffusion and displacement: evaluating the effectiveness of CCTV’, in C. Norris, J. Morran and G. Armstrong (eds) Surveillance, CCTV and Social Control, pp. 175–188. Aldershot: Ashgate.

 

Entre tromperie et manipulation

Le 30 mars 2013, Schweiz am Sonntag publiait l'article intitulé "Einbrüche: Schweiz ist Europameister" en référence à une statistique soi-disant publiée par Eurostat . Problème! Cette statistique n'existe probablement pas sous cette forme! Elle est sensée présenter les vols par effraction en Europe et par pays, mais surtout la Suisse comme étant le plus dangereux pays d'Europe en la matière. J'ai évidemment instantanément entamé un triple salto arrière en lisant cette information, bouche bée. Et j'ai effectué un triple lutz en la découvrant le lendemain dans Le Matin.  

Mais une question ne cesse de me tourmenter depuis: à qui profite le crime de désinformation?

L'article laisse croire, sans jamais l'écrire, que les statistiques européennes 2012 ont été publiées. Nenni! Nous n'avons que jusqu'à 2010 à disposition, je le sais, je suis la situation depuis 20 ans. Oui, il y a un rapport européen qui tente une comparaison européenne et une table qui résume la situation des cambriolages en comparaison mondiale, de même que des données sur le site Eurostat. Mais pas l'année 2011 et encore moins l'année 2012!

Les chiffres s'arrêtent donc en 2010. Alors, pourquoi Schweiz am Sonntag publie-t-il cette situation 2012? Et de proposer dans la foulée le vote OUI-NON à la question: Haben Sie Angst, Opfer eines Einbruchs zu werden? (Avez-vous peur d'être victime d'un cambriolage?). La réponse sera bien évidemment OUI! Et à quoi consiste ce vote? À vérifier que le message anxiogène a réussi? On tourne décidément en rond!

Les chiffres proposés par Schweiz am Sonntag reposent sur un biais méthodologique. Il faut en effet savoir que les chiffres européens (Eurostat) compilent les "burglary" (cambriolages) répondant à la définition suivante: “Domestic burglary is defined as gaining access to a dwelling by the use of force to steal goods” et  “dwelling” est un synonyme de “house/home”, donc dans la statistique Suisse de police, il s'agit uniquement des cambriolages de “maisons/appartements”. Ainsi, pour tenter de trouver une correspondance, il faut comparer 35'801 vols par effraction dans les villas et appartements commis en Suisse (Rapport Statistique policière de la criminalité 2012, p. 49, 3.6.3.2) et non les 73'714 cambriolages au total comme l'a fait Schweiz am Sonntag. Le taux suisse est donc de 450 cambriolages pour 100'000 habitants et non 926.7. C'est la moitié moins que ce qui a été publié! La Suisse n'est donc pas, plus, première de classe en Europe, comme par enchantement.

S'agit-il purement et simplement d'un procédé que l'on peut suspecter d'être malhonnête ou pour le moins manipulateur? Ou alors, une méconnaissance totale des statistiques de la criminalité telle qu'elle pousse à la faute? Je ne sais malheureusement pas répondre à ces questions, mais je sais que le peuple a été trompé. Pourquoi devrions-nous toujours avoir peur? Pour que quelques projets législatifs passent plus facilement les obstacles parlementaires?

Ce qui est assez étonnant dans cet article, ce sont les interviews de mon ancien professeur de criminologie, Martin Killias, et de mon très estimé collègue, président de la Commission criminelle suisse et commandant de la police cantonale bernoise, Stefan Blättler. Ils se sont fait avoir, en quelque sorte, en prenant position sur une fausse réalité, ils se sont exprimés dans l’absolu. Quel gâchis! Il faut toujours vérifier les sources, ce principe étant en fait le prénom de l'alphabet policier.

J'ai évidemment demandé ses fameuses sources à Schweiz am Sonntag et au journaliste du Matin, pour l'heure sans réponse du premier média. Quant au second, il s'est fait berner en rapportant des informations non vérifiées…Dans l'intervalle, 24Heures-TdG m'a contacté pour me demander une réaction. J'ai appelé à la prudence, normal, face à de telles allégations, par honnêteté intellectuelle, par souci éthique, tout en envoyant les derniers chiffres européens.

A suivre, donc. Ce qui est certain, c'est que le mal est fait, des centaines de milliers de citoyens sont persuadés de vivre dans le pire pays d'Europe. Et dire que l'année passée, le titre de l'article qui suivait la publication de la statistique suisse de la criminalité était "La Suisse, le paradis des voleurs", cherchons un tantinet l'erreur…

En finalité, retenons qu'il est pratiquement impossible d'effectuer des comparaisons internationales, pour des raisons de définitions. Le sujet est compliqué et délicat.

Pour preuve, Marcelo Aebi, professeur à l'Institut de criminologie de l'Université de Lausanne, a fait une analyse des définitions dans le European Sourcebook, montrant la grande diversité de celles-ci à travers l’Europe. Dans la 4ème édition on découvre (Aebi et al, 2010: 33) que toute la problématique liée à la définition de "burglary" n'autorise, en fait, pas de comparaison.

Mais si l'on persistait à vouloir obtenir un classement que l'on sait interdit, selon les derniers chiffres à disposition de 2010, la Suisse (avec un taux de 327.2 pour 100'000 habitants) serait en septième position en Europe si l'on considère les vols par effraction domestiques. C'est la Belgique (taux de 634.9), la Hollande et l'Angleterre qui occuperaient le podium. Et si l'on prenait l'ensemble des cambriolages, la Suisse (taux de 812.1) occuperait le sixième rang. Ce seraient l'Autriche (taux de 1054.5), la Suède et la Hollande qui occuperaient ce podium-là. Et de relever pour terminer que le taux suisse des cambriolages pour 100'000 habitants était de 956 en 2004 (dernier pic de criminalité) alors qu'il était de 812 en 2010, il était de 926 en 2012.

La statistique de la criminalité et l’impossible communication

La statistique policière suisse de la criminalité (SPC) est vraisemblablement la plus difficile à interpréter. Je sais de quoi je parle, je m´y attelle depuis plus de 17 ans, j´en ai même fait un cours à l´Université de Neuchâtel sous l´appellation "Le décryptage de la criminalité". Aujourd´hui, je suis arrivé à la conclusion qu´elle ne devrait jamais ni être médiatisée, sous sa forme actuelle en tous les cas, ni être politisée. Pourquoi? Voici quelques réflexions

La statistique de la criminalité est ambivalente à plus d'un titre en termes de communication. Il y a en fait un triple effet susceptible de rendre tout message inaudible et incompréhensible. Le premier reçoit la palme d'or: il s'agit de comparer les chiffres de l'année passée avec l'année précédente et de proposer une augmentation ou une diminution en pourcent. Pratiquement, on annonce une augmentation de 11% des vols (sans les véhicules), le délit du code pénal le plus commis en Suisse, avec 237'449 infractions relevées en 2012. C'est ce délit qui dicte à lui seul, à cause de son grand nombre, l'ordre de grandeur de la criminalité annuelle ou la forme de la courbe de la criminalité dans le cadre d'une étude longitudinale. Et à cette annonce, le message est univoque: la situation s'est détériorée irrévocablement et irrémédiablement, la peur est aux aguets. Un journaliste m'a même questionné aujourd'hui en me demandant: "Monsieur Guéniat, que pensez-vous de l'explosion des vols et des vols par effractions en Suisse?" J'ai éclaté de rire en lui disant que je l'attendais cette question-là…Evidemment, je ne peux pas y voir une explosion du nombre de vols si je sais, contextuellement, que le nombre de vols était, en Suisse, de 237'963 en 2004. En un mot: situation 2012= situation 2004. Si je ne le savais pas, on pourrait discuter autrement, mais le sachant, je ne peux que répondre: "Hum, on a déjà connu exactement le même nombre de vols en 2004, il ne peut donc pas y avoir d'explosion! Qu'en pensez-vous?" Et de poursuivre mon explication en lui affirmant, parce que c'est vrai, que la criminalité a fluctué par vagues successives ces trente dernières années, avec une régularité surprenante, notamment avec des maxima en 1992, 1998, 2004 et maintenant vraisemblablement en 2012. Enfin, j'espère de tout mes voeux que 2012 sera un des maxima et que l'augmentation ne va pas se poursuivre. Et d'ajouter qu'il ne faut pas oublier qu'entre les maxima, il y a des minima dont personne ne parle jamais, les diminutions n'intéressant personne. Et lorsqu'il me soumet les citations de son article, on peut lire dès la première phrase: "(…), Olivier Guéniat tient à relativiser." Je corrige évidemment le "relativise" par "contextualise". Pourquoi? Parce que je n'ai aucun intérêt à relativiser, je n'ai rien à vendre et seule mon honnêteté intellectuelle ou mon éthique professionnelle me poussent à aider à mieux percevoir le poids des annonces indues.

Et qu'en est-il des cambriolages en Suisse? ils ont augmenté de 16% entre 2011 et 2012, atteignant la somme de 61'128. Là aussi, il y a donc alerte Stufe Rot. On est fichu. Un quotidien de la presse écrite titrait même l'année passée, le jour suivant la sortie de la statistique 2011: "La Suisse, paradis des voleurs". Qu'elle est la résonnance de ces messages anxiogènes à souhaits si l'on sait qu'en 2005 il y avait déjà 61'194 cambriolages, en 2004 même 70'370, en 1998 carrément 83'416, en 1991 fichtrement 77'225 et en 1982 odieusement 71'330. Et il faut considérer, en plus, que le nombre d'habitants en Suisse a passé d'environ 6 millions à 8 millions en 30 ans! Est-ce que cela ne voudrait-il pas dire que le taux de cambriolage était de 11.9 pour mille habitants en 1982 et qu'il est de 7.6 pour mille habitants en 2012? Et pourquoi n'y avait-il pas de débats passionnés sur le sujet sécuritaire dans les années nonante? Pourquoi est-il devenu aussi événementiel et biaisé?

J'entendais ce midi à la radio que l'on annonçait 23% d'augmentation des lésions corporelles graves avec une gravité de ton qui en disait long. La violence est donc toujours plus dure et impitoyable, bien omniprésente. Oui, mais son taux en Suisse est terriblement bas, de l'ordre de 0.07 pour mille habitants. Ce 23% d'augmentation représente donc un passage de 0.06 à 0.07 pour mille. Et il n'y a eu que 11 lésions corporelles graves par arme à feu en 2012, contre 13 en 2011, mais 37 en 2008. Et les lésions corporelles graves produites par arme blanche représentent un taux de 0.01 o/oo en Suisse. Les 32% d'augmentation annoncés coïncident donc à un passage de 0.11 à 0.14 pour 10'000 habitants.

Il faut relever aussi que le nombre de morts par homicides intentionnels est historiquement au plus bas niveau, avec 46 constatés en 2012 alors qu'il y en avait 83 en 1982, 110 en 1990 et 57 en 2007. Si ce n'est pas une bonne nouvelle que de constater qu'il y a moins de risques d'être victime d'un homicide aujourd'hui que durant les 30 dernières années, qu'est-ce qu'une bonne nouvelle? Même les indicateurs des homicides par arme à feu, qui comptabilisent les tentatives, montrent qu'il y a une diminution nette, passant d'une moyenne d'environ 95 au début des années nonante à une moyenne de 50 ces dernières années. Parallèlement, les violences d'intensité moyenne (lésions corporelles simples et voies de fait) continuent de diminuer de l'ordre de 6% ces quatre dernières années, tout comme les infractions de menaces de violence. C'est également plutôt réjouissant.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, même les brigandages avec arme à feu montrent un net recul entre les années nonante (environ 500 par année) et ces dernières années (entre 300 et 350). Le seul vrai bémol de la statistique, lorsqu'on l'observe de manière longitudinale, c'est l'augmentation du nombre de brigandages avec violence physique et avec un couteau. Même si elles restent rares, avec des taux respectifs de 0.23 o/oo et 0.07 o/oo habitants, il n'en demeure pas moins que ces vols avec violence ont doublé en 30 ans, montrant une augmentation linéaire. La principale raison réside dans le vol de téléphones portables, de bijoux et de cartes de crédit, principalement la nuit et dans les centres urbains. C'est évidemment inacceptable!

J'envisageais, plus haut, qu'il y avait une seconde ambivalence de communication. Lorsque l'on publie la statistique fédérale, on regarde la Suisse avec une certaine altitude pour la voir dans son ensemble et on fait la moyenne entre ce qui ne se passe pas à Appenzell Rhodes Intérieures et les villes les plus criminogènes que sont Lausanne, Genève, Zurich ou Berne. Ainsi, l'analyse sur un plan national est toujours en contradiction avec les analyses particulières de certains cantons ou la sévérité des problèmes rencontrés en milieu urbain, les plus criminogènes. Il faut alors avoir l'intelligence de ne pas confondre la macroanalyse avec la microanalyse des problèmes. Pourtant, les résultats de ces analyses s'entrechoquent et se contredisent en même temps, d'où le risque de cacophonie. En un mot, ce n'est pas parce que l'évolution n'est pas aussi mauvaise que l'on pourrait le penser en Suisse que c'est le cas à Lausanne, bien au contraire, et ce n'est absolument pas ce que je veux prétendre.

Enfin, la troisième ambivalence des messages se retrouve dans la microanalyse de la criminalité cantonale et locale. Je vais y être confronté demain, d'ailleurs. Je vais annoncer que le nombre de cambriolages a doublé entre 2009 et 2012, passant de 289 à 565 (dont 198 tentatives). Mais le taux de cambriolage des villas n'est que de 3 o/oo ménages et celui des appartements de 2 o/oo ménages. C'est beaucoup moins que le taux moyen suisse qui est d'environ de 10 o/oo ménages. Contradiction des messages: le risque d'être victime est multiplié par deux, mais la région reste 3 à 4 fois plus sûre que la moyenne Suisse. Une chatte y perdrait ses petits.

La communication en matière de criminalité est donc bien compliquée. Je rêve qu'un jour les polices suisses auront à leur disposition un observatoire de la criminalité qui s'occupera de l'analyse et de la communication.

Tout ce que je viens d'écrire ne veut pas dire, bien évidemment, qu'il n'y pas de problèmes criminels complexes à résoudre et qu'il y a absolue nécessité de trouver des solutions rapides et de développer les outils adéquats. Il y a un problème sévère avec certains migrants maghrébins, géorgiens ou des ressortissants français et roumains qui commettent des délits sériels dont l'impact est immense en termes de criminalité régionale. Ils se fichent des frontières cantonales et je suis de ceux qui pensent et postulent depuis plusieurs années que les cantons romands devraient, doivent s'organiser et collaborer pour s'adapter à cette criminalité spécifique plutôt que de subir seuls, année après année, le poids de cette engeance.

Et je suis évidemment ravi du communiqué de presse de la Conférence latine des chefs de départements de justice et police que mon chef, Charles Juillard, a publié ce matin. C'est une aire nouvelle d'efficience sécuritaire qui s'ouvre dès à présent. C'est bien! Encore une bonne nouvelle…

En conclusion, face à la complexité de la situation que je m'évertue à décrire, il est plus facile de raisonner de manière binaire, façon pitbull aveuglé, et de me voir porter des lunettes roses…Il faudra d'ailleurs que j'en achète un jour, déjà que les miennes sont rondes!

Le modèle de la prohibition est un échec!

Quel avenir pour la politique en matière de drogues en Suisse?

J'étais à l'Office des Nations Unies contre les drogues et le crime à Vienne cette semaine (UNDCP), accompagnateur de la délégation suisse, pour y présenter ma vision de l'évolution de la politique en matière de drogues en Suisse et pour partager quelques réflexions sur modèle de la prohibition. Faisant partie de la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues, inutile de préciser que je me sens effectivement très concerné par cette problématique, à tel point d'ailleurs que j'ai écrit un article dans la dernière revue Dépendances No 48 sortie en février dernier. On peut être en accord ou en désaccord avec ce que je propose, cela n'a pas grande importance pour moi, il est simplement de plus en plus urgent d'en débattre.

Oui, je pense que la problématique des stupéfiants est en lien direct tant avec l'insécurité que le sentiment de sécurité, et surtout avec les problèmes urbains que subissent beaucoup des villes suisses. Oui, je suis convaincu que pour augmenter le niveau de sécurité en Suisse et re-sécuriser l'espace public, il faut adapter la politique drogue et remettre en question le modèle de prohibition que nous connaissons depuis plus d'un demi-siècle maintenant. Oui, je pense que l'effondrement de la sévérité en matière de consommation et de détention de produits stupéfiants, notamment dans l'espace public, agit comme un catalyseur générateur de problèmes.

Probablement que la non-sévérité s'est alignée sur l'acceptation sociale des produits stupéfiants ces trente dernières années, le changement de la norme sociale précédant presque toujours celui de la norme pénale. Avec le corollaire qu'aujourd'hui, il n'y a plus de cas grave en matière de trafic de cannabis et que la consommation ou la détention est sanctionnée d'une amende d'ordre de CHF 100.-. Autant dire que le marché est quasi libre et que le 4e pilier de la répression a été brisé en deux en termes d'efficacité et de régulation. C'est d'ailleurs pour ces raisons qu'un produit, considéré comme illicite, peut devenir conquérant et trouver un ancrage sociétal fort, notamment dans l'espace public. Et il faut considérer que c'est ancrage a un prix: celui du grand nombre de nuisances liées à la petite et moyenne criminalité et des comportements socialement réprouvés. En quelque sorte, le modèle de la prohibition s'est auto-flagellé, il ne rime presque plus à rien, il n'a plus de sens, en tout cas à mes yeux.

C'est la raison pour laquelle mes réflexions m'ont amené à repenser la politique en matière de drogues en me souciant non pas d'un choix doctrinaire sur un principe en amont de la problématique (la prohibition versus la règlementation ou encore la dépénalisation), mais en partant du niveau de sécurité à maintenir ou à préserver dans l'espace social. Ainsi, je suis arrivé à la conclusion qu'il fallait trouver un moyen d'obtenir un consensus politique gauche-droite sur la définition de la politique en matière de drogues tout en développant les outils nécessaires à la sécurisation de l'espace public. Et je suis arrivé à la solution de déplacer la demande de l'espace public vers l'espace privé (pour le cannabis) et vers l'espace médical (pour les produits les plus addictifs), mesures accompagnées d'une augmentation de la sévérité dans l'espace public. L'idée revient donc à jouer sur le déplacement de la demande, pour diminuer l'offre, tout en proposant un choix gagnant-gagnant aux consommateurs. Et je suis certain qu'il y aura des résultats intéressants, ne serait-ce que parce que l'immense majorité des consommateurs va choisir de se discipliner et de disjoindre leur toxicomanie de l'espace public. Pourquoi en suis-je certain? Parce que d'une part le profil des consommateurs de cannabis, la substance illicite la plus abusée en Suisse, n'est, dans l'immense majorité, ni un profil de délinquant, ni un profil de criminel, et que d'autre part nous avons fait l'expérience du durcissement de la sévérité en matière de circulation routière ces dernière années et nous savons que les conducteurs, de manière massive, ont fait le choix de modifier leur style de conduite et de se discipliner. En un mot, ça a marché et nous allons probablement continuer sur cette voie-là ces prochaines années, les résultats sont très bons. Quant à la médicalisation des consommateurs de cocaïne, il n'y a pas d'autre choix que de favoriser une prise en charge socio-sanitaire, ne rien faire n'étant une solution ni à moyen terme, ni à long terme et certainement parce que l'addiction étant immensément plus forte que la répression, donc parfaitement insensible à celle-ci.

J'ai découvert avec bonheur, lors du meeting de l'ONU, que de plus en plus de chefs de police, dans le monde anglo-saxon en particulier, mais pas uniquement, pensent que le modèle de prohibition est un échec et que la politique en matière de drogues devra changer. Ils se sont même fédérés au sein de la Law Enforcement Against Prohibition (LEAP). Autre réel plaisir, les solutions que je propose ont été accueillies avec un enthousiasme que je n'avais jamais imaginé et considérées comme étant innovantes.