Je suis Charlie-polisse

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Je dis toujours qu'il ne faut jamais écrire sous le coup de l'émotion et de la colère, mais je ne peux pas m'en empêcher aujourd'hui, la quintessence de l'horreur ayant été commise tellement proche de chez nous. Et apprendre qu'une partie de la rédaction de Charlie Hebdo a été décimée aussi brutalement, dont les caricaturistes Cabu, Charb, Tignous et Wolinski qui m'ont tellement nourri depuis plusieurs dizaines d'années, ne peut pas me laisser sans voix.

Cette sauvagerie est inacceptable, abjecte, injuste, elle m'attriste profondément, bien sûr, sur un plan humain, mais cet acte terroriste me rappelle tout de suite qu'il ne faut surtout pas céder à l'appel des émotions et se laisser submerger ni par la peur, ni par les désirs de vengeance, ni par les sirènes des amalgames et des stigmatisations. Retenons plutôt que nos héros dessinateurs et journalistes de Charlie Hebdo sont dès aujourd'hui des martyrs de la liberté d'expression, de la liberté de la presse, d'une valeur fondamentale de nos démocraties.

Il faut donc constamment se rappeler que cet attentat n'a intrinsèquement rien à voir avec la religion musulmane. Il y a peut-être quelques dizaines ou quelques centaines de fanatiques qui se réjouissent de cette atrocité en Europe ou dans le monde, contre des dizaines de millions de musulmans qui la désapprouvent totalement. Je sais pourtant déjà que la sagesse ne sera pas respectée et que bien peu attendront les résultats de l'enquête avant de lancer des analyses douteuses, des slogans nauséabondes, des spéculations qui ne valent peut-être rien.

J'ai vu ces vidéos extrêmement choquantes sur les réseaux sociaux et je n'ai rien vu d'autre que deux inconnus, vraisemblablement fanatiques vu ce qu'ils ont hurlé, rompus au maniement des armes, agissant avec un sang-froid incontestable, de la même manière que ceux que l'on peut voir dans d'autres vidéos lors de braquages de fourgons blindés. C'est d'ailleurs la première idée "analytique" qui m'est venue à l'esprit. La seconde pensée a été: "j'espère que le policier abattu est arabophone ou musulman", comme si cela pouvait être une contre onde de choc." Alors, Al-Quaïda ou pas? Seule l'enquête nous apprendra, c'est mon voeu le plus cher, le profil de ces assassins.

Je sais déjà aussi que je vais rêver, cette nuit, que toute la presse européenne, en acte de contestation et de résistance, publiera massivement toutes les caricatures de "Charia hebdo" de novembre 2011, pour que le terrorisme sache qu'il ne terrorisera pas la Liberté et que nous ne céderons jamais.

Et à mes collègues policiers froidement exécutés, je leur dis: Honneur à vous!

Retrouvez toutes les réactions et hommages de nos journalistes, blogueurs et caricaturistes

 

 

Olivier Guéniat

Chef de la police judiciaire neuchâteloise depuis 1997, Docteur en Sciences forensiques, Olivier Guéniat est né en 1967. Son grand dada: les stupéfiants. Ses sphères de compétences: les statistiques de la criminalité, les violences conjugales, les interrogatoires et les auditions de police, la délinquance des jeunes. Il est aussi chargé de cours à l’Ecole des sciences criminelles de l’UNIL et à l’Institut de psychologie et éducation de l’UNINE.