Pourquoi l’Uruguay veut-il contrôler le marché du cannabis?

Je suis allé en Uruguay du 04 au 11 mai 2014, avec Jakob Huber, le Directeur de la Fondation Réseau Contact dans le canton de Berne, pour mieux comprendre ce qui s'y passe suite au projet d'adoption d'un modèle de régulation du cannabis par le Parlement. Ce projet intéresse la Suisse à plus d'un titre! Comme je fais partie de la Commission fédérale des questions liées aux drogues (CFLD), une commission ayant pour principal mandat de conseiller le Conseil Fédéral sur la future politique en matière de drogues, et que Jakob Huber est le Président du Groupe d'Experts suisses Formation Dépendances (EWS/GFD), groupe duquel je fais également partie, un groupe opérationnel agissant pour le compte de l'Office Fédéral de la Santé Publique, notre délégation s'inscrivait donc dans la perspective de mieux comprendre les raisons du projet uruguayen, de découvrir les mécanismes mis en place, d'en tirer les éventuels enseignements pour la Suisse, voire de participer au suivi scientifique (monitoring) de la mise en œuvre de ce projet totalement novateur. Durant notre séjour, il y avait aussi le congrès de la RIOD, le Réseau ibéroaméricain des ONG qui travaillent dans la dépendance aux drogues, plus de 90 personnes, toutes aussi fantastiques les unes que les autres, d'Uruguay, de Colombie, d'Argentine, du Mexique, du Pérou, du Chili, de Bolivie, du Vénézuela, du Paraguay, du Brésil, d'Espagne, etc, une émulation extraordinaire pour mieux comprendre les enjeux liés aux drogues, les nécessités de trouver d'autres solutions et de découvrir la sévérité de la problématique dans ces pays. Et nous avons eu la chance de tomber sur une Homme d'Etat hors pair, la cheville ouvrière du projet de contrôle et de régulation du cannabis en Uruguay, actuel Secrétaire général du Conseil National des Drogues. Un homme hors pair parce qu'il se distingue des autres par son humanisme extraordinaire, sa simplicité, sa modestie et sa générosité, son engagement dans l'avenir de son pays et sa détermination à vouloir suivre une voie novatrice en matière de politique des drogues en Uruguay. L'ancrage de l'humanisme de Julio Calzada vient certainement de son travail avec Terre des Hommes, il avait fondé la première école dans le quartier le plus défavorisé de Montevideo où nous avons eu le privilège émouvant de nous rendre en sa compagnie. Il nous livre un entretien exclusif sur le projet uruguayen de régulation du marché du cannabis, nous permettant de mieux comprendre ses spécificités, ses buts, ses risques et ses enjeux. Le voici:

 

INTERVIEW JULIO CALZADA

Secrétaire général de la Junta nacional de drogas (Secrétaire général du Conseil national des drogues)

MONTEVIDEO – mai 2014

____________________________________________________________________________

 

JC = Julio Calzada

JH=Jakob Huber

OG=Olivier Guéniat

 

JH et OG

La Suisse a quelques aspects révolutionnaires en ce qui concerne la politique en matière de drogues. Outre la politique des quatres piliers (prévention, traitement, réduction des risques et répression), nous avons une expérience de prescription d'héroïne en Suisse. Si une personne est dépendante, elle peut recevoir un traitement, mais tout est encore interdit, la consommation, la détention, le transport, la vente, etc.. Nous pouvons dire que tout va assez bien pour nos consommateurs grâce aux services de réduction de risque et aux traitements, mais nous sommes en porte–à-faux avec la réglementation légale au sens stricte du terme. C’est pour cela qu’il existe des initiatives  dans des  villes pour des projets de régulation du cannabis. Nous sommes tous deux dans deux institutions différentes : Oliver Guéniat fait partie de la police et Jakob Huber est le chef d’une organisation importante, Réseau Contact à Bern, qui a fait beaucoup d’innovations en matière de drogues. Nous avons le mandat de l'Office de la Santé Publique de mieux connaître votre démarche dans la mesure où nous faisons tous deux partie d'un Groupe d'experts suisses en formation des dépendances (EWS/GFD) et que Olivier Guéniat fait partie de la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues. Voilà pourquoi nous sommes là.

JC

Posez toutes les questions que vous voulez. Ici, vous avez notre vision des choses. L'Uruguay a dépénalisé la consommation des drogues en 1974. Il nous semble que le problème principal n’est pas dans la consommation, mais qu'il est généré par l’accès interdit et au développement du marché noir. Donc nous sommes convaincus que la consommation est un problème de santé et le marché noir un problème de sécurité et de cohabitation. C’est le problème qu’il y a d'ailleurs actuellement dans le monde, surtout dans les pays où la consommation est pénalisée. S’il y a 230 millions de consommateurs de marijuana dans le monde qui se voient interdire l’accès à leur drogue, cela les pousse irrémédiablement vers le marché noir.

Alors nous disons, nous postulons que quand l’Etat uruguayen pousse nos 150’000 à 200’000 consommateurs vers le marché noir, il viole les droits humains. Parce que l'Etat les oblige alors à avoir des relations violentes avec le monde criminel.

JH et OG

Alors l'aspect principal réside  donc dans le fait que vous dites que les droits humains sont les plus importants. Nous avons une question très importante sur les conventions internationales en matière de stupéfiants: vous dites que les droits humains sont au-dessus de celles-ci. Avez-vous eu des problèmes à ce sujet, avec cette interprétation, au niveau international ?

JC

Oui, des problèmes, nous en avons eus. La politique c’est cela, c'est comme ça. La politique est armée pour accepter la réalité et pas pour changer la réalité. Nous avons une stratégie politique. Nous vous transmettrons tous les documents que nous avons sur les propositions, par exemple à la JIFE (Junta Internacional de Fiscalizacion de Estupefacientes) ou INCB (International Narcotics Control Board) – en anglais.

Ce que nous disons, c’est que le traité sur le Droit des Conventions définit que le traité des Droits de l’Homme est au-dessus de tous les traités. L'Uruguay a signé la Convention Interaméricaine des Droits Humains. Dans cette convention, l'Uruguay s’engage au droit à la santé, à la sécurité de tous ses habitants. Le narcotrafic, la commercialisation illégale, avec cette obligation de soumettre les consommateurs à obtenir leurs produits dans le marché noir, c’est soumettre les consommateurs à un acte de violence. Nous avons une interprétation de la notion de santé en considérant la santé comme une entité psychosociale avec un ensemble de déterminants sociaux. Alors, lorsqu’une action criminelle se produit, tuer quelqu’un, ou une action violente dans un quartier ou dans une communauté, produit du trafic illicite de drogues, ceci est dans une certaine mesure aussi une responsabilité de l’Etat. Parce que l’Etat oblige les consommateurs à alimenter le marché noir. Cela a donc un impact sur la santé. Les substances qu’ils y obtiennent ont aussi un impact sur la santé dans la mesure où ce sont des substances totalement dégradées, totalement hors des contrôles de qualité.

Il y a une atteinte aux droits humains lorsqu’il n’y a pas une application juste et équitable de la loi. Quand des personnes – pour pouvoir consommer – doivent commettre quelques actes délictueux et sont ensuite poursuivies, criminalisées pour avoir commis ces actes, alors que l’Etat, d’une certaine façon, les y a obligées, alors il n'y a pas une application juste de la loi. Donc c’est un axe pour argumenter sur le thème des conventions en question.

JH et OG

Nous comprenons cette argumentation. Mais c’est aussi une attitude, une philosophie politique. Alors, il y a quelque chose qui dit que les droits humains, juridiquement, sont au-dessus des conventions. Existe-t-il quelque chose de juridique à ce sujet, un avis de droit ?

JC

Le traité de Vienne, la convention de Vienne sur les Droits des Traités.

JH et OG

Par exemple en Suisse, on dit: les consommateurs bénéficient des droits humains, car ils ont des possibilités de traitements. Où est-ce que vous avez la possibilité juridique de dire que les droits humains sont supérieurs, sont violés à cause de la criminalisation ?

JC

Il y a une interprétation, toutes les normes sont interprétées ou interprétables, mais quand l’Etat oblige le consommateur à acheter dans le marché illégal, qu'il ne lui offre aucune alternative et qu'il lui reconnaît le droit à consommer, il y a là une contradiction.

JH et OG

Cet aspect-là, nous ne l’avons pas en Suisse, puisqu'il est interdit de consommer.

JC

Ah, vous ne donnez pas le droit à la consommation ? Il est interdit de consommer ?

JH et OG

La contradiction, c’est donc que l'Uruguay a légalisé en 1974 à la consommation et maintenant l’Etat ne donne pas la possibilité d’acheter.  Dans le cas de la Suisse, tout est interdit, la consommation aussi.

JC

Maintenant, je constate qu'il y a une tendance internationale à la dépénalisation et nous disons que ce sont les limites de la dépénalisation. Ainsi, pénaliser continue à maintenir la violation des droits humains des consommateurs. Vous devriez éventuellement trouver une brèche, faire quelque chose pour contrer le mal qui va se produire. C’est le rôle de l’Etat. Nous avons en Uruguay une conception très libérale, très républicaine de l’Etat. L’article 10 de la Constitution en Uruguay dit que l’autorité des magistrats ne peut pas affecter les actes privés des personnes dans la mesure que ces actes n’affectent pas des tiers. C’est pour cela que nous ne pénalisons pas la consommation, c’est acte privé.

JH et OG

Y a-t-il un juge qui a examiné cet aspect ? Au niveau de la structure judiciaire,  y a-t-il une décision stipulant que le raisonnement est juste juridiquement?

JC

Oui, nous avons l’article 10 de la Constitution et la loi 14.294 qui dépénalisent la consommation en 1974. Et ensuite nous avons une loi de 1998 qui modifie quelques aspects de cette loi et qui réaffirme ce courant, cette pensée que les actes privés des personnes ne tombent pas sous la tutelle des magistrats.

JH et OG

Nous comprenons la réflexion uruguayenne au niveau de la Constitution uruguayenne, mais pour savoir si le lien existe avec la Convention Internationale sur les Stupéfiants, il faut qu’un juge examine si c’est compatible. Vous dites que, selon vos lois, les droits humains sont au-dessus des conventions internationales de Vienne, mais vous continuez à avoir des problèmes avec Vienne, pourquoi ?

JC

Nous interprétons tous les conventions. La Chine, quand elle dicte la peine de mort d’une personne, elle interprète les conventions, non ?

JH et OG

Les USA aussi.

JC

Oui. Et nous, nous interprétons aussi les conventions. En outre, le rapport de décembre 2013 du Secrétaire Général de l'UNDC Yuri Fedotov soutient que les conventions s’interprètent. Alors, il n’y a pas une interprétation unique des conventions, il peut y en avoir plusieurs. Oui, nous faisons une interprétation.

JH et OG

Et cette interprétation a été acceptée à Vienne ? Vous avez été invités à expliquer votre interprétation à Vienne, non ?

JC

Oui, bon, il y a deux choses importantes. Vienne c’est la Convention sur les Stupéfiants (Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes) et la JIFE (INCB) sont deux choses différentes. La Convention sur les Stupéfiants ne s’est pas prononcée contre l'Uruguay, ni dans le segment de haut niveau, ni lors de la réunion de la commission elle-même.

JH et OG

Quand est-ce que cela a eu lieu ?

JC

En mars de cette année.

JH et OG

Dans laquelle des Commissions ? L’INCB (International Narcotics Control Board) ?

JC

C’était dans la JIFE (Junta Internacional de Fiscalizacion de Estupefacientes) ou l’INCB.

Dans les Nations Unies, le système est le suivant : il y a l’ECOSOC (le Conseil économique et social) qui a plusieurs Commissions. L’une d’elles est la Commission des Stupéfiants qui compte 54 membres des différents pays. Et puis il y a la JIFE  ou l'INCB. Ce sont deux organismes différents. La JIFE (INCB) compte, elle, 14 membres qui sont des personnes et non des Etats.

Ceux-ci étaient contre l’Uruguay dans la JIFE (INCB). Cette Commission se réunit une fois par année en deux séances : le segment de haut niveau à laquelle assistent les Chefs d’Etat (des personnalités comme par exemple Hugo Morales) et qui fait une déclaration annuelle. Il n’y eut aucune déclaration de la Commission des Stupéfiants contre l’Uruguay. Peut-être de certains pays. Mais pourquoi les pays membres ne se sont pas prononcés contre l’Uruguay ? Parce que cela fonctionne  sur le principe du consensus et de l’unanimité, si les pays ne sont pas tous d’accord, ils ne peuvent pas se prononcer contre quelqu’un ou un autre pays. Alors, s’il y a un, deux ou trois pays contre, la Commission ne peut pas être contre, il faut un accord. C’est pour cela qu’elle ne s’est jamais prononcée contre la peine de mort. Parce qu’il y a la Chine, l’Iran, le Pakistan. Cela fait partie du jeu de la politique international.

Ici, dans la JIFE (INCB), il y a 14 membres et, parmi eux, cinq membres ne furent pas d’accord de censurer l’Uruguay. Alors, il n’y eut pas non plus une censure contre l’Uruguay. Il y eut juste Raymond Yans, un Belge, qui était le Président de cette Commission au mois de mars, en porte à faux avec la réglementation uruguayenne qui se prononça contre.

JH et OG

Mais ici, nous avons 14 membres. 5 n’étaient pas d’accord de sanctionner l’Uruguay, mais la majorité était pour une sanction, non?

JC

Oui, mais comme il n’y avait pas d’unanimité…

JH et OG

Qui étaient les cinq ?

JC

Je ne me souviens pas de tous les noms, mais il y avait un Américain du Nord.

JH et OG

Un Nord Américain installé à Washington. Etonnant, non?

JC

Oui. Il y avait aussi un Mexicain. Bref, les membres de la JIFE (INCB) sont des représentants des pays, même s'ils sont élus par les blocs comme l'Amérique du Sud, l'Europe, l'Afrique…

JH et OG

Cela, vous l’avez aussi dans vos documents, n’est-ce pas ?

JC

Oui, dans la documentation que nous vous remettrons, tout y est décrit.

JH et OG

Est-ce que ces questions juridiques et sur les Conventions Internationales ont été discutées dans le Parlement de l’Uruguay ?

JC

Oui.

JH et OG

Et cela s’est bien passé ?

JC

Oui, car nous avons eu la majorité au Parlement, courte, mais la majorité.

JH et OG

Ok. Vous avez eu la majorité. Il y avait donc un vote à la fin ?

JC

Oui, mais nous avions la majorité. Ce qui est le plus important pour moi, dans ce processus politique, est que nous avons pu vaincre la dichotomie : interdiction/légalisation. Nous nous sommes mis d’accord avec les organisations sociales, des ONG, des universités, des entreprises pharmaceutiques, des pharmacies : si le choix avait été la légalisation ou rien, nous aurions choisi « rien ». Parce que nous n’allions pas avoir l’unanimité dans le système politique. C’est là que nous avons lancé l’idée de la régulation avec une participation forte de l’Etat et toutes ces organisations furent finalement d’accord.

JH et OG

La première idée c’était la légalisation ? Ou non ?

JC

C’était ce que proposaient les organisations sociales. Les groupes Cannabis, etc. Légalisation, légalisation ! Nous avons pensé que si le choix était la légalisation ou rien, on allait vers le « rien », alors nous sommes arrivés à un accord : la régulation. Et nous nous sommes demandé comment serait organisée cette régulation. L’Etat devait jouer un grand rôle de soutien et établir un ensemble de contrôles. C’est pour cela que cela s’appelle : Contrôle et Régulation de Cannabis, car il s’agit de réguler et de contrôler, ce qui n’est pas la même chose que libéraliser, où chacun fait ce qu’il pense.

JH et OG

Contrôle étatique ou libéralisme?

JC

Où se situe le problème ? Les Américains ont beaucoup travaillé là-dessus. Les Nord Américains. Que font-ils dans le Colorado ? C’est une libéralisation indiscriminée, du pur libéralisme. Dans le Colorado, tu peux retirer dans des dispensaires 28 g par jour. Personne ne peut consommer 28 g de marijuana par jour, en aucune manière! En effet, personne ne peut boire cinq litres de whisky, car après le premier litre, tu seras hors course. Même si on peut consommer 5 g de cocaïne par jour en parallèle. Alors, avec ce système, ils croient éliminer le marché noir et ils vont le faire en partie. Ils ont une production légale et ils ont une distribution cantonnée dans le  marché « gris ». En effet, ils savent que celui qui emporte les 28 g n’en consommera qu’1 ou 2g et, le reste, il le distribuera, le revendra dans le marché "gris". Pourquoi ont-ils pris cette option ?

JH et OG

Parce qu’ils sont capitalistes?

JC

Ils ont un Business Model. C’est un Business Model et nous, nous pensons qu’un modèle de type Business n’est pas un bon modèle pour le domaine des stupéfiants. Il faut avoir un modèle qui reconnaît que la drogue n’est pas un produit comme une chemise ou une cravate.

JH et OG

Via la prévention?

JC

La prévention, l’éducation, oui!

JH et OG

Et la responsabilité de l’Etat?

JC

Exactement. C’est le cœur, l’axe de notre proposition. Seul l'Etat peut apporter des correctifs, vraisemblablement pas le libéralisme à outrance.

JH et OG

Donc la prévention, cela reste le coeur. Nous aimerions revenir sur une question. Toujours en relation avec les droits. Les droits humains et puis les Conventions sur les Stupéfiants. Vous arguez que le devoir de la santé par l’Etat est supérieur au trafic. Mais pourquoi pas pour les autres drogues ? N'est-ce pas le même raisonnement pour les autres drogues? Cette question du droit de fumer du cannabis qui serait supérieur aux conventions ne se pose pas seulement pour le cannabis, mais également pour d’autres substances. Pourquoi ne parlez-vous que du cannabis et non des autres drogues?

JC

C’est un thème politique. La discussion dans le monde concernant d’autres drogues n’a pas encore surgi aussi fortement qu'avec le cannabis. Nous sommes partisans de la régulation de toutes les drogues. Mais il y a des drogues qui ont des caractéristiques différentes, par exemple, réguler la cocaïne avec le même système serait plus complexe que la marijuana parce que la plante de Coca ne pousse pas en Uruguay. La plante de Coca ne pousse que dans les Andes. Peut-être dans 30 ou 40 ans…

JH et OG

Politiquement, ça ne passerait pas?

JC

Cette discussion commencera une fois que le modèle du cannabis, ou le chemin que nous avons choisi, prouvera qu’il est viable et qu’il ouvre la discussion au niveau académique et dans les organisations sociales. Car si les associations sociales ne sont pas derrière en soutien, il ne sera pas possible de faire ce cheminement.

JH et OG

Vous dites  que la raison de la réglementation c’est la pauvreté, lutter contre la pauvreté, la criminalité, la violence. Qu’est-ce qu’on espère maintenant? Quel type de criminalité génère le cannabis ?

JC

Ne dites pas le cannabis. La police d’Uruguay affirme que l’alcool engendre plus de criminalité que le cannabis. Ce qui engendre de la criminalité, c’est le trafic illicite, ce n’est pas la consommation du cannabis.

JH et OG

Quelle criminalité y a-t-il ici en Uruguay en lien avec les drogues?

JC

Ici, la criminalité a augmenté entre 2008 et 2012, de 5 morts pour 100'000 habitants à 7,9 morts pour 100'000 habitants. Presque 3 de plus pour 100'000 habitants.

JH et OG

A cause du trafic ?

JC

Bien sûr! Et nous constatons qu’en 2012, par exemple, nous avons eu 82 morts inhérents au trafic.

JH et OG

Ils se tuent entre eux ?

JC

Règlements de comptes, délits pour dettes, etc.

JH et OG

La criminalité existe. Maintenant, vous allez réguler. La mafia, les trafiquants ne veulent pas de cela. Ne craignez-vous pas qu’il y ait des violences contre vous, qu’ils vous menacent dans les rues ? Qu’ils se disent que Julio Calzada est une personne clé qu'il faut éliminer et qu’il faut insécuriser le tout Etat et gagner ainsi la guerre contre l’Etat ?

JC

C’est une possibilité. Mais l’Uruguay est un pays très particulier. Il n’y a pas de grands groupes mafieux organisés. L’Uruguay est à un autre stade, ce n’est pas encore le Mexique, ni la Colombie, ni le Pérou. Il n’y a pas de grands groupes cartellisés. En fait, nous faisons ces démarches pour éviter que l'Uruguay ressemble un jour à d'autres pays, parce qu’à un moment donné il y a eu un début de phénomène que nous appelons « féodalisation » de certaines parties de la ville de Montevideo. Des zones dans lesquelles les services publics commençaient à avoir du mal à accéder. Quelles difficultés ? Les ambulances n’entraient que sous certaines conditions, les transports publics n’entraient pas, plus. Ce genre de choses commence à se produire. J’ai un document en anglais et espagnol à vous donner sur ce sujet qui s’appelle « La stratégie pour la vie et la cohabitation » et qui analyse ce phénomène. De la criminalité, il y en a toujours eu en Uruguay, comme dans tous les pays. Le problème est que le trafic de drogues a changé les valeurs même de la criminalité. C'est ce que l'on appelle les codes. Dans d’autres époques, il y avait certains codes ; certaines choses comptaient et d’autres non.

JH et OG

Est-ce que la question c'est : on fait quelque chose d’illicite, vendre de la drogue, donc on commet plus facilement d’autres actes interdits?

En criminologie, il est reconnu que lorsque je vends, je sais que c’est interdit de vendre. Je commence ma criminalité par vendre et je vais commettre d'autres délits plus facilement, plus de délits que si je ne commets pas l'infraction de base, à savoir la vente de drogues. Est-ce  une forme d'opportunité criminelle qui crée un climat criminel favorable au crime?

JC

Bien sûr, ça a changé. Ces codes, cette culture criminelle, par exemple, ne pas voler dans son propre quartier, c’était un code ancré en Uruguay. Celui qui volait allait le faire dans un autre quartier. Cette culture de trafic de drogues a brisé ce principe. Il y a eu une métamorphose.

HJ et OG

C'est comme le cancer.

JC

C’est ça!

JH et OG

C’est comme au Honduras. Le cancer a commencé petit à petit et, maintenant, c’est un pays extrêmement vulnérable  au niveau étatique.

JC

Ce que nous faisons est un chemin, ce n’est pas forcément un modèle pour d’autres qui connaissent des problèmes beaucoup plus graves.

JH et OG

Est-ce une forme d'impulsion.

JC

C’est un chemin.

JH et OG

Est-ce  donc  un chemin et non un modèle ?

JC

Oui, c’est un chemin, car il faut des conditions pour pouvoir le faire. Il doit y avoir la possibilité de la présence de l’Etat, un Etat reconnu et respecté.  Ce que nous avons défini n'est certainement pas applicable dans d'autres pays du jour au lendemain.

JH et OG

Vous démarrez maintenant. Il y a une opposition, alors si vous n’atteignez pas certains objectifs fixés et que, par exemple, la criminalité augmente, la violence augmente parce que peut-être les trafiquants injectent plus d’argent ou d'autres possibilités… Quels seront les plus grands risques de ce chemin ?

JC

Ce chemin est très risqué. Le premier risque serait de penser que c’est une solution parfaite. Il s’agit d’une solution imparfaite.

JH et OG

La moins mauvaise. En Suisse aussi ce serait cela…

JC

C’est pour cela que c’est un chemin. Tu lui donnes une certaine direction, mais tu peux la changer à certains moments.

JH et OG

Y a-t-il beaucoup de risques? Dites-vous que si les objectifs ne sont pas atteints, il faut prendre d’autres chemins?

JC

En fait, nous voulons établir les prémisses nous permettant de prendre un autre chemin. Si les prémisses que nous avons ne sont reliées qu’à la loi pénale et au contrôle, nous savons toutes les erreurs qui peuvent surgir. Les consommateurs se criminalisent, le pouvoir économique des organisations criminelles se développe, les organisations maffieuses se renforcent, puis, en partie, migrent d’un domaine à l’autre et redonnent un élan au trafic de personnes, au trafic d’armes, à l’extorsion. Tout cela en se basant sur le fait que, dans le monde, il y a 200 millions de consommateurs qui déposent leur argent dans les poches des trafiquants – je ne sais pas – 50 millions ou 100 millions de dollars par jour. Alors, est-ce la bonne voie?

Avec nos réflexions et nos choix sociétaux, nous établissons les bases pour prendre une autre voie. Ces bases reposent sur l’idée que ces régulations et pour ces régulations, l’Etat doit être présent, avoir une capacité de contrôle, de gestion, de conception, d’évaluation et de monitoring. Alors, nous, dans ce cadre-là  et dans ce consensus, nous avons créé il y a deux mois un Comité scientifique et un  Conseil pour l’évaluation et le monitoring de la nouvelle politique. Et nous sommes en train de travailler avec des scientifiques uruguayens qui ne sont pas nécessairement experts en drogue, avec des universitaires et des chercheurs internationaux, dont certains sont experts en matière de drogues. Avec eux, nous sommes en train de créer un processus d’évaluation et de monitoring dans quatre grands axes (dimensions). Un axe est: comment cette loi influe-t-telle en bien ou en mal la sécurité et la cohabitation, la santé psychosociale, la juste application de la loi et la gouvernance politique au niveau local, régional ou global. Ce sont les prérogatives pour prendre une voie différente. Et nous commençons à les construire, par exemple maintenant avec la réglementation de la loi. Nous orientons le bateau dans une direction. Si demain, le monitoring d’évaluation nous indique que l’on doit changer le chemin et partir un peu de côté, on va corriger, mais pas à partir de la loi. Nous partirons de la réglementation, nous en ferons une nouvelle, et nous partirons sur un nouveau chemin. Quelles sont les possibles erreurs ? Il y a beaucoup de choses : le système de vente en  pharmacies n’est peut-être pas le plus adéquat, il faudra peut-être le changer…

JH et OG

Que les prix soient trop élevés, cela peut-il être un problème?

JC

Ou que les prix soient trop bas… Tout cela, nous le faisons à partir de la réglementation. C’est pour cela que nous devons avoir une évaluation et un monitoring forts. Et penser que nous ne sommes pas infaillibles, qu’il peut y avoir des défauts, mais qu’il faut établir des mécanismes qui ne soient pas seulement pénaux. Parce que ceci est un mécanisme et ses bases sont conceptuelles. Ce mécanisme est culturel, social et fondamentalement économique. Il faudra voir comment évolue la situation.

JH et OG

Y a-t-il un aspect multifactoriel?

JC

Exactement. Et c’est ce que nous tentons de faire, en monitorant.

JH et OG

Et pour faire tout cela, c’est un grand effort de la part de l’Etat. Vous avez les financements pour réaliser ce processus ? Parce qu’en Suisse, on dit souvent : "c’est bien, c'est intéressant, mais ce n’est pas une priorité politique, le cannabis n’est pas très important, la criminalité est faible et nous n’avons pas d’argent. Il y a des choses plus urgentes pour l’Etat qu’investir là-dedans". Avez-vous aussi ces remarques ?

JC

Les chiffres que nous avons dans notre évaluation indiquent que ce projet se finance lui-même.

JH et OG

Il s’autofinance?

JC

Ce modèle s’autofinance. Il ne demande aucun développement supplémentaire. Nous sommes en train de monter l’Institut de Régulation et Contrôle du Cannabis (IRCCA), mais ce n’est pas une tour d’ivoire. Nous n’aurons pas tout à faire, il y a des questions que la police continuera à traiter, d’autres qui seront prises en charge par la santé. Nous n’avons pas besoin d’avoir, par exemple, un laboratoire. En Uruguay, il y a 3 ou 4 laboratoires qui peuvent analyser la drogue, alors pourquoi est-ce que je créerais un laboratoire ? Nous aurons un groupe spécialisé qui peut entrer dans une maison et dire : ces deux plants sont des plantes femelles qui ont des agents actifs ou ceci est un plant mâle à ne pas considérer.

JH et OG

En Suisse nous sommes très intéressés par ce qui se passe ici, ainsi qu’au Colorado. Alors est-ce que vous seriez motivés à faire une plateforme internationale, regroupant toutes les expériences sur ces voies possibles? Colorado, Washington, Espagne, Uruguay, Hollande…Nous allons, si c’est possible, créer des projets pilotes sur le sujet. Nous pensons à une plateforme internationale –dont  nous devrons discuter des modalités – de façon à échanger tout ce qui ressort de ces différentes voies, ce qui marche bien, ce qui ne fonctionne pas bien, pourquoi cela fonctionne ou pas.

JC

Oui, nous avons un intérêt majeur à être à disposition. Nous coordonnons ces quatre axes (dimensions) depuis ici, mais ce sont plus de 50 chercheurs (intellectuels) du monde entier qui participent d'ors et déjà au monitoring. Il y a par exemple Tom Lloyd, un commissaire anglais, de Londres. Il y a des possibilités pour vous de rejoindre ce groupe d’évaluation. Nous pouvons organiser une réunion avec  le Comité Scientifique. Vous partez quand ?… Vous pouvez rencontrer quelqu’un du Comité Scientifique si vous le voulez, je vous l'organise volontiers. 

Pour nous, c’est une plateforme ouverte, virtuelle, nous créons aussi des événements réels. Nous serions très ouverts au fait de vous voir faire partie de cette plateforme, donner votre avis sur ce que nous faisons. Nous allons voir si nous pouvons organiser une réunion avec un membre de ces Commissions de travail. C’est un système très simple: on élabore des documents, on discute, on reçoit des avis et nous décidons. Mais c’est un Comité Scientifique pour le monitoring et l’évaluation de la politique. Et là il y a tout le monde : la sécurité, les services d’urgences, la santé, le juridique. Il y a Peter Reuter de l’Université de Maryland aux USA. Il y a le Prof. Albrecht du Max Planck Institute à Freibourg en Allemagne. Il n’y a pas de Suisse pour l’instant. Il y a aussi Araceli Majon.

JH et OG

Lorsque la régulation commencera, est-ce que les peines vont augmenter ? Et que faites-vous avec les personnes qui étaient dans le trafic et qui sont en prison ?

JC

La loi en vigueur va s’appliquer de la même manière. Ce qui a paru récemment dans la presse, c’est que des personnes poursuivies pour trafic de marijuana seraient libérées. Mais cela n’arrivera pas. Finalement, le trafic n’est pas inclus dans la consommation de stupéfiants.

JH et OG

Y a-t-il une amnistie pour des personnes qui ont eu des problèmes avec la loi et qui sont en prison ?

JC

Non, ce n’est pas prévu.

JH et OG

Que pense la police de tout ceci ?

JC

La police, chez nous, a la culture du respect de l’autorité. En général, elle n’apparaît pas dans l’opinion publique. On ne demande pas à la police de donner son avis.

JH et OG

Ainsi, on change la loi, elle applique la loi?

JC

Oui

JH et OG

Elle ne dit peut-être rien en public, mais que pense-t-elle en interne ? Quelle est son attitude?

JC

En réalité, tout dépend de la responsabilité de la police.

JH et OG

Les hauts gradés sont-ils en faveur du programme de règlementation?

JC

Ils ne sont pas en faveur. Ce qui se passe, c’est que cela fait plus de deux ans que nous parlons de ce thème et la police a eu le temps de se préparer aux difficultés qu’elle pourrait trouver en appliquant cette nouvelle loi. Mais à l’heure actuelle, il n’y a pas de résistance de sa part. Parfois, chez les agents qui travaillent sur les plages, par exemple, qui ont des tâches très focalisées sur le thème, il y a de la résistance, mais surtout par manque de connaissances sur le sujet et par manque de distance.

JH et OG

Et les journalistes sont-ils en faveur ?

JC

Il y a de tout. Ils sont toujours très attentifs. Nous avons une presse qui véhicule des fausses nouvelles en permanence. Dans ce thème en particulier, citant des sources qu’ils ne peuvent nommer, ils publient des nouvelles fausses.

JH et OG

Parce que la presse est entre des mains de gens qui ont de l’argent ?

JC

Oui. Ici nous avons des entreprises qui sont propriétaires de chaînes.

JH et OG

Et quelle est l’attitude de la justice face à ce projet?

JC

Il n’y a pas de déclaration expresse à ce sujet. Ils ont participé aux discussions pendant tout le processus. La justice ne se prononce pas. Elle peut dire si la loi est constitutionnelle ou non, ou se prononcer  s’il y a une initiative de quelqu’un qui présente ce qui s’appelle un « recours d'inconstitutionnalité ». Mais personne ne l’a fait.

La loi de régulation est très stricte parce que pour avoir jusqu’à 40 g de Marijuana dans la poche, il faut être soit être cultivateur, soit membre d’un club ou être enregistré dans le système des pharmacies. Sinon on ne peut pas. Ensuite, lors de l’application de la loi – la loi se dit « bénévole » – si on trouve quelqu’un qui n’est pas enregistré, on ne va pas le condamner à une peine de deux ans. Ce serait disproportionné. Mais il aura commis une infraction, alors on lui retirera la drogue qu’il a sur lui, s’il a des plants à la maison on les lui prendra, mais il ne sera certainement pas poursuivi. C’est l’application de la loi. La loi se tient aux faits légaux et va dépendre plus de la jurisprudence que de ce qui est écrit. De là l’idée de réguler, elle ne va pas permettre que chacun puisse avoir un plant chez lui. Pour en avoir chez soi, il faut remplir certaines conditions. Par exemple, il faut que les plants soient recouverts d’une toile ou quelque chose qui bloque l’accès aux enfants.

JH et OG

Maintenant, vous avez les mêmes prix que le marché noir : 1 dollar le gramme. Pourquoi ? Pourquoi ne pas commencer par un prix plus bas ?

JC

Parce que la qualité de marijuana qui va être commercialisée est différente. Celle qui se consomme ici est en générale en provenance du Paraguay et compte de nombreux mois de stockage dû au trafic, elle arrive dans de mauvaises conditions.

JH et OG

Le produit sera donc meilleur.

JC

Non, seulement, le cannabis sera plus naturel, mais les pourcentages de THC et de CBD seront plutôt bas. Nous sommes en train de calculer avec quel pourcentage nous allons mettre le cannabis sur le marché. On ne peut pas non plus lancer des taux trop élevés, car ce serait alors un problème de santé.

JH et OG

Et si les prix baissent dans le trafic illicite ? Les trafiquants ont beaucoup d’argent, alors s’ils décident –maintenant que commence la régulation – de faire baisser les prix pendant une année à 50 ct. au lieu des 1 dollar du marché officiel. Baisserez-vous  aussi votre prix ? Pensez-vous qu’avec une meilleure qualité vous pourrez combattre cette concurrence ?

JC

Je ne crois pas en cette hypothèse. Mais – à OG-, toi qui est dans la sécurité, tu peux le comprendre facilement, le prix des drogues dans les marchés noirs ne correspond pas à la valeur intrinsèque du produit, mais au coût de son interdiction. Et l'interdit du trafic sera renforcé. Ce que nous ne pouvons pas faire, c’est baisser notre vigilance, baisser notre niveau de contrôle du commerce légal. Nous devrons le maintenir ou l’augmenter. C’est une des prémisses que nous avons.

HJ et OG

Oui, il est important que la police intervienne avec force contre les trafiquants, même si cela restera difficile.

Nous avons été enthousiasmés par ta présentation d'hier au congrès de la RIOD. C’était incroyable : l’histoire avec des films, l’émotion avec ces chants et ensuite la théorie, les statistiques et ensuite bien sûr tes explications très intelligentes et intelligibles. Nous allons faire un rapport auprès du Ministère de la santé publique suisse. Serait-il possible d’avoir ces deux films ? Nous pourrions les prendre en Suisse et le montrer ?

JC

Oui, bien sûr.

HJ et OG

Nous avons besoin de tels films. C’est très limpide et les films sont aussi traduits en anglais. Félicitations ! La dramaturgie est fantastique et le rationnel est convaincant. Il y a d’abord : pourquoi le problème, la question de savoir pourquoi le problème des drogues existe-t-il, avec son histoire centenaire, puis l’émotion et après tes explications.

Dernières questions: Avez-vous eu des pressions directes de la part des  USA contre le projet de régulation uruguayen ?

JC

Non.

Si jamais cela vous intéresse, après le coup de fil que je viens de passer, nous sommes d’accord de participer à la plateforme que vous nous avez proposée, si vous la gérez. Nous n’avons pas la possibilité de gérer plus de choses en ce moment. Nous n’en serions pas responsables, mais nous sommes prêts à être partenaires, à la promouvoir et éventuellement à organiser un congrès à Montevideo s’il y a un intérêt et des possibilités.

Muchas gracias.

L'entretien a eu lieu en espagnol à Montevideo le 9 mai 2014.

Il a été traduit en français par Julia Moreno.

Olivier Guéniat

Chef de la police judiciaire neuchâteloise depuis 1997, Docteur en Sciences forensiques, Olivier Guéniat est né en 1967. Son grand dada: les stupéfiants. Ses sphères de compétences: les statistiques de la criminalité, les violences conjugales, les interrogatoires et les auditions de police, la délinquance des jeunes. Il est aussi chargé de cours à l’Ecole des sciences criminelles de l’UNIL et à l’Institut de psychologie et éducation de l’UNINE.