Ces derniers temps, la population neuchâteloise ne doit plus rien comprendre au concept de Police de proximité mis en place dans le canton de Neuchâtel à l'occasion du projet de Police unique. En effet, après la parution d'une interview sur Arcinfo le 30.10.2012 du conseiller communal loclois, Charles Häsler, puis plusieurs autres articles dans l'intervalle, dont les contenus sont contradictoires, voici que le Courrier neuchâtelois publie, le 08.05.2013, un article intitulé "Les communes neuchâteloises veulent faire leur propre police". On y lit que certaines communes ne veulent plus établir de contrats de prestations avec la police cantonale, jugeant le coût des prestations trop cher, qu'elles veulent recruter des Assistants de Sécurité Publique (ASP) pour exécuter certaines prestations (notamment la surveillance du trafic dormant). Mais on y lit une réelle hérésie: les communes reprennent ainsi la main en matière de police de proximité. C'est faux, totalement faux. Il s'agit d'une méconnaissance extrême du concept de Police de proximité. D'ailleurs, la confusion est commune, on y attache souvent n'importe quelle définition.
Ce qui se passe à Neuchâtel est globalement bénéfique, c'est certain et même prouvé par la recherche. Le projet Police unique a permis de supprimer les polices communales au profit d'une philosophie commune de Police de proximité. Il faut savoir en effet, à ce stade, que les polices communales n'ont jamais fait de la police de proximité au sens où on l'entend dans le monde scientifique du management de la sécurité. Il existe donc une confusion de définition en amont des projets qui se sont réalisés à travers Police unique et la création du processus Police de proximité.
Je viens de finir de lire la thèse de doctorat de Julien Niklaus, d'une exceptionnelle qualité (je l'ai initiée et je fais partie du jury), relative à la conceptualisation de la police de proximité, étudiant les villes de La Chaux-de-Fonds, de Neuchâtel et de La Riviera. Je me rends compte aujourd'hui que l'on aurait dû substituer l'appellation Police de proximité par "Dispositif Partenarial de Sécurité Publique" (DPSP) et la confusion ne se serait probablement jamais produite, elle n'aurait présenté en tous les cas, politiquement et sociétalement, aucun enjeu.
Pour tenter de comprendre ce que poursuivent les dirigeants du management de la sécurité en ce début du 21ième siècle et pour une bonne vingtaine d'année, dont le canton de Neuchâtel est un véritable pionnier en Suisse, il faut savoir et comprendre la notion que recouvre la Police de proximité. Voici un bref aperçu et les objectifs contemporains. Le concept de Police de proximité a mon âge, 46 ans (tiens, tiens, c'est peut-être pour cela qu'il m'apparaît si vaillant). C'est effectivement en 1967 qu'apparaît la notion de fear of crime (peur du crime) dans le monde anglo-saxon de la criminologie. Dès lors, toutes les recherches vont se focaliser et s'intéresser à la victimisation, puis à la peur d'être victime d'un crime. Il s'agit du lien qui a amené les chercheurs sur le terrain du sentiment d'insécurité, à vouloir savoir quelles sont les variables influençant celui-ci, puis à cibler les populations qui manifestent des sentiments de peurs face au crime. Parallèlement, les spectres de la recherche se sont intéressés à définir des stratégies susceptibles d'acter sur les variables qui régissent le sentiment d'insécurité, pour augmenter le bien-être collectif. C'est ainsi qu'est née la Police communautaire (community policing) ou Police de proximité, s'intéressant à la relation entre police et citoyens, à la manière dont la police communique avec les citoyens, aux objectifs légitimes de la police, et à la responsabilité partagée de la police et des citoyens face à la sécurité et à l'ordre social. Les maître-mots deviennent dès lors: analyser correctement les problèmes pour intervenir de manière adaptée et efficiente.
Aujourd'hui, la Police de proximité consiste à développer des stratégies de management policier qui promeuvent la coresponsabilité de la police, des citoyens et d'autres acteurs publics à l'égard de la sécurité publique. Les objectifs visent à (1) à diminuer le sentiment d'insécurité, (2) diminuer la délinquance et les incivilités, (3) augmenter la confiance entre la police et les citoyens, (4) augmenter la qualité de vie. Quant aux moyens de parvenir à réaliser ces objectifs, ils se déclinent en partenariat sécuritaire (population civile et politique), insertion dans les réseaux (associations de quartier, écoles), patrouilles pédestres, résolution de problèmes, diagnostics de sécurité, etc.
On l'aura compris, la Police de proximité répond à des critères techniques et méthodologiques précis et complexes, il s'agit d'une vraie spécialisation. La recherche scientifique nous enseigne qu'elle est le meilleur moyen (pour ne pas écrire le seul moyen) de réduire le sentiment d'insécurité et d'augmenter le bien-être collectif, la qualité de vie en société. Mais surtout, la recherche nous enseigne qu'il ne peut y avoir de résultats positifs relatifs à la criminalité sans l'approbation de la société civile et politique, sans partenariat et confiance mutuelle. A contrario, un modèle de "police guerrière", ou réactive, est un projet d'échec programmé.
Ce que révèle la confusion actuelle dans l'esprit de certains politiciens communaux neuchâtelois est de trois ordres prépondérants: (1) une méconnaissance totale des concepts et objectifs de la Police de proximité, (2) une volonté de minimiser les coûts relatifs à la sécurité (ou plutôt de ne pas accepter les coûts réels de la sécurité) et (3) la volonté de croire faussement que la Police de proximité actuelle est toujours la "Police communale que l'on a toujours connue". Concernant ce troisième point, le chercheur Julien Niklaus (thèse de doctorat, 2013) conclut que "les méthodes, outils et compétences sociales des agents de la Police de proximité, inscrits dans une modélisation robuste, devraient pouvoir s'imposer en tant que dispositif policier différent de la police communale classique, répondant mieux aux besoins actuels de la population. Une solution à ce problème serait de miser sur une communication auprès des citoyens, via les associations de quartier, mais surtout en tentant, dès la mise ne place, d'inclure la société civile et politique intéressée dans le dispositif partenarial de sécurité publique. L'inclusion notamment de la société civile et politique est l'un des facteurs qui pourrait permettre à la Police de proximité de se profiler en tant que stratégie policière nouvelle se distançant des polices communales classiques (au sein desquelles l'idée de coproduction n'existait pas). Il s'agit alors tant d'un point central dans la philosophie de la Police de proximité que d'une manière intrinsèque (au modèle) de se différencier et de valoriser la stratégie de proximité". Il s'agit-là d'un défi important! Ces considérations, intelligentes à souhait, fonctionneront certainement à merveille avec la population, mais sous-estiment la mauvaise foi politique, même éphémère, liée à l'équilibre des budgets communaux ou, plus simplement, l'objectif politique de ne pas vouloir payer des prestations sécuritaires à leur juste prix, soit environ CHF 130.-/h et par policier (coût réel pour l'État), et non pas comme c'était le cas "faussement" (avant les études demandées à des experts financiers) dès le début du projet à CHF 60.-/h.
Je crois que la confusion majeure vient du mélange entre tâches policières et tâches du domaine public. Cette dernière décennie, il y a eu, outre le projet de Police unique ou l'implantation de la Police de proximité, un autre changement: les policiers ont été brevetés et leurs compétences ont été reconnues. Ainsi, il y a des tâches qui entrent dans le cahier des charges des policiers brevetés et d'autres qui n'y entrent plus. Dès lors, un nouveau statut a été créé, celui d'Assistant de Sécurité Publique (ASP), évidemment pour les tâches qui n'entrent plus dans le cahier des charges des policiers (tâches qui seraient alors trop chères), notamment celles liées à la gestion du domaine public (trafic dormant, parcages, signalisation, encaissement de taxes, etc). Il est entendu que ces tâches étaient totalement entremêlées lorsque les polices communales existaient, elles ne le sont plus aujourd'hui, c'est une question de priorité et d'efficience, soit l'utilisation de la meilleure organisation, des meilleurs outils et des meilleurs moyens pour obtenir les meilleurs résultats aux meilleurs coûts. Ainsi, au même titre que l'on ne demanderait pas au chirurgien de nettoyer la salle d'opération après son intervention, préférant le voir s'atteler à remédier à un autre mal auprès d'un nouveau patient souffrant, il faut que le policier reste concentré dans la délimitation des tâches qui nécessitent les compétences acquises et satisfaire aux besoins sécuritaires des citoyens, plutôt que de remplir les caisses de l'état en verbalisant les infractions en zones bleues ou d'orienter les automobilistes vers un parking lors d'un ensevelissement.
Reste à savoir comment un conseiller municipal peut-il ne pas comprendre une situation aussi explicite et simple que celle-là? Vraisemblablement parce qu'il a perdu son dirigisme, son influence directe, un peu de son ego, sa marionnette qui dit oui-oui et sa possibilité d'influencer l'équilibre de ses comptes avec des actions répressives dirigées. Sinon, que reste-t-il rationnellement dans l'argumentaire?
Ainsi, contrairement à ce qu'affirme le Courrier neuchâtelois en pensant faussement que "les communes reprennent ainsi la main en matière de police de proximité", il s'agit plutôt d'un rééquilibrage du partage des tâches inhérentes à la Police et/ou au Service du domaine public, autrement dit au canton ou à la commune. Et je considère que le fait que les communes se réapproprient des tâches qui ne sont pas policières est une excellente direction, une nécessité de clarification allant dans le sens d'une efficience optimisée. En effet, faire réaliser des tâches non policières par des policiers est une apostasie financière et politique. Les communes l'ont enfin compris, c'est très bien et cela n'a rien à voir avec la Police de proximité, puisque les tâches communales sont parfaitement réalisables par des Assistants de Sécurité Publique, qui ne sont ni ne seront jamais des policiers.
En finalité, il est clair que je reviendrai sur les résultats fantastiques révélés par l'excellente thèse de doctorat de Julien Niklaus relative à la Police de proximité. Ce qu'elle révèle doit être le guide des 20 prochaines années en matière de sécurité, c'est dire si elle est importante et qu'elle a besoin d'être démocratisée. Je reste, aujourd'hui encore plus qu'hier, convaincu que la recherche doit dicter les actions sécuritaires plus que toute autre considération. Je suis donc content de ces nouveaux résultats et de la compilation des résultats des autres recherches, parce que je sais pourquoi je me bats pour un modèle nouveau de management sécuritaire, je suis simplement hautement référencé, posture et avantage non négligeables. Je me sens donc honnête et persuadé d'aller dans la bonne direction, malgré toutes les résistances et les réticences, je sais que je travaille pour augmenter le bien-être de la population.
