Quel avenir pour la politique en matière de drogues en Suisse?
J'étais à l'Office des Nations Unies contre les drogues et le crime à Vienne cette semaine (UNDCP), accompagnateur de la délégation suisse, pour y présenter ma vision de l'évolution de la politique en matière de drogues en Suisse et pour partager quelques réflexions sur modèle de la prohibition. Faisant partie de la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues, inutile de préciser que je me sens effectivement très concerné par cette problématique, à tel point d'ailleurs que j'ai écrit un article dans la dernière revue Dépendances No 48 sortie en février dernier. On peut être en accord ou en désaccord avec ce que je propose, cela n'a pas grande importance pour moi, il est simplement de plus en plus urgent d'en débattre.
Oui, je pense que la problématique des stupéfiants est en lien direct tant avec l'insécurité que le sentiment de sécurité, et surtout avec les problèmes urbains que subissent beaucoup des villes suisses. Oui, je suis convaincu que pour augmenter le niveau de sécurité en Suisse et re-sécuriser l'espace public, il faut adapter la politique drogue et remettre en question le modèle de prohibition que nous connaissons depuis plus d'un demi-siècle maintenant. Oui, je pense que l'effondrement de la sévérité en matière de consommation et de détention de produits stupéfiants, notamment dans l'espace public, agit comme un catalyseur générateur de problèmes.
Probablement que la non-sévérité s'est alignée sur l'acceptation sociale des produits stupéfiants ces trente dernières années, le changement de la norme sociale précédant presque toujours celui de la norme pénale. Avec le corollaire qu'aujourd'hui, il n'y a plus de cas grave en matière de trafic de cannabis et que la consommation ou la détention est sanctionnée d'une amende d'ordre de CHF 100.-. Autant dire que le marché est quasi libre et que le 4e pilier de la répression a été brisé en deux en termes d'efficacité et de régulation. C'est d'ailleurs pour ces raisons qu'un produit, considéré comme illicite, peut devenir conquérant et trouver un ancrage sociétal fort, notamment dans l'espace public. Et il faut considérer que c'est ancrage a un prix: celui du grand nombre de nuisances liées à la petite et moyenne criminalité et des comportements socialement réprouvés. En quelque sorte, le modèle de la prohibition s'est auto-flagellé, il ne rime presque plus à rien, il n'a plus de sens, en tout cas à mes yeux.
C'est la raison pour laquelle mes réflexions m'ont amené à repenser la politique en matière de drogues en me souciant non pas d'un choix doctrinaire sur un principe en amont de la problématique (la prohibition versus la règlementation ou encore la dépénalisation), mais en partant du niveau de sécurité à maintenir ou à préserver dans l'espace social. Ainsi, je suis arrivé à la conclusion qu'il fallait trouver un moyen d'obtenir un consensus politique gauche-droite sur la définition de la politique en matière de drogues tout en développant les outils nécessaires à la sécurisation de l'espace public. Et je suis arrivé à la solution de déplacer la demande de l'espace public vers l'espace privé (pour le cannabis) et vers l'espace médical (pour les produits les plus addictifs), mesures accompagnées d'une augmentation de la sévérité dans l'espace public. L'idée revient donc à jouer sur le déplacement de la demande, pour diminuer l'offre, tout en proposant un choix gagnant-gagnant aux consommateurs. Et je suis certain qu'il y aura des résultats intéressants, ne serait-ce que parce que l'immense majorité des consommateurs va choisir de se discipliner et de disjoindre leur toxicomanie de l'espace public. Pourquoi en suis-je certain? Parce que d'une part le profil des consommateurs de cannabis, la substance illicite la plus abusée en Suisse, n'est, dans l'immense majorité, ni un profil de délinquant, ni un profil de criminel, et que d'autre part nous avons fait l'expérience du durcissement de la sévérité en matière de circulation routière ces dernière années et nous savons que les conducteurs, de manière massive, ont fait le choix de modifier leur style de conduite et de se discipliner. En un mot, ça a marché et nous allons probablement continuer sur cette voie-là ces prochaines années, les résultats sont très bons. Quant à la médicalisation des consommateurs de cocaïne, il n'y a pas d'autre choix que de favoriser une prise en charge socio-sanitaire, ne rien faire n'étant une solution ni à moyen terme, ni à long terme et certainement parce que l'addiction étant immensément plus forte que la répression, donc parfaitement insensible à celle-ci.
J'ai découvert avec bonheur, lors du meeting de l'ONU, que de plus en plus de chefs de police, dans le monde anglo-saxon en particulier, mais pas uniquement, pensent que le modèle de prohibition est un échec et que la politique en matière de drogues devra changer. Ils se sont même fédérés au sein de la Law Enforcement Against Prohibition (LEAP). Autre réel plaisir, les solutions que je propose ont été accueillies avec un enthousiasme que je n'avais jamais imaginé et considérées comme étant innovantes.
