À quand un plan santé mentale dans les villes suisses?

Le maire de New York, Bill de Blasio, présentant en 2015 son plan d’action pour la santé mentale (crédits photo: Michael Appleton)

C’est un lieu commun de le dire: la majorité des habitants de la planète habitent aujourd’hui dans des espaces à caractère urbain. Il est un peu moins connu, bien que désormais robustement établi par la recherche scientifique, que ces mêmes milieux urbains jouent un rôle dans le développement de certains problèmes de santé mentale, comme la schizophrénie. Dans ce contexte, il est particulièrement important que les municipalités s’engagent pour améliorer la santé mentale de leurs habitants.

Le réseau ‘Thrive’

‘Thrive’ signifie prospérer. C’est aussi, depuis une quinzaine d’années, le nom d’une initiative en faveur de la santé mentale qui a été développée dans de nombreuses villes de pays majoritairement anglophones. Plus de 200 villes ont ainsi mis en place une initiative Thrive. Il ne s’agit pas d’un programme unifié s’appliquant de façon identique dans chaque ville, mais d’actions qui reposent sur des principes communs. Parmi ces principes, il y a le fait d’agir contre la stigmatisation des personnes souffrant de troubles psychiques et de travailler en partenariat avec les habitants dans les quartiers. Thrive New York a ainsi été créé en novembre 2015 sous l’initiative du maire Bill de Blasio. New York est une ville où plus d’un habitant sur cinq est affecté par des problèmes de santé mentale. Thrive y intervient dans les quartiers les plus défavorisés, qui sont aussi les plus touchés en matière de santé mentale, pour y proposer un accès aux soins. L’action se fait en cassant les silos de l’administration municipale et en mobilisant différents départements comme ceux de la jeunesse et de l’éducation. L’initiative passe ainsi notamment par les enseignants afin de prévenir le suicide, la cause principale de mortalité des jeunes à New York, comme dans les villes suisses. Thrive New York intervient aussi sur l’aménagement urbain en redessinant des rues ou des écoles. L’un des objectifs du programme est de former d’ici 2020 250’000 habitants de la ville à reconnaître et pouvoir soutenir des personnes montrant des signes de détresse psychologique et émotionnelle. Fin 2017, 40’000 personnes avaient déjà suivi un Mental Health First Aid training. Thrive Londres, créé en 2017 avec l’appui du maire Sadiq Khan, a développé des initiatives similaires avec des campagnes de sensibilisation dans le métro et les médias sociaux.

Ces initiatives, dont j’ai pu récemment rencontrer les responsables des villes de Toronto, Londres et New York, présentent plusieurs intérêts. Premièrement, elles permettent une prise de conscience générale de l’ampleur des problèmes de santé mentale auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés. Deuxièmement, elles sont le fait des municipalités, souvent plus proches des problèmes, des citoyens et des solutions et donc plus pragmatiques que les Etats. Troisièmement, elles développent un message positif, qui consiste à dire que toute personne a le droit de prospérer, ce qui tranche avec les messages négatifs ou anxiogènes souvent associés à la santé mentale. Enfin, et c’est sans doute le point le plus important, ces initiatives sortent la question de la santé mentale du seul cercle des professionnels de la psychiatrie ou de ce que certains auteurs appellent en anglais le psy complex. Elles montrent que la santé mentale est l’affaire de toutes et tous (toujours en anglais: les psy commons), autrement dit: de la famille, des amis, des voisins, des architectes, des enseignants et, last but not least, des municipalités. Dans leur insistance sur le rôle des pouvoirs publics, Thrive rejoint une autre intitiative, au niveau des gouvernements cette fois, soutenue par huit pays, l’International Initiative for Mental Health Leadership visant à développer une action publique plus déterminée et efficace en la matière.

Et en Suisse pendant ce temps…

La Suisse est dotée d’un remarquable système de soin en matière de santé mentale. La plupart des cantons se sont par ailleurs dotés ces dernières années d’un programme complet dans ce domaine. Des acteurs de la santé publique, dans le Canton de Vaud en particulier, ont été pionniers en matière d’intervention précoce dans le domaine des psychoses et de mise en place d’équipes mobiles d’intervention dans le milieu de vie des patients. Il y a aussi, à l’occasion des Journées annuelles de la schizophrénie, des actions ponctuelles de sensibilisation du public. Lausanne a innové en créant un programme pilote en matière de logement pour des personnes souffrant de troubles psychiques (Housing First). Mais les municipalités suisses dans leur ensemble devraient être plus engagées et développer de véritables plans d’action dans ce domaine, à leur échelle. Ce sont les villes en effet, comme le montrent les initiatives Thrive, qui peuvent agir au plus près des besoins de leurs habitants, sensibiliser la population, favoriser la constitution de réseaux de soutien au-delà des services psychiatriques et intervenir dans l’aménagement de l’espace urbain sur le plan local. On ne peut donc que souhaiter que des initiatives du type de celles du réseau Thrive prospèrent aussi à l’avenir dans les villes suisses.

Ola Söderström

Ola Söderström est professeur de géographie sociale et culturelle à l'Université de Neuchâtel. Il observe les villes en mouvement depuis 25 ans, quand sa curiosité ne le mène pas ailleurs...

Une réponse à “À quand un plan santé mentale dans les villes suisses?

  1. Merci pour votre article qui met en évidence un encouragement politique à la responsabilisation, à l’heure où l’expertise de tout champ d’activité a tendance à renforcer la dépendance!

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