Macro- et micro-politique à la vaudoise

Le week-end a été politique, mais de manière très diverse. Nous votions sur la stratégie énergétique de la Confédération et, dans le Canton de Vaud, pour choisir notre exécutif. Il a donc été question de transition vers des énergies durables, de majorité de gauche ou non au Conseil d’Etat vaudois. Pendant la campagne pour l’élection au Conseil d’Etat, la candidate verte libérale a traité sa concurrente socialiste de communiste aux idées extrêmistes. Bref, nous avons été dans les grandes manoeuvres, les grands discours et les effets de manche de ce qu’on peut appeler la macro-politique. Cette forme de politique qui remplit la presse et les médias de commentaires, de passe d’armes et de spéculations.
Pendant ce temps là…se déroulait dans le quartier du Vallon à Lausanne, à deux pas du Château, un événement organisé par un groupe de jeunes: “Où êtes-vous tous?”, créé en 2013, dont l’objectif est de créer des espaces de culture et de liberté hors des structures ordinaires. Il s’agissait du “Forum des espaces possibles”, qui visait à réunir des personnes qui créent et font vivre des lieux alternatifs sans but lucratifs, souvent temporaires, pour la fête, la rencontre et des événements artistiques. Des collectifs suisses, principalement de la région lémanique, se sont ainsi rencontrés pendant trois jours pour échanger des expériences et discuter du sens de leurs initiatives. Invité à animer une table ronde sur la création et la gestion de lieux mixtes à la fois du point de vue de leurs activités et de leurs usagers, j’ai ainsi appris qu’à Lausanne 14 collectifs de ce type se réunissent chaque mois pour échanger ou se coordonner. Le catalysateur de ces rencontres a été un événement en 2015 autour de l’accueil des réfugiés syriens: le salon des sans refuge. Proche du Château, haut-lieu de la “macro-politique”, s’est donc réuni cette fin de semaine des groupes de jeunes investis dans ce qu’on peut appeler une micro-politique (le terme vient des philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattari et, notamment, de leurs rencontres avec le mouvement squat à Berlin dans les années 1970). Ce qui intéresse ces collectifs c’est l’action concrète, l’intensité générée par ces rencontres et le travail qu’ils font en commun: des expositions, des repas pour et avec des requérats d’asile, une fête, etc. dans des lieux qu’ils occupent pendant une soirée, quelques mois ou, plus rarement, quelques années. Cette micro-politique crée tout un réseau de lieux et d’activités souvent invisibles pour celles et ceux qui n’y sont pas connectés. Il faut y entrer pour réaliser que nos villes si lisses en apparence, et Lausanne en particulier, sont “trouées” par de petites utopies qui apparaissent par-ci par-là en fonction des idées et des opportunités. Ce week-end, il était frappant de voir ces deux mondes – politiques chacun à leur manière – se côtoyer et aussi en grande partie s’ignorer. Il y avait là des leçons à glaner sur le type d’action politique qui importe pour des secteurs jeunes, entreprenants et créatifs de la population et par conséquent sur des formes émergentes de la vie politique en Suisse.

Ola Söderström

Ola Söderström est professeur de géographie sociale et culturelle à l'Université de Neuchâtel. Il observe les villes en mouvement depuis 25 ans, quand sa curiosité ne le mène pas ailleurs...