Les projets de villes dont on parle dans la presse et les médias sont généralement ceux des villes-modèle: celles qui ont les moyens de grandes ambitions et de grandes transformations. On évoque ainsi les projets de développement de Londres, Paris, Copenhague, Vancouver. Il est moins question de villes qui gèrent tant bien que mal la crise économique et sociale et qui semblent être dans une impasse. La ville dans laquelle je me trouve cette semaine avec mes étudiants, Liège en Belgique, en fait partie. Il est frappant de constater que les autorités publiques y utilisent les mêmes recettes que les villes-modèle, mais en mode mineur et avec un temps de retard. À ce titre, Liège me semble exemplaire de nombreuses autres villes qui gèrent ainsi la crise avec une stratégie qui paraît seulement pouvoir mener plus loin au fond de l’impasse… Voyons ce qu’est cet urbanisme en mode mineur et s’il n’y a pas une alternative.
Un urbanisme en mode mineur
Ancien fleuron de l’économie minière, Liège – 200’000 habitants pour la commune, 600’000 pour l’agglomération – est en crise depuis une quarantaine d’années. Elle a même été en cessation de paiement à la fin des années 1980. Un quart de sa population active est au chômage, le centre-ville se paupérise depuis un quart de siècle et les activités de services financiers, jadis florissants, ont fortement décliné. Dotée d’une base fiscale désormais faible et ne pouvant pas s’appuyer sur une véritable gouvernance métropolitaine – qui permettrait de mobiliser les ressources des classes aisées qui ont décampé vers les communes périphériques – la Ville a de faibles moyens pour améliorer son attractivité et sa qualité de vie.
Dans ce contexte, on trouve à Liège des opérations à petite échelle qui émulent avec un effet retard ce qui a été réalisé à plus grande échelle ailleurs. Début mai va ainsi être inauguré le nouveau Centre International d’Art Contemporain de la Boverie. Cette rénovation et extension d’un musée existant a été dessinée par l’architecte Rudy Ricciotti, qui a récemment conçu le MUCEM à Marseille. La Boverie a signé pour les expositions un contrat de quatre ans avec le musée du Louvre. Ce projet montre que l’investissement dans l’art à Liège est devenu, comme ailleurs, un pari sur l’avenir. Mais avec les moyens du bord. Le musée est de taille modeste et le Louvre offre simplement ses conseils et son accompagnement à la programmation. Ce n’est pas le Louvre Abou Dabi dessiné par Jean Nouvel…
Comme à Lyon, Nantes ou Bordeaux, Liège a aussi fait appel à un architecte-paysagiste prestigieux, Michel Corajoud en l’occurrence, pour réaménager les quais de la Meuse. L’opération, terminée en 2015, est de qualité et a été saluée par les acteurs locaux les plus critiques en matière d’urbanisme. Cependant, l’intervention ne concerne qu’un petit tronçon de quais. C’est une miniature des opérations réalisées dans les villes françaises. On pourrait aussi évoquer la réintroduction du tram, autre symbole de renaissance et autre intervention-type réalisée dans de nombreuses villes ces dernières années. Mais le projet – une seule ligne parallèle à la Meuse – est lui aussi modeste et prend du retard. Prévu initialement pour 2016, il est désormais repoussé à 2022.
Quels peuvent être les effets de cet urbanisme en mode mineur? Ces interventions sont-elles à même de relancer l’attractivité de la ville et d’offrir de meilleures conditions de vie? Y a-t-il une alternative?
Ces questions se posent à Liège, comme pour de nombreuses autres villes en crise. Newcastle, au Royaume-Uni, a par exemple réalisé il y a quelques années un pont piéton et un musée d’art contemporain qui imitent en format bonsaï l’exemple londonien (millenium bridge + New Tate Gallery).
Une autre voie?
La visée de ces interventions est louable bien entendu. Et leurs effets sont positifs. Il suffit de voir l’usage qui est fait par les habitants des quais de la Meuse réaménagés. La modestie des interventions rend toutefois illusoire un quelconque effet structurel. Si la transformation complète des berges du Rhône à Lyon sont un signe fort vers l’extérieur modifiant la qualité de vie des Lyonnais, les petites touches dans une ville comme Liège sont des signes faibles avec un impact faible. Il est donc plus que probable que cet urbanisme en mode mineur ne va que très peu contribuer à sortir la ville de la crise. On peut dès lors s’interroger sur la pertinence de cet urbanisme imitatif. Nous avons là affaire à l’envers des fameuses bonnes pratiques: cette mise en circulation internationale d’opérations réussies (du moins sur le papier). Cette logique aspire en effet des investissements importants et oriente le regard vers l’ailleurs. Plutôt que de multiplier les signes habituels de la renaissance urbaine, il semblerait plus judicieux de concentrer les énergies et les moyens sur une stratégie qui mobilise les ressources spécifiques de la ville, de cultiver des solutions reposant davantage sur les compétences des experts locaux et le savoir des usagers. Certes, on ne fera jamais, et ce n’est pas souhaitable, du “kilomètre zéro” en matière d’urbanisme comme on consomme des topinambours du potager urbain. Mais en temps de crise, il est crucial de faire un bon usage des ressources et de viser l’efficience plutôt que l’effet d’image (peu convaincant) que peut créer l’urbanisme imitatif en mode mineur.
Je viens de lire votre article à propos de Liège.
Je suis architecte-urbaniste et membre de la CCATM (Commission consultative d’aménagement du territoire) de Liège depuis 1990. Nous ne cessons de demander aux autorités de concevoir un projet urbain cohérent pour l’ensemble de la ville. Un projet adapté à la taille et à la situation de Liège dans tous les domaines.
Au lieu de cela apparaissent des initiatives diverses et parsemées émanant d’un discours le plus souvent relatif au statut de “Métropole” que Liège doit acquérir par le biais de la construction de tours et autres artifices peu adaptés. La plupart des projets sont présentés comme des “signaux” dans la ville. Je dis souvent que Liège devient une “ville-signal”. De toute manière, à force de juxtaposer ces signaux qui n’ont pas lieu d’être, ils deviennent imperceptibles.
J’espère que votre passage à Liège vous permettra de vous exprimer auprès des “autorités compétentes”.
Merci et bien à vous.
Merci! L’idée de ville-signal capte bien l’impression donnée par Liège et par nombre de villes secondaires qui cherchent une issue illusoire dans l’imitation. Heureux (ou plutôt malheureux…) de trouver confirmation de mon interprétation dans votre avis d'”insider”. Je n’ai malheureusement pas eu l’occasion au cours de mon bref séjour d’une semaine de rencontrer les autorités municipales.
C’est un point de vue très intéressant! j habite à Rosario, en Argentine, où l on adore copier des modeles europeens tels celui de Barcelone, bien sur avec des ressources 1000 fois plus faibles. Certains exemples me semblent connus: par exemple, la ville veut faire “revivre” le tram (qui fonctionnait tres tres bien il y a des decennies déjà) mais en mode turistique…et juste pour 400 metres. Plus “marketing”, que changement structurel. Merci pour votre article, et heureuse d’avoir trouvé votre blog!!!
Merci beaucoup pour cet article concis, mais extrêmement lumineux! Etant moi-même diplômé en architecture et étudiant la sociologie urbaine à Liège, je ne peux qu’adhérer à votre lecture. A la rigueur, je pointerais même que vous restez trop optimiste: à mon sens, ces interventions imitatives sont moins porteuses d’une qualité urbaine à trop petite échelle que porteuses d’un abandon majeur de la politique de la ville à des solutions prémachées et mal adaptées.
Les projets et les discours sur la ville à Liège me semblent vraiment manquer d’ambition et de culture urbaine, alors même qu’il s’agit là de la plus grande ville de Wallonie, et d’une ville qui a été un centre de l’Europe à plusieurs périodes de l’histoire, et qui a su se montrer à la hauteur de ce statut en matière d’architecture et d’urbanisme (de la cathédrale Saint Lambert aux réalisations modernistes de grande qualité, laissées depuis à l’abandon). En ce sens ce n’est pas tant de la crise dont est victime Liège, que d’un manque flagrant d’une politique volontariste et cohérente. Merci en tous cas, encore une fois, pour cette vision “de l’extérieur” qui donne l’espoir que ces arguments puisse un jour porter!
Bonjour,
Je viens de découvrir votre article avec une pointe d’amertume. Etant insider (mais pas urbaniste ni architecte), j’apprécie l’effet positif de ces “signaux” sur le dynamisme urbain, la vie des quartiers, l’élan qu’ils provoquent. Modestes ? Ils le sont. Limités ? Encore plus. Concertés ? Pas toujours. Mais ce mode d’avancement me semble mieux valoir que le “projet unitaire et unique” que vous semblez prôner. la vie politique est ainsi faite (et pas seulement en Belgique ou à Liège) qu’il est quasiment impossible pour une vie d’homme d’espérer voir se fédérer des entités au profit d’un projet métropole. Le morcellement communal fait des villes et communes des rivales entre elles dans la course au financement. Au moins, ces projets-signaux sont des impulsions positives et créatrices. Elles existent, elles sont là, elles incitent aux échanges – en ce compris les échanges commerciaux. Et je préfère de loin cette imperfection à vivre que les modèles théoriques chers aux universitaires. Ou à un certain cynisme ambiant prompt à toujours critiquer les imperfections. Car l’imperfection à ceci de bon qu’elle pousse à mieux faire… la prochaine fois. Bien cordialement.
Votre intervention est intéressante et extérieure à la ville, ce qui permet d’avoir un éclairage plus objectif, ou moins passionné que ce qui peut arriver à Liège en matière d’urbanisme. Je me demande cependant ce qui fait l’objet de la “critique”, est-ce un manque de vision sur l’ensemble de l’agglomération (et je vous rejoins, il faut que le niveau décisionnel se retrouve au niveau de l’arrondissement et non de la ville- nous voyons d’ailleurs les combats centre-périphérie qui dispersent les ressources), un manque de vision originale et spécifique à la ville ou encore un choix politique (qui s’inscrit dans des stratégies de ville dont l’histoire industrielle est en partie identique à Liège comme Bilbao, Lille, Metz, Liverpool, bassin de la Rurh,…) ?
Voilà ce que vous écrivez:
“Il semblerait plus judicieux de concentrer les énergies et les moyens sur une stratégie qui mobilise les ressources spécifiques de la ville, de cultiver des solutions reposant davantage sur les compétences des experts locaux et le savoir des usagers.”
Je suis désolé mais ça ne veut rien dire. Ce dont les Liégeois ont besoin après des années de saccage de leur belle ville, c’est de revenir à des éléments cohérents, emblématiques, dont ils pourront être fiers et dont ils auront un usage direct et personnel. Regardez le nombre de photos de la nouvelle gare ou de la nouvelle tour des finances ou, plus près de nous, de la nouvelle passerelle et du musée Boverie qui fleurissent un peu partout sur les réseaux sociaux. Et le nombre de promeneurs, à pied ou à vélo, qui empruntent ces nouvelles artères.
Ca, ça veut dire quelque chose…
Il s’agit d’une parfaite illustration de ce qu’on appelle “la logique de l’échec” (Dietrich DÖRNER – Flammarion -1997). Comme vous dites, ce n’est pas parce que quelque chose fonctionne ailleurs qu’on peut en faire un simple copier/coller pour l’appliquer chez soi sans la moindre réflexion.
Bonsoir,
J’habite à LIEGE, je suis architecte, plus que les projets emblématiques non terminés ou trop petits, ce qui me choque , c’est le fait que les autorités cherchent les plus gros projets en se croyant le nombril du monde. Ils pensent être attractifs alors qu’ils sont le contraire.
Ils cherchent de gros projet pour combler de gros manques au lieu de chercher à répartir l’effort.
C’est désolant, ils ne voient pas la multitude de petits projets possibles.
Je prends pour exemple le site de Bavière, ils ont cherché un énorme promoteur pour créer des centaines d’appartements. Le projet, trop gros, est tombé à l’eau.
Ils ont dès lors cherché un autre promoteur pour refaire le même genre de projet.
A côté de cela, de nombreuses personnes, comme moi, cherchent des emplacements pour faire leur petit projet. Ces emplacements sont impossibles à trouver. La ville n’offre pas ces possibilités. Du coup, on part chercher autre part … Un bon master plan et un bon règlement aurait permis d’offrir ces possibilités à un grand nombre à Bavière, quitte à laisser une partie du site au gros promoteur …
Le master plan de Baviere ( comme celui des Vennes) existent. Le développement architectural de “plus petites entités” se fera, forcément.
Votre article m’a beaucoup intéressé. Je suis aussi un insider comme vous le précisez, mais un insider qui n’est ni architecte ni urbaniste. Je suis économiste. Et comme vous dans un autre domaine, j’ai etudié les modèles de convergences et de divergences entre les régions d’Europe. Je me suis toujours passionné des questions d’urbanisme et d’architecture, même si je ne suis qu’un profane sur ces questions au contraire de vous et de l’insideuse urbaniste dont je respecte et la profession et les avis (vos avis respectifs). Mais est-ce normal que les urbanistes soient d’accord entre eux et que les autres insider non urbanistes soient également d’accord entre eux. Car je partage amplement l’avis de Luc GOCHEL et celui de jean Marc LHUiRE. Étonnant quand même non? Ca dit peut être quelque chose aussi. Aucun modele n’est parfait. L’imperfection est même souhaitable car la recherche d’une perfection entrave en général tout progrès. Et souvent nous souffrons des intégrismes de modèles soit disant parfait pour aider à la reconversion. En tout cas, lors de vote prochain sejour à Liege, contactez moi, je me ferai fort de vous faire rencontrer l’ame de notre ville, les liegeois, certains bijoux connus ou plus secrets, et je ne manquerai pas de vous faire rencontrer les autorités de la ville.