En ce mois de décembre, je présente une liste d’ouvrages parmi les livres que j’ai lus en 2022 et que je recommande. Si vous êtes à la recherche d’un cadeau de Noël ou d’un conseil de lecture, cette liste est pour vous.
Le bonheur totalitaire, la Russie stalinienne et l’Allemagne hitlérienne en miroir (2022). Par Bernard Bruneteau, aux éditions du Cerf. 384 pages.
Résumé
Rien n’explique mieux le bon vieux temps qu’une mauvaise mémoire, dit l’adage. Or il est marquant que malgré les bilans désastreux des régimes collectivistes durant le siècle passé, une nostalgie de cette époque subsiste au sein de certaines parties de la population. Et pas seulement parmi des militants contemporains qui refusent de tenir compte des leçons de l’histoire, mais également, et c’est le point qui intéresse l’auteur, de la part de personnes qui ont vécu sous ces régimes. Ce livre permet de mieux comprendre les causes profondes de cette réalité. Avec son ouvrage, Bernard Bruneteau, l’un des meilleurs spécialistes des totalitarismes du XXème siècle, a le mérite de poser une question perturbante : les totalitarismes, dont Hannah Arendt a dévoilé la logique de terreur, auraient-ils inventé une forme de bonheur ? Pour y répondre, il se penche sur les spécificités organisationnelles des deux régimes, leur modèle de promotion scolaire ou professionnelle, les mécanismes de reconnaissance et de gratification, leur propagande interne et externe promettant un avenir radieux. En résumé, il ressort de l’analyse de Bruneteau que dans les deux cas, l’atteinte du bonheur collectif promis passait par l’exclusion préalable d’éléments «perturbateurs» qui représentaient des obstacles dans la quête de cette promesse, ce qui débouchera sur les horreurs que nous connaissons tous. Ces différents éléments permettent d’expliquer la fascination, l’enthousiasme et l’obéissance qu’ont suscités les régimes hitlérien et stalinien, à l’époque.
Le point positif
La comparaison entre les deux régimes totalitaires permet de mieux comprendre ce qui les unissait (détestation de l’individu libre, primauté du projet collectif). La nature illibérale des deux projets politiques est l’élément central. Mais au-delà de cette ressemblance de fond, le livre permet également de saisir les différences profondes entre les deux (nostalgie d’un passé fantasmé pour le nazisme, et de l’autre une adoration du futur pour le communisme, qui admettait des horreurs sur le court-terme au nom de ce futur «radieux»).
Le point négatif
L’auteur se perd parfois dans des détails.
La note 4/6
Biographie de Benjamin Constant (2022). Par Léonard Burnand, aux éditions Perrin. 350 pages.
Résumé
Benjamin Constant ? La Liberté faite homme ! Né en 1767 à Lausanne dans une famille protestante d’origine française, orphelin de mère dès sa naissance (on le surnomme «Le fils de la morte»), il mena une existence vagabonde à travers l’Europe, où il se fit remarquer aussitôt par la puissance de son esprit et son extraordinaire facilité d’expression, ainsi que par ses amours erratiques et ses dettes de jeu. En 1795, formant avec Germaine de Staël un couple exceptionnel et orageux, il s’engage en politique. Par la plume et par l’action, sa ligne ne variera jamais : conjurer la tentation totalitaire par un gouvernement représentatif équilibré et garantissant toutes les libertés. C’est pourquoi il s’opposa vivement à l’Empire autoritaire puis à la Restauration réactionnaire. Parmi ses innombrables écrits et discours, les Principes de politique furent le bréviaire de la jeunesse libérale, et ses obsèques, en décembre 1830, donnèrent lieu à Paris à une énorme manifestation de foule, qui saluait ce défenseur de la liberté. Le lendemain, au lever du jour, une chanson résonne dans les rues de Paris :
Liberté ! Liberté ! Tu fais le tour du monde
Quel triomphe éclatant
Peuples, vous la devez, cette gloire féconde
A Benjamin Constant
En résumé, la biographie rappelle magnifiquement que si Benjamin Constant est bien mort, son héritage intellectuel vit toujours !
Le point positif
La biographie se lit comme un roman. On se passionne pour les personnages de la vie de Constant, ainsi que pour l’acteur principal, avec ses qualités et ses défauts («Constant l’inconstant»).
La note 6/6
Peut-on dissocier l’oeuvre de l’auteur ? (2020). Par Gisèle Sapiro, aux éditions Seuil. 240 pages.
Résumé
Depuis quelques années, la question resurgit avec force : peut-on séparer l’œuvre de son auteur ? Du Nobel attribué à Peter Handke aux César à Roman Polanski, sans parler du prix Renaudot à Gabriel Matzneff, le débat fait rage. De même, le passé trouble de grands penseurs trouble notre appréciation de leur legs. Faut-il considérer que la morale des œuvres est inextricablement liée à celle de leurs auteurs ? Et bannir les œuvres lorsque leur auteur a fauté ? Dans son essai tout en nuances, Gisèle Sapiro met en perspective, historique, philosophique et sociologique, cette question, en analysant les prises de position dans ces «affaires». L’ouvrage offre à chacun les moyens de cheminer intellectuellement sur ce terrain semé d’embûches.
Le point positif
Les nombreux exemples qui servent à illustrer le propos théorique dans le livre sont d’une grande utilité pour mieux comprendre la difficulté réelle que posent ces questionnements au moment de leur application, car la réalité nécessite souvent, si ce n’est toujours, de la nuance.
La note 4/6
Le prix de nos valeurs : Quand nos idéaux se heurtent à nos désirs matériels (2022). Par David Thesmar et Augustin Landier, aux éditions Flammarion. 272 pages.
Résumé
Les valeurs morales sont au coeur de nos débats de société. Mais le prix à payer pour défendre ces valeurs est rarement évoqué. Que l’adhésion à un bien moral – l’écologie, la diversité, l’aide aux plus démunis… – dépende de son coût économique nous met mal à l’aise. Or, défendre une valeur, c’est accepter d’en payer le prix. Pour avoir de beaux musées et promouvoir notre culture, consentons-nous à payer davantage d’impôts ? Pour préserver le lien social, acceptons-nous de subventionner certaines entreprises ? Souhaitons-nous accueillir plus de réfugiés au risque de saturer les services sociaux ? Les réponses que nous apportons à ces questions dessinent des préférences «économico-morales». Ce livre propose, dans une démarche novatrice, d’intégrer la dimension non pécuniaire de nos vies (la liberté, l’identité, l’altruisme, la justice, la culture…) à l’analyse économique. À partir d’une vaste enquête internationale, il cartographie les préférences qui sont déterminantes pour comprendre comment tranchent les citoyens (par exemple pour le Brexit, plus ou moins de liberté, d’immigration, etc).
Le point positif
Les chapitres peuvent se lire indépendamment les uns des autres et permettent de mieux comprendre de nombreux paradoxes qui interrogent les démocraties libérales.
La note 4/6
Remarque
Dans mes articles, je partage des informations issues de mes lectures, sur des thèmes qui m’intéressent. Si vous avez d’autres livres à proposer qui traitent de la thématique et qui complètent le propos, n’hésitez pas à le faire savoir dans les commentaires.