Stin Hellada

Il fut une fois la Grèce. On aura répété jusqu'à plus soif qu'ils ont pendant des années joué aux cons, aux profiteurs, avec l'argent des autres. Mais ces autres, qui étaient-ils ? Beaucoup trop de créanciers privés, qui ont prêté des sommes hallucinantes et ont endetté le pays jusqu'à plus soif avant de se faire sauver par leurs propres gouvernements qui a renationalisé leur dette pour éviter que leur propre population ne subisse un "haircut". Les informations facilement retrouvables, datant de 2011 ou de 2012 concernant l'exposition des banques allemandes et françaises à la dette grecque sont édifiants. Ils concernent ce que ces banques ont dû accepter comme redimensionnement de leurs dettes privées pour que leurs pays d'origine n'accepte de nationaliser leurs propres créances et le passer ensuite sur le mécanisme de stabilité européens et la BCE.

Ainsi, on trouve pléthore d'articles qui mettent en avant l'exposition des banques allemandes, et notamment de la Commerzbank, au risque de défaut Grec. Le Financial Times indique en date du 25 Mai 2011 que la banque allemande la plus exposée au risque Grec est la Commerzbank. Un peu plus tard, le 11 août 2011, le Wall Street Journal dressait un tableau des coûts supportés par les banques et les assurances les plus exposées à la diminution de la dette grecque (debt writeoff).

Ce tableau indique notamment que les établissements suivants ont payé cher le prix de leurs folles équipées grecques: RBS Group a du diminuer ses résultats de 834 millions d'euros, la Commerzbank de 760 millions, Munich Re de 703 millions, BNP Paribas de 534 millions et la société Générale de 395 millions. Cela ne reflète qu'une petite partie de la dette grecque privée en 2011 puisqu'il ne s'agit que de l'effet induit de la réduction de la dette en échange de la nationalisation de leurs autres créances.

Ainsi, le 23 Février 2012, le Guardian indiquait que l'exposition des établissements financiers tenait moins dans leur créances réelles se chiffrant tout de même à 7'902 millions d'Euros en 2011 pour les 11 établissements allemands les plus exposés mais dans la part de ces créances sur la totalité des créances de la banque. Ainsi, le Guardian révèle que 27% des investissements de la Commerzbank étaient des créances grecques, sur des titres publics ou privés, que que cette proportion était de 21% pour la Postbank. Le risque de défaut de la Commerzbank était donc, selon le Guardian, clairement discuté et réel. Ainsi, ensemble avec le Spiegel, les analystes estiment que la Commerzbank dont 25% appartenait déjà à l'Etat allemand allait devoir être entièrement nationalisée.

Cela revient en fait à dire que l'une des plus importantes banques allemandes (pour ne pas parler des autres), a accepté une réduction unilatérale de ses créances vis-à-vis de la Grèce en échange d'une aide financière de la part de son propre gouvernement sous la forme d'une reprise des créances vis-à-vis de la Grèce par ces derniers, notamment le Gouvernement allemand, qui l'a ensuite reversé en partie dans le fonds de compensation créé pour l'occasion, mais faisant ainsi peser les erreurs de ses banquiers sur l'ensemble des populations européennes, et notamment des grecs.

Cette histoire, je l'avais entendue maintes fois, notamment à la radio, dans des propos d'économistes de renom. Il est étonnant que ni les télévisions ni les médias, et à plus forte raison les médias allemands, n'en parlent aujourd'hui alors que le fils de la ménagère souabe fait exploser l'Europe pour une question de cravate. Au contraire, à l'instar de la campagne du Bild, la machine médiatique allemande a bien fait son travail en stigmatisant les Grecs mais ne parlant pas du prix qu'ils paient pour supporter la dette des banques allemandes. Au contraire, les Sllemands devraient se montrer sacrément solidaire des Grecs parce que ces derniers leur ont évité un  "haircut" sur leurs propres comptes bancaires.

La solidarisation des créances privées via les mécanismes européens, l'occultation systématique des folies bancaires sur le marché grec (qui en ont bien profité….à Genève, nous avons vu ce qui se passait lorsque les banques prêtaient tout et n'importe quoi à n'importe qui pour faire on ne sait pas quoi), l'arrogance totale et le négationnisme des erreurs passées sur lesquelles comptait un peu naïvement le gouvernement Tsipras ont eu raison de la souveraineté du pays.

Cet accord fonde possiblement deux choses très différentes: soit l'explosion de l'Europe en tant qu'unité et de l'Euro en tant que monnaie commune et de toutes les institutions qui vont avec, soit elle signifie le premier acte fondateur et douloureux d'une véritable construction politique européenne. Mais cette dernière a du plomb dans l'aile. Elle aurait pu fonctionner avec le contrepoids français à la puissance allemande, tant en terme de population que de force économique. Maintenant que l'Allemagne est seule aux commandes, avec une arrogance toute germanique enfin retrouvée, ce projet d'une Europe politique est mort avant d'être accouché. Toutes les constructions fédérales, qu'elles soit allemandes, américaines, suisses ou russes se fondent sur un ensemble équilibré des régions (les Etats dans le cas de l'Europe). Une seule région trop forte, et c'est l'équilibre qui se rompt. La construction fédérale c'est aussi la reconnaissance que les régions les plus riches financent le développement des régions les plus pauvres pour que l'ensemble puisse avoir un développement harmonieux. Personne ne s'offusque des millions que paient les cantons riches aux cantons pauvres au travers de la péréquation financière en Suisse. Personne aux Etats Unis ne s'offusque que l'Alabama ou la Louisiane soient chroniquement subventionnés par des mécanismes identiques depuis des décennies à coups de milliards de dollars.

En Europe, les mesquineries et les particularismes redeviennent légions et norme. Chacun pour soi et on verra pour la suite. Avec un mastodonte et des souris grouillant autour, aucune construction européenne  politique ne pourra jamais avoir lieu. Bienvenue en Geropa.

Nicolas Giannakopoulos

Nicolas Giannakopoulos est un des spécialistes reconnu internationalement dans le domaine des organisations et autres structures criminelles. Au travers des recherches qu’il mène depuis 1991, il a apporté le soin de concilier recherche et pratique, développant ainsi des compétences scientifiques dont l’utilité pratique est quasi immédiate.