Taverna i bouzouki…ca fait pas une economie ?

Que le oui ou le non l'emporte lors du référendum grec, le pays devra se trouver un autre modèle économique. Longtemps basé sur le tourisme, l'économie grecque et surtout sa population possède de nombreux atouts: elle est éduquée, cosmopolite, inventive et polyglotte, possédant une incroyable ouverture sur le monde. La Grèce, c'est la porte européenne sur  l'Orient, mais pas seulement. La Grèce à un rôle prépondérant à jouer dans la région des balkans, dans le monde orthodoxe, avec le Proche Orient et le Maghreb, notamment l'Egypte. Pour cela, les grecs devraient aussi accepter d'être plus inclusifs: renouer des relations normale avec la Turquie, faciliter les voies d'accès vers les balkans au travers de la Macédoine et la Bulgarie mais également utiliser Chypre comme porte du Proche Orient.

Les investissements européens de ces dernière décennies on boostés des pans économiques entiers dans la construction d'infrastructures routières, ponts, tunnels, et chemin de fer, mais également les télécommunications, la pétrochimie et les industries manufacturières, notamment dans le domaine des micromachines et de l'alimentation. Les secteurs des services et de la santé n'ont pas non plus étés en reste. Les médecins grecs sont réputés de Toronto à Adelaide et se sont certainement les premiers qui se sont "exportés" avec leurs familles pour échapper a des années de crise d'austérité.

Un nouveau modèle ne peut se construire qu'en prenant en compte la très longue histoire de ce pays et de ce peuple, mais également les stygmates laissés par son son histoire récente. Cette dernière n'a été qu'une suite d'insultes, de préjugés et d'erreurs manifestes sur le dos de la population européenne toute entière. Pendant 5 ans de plans d'aides divers, on aura servi aux populations du nord de l'Europe que ces Grecs sont des feignasses, des tirs-au-flanc et des profiteurs.  Qu'il était juste qu'aujourd'hui ils paient le prix de leur comportement irresponsable. Il est piquant de constater que selon un rapport COE de 2014, les grecs travaillaient largement plus que les français par exemple. D'un autre côté, les effets de plans d'austérité et de redressement dont on sait depuis la décolonisation qu'ils sont mal ficelés, dangereux et contre-productifs on mit la population à genoux. Les contre-verités et les petits arrangements entre amis accompagnés d'une machine de guerre médiatique fort bien rôdée ont habillé ces décisions technocratiques d'un vernis de nécessité et de légitimité démocratique. L'arrivée de Syriza a non seulement été inévitable mais a en plus hérissé le poil fort sensible de la frange financière et chrétienne-démocrate d'Europe qui n'ont jamais vu d'un bon oeil ce pays orthodoxe au sein d'une Europe qui se voulait avant tout catholique et éventuellement protestante (tolérée). De plus, la montée en puissance des gauches et des droites souvrainistes en France, en Italie, en Espagne et dans d'autres pays de l'Europe du Nord (Hollande Danemark, Suède, Pologne, etc.) font qu'un échec de Syriza serait la meilleure réponse des formations politiques établies à ces détracteurs de droite ou de gauche. Avec la crise ukrainienne et les rapprochements timides entre A. Tsipras et V. Poutine, voici que l'hystérie anticommuniste d'est révéillée chez les nostalgiques de la guerre froide et du libéralisme tatcherien. Ce qu'il y a de plus triste dans cette histoire récente et qui a crispé les parties au plus haut point, c'est cette incapacité d'un côté à reconnaître ses erreurs et de l'autre, 'une naïveté colossale pour croire que l'Europe de Bruxelles pouvait accepter une incertitude démocratique de cette importance. Cette crispation renvoie directement au socle de la prochaine construction européenne et du débat qui agite le continent depuis maintenant plus d'une décénnie, à savoir la création de cette "europe politique". mais ceci est un autre débat.

Que la Grèce sorte ou non de la zone euro, elle reste un pays et un peuple profondément européen. Elle le sera toujours et l'Europe sans la Grèce ne sera qu'un golem sans âme et sans histoire, un rejeton monstrueux ayant dévoré l'un de ses pères.

Je ne souhaiterais pas m'étendre sur les solutions financières ou techniques dont toute la presse parle ainsi que des spécialistes bien plus qualifiés que je ne le suis. Par contre, j'aimerais apporter trois réflections: en premier lieu, depuis 2008, les entreprises greques ont fait l'objet d'un pillage systématique de la part de groupes économiques étrangers: banques, fonds d'investissements, entreprises diverses et variées. La valeur ainsi détruite est immense pour l'économie grecque. Lorsque des malversations sont avérée de manière judiciaire, il serait inadmissible, comme cela en prends la direction, que les systèmes judiciaires européens et américains ne prennent ces procédures et accusations, voire jugements, à la légère. Si aucune justice ne peut être à l'oeuvre, alors c'est tout le système qui s'effondre définitivement. N'oubions jamais que le Droit et la légalité restent encore les systèmes les plus efficaces contre l'arbitraire. Plusieurs procédures sont actuellement en cours, initiées par le gouvernement grec, dont la dernière en date une des plus retentissante est l'accusation contre les fonds d'investissements américains TPG et APAX d'avoir siphonné plus de 1,8 milliards d'euros en augmentant de manière démesurée la dette de l'un des plus grands opérateurs télécom grec au travers de d'instruments luxembourgeois … merci M. Juncker.

En second lieu, tout comme en Argentine en 2001, la crise de liquidité affecte les échanges monétaires de toutes les entreprises greques. La fermeture des banques grecques et le manque de liquidité semble organisé par la BCE. Comme le rappelait Mme Delaume dans un entretient au Figaro: "si les banques grecques sont insolvable, c'est un problème, si elles sont simplement illiquides, il est de l'obligation de la BCE de leur fournir ce liquide". Même si beaucoup d'économistes et d'observateurs dénoncent un "putsch économique" contre la "bande d'allumés de Syriza", le manque de liquidités en Grèce à l'orée de la saison touristique et l'impossibilité d'utiliser le système bancaire, pour les entreprises notamment, va définitivement achever ces dernières qui devront s'adapter ou mourir. Pour celles qui peuvent "attendre", cela n'aura pas trop de conséquences. Pour celles qui sont dans un flux continu de in-out, cela a déjà une importance. Il y a une semaine, je disais à un membre de ma famille que si les banques restaient fermées plus de 4 jours, des monnaies parallèles et alternatives allaient se mettre en place. C'est déjà le cas aurais-je appris, depuis jeudi déjà ou les premières valeurs alternatives ont vu le jour afin de permettre de payer des salaires, des loyers, des factures diverses comme le gaz ou l'électricité. Peut de gens se souviennent que l'après-crise argentine avait été rythmée par les exigences, entre autres du FMI, de démanteler  ces monnaies parallèles qui ont continué à être utilisées des années après le réglement de la crise. Peut de gens se souviennent aussi que ces monnaies parallèles ne sont pas le fruit d'une volonté du gouvernement, mais de particuliers, d'entreprises voire éventuellement de municipalités, qui proposent des solutions à leur mesure. Tout cela n'est nullement coordonné et renvoie à la question même du rôle et de la fonction de la monnaie. Mais cela est un autre débat.

Enfin, la stratégie dangereuse de l'Europe de Bruxelles crée des populations très divisées: on  manipule des populations toujours plus pauvres en Angleterre, en Allemagne, en France ou en Italie pour faire passer des décisions qui sont purement idéologiques et basées sur des sentiments personnels et les retourner contre les populations grecques les plus durement touchées. Comme le rappelait le Ministre des Réformes Grec hier soir sur les télévisions européennes "un homme qui a peur n'est pas un homme libre". Qui sont ces technocrates pour se permettre de tels comportements ? Le sentiment de tromperie, l'illiquidité organisée ainsi que l'attitude des directions européennes poussent un pays entiers vers ce que l'Europe souhaite justement abolir: la corruption, les échanges monétaires en liquide, la hawala etc. Cette illiquidité organisée va pousser nombre d'entreprises grecques dans l'illégalité et vers ceux qui pourrons offrir des chambres de compensations externes (étrangères) qui leur permettrons de payer leurs fournisseurs et d'encaisser leurs clients. C'est tout un pays que ces brillants économistes à Bruxelles jettent dans les mains de groupes criminels italiens, albanais, turcs, russes ou ukrainiens. Cette semaine, un  albanais dont la provenance des fonds était plus que douteuse proposait son aide économique à la Grèce par médias serbes interposés. C'est également une porte ouverte à l'illégalité galopante de la part des grands acteurs internationaux, notamment financiers, qui se moquent comme d'une guigne de la justice grecque et de ses conséquences sur le plan international.

De plus, en pleine période touristique, comment les déchets produits vont-ils être traités alors que les voiries déclarent forfait les unes après les autres. Les risques de pollution augmentent à une vitesse vertigineuse et laissent des traces durables.

Quel modèle économique pour la Grèce dans cet environnement délétère ? La Grèce doit se replier sur ses besoins et sur comment elle peut utiliser ses compétences, ses infrastructures, son histoire, sa population, sa géographique, sa culture au mieux sur des marchés internationaux ?

Le développement de la production énergétique apparaît comme un des besions les plus fondamentaux. Alors que le pays bénéficie de conditions idéales pour des énergies renouvelables, elles sont largement sous utilisées: l'éolien est en développement moyennement avancé, le photovoltaïque est à la traine, l'utilisation de turbines sous-marines pour capter l'énergie des courants marins entre les iles, détroits, golfes et autres bizarreries géographiques des côtes est sous-exploitée, la géothermie est quasiment inexistante. Mais, dirons-nous, il faut de l'argent pour développer tout cela…Certes il en faut sur les modèles classiques de grids électriques massives (grosse production et distribution capillaire). Si les consommateurs sont là, cela signifie qu'il y a marché et qui dit marché dit argent. Afin de limiter les risques financiers et les coûts et durées de développements d'infrastructures, que ce soit en Euro ou en Drachme, il conviendrait de développer les micro-grids et la production énergétique décentralisée. La Grèce acquiererait du même coup une certaine indépendance énergétique et un savoir-faire qui manque aujourd'hui à l'Europe.

La santé serait également un moyen de développer une véritable industrie en Grèce. Les cliniques de qualité existent depuis bien longtemps dans le pays et le personnel y est qualifié, voire extrêmement qualifié. De plus, l'industrie de la santé permet de développer de nombreux a-côtés, de la recherche, la pharmaceutique à l'hôtellerie en passant par les biens manufacturés comme les machines, les logiciels etc et les services indispensables à leurs bon fonctionnements.

La diaspora mondiale grecque apporte non seulement de l'argent (près de 20% du PIB) mais également des compétences, des réseaux, des appuis et des idées. Qui a oublié le candidat à l'élection présidentielle Dukakis aux Etats-Unis ? La diaspora grecque tout comme l'image ou le "branding" du pays bénéficier grandement à l'industrie du tourisme et des produits alimentaires distribués sur la planète entière, comme se fait-il que la Grèce soit encore un des pays qui possède le moins de dénominations protégées: du yogurth grec bulgare ou de la feta polonaise n'arrangent pas leurs affaires. Mais ce "branding" peut également s'étendre à d'autres secteurs et le secteur de l'ingénieurie et de la finance n'est pas le moindre, tout comme celui du shipping et du trading. C'est incroyable de voir le nombre de sociétés et d'opérateurs grecs installés en Suisse…tout ca pour une simple question de législation…

Le tourisme grec a besoin de se réformer. Tout et n'importe quoi a été fait ces dernières décénnies sur les fantasmes dont le relais le plus récent est la comédie musicale joyeuse "Mamma Mia". Les vacances grecques, c'est "l'Ete grec" en France. Mais la réalité est tout autre. Le low-cost a déboulé pour accueillir des populations toujours plus pauvres et toujours plus avides de soleil et de mer. La Grèce accueille énormément de touristes d'Europe de l'Est en pratiquant des tarifs incroyablement bas. Ce sont maintenant les pays d'Europe de l'Ouest qui sont dans la ligne de mire. A coté de cela, la Grèce peine à développer un tourisme très exclusif, sauf dans certaines zones particulières comme à Mykonos. Mais à côté des immenses resorts turcs, le modèle de la taverne et du bouzouki représente avant tout le meilleurs "branding" touristique pour la Grèce. Ce n'est pas seulement une question de marchés. C'est une question de positionnement. Et ces réflexions ont été régulièrement tronquées localement lorsqu'elles atteignaient un certain niveau de décision à cause de problèmes liés à la corruption et au nepotisme, fortement aidés par un manque de transparence chronique.

Mais pour prendre véritablement des créanciers obtus et de mauvaise fois à contre pied, il serait intéressant de transformer la Grèce en plate forme financière en modifiant drastiquement la fiscalité des entreprises et des banques. Diminuer les taxes sur le revenu et la fortune de manière drastique, augmenter lègèrement la TVA et transformer la Grèce en hub financier et de trading performant et utile à toute la région. Si cela plairaît certainement à certains pontes du FMI et que les membres de Syriza ne sont certainement pas près àle faire, la concurrence fiscale dans une Europe en guéguerre administrative est l'arme la plus efficace des petites nations contre les grandes. L'exemple de l'Irlande est assez parlant.

Enfin, il est assez inutile de se leurrer. Une Grèce qui fait de l'argent et crèe de la valeur trouvera toujours à se refinancer. Veut-elle vraiment faire profiter de sa réussite celles et ceux qui l'on dépouillée et traîné dans la boue ? La valeur d'une monnaie n'est autre que celle que ses utilisateurs lui donne. Même si les plus gros utilisateurs sont les marchés financiers, ces derniers ignorent les petites magouilles politiques et les animosités personnelles. Avec ou sans l'Euro, la Grèce ne doit avoir peur que d'une chose: d'elle même. Si elle surmonte cette épreuve, son histoire moderne rejoindra l'antique dans un cas d'école extraordinaire pouvant apporter connaissance, courage et innovation au reste du Monde.

 

Nicolas Giannakopoulos

Nicolas Giannakopoulos est un des spécialistes reconnu internationalement dans le domaine des organisations et autres structures criminelles. Au travers des recherches qu’il mène depuis 1991, il a apporté le soin de concilier recherche et pratique, développant ainsi des compétences scientifiques dont l’utilité pratique est quasi immédiate.