Les annuelles statistiques de la criminalité doivent sortir aujourd'hui. Olivier Guéniat dimanche soir indiquait une profonde vérité à ce titre: les statistiques, on peu leur faire dire ce qu'on veut. Ayant été pendant 6 ans statisticien à l'Université, je sais de quoi on parle. Pourtant, je me rappelle de 1996, lorsque nous commencions notre projet financé par le Fond National pour la Recherche Scientifique dans le cadre du PNR 40 portant sur la corruption et la criminalité organisée en Suisse, nous ne disposions que très peu d'informations statistiques. Nous avions du compulser des milliers de listings de condamnation classés par tribunaux de districts et par article du code pénal (pour la condamnation principale) afin d'obtenir une vue d'ensemble, mais fois encore bien partielle, de la criminalité économique en Suisse. En ce qui concernait la corruption, le blanchiment et le crime organisé, nous étions véritablement dans le flou. Depuis, heureusement, beaucoup de choses ont évolué, notamment que l'Office Fédéral de la Statistique (OFS) publie en ligne ses statistiques, chiffres et analyses sur la vision "tribunal" de la criminalité.
En termes de récolte des données sur la criminalité, les sources ne sont pas infinies: au niveau des sources officielles, on aura les statistiques des condamnations et des dénonciations, ainsi que les enquêtes et rapports de situation, tous aux niveaux fédéral et cantonal. Sinon, d'autres sources peuvent exister, de manière plus ponctuelles et sur des éléments plus ciblés, comme des enquêtes de délinquance autoreportées ou des enquêtes de victimisation. En matière de blanchiment d'argent, les chiffres du MROS (la centrale d'annonce FIU de Suisse) les données sont également assez complètes et bien accessibles. En matière de corruption et de criminalité organisée, ainsi que de blanchiment d'argent (en tant qu'infraction subséquente), les données sont plus lacunaires et les enquêtes approfondies, qu'elles soient sous forme d'études de cas ou de victimisation sont assez lacunaires.
Beaucoup de problèmes se posent face à des statistiques comme le relèvait hier soit Olivier Guéniat dans l'émission Mise Au Point de dimanche soir. La mise en perspective est souvent une des plus grave lacune…et un des "trucs" les plus utilisés afin de faire dire aux chiffre ce que l'on veut. La vision que l'on peut avoir d'une statistiques annualisée dépends fortement de sa profondeur, étant compris par la mise en perspective d'un chiffre par rapport à une série plus ou moins longue. En effet, les analyses peuvent changer du tout au tout suivant que l'on prenne la série de chiffres sur un problème donné sur 1 and, 5 ans ou 50 ans. Cette mise en perspective des chiffres est bien connue des économistes.
L'effet d'entonnoir dans le cas de la criminalité, soit le passage des actes réels à la connaissance approfondie des actes écrème parfois plus de 90% des cas suivant les infractions. Les statistiques donnent également des faits bruts tirés d'une source. Elles sont autant le reflet d'un travail policier (dans le cadre des statistiques de police) qu'une extrapolation (assez fidèle malgré tout) de ce qui se passe parmi les comportements criminels. Mais elles ne permettent pas de décrypter les mécanismes, la logistiques sous jacente à chaque action criminelle et donc ne permet pas à en cibler les points vulnérables pour mieux les attaquer. C'est comme cela que l'on gagne en efficience sinon en efficacité.
Au delà des statistiques de police, de justice ou des enquêtes malheureusement trop rares, il existe malheureusement encore d'énormes lacunes dans la connaissance des phénomènes criminels en ce qui concerne la criminalité en entreprise (fraude, détournements, faux, etc.), la corruption et la criminalité organisée. La connaissance est importante car elle permet avant tout de diriger des politiques publiques chargées de combattre ces phénomènes. Qui dit politique publique, dit argent publique, ressources, moyens, et, naturellement en périodes de restrictions pour tous, efficacité voir si possible efficience.
De telles connaissances sont utiles également à beaucoup de choses et à beaucoup d'acteurs. Elles permettent de mieux cibler les actions répressives publiques, la prévention publique et privée, elles permettent d'améliorer la compréhension des mécanismes criminels non seulement par les polices et les organes de justices, mais également par les entrepreneurs, les banquiers, les administrateurs, les actionnaires et les employés. Elle permettent de cibler les comportements et les techniques sur leurs points faibles et de hausser drastiquement le coût de réalisation du crime. En gros, la connaissance permet de comprendre un phénomène et donne les moyens à la société toute entière de mieux le contrôler.
A ce titre, la création d'un Observatoire de la sécurité et des libertés publiques à l'Université de Genève serait un grand avancement pour cette connaissance.
Je fini ce billet le mardi…les statistiques s'étalent dans la presse, et elles sont surprenante. Par contre, l'insécurité, sentiment distillé par la peur, est partout en augmentation. Comment combat-on la peur ? Par la connaissance. On a peur de ce que l'on ne connait pas. Alors faisons un pas en direction de cette peur afin d'en faire reculer les frontières.
