Beyonce et la Madone : retour sur une image déjà iconique

10 millions 800’000 « likes » et des poussières… C’est le nombre de cliques actuellement enregistrés sous le portrait mis en ligne sur le portail Instagram de la chanteuse américaine Beyoncé. La photographie a été publiée pour illustrer l’annonce de la grossesse de la star qui attend des jumeaux. Le cliché qui se classe en haut du podium des images les plus « likées » sur Instagram, est une image iconique, tant par son immense popularité que par la référence chrétienne qu’elle convoque. Retour sur ce portrait iconique.

© Beyonce Knowles/Awol Erizku

Iconographie mariale

Dans la photographie réalisée par Awol Erizku (1988), Beyoncé pose assise sur les genoux, fixant le spectateur dans une attitude digne et retenue, portant ses mains sur son ventre arrondi. Sous ses jambes et derrière elle, un décor floral fait figure de cadre devant un ciel bleu. Elle est vêtue d’une large culotte à volants bleu clair et d’un soutien-gorge violet, et porte un long voile vert transparent.

Le portrait de la star renvoie à l’iconographie mariale à plus d’un titre. Le voile qui couvre son visage rappelle celui de la Madone, les couleurs de ses sous-vêtements font référence au rouge et au bleu que porte traditionnellement la Vierge, symbole respectivement d’amour et de royauté.

 

Raphaël, La Visitation, ca. 1518, Musée du Prado, Madrid

Quant aux fleurs qui ornent la photographie, elles font allusion à la tradition iconographique de la Madone à la guirlande et au thème de l’hortus conclusus, le jardin clos parsemé de fleurs dans lequel se tient la Vierge, symbole de sa pureté.

Ecole de Jan Brueghel le Jeune, Vierge à l’Enfant dans une guirlande de fleurs, XVe siècle

 

«Beymaculate Conception»

Les médias ont rapidement fait le lien entre le portrait de la star enceinte et la représentation archétypale de la Vierge Marie (The Guardian, Vox, The Daily Mail).La Une du New York Post publie l’image avec le titre « BEYMACULATE CONCEPTION », jouant sur le surnom de la chanteuse « Bey » et l’Immaculée Conception (2 février 2017). La chanteuse a déjà utilisé l’iconographie chrétienne par le passé, notamment en rejouant la pietà dans son clip Mine de 2013. Elle s’est aussi présentée aux derniers Grammys en figure sacrée, mêlant déesse de la fertilité, Madone chrétienne et traditions africaines (voir l’article du Washington Post).

 

Iconographie chrétienne et culture pop

D’autres cas de réappropriation de l’iconographie chrétienne par la culture pop sont connus. Ce n’est pas la première fois qu’une star se représente en Christ, en Madone ou en saint. La chanteuse Diamanda Galás a posé en crucifiée sous l’objectif d’Annie Leibovitz en 1991. Les artistes français Pierre et Gilles ont fait posé de nombreuses célébrités en figures chrétiennes. L’Américain David LaChapelle a régulièrement photographié les stars en figures saintes (Madonna, Leonardo di Caprio, Moby, etc.). Sa Pietà (2006) montrant Courtney Love en Madone tenant un Christ mort d’une overdose illustre ce phénomène de déclinaison contemporaine d’une formule iconographique chrétienne reprise de la tradition (ici la célèbre Pietà de Michel-Ange) et interprétée dans le contexte contemporain et profane. C’est aussi à David LaChapelle que l’on doit le portrait de Kanye West, autre star afro-américaine comme Beyoncé, en Christ aux outrages (David LaChapelle pour qui Awol Erizku a travaillé, soit dit en passant).

© David LaChapelle, Pietà : Courtney Love, 2006

 

Scène du clip Mine qui fonctionne comme un tableau vivant rejouant la Pietà de Michel-Ange

 

Identification revendicatrice

Que penser de ce portrait de Beyonce en Madone ? L’histoire des représentations récentes peut nous renseigner sur les raisons d’une telle référence. En premier lieu, le portrait de Beyoncé enceinte à la manière d’une Madone à la guirlande, inscrit la photographie au sein de la longue tradition iconographique occidentale, de culture judéo-chrétienne, héritée des Grands Maîtres. Ce faisant, elle rend son portrait iconique en utilisant les codes visuels des chefs-d’œuvre de la culture. Mais surtout, et c’est là le principal intérêt de cette image, elle inscrit sa propre image, c’est-à-dire la femme noire, au sein de cette tradition. Elle n’est pas la première à opérer ce type de réappropriation militante : la photographe afro-américaine Renee Cox est une des figures majeures de ce type de réemploi revendicateur ; le peintre afro-américain Kehinde Wiley participe aussi de cette même démarche où des modèles afro-américains rejouent des tableaux célèbres de l’histoire de l’art.

 

© Kehinde Wiley, The Lamentation Over the Dead Christ (2008), inspiré du Christ mort (ca. 1480) de Mantegna

 

L’auteur du portrait de Beyoncé, Awol Erizku, a déjà opéré ce procédé de détournement de l’iconographie traditionnelle dans une visée militante. L’une des œuvres les plus connues de l’artiste américain d’origine éthiopienne est un pastiche de la Jeune fille à la perle (ca. 1665) de Vermeer où la jeune beauté est incarnée par une femme noire, réinterprétant ainsi les icônes de l’art occidental en insérant un autre modèle de beauté[1].

 

© Awol Erizku, The Girl with a Bamboo Earring, 2009

 

Beyoncé est connue pour s’engager pour la cause des Noirs aux Etats-Unis et pour les femmes. C’est d’ailleurs ainsi qu’un papier de Katie Edwards dans The Conversation l’interprète :

« Beyoncé’s beautiful re-appropriation of Virgin Mary iconography offers a biting critique of this supreme exemplar of feminine whiteness and the ideology that constructs and perpetuates it »[2].

Le portrait de Beyoncé en Madone révèle donc trois choses : en premier lieu, la force symbolique de l’iconographie chrétienne et sa capacité à être sans cesse renouvelée en dehors du champ religieux. En deuxième lieu, l’importance d’inscrire les minorités – incarnées par le corps de la chanteuse (et ce n’est pas pour rien qu’elle est en sous-vêtements) – au sein de l’iconographie traditionnelle, un usage militant qui vise à l’intégration. Enfin, la valorisation de la maternité, non sans peut-être faire allusion aux soupçons de fausse grossesse dont la star avait été victime pour son premier enfant[3]. La photographie jouerait alors son rôle d’évidence, de preuve que la star est bien enceinte et que précisément, il ne s’agit pas d’immaculée conception.

 

[1] D’autres clichés de Beyoncé la montrent enceinte en Vénus, renversant ainsi les canons occidentaux et imposant l’image de la mère comme un idéal de beauté à adorer.

[2] Katie Edwards, « How Beyoncé pregnancy pics challenge racist, religious and sexual stereotypes ». The Conversation, 5 février 2017,  http://theconversation.com/how-beyonce-pregnancy-pics-challenge-racist-religious-and-sexual-stereotypes-72429

[3] Sarah Anne Hughes,« The Beyonce baby bump conspiracy continues (Update) ». The Washington Post, 11 octobre 2011,  https://www.washingtonpost.com/blogs/celebritology/post/the-beyonce-baby-bump-conspiracy-continues-video/2011/10/10/gIQA2GdXcL_blog.html?tid=a_inl&utm_term=.8ba59f444aae

 

Nathalie Dietschy

Nathalie Dietschy est professeure assistante à la Section d’histoire de l’art de l'Université de Lausanne. Elle s'intéresse notamment aux rapports entre art contemporain, photographie et numérique. A l’ère du tout image, ce blog propose de s’arrêter sur certaines d’entre elles. Décryptage d’images qui font parler.