Manières d’habiter la Terre. L’exemple des termites champignonnistes de la savane.

« Empreinte carbone » ou « impacts des activités humaines » sont des formules fréquemment entendues, lues ou débattues. Les manières d’habiter la Terre de l’humain moderne peuvent se révéler toxiques et pollueantes pour les sols, l’eau et l’air. Cependant, en observant le monde vivant et ses milliards de manières d’habiter, il s’avère que modifier ou impacter son environnement est le propre même de la vie. Il existe sur Terre une interaction symbiotique vielle de 31 millions d’années: celle entre un termite et un champignon. Pour survivre dans la savane, ils se sont alliés amenant les termites à développer l’agriculture, la maçonnerie ou encore l’ingénierie hydrique. Aujourd’hui, les termites champignonnistes occupent des fonctions écologiques importantes à l’échelle de l’écosystème. Dans leur manière d’habiter, ils participent aussi à la résilience des milieux de savane. Cet exemple invite l’humain moderne à questionner ses propres manières d’habiter la Terre et à retrouver sa place au sein de la communauté du vivant.

 

Photo: Écosystème de savane avec une strate herbacée dominante et une strate éparse d’arbustes et d’arbres. Dépression de Mababe au nord-est du delta de l’Okavango au nord du Botswana durant la saison sèche (N. Diaz, mai 2016)

 

En novembre dernier, une publication analysant plus de 140 études scientifiques sur des espèces de termites champignonnistes de la sous-famille des Macrotermitinae est parue dans Earth-Science Reviews (1). L’objectif de cette analyse était de mettre en évidence la capacité des termites champignonnistes à modifier leur environnement physique et biogéochimique dans les milieux de savane. 

 

Termitière dans un milieu de savane, Enclave de la Chobé, Botswana (crédit photo: John Van Thuyne)

Histoire de l’interaction symbiotique entre les termites et les champignons 

La pratique de l’agriculture serait apparue chez les fourmis, les termites et les coléoptères à Ambrosia, durant le Paléogène (66.0 – 23.03 millions d’années). La découverte d’une culture de champignons fossilisée en Tanzanie permet de préciser l’origine de l’interaction symbiotique entre les termites de la sous-famille des Macrotermitinae et les champignons du genre Termitomyces. Elle serait africaine et vieille de 31 millions d’années (2). Cet âge coïnciderait avec l’expansion des savanes en Afrique. 

Aujourd’hui, cette ancienne alliance montre qu’elle a eu du succès dans les milieux de savane. D’une part, les termites champignonnistes sont dominantes parmi toutes les espèces de termites présentes dans ces milieux. D’autre part, leur rôle est primordial à l’échelle de l’écosystème, puisqu’ils sont les principaux décomposeurs des matières organiques produites (3). 

 

À la conquête de la savane africaine 

La savane africaine est un écosystème terrestre caractérisé par des températures élevées et l’alternance d’une saison sèche et d’une saison pluvieuse. Cependant, le champignon du genre Termitomyces est adapté à un climat humide et chaud comme dans la forêt humide tropicale. Il ne survivrait donc pas seul dans les savanes africaines. C’est là qu’intervient l’ingéniosité des termites. 

Les termites choisissent le lieu où s’installer par rapport à la profondeur de la nappe d’eau souterraine. L’eau doit rester accessible mais ne doit pas inonder la surface. Dans ces conditions hydriques optimales elles vont commencer à bâtir leur foyer et celui du champignon: la termitière. Les termites sélectionnent les particules les plus fines des sols alentours pour leur structure. Pour les trouver, elles peuvent creuser à plus de 100 cm de profondeur et brasser jusqu’à 1 t/ha/an de sol. Afin de lier les particules entre elles et rendre la structure résistante, elles utilisent leur salive comme une colle. Les fondations de leur bâtisse sont constituées de matériaux riches en minéraux argileux qui serviront à créer une réserve en eau. La présence de cette eau ainsi que la morphologie de la termitière créent une circulation interne d’air. Ceci leur permet de contrôler la température et l’humidité de manière à ce qu’elles soient optimales pour la survie de leurs cultures de champignons. En d’autres termes, les termites champignonnistes ont conquis les milieux de savane semi-arides en reconstituant, au sein de la termitière, un microclimat forestier humide tropical. N’est-ce pas du pur génie ? 

En échange d’un habitat, les champignons vont aider les termites à se nourrir. Le genre Termitomyces est un champignon qui fait partie du groupe des pourritures blanches. Les pourritures blanches sont très importantes dans tous les écosystèmes terrestres. Elles regroupent des champignons ayant un système enzymatique unique capable de dégrader la lignine, une biomolécule très complexe. Elle est l’un des principaux composants du bois avec la cellulose et les hémicelluloses. Elle se trouve aussi en différentes proportions dans les feuilles et les tiges herbacées. Les pourritures blanches sont donc essentielles dans la chaîne de décomposition des matières organiques végétales. En décomposant la lignine, elles rendent disponibles les autres biomolécules plus faciles à décomposer pour les autres organismes, comme les termites. Les débris végétaux sont donc ramenés par les termites aux cultures de champignons à l’intérieur de la termitière. Ceux-ci vont prédigérer les aliments les rendant comestibles pour les termites. C’est ainsi que les termites champignonnistes sont les principaux décomposeurs ou recycleurs des matières organiques produites dans les écosystèmes de savane.

Termitière dans un milieu de savane, Dépression de Mababe, Botswana (crédit photo: Eric Verrecchia)

Les termites champignonnistes créent des îlots de fertilité et de la résilience pour la savane 

En comparant la terre de la termitière avec celle d’un sol plus éloigné, des différences physiques et géochimiques peuvent être mises en évidence. Les termites favorisent les particules fines et riches en argiles minérales pour leur construction. Les types de minéraux argileux sélectionnés ou formés par la salive des termites lors de la construction, ont des propriétés chimiques particulières. Ils peuvent fixer l’eau, ainsi que des éléments alcalins comme le calcium, le magnésium, le sodium ou le potassium. Cette capacité de fixation permet une diminution de l’acidité de la terre composant la termitière. Finalement, l’apport régulier de matière organique végétale par les termites et leur décomposition par les champignons engendrent un enrichissement en éléments nutritifs. La terre au sein de la termitière contient relativement plus de carbone, d’azote et de phosphore que la terre du sol éloigné.

La termitière est aussi soumise à l’érosion. Ainsi, la terre de la termitière moins acide et enrichie en particules fines, en argiles minérales, en eau et en éléments nutritifs est fréquemment redistribuée sur un rayon plus large que la termitière elle-même. Cela engendre une fertilisation du sol alentour créant un îlot de fertilité attirant des plantes et des animaux qui ne s’installeraient normalement pas à cet endroit. Il est intéressant de noter que même si la termitière est abandonnée, elle continue d’être un îlot de fertilité encore longtemps. Une relique de termitière au Ghana aurait été datée à 4000 ans. La capacité du sol des termitières à garder l’eau a aussi un effet positif sur le milieu en le protégeant contre les feux et la désertification. La multiplication des termitières construites, reconstruites et abandonnées amènent de l’hétérogénéité et de la biodiversité dans le paysage. La manière des termites champignonnistes d’habiter participe ainsi à l’augmentation de la résilience des écosystèmes de savane.

 

Réflexion philosophique sur les manières d’habiter la Terre 

La vie cherche à modifier son environnement pour s’y adapter et survivre. Les stratégies employées semblent d’une richesse telle que les scientifiques n’ont certainement ni tout vu, ni tout décrit, ni tout compris. L’acte de “modifier l’environnement” pourrait donc être vu comme une forme d’intelligence. Ainsi, l’humain ne serait ni une tare, ni une exception dans l’Histoire du vivant. Il serait une des voies ou une des histoires parmi toutes les autres. Plus encore, cette histoire humaine se déclinerait en autant d’histoires qu’il y a de manières humaines d’habiter la Terre. Tout comme il y existe d’autres récits chez les termites. 

Ces milliards de milliards d’histoires vivantes diffèrent dans leur durée. Celle des termites champignonnistes dure au moins depuis 31 millions d’années. Que faut-il pour qu’une histoire vivante soit durable? Dans le cas des termites champignonnistes, les effets des modifications biogéochimiques et physiques du sol sont utiles aux autres vivants et à l’écosystème. Il semblerait donc que les effets positifs doivent contrebalancer suffisamment les potentiels effets négatifs.

L’humain moderne, dans ses manières d’habiter, a plutôt tendance à prélever sans redonner. Cela engendre un déséquilibre et favorise l’émergence d’effets négatifs. Le philosophe et chercheur Baptiste Morizot décrit cette attitude comme un manque de diplomatie envers les vivants non-humains et la Terre (4). Cela se traduit dans ses manières d’occuper l’espace. L’humain moderne bétonne les sols, canalise les rivières, artificialise et exploite excessivement son milieu. Il laisse très peu de place aux autres vivants et néglige son environnement. Plusieurs crises se mettent alors en place autour de lui.

Comment l’humain moderne en est-il arrivé là? Une des explications pourrait se trouver dans l’héritage d’une vision dualiste du monde, celle qui oppose la nature à la culture (5, 6, 7). Cette cosmologie occidentale postule qu’il y a d’un côté un monde des humains, qui vivent en société fermée, et de l’autre un monde de la nature, constitué de matière et de non-humains. La nature apparaît comme un décor passif pour les activités humaines. Se croyant donc extrait de son environnement et de la communauté du vivant, l’humain moderne habite sans se préoccuper, ni partager, autrement dit, comme un bien mauvais diplomate.

Finissons-en avec ce leurre. La nature ça n’existe pas. À la place il y a une Terre. Celle-ci abrite de multiples vivants qui se partagent des territoires. Ils modifient cette Terre créant une multitude de mondes ou d’écosystèmes qui interagissent, s’entremêlent et évoluent depuis au moins 2.8 milliards d’années. L’Humain, de la famille des hominidés, du genre Homo (environ 2 millions d’années), l’espèce Homo sapiens (environ 300 000 ans), est l’un de ces vivants avec ses propres histoires évolutives. Il fait ainsi partie de la toile du vivant et a certainement sa place sur Terre.

Aujourd’hui, tous les signaux sont là pour inviter l’humain moderne à repenser ses manières d’habiter la Terre. Comme le suggère l’exemple des termites champignonnistes, engendrer des effets positifs ou partager les “bénéfices” semble être une des clés pour rendre l’histoire durable.

 

Références 

1 : Van Thuyne, J. and Verrecchia, E., 2021. Impacts of fungus-growing termites on surficial geology parameters: A review. Earth-Science Reviews, 223, 103862, https://doi.org/10.1016/j.earscirev.2021.103862 

2 : Roberts, E. M., et al., 2016. Oligocene Termite Nests with In Situ Fungus Gardens from the Rukwa Rift Basin, Tanzania, Support a Paleogene African Origin for Insect Agriculture. PLoS ONE 11(6): e0156847. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0156847 

https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0156847#pone.0156847.ref008 

3: Aanen D. K. and Eggleton, P., 2005. Fungus-Growing Termites Originated in African Rain Forest. Current Biology, Vol. 15, 851-855, https://doi.org/10.1016/j.cub.2005.03.043 

4: Morizot, B., 2018. Sur la Piste animale. Éditions Actes Sud, Arles, France. Voir aussi l’interview sur France Culture.  

5: Descola, P., 2005. Par-delà nature et culture. Essais Folio, éditions Gallimard, Italie 

6: Latour, B., 2015. Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique. Editions La Découverte, Paris 

7: Charbonnier, P., Latour, B., Morizot, B., 2017. Redécouvrir la terre. Dialogue. TRACES, 33, 227-252, https://journals.openedition.org/traces/7071 

Nathalie Diaz

Nathalie Diaz a étudié à l’université de Lausanne et de Neuchâtel, d’où elle est sortie pédologue, environnementaliste et géographe. De 2013 à 2019, elle fait de la recherche sur les sciences de la terre à Lausanne, puis à Londres. Confrontée aux enjeux de son époque, elle se lance dans la communication scientifique. Elle explore différents outils en espérant toucher toutes les générations.