Petite chimie du quotidien

La curiosité des grenouilles

L’écotoxicologie est une discipline relativement récente. Les premiers tests d’écotoxicité datent des années 1970. Il y a donc un peu plus de 50 ans de développements méthodologiques. Ce qui est finalement très peu si on veut tenter de caractériser les risques que présentent les substances chimiques pour toutes les espèces de l’environnement.

Dans un premier temps, l’écotoxicologie s’est inspirée de sa grande sœur, la toxicologie, qui se focalise sur l’être humain.

Ainsi les tests développés et appliqués pendant des années se concentraient sur des effets comme la mortalité ou encore la reproduction, voir la croissance des individus.

Cependant, certaines études ont montré que ces paramètres n’étaient pas suffisants pour décrire les effets complexes des polluants.

Ainsi, des chercheurs ont mis en évidence que le cuivre pouvait affecter le système olfactif des poissons à des concentrations que l’on peut détecter dans l’environnement. Ils font l’hypothèse que cette perturbation de leur odorat pourrait empêcher ces poissons de reconnaître leur prédateurs.

Cela paraît anodin, mais si les poissons ne reconnaissent plus leurs ennemis, ils se feront alors tuer plus facilement, ce qui peut amener à des diminutions drastiques de certaines populations.

Cet exemple montre que s’intéresser à la survie ou à la reproduction d’une espèce sous l’influence d’une substance toxique ne suffit pas.

Mais pour bien choisir les paramètres à étudier, il faut connaître les stratégies de survie et de reproduction des espèces. Ce que l’on appelle les traits de vie biologiques. Parmi eux, la manière de se nourrir.

Ainsi certains essais focalisent sur la vitesse d’alimentation des gammares, ces petites sentinelles des cours d’eau. D’ailleurs déclarés “Animal de l’année 2021” par Pro Natura. Ce paramètre, très sensible, peut même être mesuré avec des individus exposés dans des cages pour évaluer les effets de la pollution sur le terrain.

Trouver les bons paramètres à mesurer implique de se rapprocher de l’écologie, la science qui étudie les interactions entre les espèces et leur milieu.

Si pendant longtemps, écotoxicologie et écologie se sont ignorées, des rapprochements commencent à se faire.

Dans notre laboratoire, nous nous intéressons par exemple aux grenouilles.

Selon l’IUCN, 40% des amphibiens sont sur liste rouge, menacés d’extinction, soit bien plus que les mammifères.

Différents facteurs expliquent cet état de fait: l’anthropisation des milieux, les changements climatiques, mais également les substances chimiques comme les pesticides ou les antibiotiques que l’on trouvent dans les milieux humides.

Les amphibiens, comme les grenouilles, ont une peau très perméable qui les rend sensibles aux polluants. D’autre part, de par leur mode de vie, ils sont exposés dans l’eau pendant la phase larvaire, puis par l’air et le sol pendant la phase adulte.

Pour que les populations de grenouilles puissent se développer, les individus doivent être capables de se disperser sur le territoire, afin d’aller chercher de la nourriture, de se reproduire et de pondre. Mais le but le plus important de cette dispersion est, selon les écologues, d’augmenter le flux de gènes. C’est-à-dire d’éviter la consanguinité et d’augmenter la diversité génétique, afin d’augmenter la capacité de réponse aux stress environnementaux (prédation, changements climatiques, perte de l’habitat, pollution). Enfin, cette dispersion permet aussi de coloniser de nouveaux milieux.

Cette capacité de dispersion est donc un paramètre très important pour la survie des espèces.

Les écologues ont défini un paramètre permettant de mesurer cette dispersion, la “curiosité” ou la “hardiesse”. Plus un individu est curieux/hardi, plus il aura tendance à partir loin de son lieu de naissance et donc plus grande sera la chance qu’il puisse trouver un partenaire génétiquement différent.

Cette curiosité peut se tester en laboratoire.

On crée une arène avec une petite chambre fermée en son centre. On place la petite grenouille dans la chambre pendant quelques minutes. Puis on ouvre la chambre.

Le comportement de la grenouille est ensuite filmé. On regarde ainsi  le temps avant que la grenouille ne bouge, la distance parcourue dans l’arène, ou la surface couverte pendant un certain laps de temps.

On peut ensuite comparer le comportement de grenouilles qui ont été exposées à une ou des substances chimiques, avec celui de grenouilles non exposées. Cette comparaison permettra de mettre en évidence un effet négatif du/des polluants, si il existe.

Beaucoup plus sensibles que des tests sur la survie ou la reproduction, ces essais peuvent être effectués avec des concentrations environnementales. En effet, les tests classiques, sur la survie ou la reproduction, nécessitent souvent, pour voir des effets, d’utiliser des concentrations élevées, bien au dessus de celles que l’on détecte dans l’environnement.

Ces recherches, à l’interface entre l’écologie et l’écotoxicologie, sont donc particulièrement importantes pour mieux définir les risques des substances chimiques, et finalement définir des normes environnementales.

 

Merci à Laurent Boualit, doctorant dans notre labo, pour sa relecture attentive et pour m’avoir fait mieux connaître les amphibiens.

 

Références:

Agatz A, Brown CD. 2014. Variability in feeding of Gammarus pulex: moving towards a more standardised feeding assay. Environmental Science Europe 26: 15.

Beyers DW, Farmer MS. 2001. Effects of copper on olfaction of colorado pikeminnow. Environmental Toxicology and Chemistry 20. 907-912.

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