L’Europe annonce son ambition d’un monde “sans pollution chimique”

C’est une nouvelle qui est passée complètement inaperçue. Et pourtant, c’est une bonne nouvelle!

Le 14 octobre, la Commission européenne a adopté une nouvelle stratégie pour tendre vers un environnement exempt de substances chimiques.

Plus concrètement cette stratégie “stimulera l’innovation en faveur de produits chimiques plus sûrs et plus durables et renforcera la protection de la santé humaine et de l’environnement contre les produits chimiques dangereux. Elle prévoit notamment d’interdire l’utilisation des produits chimiques les plus nocifs dans les produits de consommation tels que les jouets, les articles de puériculture, les cosmétiques, les détergents, les matériaux en contact avec des denrées alimentaires et les textiles, sauf s’ils se révèlent essentiels pour la société, et de veiller à ce que tous les produits chimiques soient utilisés de manière plus sûre et plus durable”.

Certes, il s’agira maintenant de mettre en place des outils concrets et pratiques pour atteindre le but affiché. Mais néanmoins l’ambition est là.

De plus, la Commission européenne reconnaît l’effet des mélanges et déclare qu’il doit être considéré comme tel. Après 20 ans de tergiversations autour de sa prise en compte dans les législations, il est grand temps.

En 2006 déjà, l’Union européenne révolutionne la mise sur le marché des substances chimiques en imposant aux producteurs d’évaluer le risque, humain et environnemental, des substances chimiques qu’ils mettent sur le marché.

Cette démarche inverse le fardeau de la preuve. Ce n’est plus au scientifique de prouver, après coup, qu’une substance est à risque. C’est le producteur qui doit montrer qu’elle ne l’est pas.

C’est la directive REACH.

Ce fût un travail titanesque puisque 30’000 substances, sur les 120’000 sur le marché en Europe, devaient être ainsi évaluées.

Malheureusement, 14 ans après, force est de constater que REACH n’a que partiellement atteint son but.

Comme je l’avait écrit en juillet 2019, les données fournies par les industries sont souvent incomplètes, voir incorrectes. De plus, certains industriels ont réussi à contourner la directive et à laisser sur le marché des substances problématiques, sur la base du principe d’exception. Vous pouvez lire à ce propos l’excellent livre d’Henri Boullier “Toxiques Légaux” (ou voir son interview).

Avec cette nouvelle stratégie, la Commission européenne remet l’ouvrage sur le métier.

En effet, selon les chiffres publiés par le Monde, “300 millions de tonnes de substances chimiques sont produites en Europe chaque année, dont 74% sont considérées comme dangereuses pour la santé et/ou l’environnement par l’Agence européenne de l’environnement”. Ce sont les phtalates, parabènes, bisphénol-A, etc.

Espérons donc que la Commission se donnera les moyens de ses ambitions.

D’autant qu’avant son annonce, cette stratégie a fait l’objet d’intenses débats.

Sans étonnamment, c’est la Direction générale du marché intérieur et de l’industrie qui s’y est le plus fermement opposée. Il faut dire que l’industrie chimique est la quatrième plus grande industrie de l’Europe et qu’elle emploie 1.2 millions de personnes.

Mais plus bizarrement, la Direction générale de la Santé était également fortement opposée à cette stratégie.

Selon l’ONG Bureau européen de l’environnement, rapporté dans Actu Environnement, “une relation malsaine entre la DG santé et la direction générale en charge de l’industrie a été encouragée par l’ancien patron de la Commission Jean-Claude Juncker qui a subordonné la première à la seconde”.

C’est donc une affaire à suivre.

Si on revient à la stratégie elle-même, un point est intéressant. L’idée est promouvoir des substances chimiques plus sûres dès la conception. Ou plus clairement, de prendre en compte tout le cycle de vie de la molécule, de sa conception à sa dégradation. C’est le concept de “chimie verte“, qui a été beaucoup discuté au tournant de siècle, mais qui n’a été que très peu appliqué.

Et la Suisse dans tout cela?

Comme nous ne faisons pas partie de l’Europe politique, rien ne nous contraint à adopter la même stratégie.

Les exemples du passé nous montre que nous sommes en général observateurs. Nous ne prenons, dans nos législations, que très partiellement les nouvelles réglementations européennes sur les substances chimiques. Ou alors tardivement.

Un exemple. Alors que l’Union européenne a interdit le bisphenol-A dans les biberons en polycarbonate dès 2011, la Suisse a attendu 2017.

Autre exemple, le dioxyde de titane (E171) est interdit depuis janvier 2020 en France comme additif alimentaire, et les députés européens se mobilisent pour faire de même en Europe. Mais ce n’est pas un débat en Suisse.

Espérons cependant que l’ambition de l’Union européenne d’un monde “sans pollution chimique” puisse inspirer la Suisse.

 

 

Nathalie Chèvre

Nathalie Chèvre est maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne. Ecotoxicologue, elle travaille depuis plus de 15 ans sur le risque que présentent les substances chimiques (pesticides, médicaments,...) pour l'environnement.

6 réponses à “L’Europe annonce son ambition d’un monde “sans pollution chimique”

  1. Il y a toujours des farfelus pour demander des prolongations à polluer (comme l’UDC02).
    Et dans ce cas précis, il faudrait établir le coût réel (subventions + pollution grave de l’environnement).

    Va-t-on, un jour, avoir le courage de tout mettre dans la balance d’une juste écologie?
    Et non succomber aux sirènes d’une agriculture lobbyiste suisse, subventionnée par milliards pour polluer et pleurant à la concurrence déloyale?

    https://www.letemps.ch/suisse/betteraviers-demandent-reintroduction-provisoire-dun-pesticide-denonce-tueur-dabeilles

  2. La nouvelle stratégie de EU ne sert à rien tant que les nouveaux produits chimiques ne serons pas évalués par un organisme indépendant. Tous les jours de nombreux produits chimiques de plus en plus toxiques sont mis sur le marché, lesquels n’aurait jamais du être autorisés.

    Tous ses produits sont insuffisamment testés.

    Exemples
    SDHI (Succinate DeHydrogenase Inhibiteurs)
    lesquelles s’attaquent à la respiration cellulaire indispensable aux êtres vivants
    Le développement des souches résistantes est très élevé, de plus elles sont utilisées qu’en mélange avec des matières actives appartenant à un autre groupe de résistance.

    Biocides (Biopesticides, dérivés de produits naturels) qui contribuent à l’antibiorésistance.
    Les phytoprotecteurs incorporés dans les plantes (PIP) qui sont des substances produites par des plantes possédant des gènes d’autres espèces incorporés dans leur propre matériel génétique (c’est-à-dire des plantes génétiquement modifiées).

    Bisphénol B tout aussi dangereux que le bisphénol A, sans compter le bisphénol S

    La plus part de ses produits sont des bombes à retardement pour tout les êtres vivants, l’environnement et la santé humaine

    1. Je suis d’accord avec vous qu’il faut des organismes indépendants et des chercheurs indépendants pour évaluer la toxicité/écotoxicité des substances. J’espère que la stratégie européenne en tiendra compte.

      1. Malheureusement, je crains que non
        Plusieurs ONG l’exigent d’ailleurs, et ceci depuis très longtemps déjà, mais les lobbys des multinationales font tout pour empêcher cela

        Par ailleurs, il est urgent de modifier les procédures d’évaluations car seul la substance active est testés et évaluées, sans tenir compte des adjuvants, souvent beaucoup plus toxique que le principe active. Ses adjuvants augmentent la toxicité des produits

        Avec mes mes meilleures salutations

    1. Bonjour Jean-Christophe,
      Ceci n’explique malheureusement pas cela, ce serait trop facile. Le déclin de la biodiversité que vous pointez à travers le rapport de l’EEA met bien en évidence le déclin de la biodiversité. Néanmoins, la pollution chimique n’est qu’une des pressions qui érodent progressivement la biodiversité Européenne et tout l’enjeu de la réussite de projets de conservation consiste à comprendre les impacts de ces pressions individuellement et en interaction. Globalement toutes pressions dégradant la qualité et la quantité des habitats disponibles pour la biodiversité devront être atténuées voire éliminées afin que la biodiversité en Europe devienne résiliente. Il s’agit d’ailleurs de l’objectif principal au cœur de la stratégie biodiversité 2030 récemment mise à disposition par la Commission Européenne. Le chemin va être long pour y parvenir mais espérons qu’il soit pavé d’évidences scientifiques…
      Néanmoins, on peut souligner qu’un long chemin a déjà été parcouru depuis la mise en place de la directive Européenne cadre sur l’eau (2002) ou REACH (2006) en termes de connaissances scientifiques acquises, réseaux d’expertise créer et d’actions concrètes développées. Espérons que ces ambitions Européennes n’inspirent pas uniquement la Suisse.
      Au plaisir d’en discuter un jour de visu,
      Raphael

      Pour lecture :
      https://www.eea.europa.eu/publications/state-of-water
      https://www.eea.europa.eu/policy-documents/eu-biodiversity-strategy-for-2030-1

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