Petite chimie du quotidien

Parlons d’un sujet qui fâche…l’expérimentation animale

Une chose me frappe pendant cette pandémie. Les tests sur les animaux ne sont plus tabous.

Des singes ont été infectés par le Covid pour évaluer leur immunité. Cela ne semble émouvoir personne alors que nous voterons prochainement à nouveau en Suisse sur une initiative contre l’expérimentation animale.

Soyons honnêtes, au cours du développement d’un médicament ou d’un vaccin, on procède à des tests sur les animaux.

Idem pour évaluer le risque des substances chimiques, que ce soit pour l’homme, ou pour les espèces de l’environnement.

Il existe certes des modèles, qui permettent de faire des prédictions quant à la toxicité ou l’écotoxicité d’une substance, mais ils ne permettent que de faire un tri. Les effets des polluants ne se laissent pas si facilement décrire.

D’ailleurs c’est un des reproche fait régulièrement aux tests d’écotoxicité effectués lors des procédures de mise sur le marché des substances chimiques. Ces tests ne sont pas assez réalistes et ne reflètent pas l’exposition “réelle”, à long-terme des espèces vivantes.

Cette absence de réalisme a été particulièrement critiquée dans le cas des pesticides néonicotinoïdes et de leurs effets sur les abeilles. Les tests actuels étant des tests très courts, ils ne reflétent pas les effets d’une exposition à des faibles doses sur le long-terme.

Pour protéger les espèces de l’environnement, il est donc nécessaire de faire des tests d’écotoxicité sur des espèces de laboratoire.

Il n’y a cependant aucun plaisir à faire des expériences avec des animaux. C’est important de le souligner.

A la fin de ma thèse, j’ai remercié les centaines de daphnies, un microcrustacé, que j’avais exposées à un pesticide.

Ces tests d’écotoxicité ne sont cependant pas faits dans n’importe quelles conditions.

La Loi suisse sur la protection animale est la plus stricte au monde. Elle s’appuie sur les 3R (en anglais: Replacement, Reduction, Refinement), soit substituer avec des modèles si possible, réduire le nombre d’animaux testés et améliorer les conditions de tests.

Les photos montrant des souris ou des grenouilles écartelées datent d’une autre époque. De tels tests ne se font plus chez nous.

Nous travaillons actuellement avec des Xénopes, des grenouilles d’Afrique du Sud, qui sont communément utilisées au laboratoire.

En Suisse, la plupart des amphibiens sont sur liste rouge. Différents facteurs sont pointés du doigt pour expliquer cette diminution des espèces, dont les pesticides.

Les tests sur les Xénopes servent donc à comprendre le risque que ces substances peuvent présenter pour les amphibiens.

En parallèle de l’écriture du projet de recherche, nous avons écrit une demande “éthique” auprès du Service vétérinaire cantonal pour effectuer ces tests. C’est la procédure normale en Suisse. L’acceptation de cette demande nous a pris 6 mois.

D’abord il faut remplir un formulaire très détaillé sur les tests envisagés. Ce formulaire doit être examiné par le vétérinaire cantonal et par une commission d’éthique.

Ceux-ci relèvent les points qui posent problèmes. Nous devons les argumenter ou changer le protocole.

C’est une longue procédure, très stricte, mais nécessaire pour bien encadrer la recherche.

Certains points me posent toutefois question.

D’abord, la réglementation suisse ne concerne que les vertébrés. Au laboratoire, vous pouvez tester sans problèmes des algues, des plantes, des microcrustacés comme les daphnies ou des abeilles.

L’idée derrière est que ces organismes n’ont pas de système nerveux, donc ne souffrent pas.

Mais est-ce bien vrai?

Le test d’évitement sur les vers-de-terre nous interroge à ce propos. Lorsque vous mettez ces vers en présence de deux compartiments, l’un pollué, l’autre pas, ils choisissent de se réfugier dans celui qui ne l’est pas.

N’est-ce pas une indication qu’ils repèrent le danger et donc la souffrance potentielle?

D’ailleurs les décapodes, comme les poulpes, viennent d’être ajoutés à la liste des espèces concernées par la loi en Suisse. Et au fur et à mesure des connaissances, d’autres espèces s’y ajouteront encore.

Chez nous, au laboratoire, nous avons ainsi adopté les “mêmes règles” pour toutes les espèces, à tous les stades de vie.

Rappelons-le, tester des espèces vivantes n’est pas un plaisir. Mais c’est nécessaire pour évaluer le risque des substances chimiques de manière “réaliste”. Donc nous le faisons avec le plus de respect possible pour le vivant.

Un autre point me semble important. Tous les pays ne sont pas aussi strictes que la Suisse.

La tendance est donc, pour certains industriels, mais également pour certains chercheurs, à délocaliser les tests. Est-ce dont vers cela que nous voulons tendre? Ne plus faire d’expériences chez nous pour les faire ailleurs où on ne les voit pas?

La mise sur le marché des substances chimiques et leur surveillance nécessite malheureusement de faire des tests sur les organismes vivants. Leur “sacrifice” est nécessaire pour protéger notre santé et la biosphère.

Les alternatives seraient de ne pas faire de tests, et donc de mettre sur le marché des substances potentiellement dangereuses, ou d’interdire toutes les substances chimiques. Ce qui n’est pas envisageable actuellement.

Les écotoxicologues doivent donc trouver un difficile équilibre entre assurer au mieux le bien-être des animaux de laboratoire et effectuer des tests représentatifs pour protéger les animaux dans l’environnement.

Un casse-tête.

 

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