Petite chimie du quotidien

Faire parler l’ADN de l’environnement

Je vous ai passablement parlé jusqu’à maintenant du risque des substances chimiques pour l’environnement. Or l’évaluation du risque c’est une prédiction.

On utilise des modèles, souvent simples, parfois même simplistes, pour tenter de déterminer les effets des cocktails de polluants sur les écosystèmes. Mais que s’y passe-t-il réellement dans ces écosystèmes? Est-ce que les espèces sont vraiment impactées par ces polluants? Ou au contraire nos modèles sont-ils trop protecteurs?

Il est très difficile de répondre à cette question. Une des raisons est qu’il est fastidieux d’identifier les espèces présentes dans un écosystème.

Prenons le cas de l’identification des poissons dans une rivière. On peut procéder sur la base des relevés de pêche, tout en sachant qu’il y aura un biais, les pêcheurs ne retenant que les poissons qui peuvent être consommés.

On peut aussi faire ce que l’on appelle un pêche électrique ou électropêche. Concrètement, il s’agit de mettre un courant électrique dans une rivière, ce qui va étourdir le poisson et le faire remonter à la surface. Il pourra ainsi être analysé, pesé, etc…avant d’être remis dans la rivière.

Ce type de pêche permet de faire un état de la faune piscicole d’un cours d’eau. Mais depuis quelques années, cette pratique est discutée, car même si le poisson n’est pas tué, il peut être blessé par la manipulation.

Donc, en plus d’être complexe, l’identification des espèces peut être dommageables pour celles-ci. Ce n’est pas idéal.

Depuis une dizaine d’années, une nouvelle technique a fait son apparition dans la trousse à outil des chercheurs: l’ADN environnemental.

Cette technique part du principe que la vie laisse des traces où elle passe. Par l’analyse du milieu (par exemple de l’eau d’une rivière), il est possible de remonter aux espèces qui y circulent. Un peu comme nous-mêmes, laissons des empreintes là où nous passons (cheveux, peau, etc.).

Connaissant l’ADN des espèces potentiellement présentes dans un écosystème, il est donc possible d’évaluer leur présence ou leur absence. Et de mettre ces résultats en lien avec la pollution, plus ou moins importante, d’un milieu.

Le projet que j’aimerais vous présenter utilise ce type d’approche, soit la recherche de l’ADN environnemental. Il a été mené par un consortium de chercheurs franco-suisses, et coordonné par l’INRA de Thonon pour la partie française et par l‘Université de Genève pour la partie suisse.

Ce projet a pour étude la pollution du Léman et, entre autre, son impact sur les communautés de périphyton. Le périphyton, c’est un mélange d’algues, de champignons et de bactéries qui vivent en symbiose.

Vous connaissez cette communauté d’organismes, c’est la pellicule glissante que vous trouvez sur les cailloux dans les cours d’eau.

Le périphyton joue un grand rôle pour les écosystèmes. Il sert de nourriture aux macroinvertébrés ou à certains poissons. Il peut aussi filtrer l’eau et la dépolluer. Il est donc essentiel dans un système lacustre comme le Léman.

Or le type d’organismes présents dans le périphyton, le type d’algues notamment, est un indicateur de la qualité de l’eau. Il est donc possible d’évaluer la qualité de l’eau des bords du Léman en prélevant cette communauté tout autour du lac.

Cependant, comme expliqué plus haut, il est très fastidieux de déterminer toutes les espèces d’algues présentes dans un échantillon, et jusqu’à présent, une telle détermination n’avait été menée que pour quelques sites autour du lac.

Dans le projet Synaqua, les chercheurs ont utilisé l’ADN pour faciliter leur travail et donc évaluer plus de sites.

Très concrètement, ils ont séquencé l’ADN des échantillons prélevés, et comparé les résultats avec leurs bases de données pour déterminer les espèces présentes. Dans cette base de données se trouvait aussi la sensibilité de ces espèces aux polluants comme le phosphore ou l’azote.

La présence ou l’absence des différentes espèces d’algues dans la communauté a donc permis de classer les sites autour du lac en trois catégories de pollution: bonne qualité écologique, qualité écologique moyenne et qualité écologique dégradée.

La carte du pourtour du lac est la suivante:

(Source des images, Synaqua, INRA Thonon).

On pouvait s’y attendre, les zones où la qualité écologique est la plus dégradée se situent proches des zones les plus urbanisées. Des zones où se rejettent notamment des effluents de stations d’épuration ou de déversoirs d’orage, C’est le cas autour de la Baie de Vidy au sud de Lausanne, qui ressort en rouge.

Certes, cet outil n’est pas encore adapté pour des pollutions avec des pesticides et des médicaments. Mais ces méthodes sont amenées à se développer rapidement.

Elles pourront donc très certainement être utilisées dans un proche avenir pour affiner et valider les évaluations de risque.

 

A écouter, l’émission CQFD du 22 janvier avec la Dr Bouchez.

 

Références:

Projet SYNAQUA: https://www6.inrae.fr/synaqua/

Poulet N, Basilico L. 2017. L’ADN environnemental pour l’étude de la biodiversité. Etat de l’art et perspectives pour la gestion. Agence française pour la biodiversité. www.documentation.eauetbiodiversite.fr

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