On ne trouve que ce que l’on cherche

Régulièrement, de nouvelles problématiques liées aux substances chimiques apparaissent. C’est le cas du chlorothalonil, un fongicide appliqué sur les champs de céréales et qui a défrayé la chronique au début de l’été. Son autorisation n’a pas été renouvellée en 2019 par l’Union européenne, mais il est encore autorisé en Suisse.

Dans le cas de ce fongicide, le problème vient surtout de ses produits de dégradation. En effet, le chlorothalonil est classé comme cancérigène potentiel. Mais ce sont ses métabolites que l’on trouve dans des concentrations dépassant la norme de 0.1 ug/l dans les eaux souterraines. Or comme la substance parente est cancérigène potentielle et que la preuve n’est pas faite que ses métabolites ne le sont pas, elles sont considérées comme problématiques (vous suivez?).

Suite à cette nouvelle classification, des eaux souterraines sont devenues impropres à la production d’eau potable. Pourtant le chlorothalonil est utilisé depuis 50 ans, alors pourquoi maintenant?

En premier lieu, cela s’explique par l’évolution des méthodes d’analyses chimiques.

Si vous devez surveiller la qualité des eaux, vous allez prélever un échantillon d’eau (si possible représentatif) et y rechercher les substances d’intérêt. Or il n’est pas possible de faire une recherche “au hasard”. Vous devez choisir un certain nombre de substances connues, pour lesquelles les méthodes d’analyse existent, que vous pourrez comparer avec ce qui est présent dans votre échantillon. Donc au final vous ne pourrez trouver que ce que vous cherchez.

Je vous donne deux exemples.

Prenons le cas du glyphosate. La méthode d’analyse au laboratoire est assez complexe et cette molécule ne pouvait pendant longtemps pas être analysées en même temps que d’autres pesticides. Peu de laboratoires étaient donc capables de le rechercher. Malgré le fait qu’il était l’herbicide le plus vendu en Suisse, on ne le trouvait pas dans les eaux de surface car il était absent des programmes de surveillance. Or lorsqu’il a été inclus dans ces mêmes programmes, au milieu des années 2000, il s’est avéré qu’on le trouvait aussi bien dans les eaux de surface que dans les eaux souterraines.

Un autre exemple est donné par les médicaments dans les eaux. Il y a entre 2000 et 3000 substances médicamenteuses sur le marché en Suisse. Or depuis le début des années 2000, nous en cherchons entre 50 et 100. Soit maximum 5%. C’est peu. Ce pourquoi les laboratoires cherchent à toujours plus étayer leurs analyses. C’est donc un peu par hasard que la metformine, un anti-diabétique, a été rajoutée à la liste des substances cherchées à la fin des années 2000. Et qu’on s’est rendu compte qu’on la trouvait partout. Presque 20 tonnes dans le Léman par exemple.

Tout cela pourrait laisser penser que les recherches se font “au petit bonheur la chance”. Or ce n’est pas le cas. Les organismes de surveillance et les chercheurs travaillent de concert pour dresser des listes de substances “à rechercher”. Par exemple, en cherchant à connaître celles qui sont le plus utilisées.

Mais la tâche est colossale. D’une part parce qu’il y a plus 100’000 substances sur le marché en Europe, et 10 à 20 fois plus si on compte les produits de dégradation. Mais surtout parce que nous n’avons pas accès aux données de composition des produits, ni aux quantités vendues. Donc, dans la plupart des cas, impossible de faire des pronostics sur les substances à rechercher.

Il y a donc fort à parier que dans le futur, il y aura de plus en plus d’actualité sur des pollutions qui ne seront nouvelles que par leur mise en évidence.

Mais revenons au chlorothalonil et au problème qu’il pose actuellement alors que ce n’était pas le cas il y a encore une année.

La deuxième explication est liée à l’évolution des données sur la toxicité humaine et environnementale.

Reprenons le cas des métabolites du chlorothalonil. La question des produits de dégradation est très complexe, mais cependant très importante. En effet, la structure d’une substance chimique, dans l’environnement, va changer sous l’action du soleil, des bactéries, etc…. Généralement cette évolution est plutôt positive car la toxicité de la substance va diminuer. Mais ce n’est pas toujours le cas. C’est un phénomène d’ailleurs bien connu pour les médicaments. Certains d’entre eux sont plus actifs une fois transformés par le foie chez l’être humain. Comme exemple, le tamoxifen, un anti-cancéreux utilisé dans le traitement des cancers du sein. Dans son cas, c’est l’endoxifen, sa métabolite, qui est 100 fois plus active contre le cancer.

Dans le cas du chlorothalonil, 6 métabolites ont été déclarées comme pertinentes (à risque) et 3 comme non-pertinente dans un rapport de l’Office Fédérale de l’Agriculture du 6 août 2019. Avant cette date, le chlorothalonil ne posait pas vraiment de problèmes. Notons que dans le rapport cité ci-dessus, 19 métabolites sont déclarées comme pertinentes, alors qu’elles ne font de loin pas toutes, pour l’instant, l’objet de recherche dans les eaux.

Ici également il y a fort à parier que le nombre d’études augmentant, le nombre de substances devenant à risque va augmenter aussi.

Un bon exemple de changement d’interprétation de la qualité de l’environnement est donné par les PCBs. Cette famille de composés chlorés a été largement utilisée jusque dans les années 80 et même s’ils sont maintenant interdits, ils sont encore présents dans l’air et relargués par certains matériaux de construction comme les joints ou encore par les décharges.

Jusqu’au début des années 2000, on mesurait les quantité de PCBs sur la base des 6 congénères que l’on trouve en majorité dans les eaux. Ces valeurs étaient en dessous des normes et tout allait bien.

Mais soudain, des chercheurs mettent en évidence que certains membres de la familles sont beaucoup plus toxiques que prévus. On les appelle dioxines-like car aussi toxiques que les dioxines. De nouvelles normes entrent en vigueur et la Suisse découvre ses eaux beaucoup plus polluées que précédemment, entrainant la fermeture de la pêche dans certaines rivières telle la Sarine.

On le voit, la surveillance de la qualité de l’eau est complexe. De nouvelles méthodes d’analyses, de nouvelles données de toxicité ou d’écotoxicité font régulièrement leur apparition et mettent en lumière de nouveaux problèmes.

Il paraît donc important de prendre des mesures non pas seulement lorsque le problème est détecté, mais également pro-activement, pour réduire de manière générale les substances chimiques qui entrent dans les eaux. A titre d’exemple, l’amélioration des traitements des effluents des stations d’épuration voulu en Suisse, ceci pour réduire les substances chimiques rejetées, va dans ce sens.

 

 

Nathalie Chèvre

Nathalie Chèvre est maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne. Ecotoxicologue, elle travaille depuis plus de 15 ans sur le risque que présentent les substances chimiques (pesticides, médicaments,...) pour l'environnement.

5 réponses à “On ne trouve que ce que l’on cherche

  1. J’apprécie toujours vos articles et vous remercie pour ces informations d’interêt pour notre population. D’un côté la recherche produit dans différents domaines des nouvelles molécules utiles et rentables (entreprises diverses) et de l’autre la recherche identifie ces composés ou leurs dérivés passés dans l’environnement (coûteux, non rentables, donc socialisés). Cette équation, pour autant qu’elle soit bien posée, comporte donc des inconnues. Est il envisageable (techniquement, politiquement) de les identifier et d’y remédier ?

    1. Bonjour,
      Si nous savons ce que nous devons chercher, oui il est possible de développer les méthodes d’analyses adéquates. Le problème vient que la plupart du temps, nous ne savons pas ce à quoi nous avons à faire dans l’environnement. Prenons le cas tout simple d’un détergent pour la vaisselle. La liste des ingrédients figurant sur le flacon n’est pas assez précise pour savoir quelles sont les molécules qu’il contient. Et, par la suite, ce que nous devons chercher dans les eaux. Donc oui, il y aurait une pression politique à exercer pour obtenir plus de transparence.

  2. Merci pour vos informations fort intéressantes. Cela laisse toutefois songeur ! On a vraiment l’impression d’être assis sur une bombe à retardement. On parle du réchauffement climatique, mais le problème est beaucoup plus général et les micro -polluants sont une composante hyper-importante : l’eau, c’est la vie ! L’homme est vraiment la source du désastre qui s’annonce si rien n’est fait dans l’immédiat. Si les sociétés industrielles à l’origine de la production de toutes ces saloperies étaient un tant soit peu plus responsables, de gros progrès pourraient être faits en prenant des mesures en amont.
    Lorsque l’on pense aux milliards de mégots abandonnés chaque année dans la nature, lesquels vont relâcher par dizaines de milliers de tonnes des centaines de divers micro-polluants dans l’eau de pluie, donc dans nos cours d’eau, lacs, mers et océans, micro-polluants dont la majeure partie échappe certainement aux analyses, cela fait vraiment souci pour la santé et les conditions de vie de nos générations futures

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