Petite chimie du quotidien

L’échec des législations sur les substances chimiques

On me demande souvent pourquoi on ne connaît pas la toxicité de telle ou telle substance. Prenons l’exemple d’un cosmétique. On lira “methylpropanediol” dans la composition, mais taper son nom dans son moteur de recherche n’amènera, au mieux, que des informations contradictoires sur le risque que cette molécule présente.

Il faut dire que jusqu’aux années 2000, seuls les pesticides et les médicaments étaient soumis à une législation spécifique visant à évaluer le risque qu’ils pourraient présenter. Pour l’homme et l’environnement (ou pour l’homme seulement dans le cas des médicaments).

Or il y avait au début du 21ème siècle près de 150’000 substances sur le marché en Europe. Pour lesquelles ce risque était donc inconnu!

Fort de ce constat, les députés européens ont adopté le 13 décembre 2006 une loi visant à enregistrer et évaluer les substances chimiques présentes sur le marché en Europe, la directive REACH.

Cette directive inversait le fardeau de la preuve, c’est-à-dire que, comme pour les pesticides, les industries devaient montrer qu’une substance ne présentait pas de risque pour pouvoir la mettre sur le marché. Ce n’était plus à nous, scientifiques, et aux administrations, de devoir démontrer ce risque pour qu’elle soit retirée du marché.

L’accouchement de cette directive fût difficile. Un intense lobbying, autant du milieu industriel que des ONG, a eu lieu à Bruxelles.

Au final, c’est seulement 30’000 substances sur les 150’000 qui devaient être évaluées, soit celles produites à plus de 1 tonne par an.

Mais l’adoption de cette directive nous a réjouis, toxicologues et écotoxicologues. Nous allions enfin en savoir plus et pouvoir évaluer le risque environnemental des molécules qui nous entouraient. Je me souviens d’en avoir parlé avec enthousiasme aux volées d’étudiants qui suivaient mes cours.

En 2019, maintenant que les dernières données ont été reçues par l’agence européenne des produits chimiques à Helsinki, force est de constaté que le soufflé est retombé.

En mai dernier, des documents de l’association environnementale allemande Bund, cités par Le Monde, montraient que plus de 654 entreprises allemandes ne respectaient pas la directive REACH. Ils parlent même de “dieselgate” de l’industrie chimique.

En effet, pour 940 substances, dont 41 utilisées entre 12 et 121 millions de tonnes par an, les données sont non conformes ou insuffisantes concernant le danger toxicologique et écotoxicologique. Ainsi le phtalate de dibutyle, un plastifiant soupçonné d’être un perturbateur endocrinien, est encore largement utilisé dans les jouets.

Récemment, des collègues se sont également penchés sur les valeurs d’écotoxicité à disposition dans la base de données REACH. Sur les 305’068 données trouvées, seules 54’353 étaient utilisables. C’est-à-dire que 82% des valeurs à disposition ne pouvaient pas être utilisées pour évaluer le risque environnemental d’une substance!

Pourquoi un pourcentage si élevé de données non utilisables?

Ces collègues posent plusieurs hypothèses comme des erreurs lors de la saisie des données. Mais pas seulement. Parfois les conditions de tests ne sont pas précisées. Ou encore il est mentionné que la toxicité est inférieure à une certaine valeur, mais cette valeur n’est pas donnée.

C’est un énorme gâchis. Énormément d’argent a été investi pour créer des données inutilisables. Et au final, cette réglementation sensée mieux nous protéger ne le fait pas.

Mais il y a encore pire à mon sens. Dans son excellent livre: “Toxiques légaux”, Henri Boullier montre que même pour des substances dont la toxicité est reconnue, “des députés, des avocats, des hauts fonctionnaires, des représentants d’entreprise et des chefs d’Etat ont progressivement inscrit dans le droit l’impossibilité d’interdire les molécules chimiques, si toxiques soient-elles”.

S’inscrit dans la loi notamment le fameux “principe d’exception” lorsqu’une substance est utilisée dans un usage contrôlé.

Je m’explique. Une substance dangereuse peut par exemple être utilisée sur un lieu de travail si les conditions de travail sont contrôlées et donc que la santé du travailleur n’est pas mise en danger. Sont ainsi établise cartes de risques et mesures de protection. Mais souvent dans la pratique, comme le montre Henri Boullier, ces mesures ne sont pas appliquées correctement.

C’est donc un constat bien amer. Malgré la volonté affichée en Europe de mieux contrôler les substances chimiques, l’échec est flagrant.

Donc je continuerai certainement encore longtemps de répondre “je ne sais pas” lorsque l’on me posera la question de la toxicité d’une substance chimique découverte dans la composition de son shampoing préféré.

 

Références:

Boulier H. 2019. Toxiques légaux. Comment les firmes chimiques ont mis la main sur le contrôle de leurs produits. Editions la découverte.

Saouter et al. 2019. Using REACH for the EU Environmental Footprint: building a usable ecotoxicity database (part I). Environmental Chemistry and Toxicology. Article sous presse.

Image: Fotolia_64542047_Subscription_L, copyright

 

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